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(2008) Consultation médicale sous escorte

Publié le lundi 1er décembre 2008 | http://prison.rezo.net/2008-consultation-medicale-sous/

Consultation médicale sous escorte

En 1987, j’étais en prison au centre de détention de Liancourt, dans l’Oise. Après un Zona et une prise de sang, on m’avait annoncé que j’étais porteur de ce que l’on nommait « le VIH ». Je me souviens de ce jour comme si c’était hier. Non pas que je l’avais mal pris, je me rappelle que je n’avais pas trop réalisé ce que l’on m’annonçait, mais on m’a renvoyé en cellule sans aucune explication. Ce genre de procédé, je pensais que ça n’arrivait plus derrière les murs de nos geôles. J’avais tort !

Hier soir, vers les 18h00, l’UCSA m’a prévenu qu’il faudrait que je reste à jeun le lendemain matin, car j’avais rendez-vous à l’hôpital de Melun pour des examens médicaux. Prise de sang pour savoir où en étaient mon SIDA, Fibrotest et Fribroscan pour connaître l’état de mon foie à cause de mon hépatite C. Pour connaître l’état de mon foie, j’avais déjà subi une biopsie. Elle avait révélé une fibrose classée A1-F3 sur une échelle A4-F4. Mon foie avait donc une fibrose assez importante.

Je me demandais si on allait réussir ma reprise de sang. A chaque fois, c’est un vrai casse-tête pour le personnel médical. On peut réussir du premier coût à me piquer, comme il faut s’y reprendre à plusieurs fois. Depuis des années déjà, on ne me pique plus dans les veines, mais dans les artères. Mes veines sont complètement fichues à cause de les avoir trop souvent utilisées pour la came. Un jour ou l’autre, on paie la facture !

Ce matin, à 8h45, je suis partie sous escorte à l’hôpital de Melun, en toute confiance. Je n’espérais qu’une chose, que l’on réussisse du premier coup ma prise de sang. Quelle chance, ce fût le cas !!! Puis, l’infirmière m’annonça que j’avais un autre test à faire. Je m’étais tellement fixé sur la prise de sang que j’en avais oublié les autres examens.

Nous étions au deuxième étage de l’hôpital, il fallait nous rendre au quatrième. Entrave aux pieds (on avait dû m’ôter les menottes pour la prise de sang), me voilà marchant dans les couloirs de l’hôpital, avec sur mon passage, les yeux interro-accusateurs de la populace. Certainement devaient-ils se demander qui j’étais, si j’étais dangereux, ce que j’avais bien pu faire, et/ou ce que je foutais dans un hôpital civil pour personne libre ? La médisance se lit dans les regards.

Je n’avais aucune idée de ce que pouvait être un Fibrotest et un Fibroscan. Ce qui est étonnant, c’est que l’on ne vous explique jamais rien des examens que l’on vous fait subir. J’essaye de me renseigner auprès de l’infirmière qui m’a pris en charge à mon arrivée à l’hôpital :
- « C’est quoi, madame, un Fibrotest et un Fibroscan ? »
- « Je n’en ai aucune idée, monsieur ! »

Alors là, je reste pantois, sur le cul, béat, bouche B, interloqué, estomaqué, sidéré, étonné, surpris, comme un con...

J’arrive au quatrième étage. On me fait rentrer dans une salle de soin et l’on me dit que le médecin va arriver. Avant que l’infirmière ne reparte, je demande à nouveau en quoi consistent ces examens, Fibrotest et Fibroscan. Gentiment, elle m’explique que le Fibrotest est une prise de sang et le Fibroscan, une écographie.

- « Comme pour les femmes enceintes » me précise-t-elle aimablement.
L’évolution de la médecine a fait que l’on a plus besoin de prélever un bout de foie pour en connaître l’état. « Le Fibroscan consiste à envoyer des ultrasons et à mesurer la dureté du foie » m’a expliqué le toubid. « Plus le foie est dur, plus c’est mauvais signe ». A la fin de l’examen, mon foie s’est révélé être très dur.

La peur m’envahit. Je panique. Je demande au médecin :
- « Je n’en suis pas au cancer ou à la cirrhose, tout de même ? »
- « Non, mais il va falloir débuter un traitement sans tarder. Votre médecin à la prison vous expliquera tout » me répond-il. J’ai le sentiment qu’il ne souhaite pas trop m’en dire plus. Ou bien, c’est moi qui me fais des idées ?

Une fois les examens terminés, je redescends au second étage. La première infirmière me demande si je souhaite prendre un petit déjeuner, étant donné que j’avais dû rester à jeun. Je suis agréablement surpris de cette petite attention. Un petit zeste d’humanité, ça fait du bien au moral. Mais je sens les yeux des surveillants de la prison sur moi. Leurs regards pèsent tellement sur moi que je devine leurs pensées.
- « Pourvu qu’il dise non » souhaitent-ils tous très fort. Ils sont plutôt sympas avec moi, mais je devine bien qu’ils seraient mieux ailleurs.
- « Je vous remercie, madame, mais je dois prendre mes médicaments du matin, alors je mangerai quand je serai de retour à la prison ».

L’infirmière rendit mon dossier médical au surveillant-chef de l’escorte. Celui-ci expliqua qu’il fallait le mettre dans une enveloppe fermée pour respecter le secret médical. Ca a été plus fort que moi, j’ai pouffé de rire. Surpris, les surveillants me regardent, se demandant pourquoi j’avais rigolé. Devant leurs regards interrogateurs, je leur dis :
- « Vous étiez présents dans la salle de soins pour les examens, le médecin a parlé des pathologies dont je souffrais, alors le secret médical, il y a belle lurette qu’il n’a pas été respecté. » Je vois bien que ma remarque ne plaît pas trop, mais peu m’importe. Le fait est que le secret médical, on en prend conscience quand ça nous arrange, pour se donner bonne conscience.

L’annonce du diagnostic m’a quelque peu retourné. Je ne suis là pour personne, je gamberge à m’en pêter les neurones.
- « Non d’un chien, je dois prendre ce fichu traitement pour soigner mon foie, mais je sais déjà que je ne vais pas pouvoir le prendre tout de suite. Mes défenses immunitaires sont trop basses et le traitement fait justement diminuer ces défenses. Puis, c’est un traitement lourd, très lourd, rendant malade et dépressif. Et je suis en prison, donc pas le lieu idéal pour débuter un tel traitement. »

Jusqu’à mon retour à la prison, je suis dans mes pensées. Plus rien n’existe autour de moi. Je ne me suis même pas rendu compte du temps que l’on a mis. Tout d’un coup, je suis devenu comme un automate. De retour en cellule, je pense à prendre mes médicaments. Je me fais un petit déjeuner vite fait avec quelque petits gâteaux secs. Une fois terminée, je m’allonge sur le lit, une clope allumée au bec. Pour la première fois dans ma vie, j’ai peur à propos de ma santé. Même le SIDA ne m’avait jamais foutu autant la trouille que ce putain de virus VHC. Un cancer ou une cirrhose et c’est les mois qui me sont comptés. Tout s’emballe dans ma tête, je n’ai pas du tout envie de crever en taule. Merde, il y a plein de truc que j’ai encore envie de faire !!!

Dernièrement, j’ai écrit au comité AIDES Seine-et-Marne pour rencontrer un volontaire de l’association. Plus que jamais, j’ai besoin de parler à quelqu’un de particulièrement compétent concernant les co-infections VIH/VHC, mais du côté de l’association AIDES, je n’ai obtenu aucune réponse.

Didier ROBERT
Une personne incarcérée malade du SIDA, du VHC