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3 Respect effectif des droits de l’homme des détenus

Publié le jeudi 27 novembre 2008 | http://prison.rezo.net/3-respect-effectif-des-droits-de-l/

III. Respect effectif des droits de l’homme des détenus

18. Dans son rapport de 2006, le Commissaire invitait les autorités à accroître les moyens alloués aux établissements pénitentiaires afin d’améliorer les conditions de vie des personnes détenues.

19. En premier lieu, il convient de mettre en lumière les efforts entrepris par les autorités françaises pour améliorer les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires.
L’Administration pénitentiaire (AP) a initié une réflexion d’envergure sur les modalités d’applications des nouvelles règles pénitentiaires européennes [1] et a pris l’initiative de les diffuser largement à son personnel. Dans le même temps, elle a initié une phase d’expérimentation de certaines de ces règles, prévoyant leur généralisation à tous les établissements en 2008. La transparence affichée de l’administration [2] doit être saluée.
Quant à l’expérimentation en cours, qui ne porte que sur un nombre limité de recommandations et ne concerne qu’une partie des établissements, il convient de souhaiter qu’elle soit rapidement étendue.

20. En janvier 2006, des « Etats généraux de la condition pénitentiaire » ont été lancés à l’initiative de la société civile avec le soutien de la grande majorité des forces politiques françaises. Les conclusions des Etats généraux [3] demandaient la reconnaissance et la mise en œuvre de l’ensemble des libertés et droits fondamentaux des personnes détenues, insistaient sur le besoin de faire de la réinsertion la mission première de la prison et appelaient à l’adoption d’une loi pénitentiaire. En mai 2007, la CNCDH a publié une étude approfondie relative aux champs pénaux et pénitentiaires allant dans le même sens [4].

21. En 2007, le Gouvernement français a décidé de réformer la loi pénitentiaire. Le 19 novembre 2007, un Comité d’orientation restreint (COR) instauré par le Garde des Sceaux a adopté un rapport de 120 préconisations [5]. Ce rapport recommandait de favoriser les peines alternatives et de remettre le détenu au centre des préoccupations, en lui permettant d’être l’acteur de son temps d’enfermement, ainsi que de respecter ses droits (sociaux, familiaux, électoraux).

22. En juin 2008, le Garde des Sceaux a présenté au Conseil d’Etat un projet de loi pénitentiaire. Un certain nombre de professionnels ont regretté que ce projet ne reprenne pas plus largement certaines propositions formulées par les Etats généraux, la CNCDH ou le COR et ne fasse qu’entériner des pratiques déjà existantes. Le Commissaire n’entend pas se prononcer en détail sur un texte qui pourrait subir de nombreuses modifications au cours de son processus d’adoption. Il souhaite néanmoins faire quelques observations d’ordre général.

23. Le Commissaire estime que les questions du maintien des liens et contacts familiaux, de l’accès aux prestations sociales de droit commun, du droit de vote en prison, du travail équitablement rémunéré, de la réduction substantielle de la durée de placement en quartier disciplinaire ou du placement en isolement ne doivent pas être éludées. Il souhaite souligner que les Règles pénitentiaires européennes, socle fondamental qu’il convient de respecter et de mettre en œuvre au plus vite, ne sont qu’une base minimum. Elles ne devraient pas empêcher les autorités d’adopter une loi plus protectrice pour des détenus. Ainsi le Commissaire restera vigilant à ce que des pratiques telles que les fouilles corporelles soient strictement encadrées ou que la mise en place de régimes de détention différenciés ne soit pas légalisée.

24. Depuis 2006, l’Administration pénitentiaire a expérimenté dans 28 sites « pilotes » les trois processus-clé suivants : l’accueil des arrivants, le traitement des requêtes, l’accompagnement et l’orientation des détenus. Un travail substantiel a été entrepris pour permettre l’accès au téléphone pour les condamnés en maison d’arrêt, la séparation prévenus-condamnés, la création de quartiers réservés pour les arrivants et le traitement des requêtes dans des délais raisonnables. Il faut souhaiter que ces nouvelles dispositions soient rapidement appliquées à l’ensemble des détenus, ce qui n’est pas encore le cas. A titre d’illustration, l’accès au téléphone n’est possible que pour environ 70 % des condamnés et il n’était pas effectif à l’Etablissement Pénitentiaires pour Mineurs (EPM) de Meyzieu lors de la visite du Commissaire.

25. Le Commissaire est également conscient des réformes d’envergure entreprises concernant le régime de l’isolement administratif. Les dispositions introduites en juin 2006 consacrent un renforcement du rôle des magistrats dans la procédure qui est devenue contradictoire ainsi qu’une limitation relative de la durée d’isolement à deux ans. De plus, les détenus concernés peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle pour l’assistance d’un avocat. Ces réformes ont entraîné une diminution d’un tiers du nombre de détenus placés en isolement entre 2005 et 2008. Toutefois, le décret établit une mesure d’isolement judiciaire qui est particulièrement préoccupante car elle est non susceptible de recours et peut être prolongée jusqu’à la durée maximale de la peine encourue. Il est regrettable qu’au cours de cette réforme les autorités n’aient pas pris la décision d’autoriser les détenus concernés à accéder aux activités ordinaires de la prison et de limiter plus strictement la durée maximale d’isolement.

26. L’administration reconnaît que les règles pénitentiaires européennes relatives aux conditions minimales d’hygiène ne sont pas pleinement appliquées notamment en 8 raison de la vétusté et l’ancienneté de certains établissements. Le Commissaire a pu constater lors de sa visite à Fresnes que des efforts matériels ont été entrepris pour cloisonner les toilettes dans les cellules. Néanmoins, cette séparation matérielle qui permet d’avoir un minimum d’intimité n’existe toujours pas dans 20 % des cellules considérées administrativement comme « individuelles ». Une solution devrait être apportée à ce point dans les plus brefs délais car l’accroissement de la population carcérale contraint souvent deux ou trois voire quatre détenus à partager une cellule initialement prévue pour une personne. Il n’est pas acceptable que des détenus soient encore obligés d’utiliser les toilettes aux vues de leurs codétenus.

1. Séparation entre prévenus / condamnés et encellulement individuel

27. Dans son rapport de 2006, le Commissaire avait rappelé l’impérieuse nécessité de séparer les prévenus des condamnés. Ce principe, réitéré par les Règles pénitentiaires européennes [6], a pour fondement le respect de la présomption d’innocence.

28. L’encellulement individuel des prévenus est reconnu par les Règles pénitentiaires européennes [7] et le code de procédure pénale français [8] mais la mise en œuvre de cette disposition a été reportée à deux reprises. Le 12 juin 2008, la Ministre de la Justice a promulgué un décret qui entend témoigner de sa volonté d’améliorer le respect des droits des prévenus. Cette volonté doit être soulignée même si son application soulève certaines difficultés.

29. Tout d’abord, il est regrettable que le décret renverse le droit reconnu à un encellulement individuel et le transforme en une simple possibilité, de surcroît sur la base d’une demande du prévenu. Dans la pratique, le décret ne permet en fait aux prévenus que de demander leur transfert dans un autre établissement en vue de bénéficier d’une cellule individuelle. Au-delà de cet aspect juridique, il est à craindre que la mise en œuvre de ce droit se fasse au détriment d’autres droits.

30. Selon le décret, en l’absence de places disponibles dans la maison d’arrêt, le chef d’établissement dispose de deux mois pour faire des propositions de transfèrement dans d’autres établissements après autorisation du juge d’instruction. La durée moyenne de détention provisoire étant de 5,7 mois [9], on peut imaginer que peu de prévenus mettent en place cette procédure administrative. D’autant plus qu’au 1er mai 2008 la suroccupation des maisons d’arrêt était de plus de 140 % soit près de 14 000 personnes en surnombre alors qu’il n’y avait que 313 cellules non occupées.

31. Au surplus, en raison de la surpopulation quasi-généralisée des maisons d’arrêts, le prévenu demandant à bénéficier d’un encellulement individuel risque de se voir proposer une place dans un établissement fort éloigné de son lieu de résidence habituelle. Il sera contraint de choisir entre bénéficier de conditions d’incarcération dignes d’une part et maintenir des liens familiaux ou des contacts directs avec son avocat d’autre part. Ces éléments sont à garder à l’esprit pour permettre potentiellement d’expliquer le nombre relativement faible de demandes pour bénéficier de cette disposition [10]. Tout en saluant l’intention de permettre une amélioration des conditions de détention des prévenus, le Commissaire invite les autorités françaises, dans le cadre de l’adoption de la nouvelle loi pénitentiaire, à reconnaitre de nouveau l’encellulement individuel comme un droit pour tous les prévenus, à permettre sa mise en œuvre dans les faits et à assurer la séparation entre prévenus et condamnés.

2. Surpopulation
a. Etat des lieux

32. Malgré les efforts non négligeables entrepris pour rapprocher les conditions matérielles de détention en France des standards européens, leurs effets positifs sont largement amoindris par la persistance de la surpopulation carcérale. Dans son rapport de 2006, le Commissaire constatait l’existence d’un engorgement des établissements pénitentiaires. Ces constatations se basaient sur des travaux au niveau national, et notamment deux rapports parlementaires de 2000 [11] sur les conditions des prisons en France.

33. D’autres instances notamment européennes ont alerté les autorités françaises sur la détérioration des conditions de vie en prison en raison du surpeuplement. Ainsi le Comité européen pour la Prévention de la Torture (CPT) a dans un rapport publié en 2004 considéré que « un ensemble de facteurs néfastes - surpeuplement, conditions matérielles déplorables, conditions d’hygiène créant un risque sanitaire indéniable, sans même mentionner la pauvreté des programmes d’activités - [...] peuvent légitimement être décrits comme s’apparentant à un traitement inhumain et dégradant » [12]. Il a réitéré des constatations similaires dans son rapport publié en 2007 [13].

34. Au niveau national, l’Etat a été condamné en mars 2008 par une juridiction française en raison de conditions de détention « dégradantes ». Pour la première fois, une juridiction administrative a considéré la responsabilité de l’Etat engagée en raison des conditions de détention qui constituaient « un manquement aux règles d’hygiène et de salubrité » et étaient contraires au « respect de la dignité humaine » [14].

35. Les causes de ce surpeuplement sont multiples. Une part de ce surpeuplement peut être imputée aux programmes de rénovation de certains établissements, comme tel est le cas actuellement à la maison d’arrêt de Fresnes en raison des travaux effectués à celle de la Santé. Toutefois, les raisons de cet accroissement résident principalement dans le durcissement des peines prononcées par les juridictions pénales et par un recours accru à la mise en détention. En effet, depuis 2002, une série de lois a modifié la politique pénale en accentuant sa dimension répressive.

36. Cette tendance risque de s’accentuer avec la mise en place de la nouvelle loi du 10 août 2007 qui institue des peines minimales dites « planchers » pour les délinquants récidivistes. Les juges peuvent écarter ces peines minimales, mais sont contraints de motiver spécialement leur décision. De plus, cette loi consacre l’impossibilité de prononcer une peine autre que l’emprisonnement à la deuxième récidive pour un grand nombre de délits.

37. L’inflation carcérale constatée depuis 2000 s’est poursuivie. Ainsi, au 1er juin 2008, 63 838 personnes étaient incarcérées soit environ 3 000 personnes de plus que l’année précédente à la même date [15]. En conséquent, plus de 13 000 détenus étaient en surnombre par rapport aux places disponibles soit un taux d’occupation moyen de près de 125 %. La plupart des établissements pour peines - réservés aux condamnés à de longues peines - dépassent rarement leur taux d’occupation maximal. Il en est tout autre pour les maisons d’arrêts qui ont un taux d’occupation moyen de 140 %.
Dans 13 maisons d’arrêts, ce taux dépasse les 200 % et certaines dépassent même le 10 seuil des 220 % comme à Béthune, Chambéry ou la Roche-sur-Yon. On estime que sept détenus sur dix sont écroués dans des établissements surpeuplés.

38. Le personnel pénitentiaire étant déterminé pour chaque établissement en fonction de sa capacité maximale théorique, toute surpopulation engendre automatiquement une carence en terme de surveillants, de travailleurs sociaux ou de personnel administratif.
Ceci a pour conséquence une promiscuité subie accrue, une détérioration des conditions d’hygiène en raison d’un accès réduit aux douches, des délais rallongés pour l’obtention d’une consultation médicale ou des difficultés dans la gestion des parloirs. Les tensions et des violences entre surveillants et détenus mais aussi entre détenus sont également plus fréquentes. De telles conditions sont intolérables pour les détenus mais aussi pour le personnel de l’administration pénitentiaire qui subissent tous les dysfonctionnements de la gestion pénitentiaire française.

b. Réponses apportées à la surpopulation carcérale

39. Pour faire face à cette situation, les autorités françaises indiquent vouloir trouver une réponse dans une augmentation substantielle du nombre de places disponibles. Le Ministère de la Justice ambitionne de disposer de 63 000 places de détention en 2012 [16]. Des projections récemment rendues publiques prévoient 80 000 détenus en 2017. Une telle réponse ne peut être suffisante car toute sanction ne doit pas avoir pour unique fonction de punir mais doit aussi préparer à la réinsertion. Comme le rappelle la Recommandation du Comité des Ministres « l’extension du parc pénitentiaire devrait être plutôt une mesure exceptionnelle, puisqu’elle n’est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement » [17].

40. Pour remédier à la surpopulation, les autorités françaises entendent aussi mettre en place « une politique volontariste en matière d’aménagement des peines ». Le développement de l’aménagement des peines a été facilité par la mise en place de différents mécanismes et notamment la création de la conférence régionale d’aménagement des peines en juin 2007. Au 1er mai 2008, 5 920 condamnés écroués exécutaient leur peine en aménagement de peine ce qui représente 11,8 % de l’ensemble des condamnés [18]. Ce nombre n’a jamais été aussi important tant en valeur absolue que par rapport au nombre de détenus. La majorité de ces condamnés bénéficiaient d’un placement sous surveillance électronique dont le nombre est en forte augmentation. Le nombre de personnes bénéficiant d’un régime de semi-liberté est lui aussi en augmentation mais reste toutefois modeste [19].

41. Les services pénitentiaires d’insertion ont la responsabilité d’organiser l’aménagement des peines, d’entreprendre des démarches pour permettre aux détenus de suivre des formations ou de les aider à trouver un emploi. Ces travailleurs sociaux jouent un rôle de première importance dans la réussite de la libération conditionnelle ainsi que dans la prévention de la récidive. Or, bien que des efforts importants aient été réalisés ces dernières années, il apparaît que ces travailleurs sont en sous-effectif flagrant et que les moyens à leurs dispositions sont insuffisants [20]. Le Commissaire appelle les autorités françaises à offrir un service d’insertion de qualité et à permettre l’accès à la libération conditionnelle au plus grand nombre de détenus.

42. Dans cette réflexion sur l’aménagement des peines, le Commissaire tient à saluer les efforts mis en œuvre pour développer les peines alternatives. Il invite les autorités à poursuivre ses efforts notamment via l’accroissement des moyens disponibles pour permettre les placements extérieurs ou l’élargissement des possibilités de libération conditionnelle. Le projet de loi pénitentiaire diminuant le recours à la détention
préventive va également dans le bon sens. Compte tenu de la surpopulation aggravée des prisons françaises, il convient en effet de ne recourir à une telle détention que lorsqu’elle est totalement indispensable et pour une durée aussi brève que possible.

43. Toutefois ces dispositions requièrent un certain délai avant d’avoir un impact réel sur le taux de surpopulation. Dès lors, le Commissaire appelle instamment les autorités françaises à répondre immédiatement aux conditions inacceptables de détention des détenus contraints de vivre dans des cellules surpeuplées et souvent vétustes.

3. La prise en charge médicale des personnes détenues
a. L’accès aux soins

44. La question de l’accès aux soins constitue un autre sujet de préoccupation. Depuis la loi de 1994, la prise en charge des détenus est confiée au secteur hospitalier afin d’assurer en prison une qualité et une continuité de soins équivalents à ceux offerts à l’ensemble de la population [21].

45. Selon la société civile, la mise en œuvre de cette loi a permis l’amélioration générale de la prise en charge des détenus malades. Néanmoins, des progrès restent à faire en matière d’accès à des consultations de spécialistes ou de continuité des soins à la sortie de prison notamment. Les conditions de consultation des détenus à l’hôpital sont rendues difficiles principalement en raison du port des menottes et de la présence quasi permanente du personnel pénitentiaire. Le Commissaire avait pourtant dénoncé ces pratiques dans son rapport de 2006. Il avait également soulevé le problème des annulations de consultations et d’hospitalisations à l’extérieur en raison du manque de personnel pour assurer le transfert. Malgré les améliorations apportées par l’ouverture d’unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI), ces constatations demeurent toujours d’actualité et le Commissaire a été informé que des détenus nécessitant une intervention médicale sont parfois contraints d’attendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines.

46. Dans le même sens, la question de la permanence des soins le week-end et la nuit a été évoquée. Il apparaît qu’ils ne soient pas pleinement garantis en raison de l’absence de soignants disponibles voire du refus des surveillants d’alerter les services compétents, en fonction de leur propre évaluation de l’urgence. Le Commissaire invite les autorités françaises à assurer la continuité des soins et à éviter que des détenus ne se retrouvent sans soins appropriés pendant une durée prolongée.

47. Enfin, la loi sur la rétention de sûreté semble remettre en cause le caractère intangible du secret médical en prison. En effet selon la loi, le personnel soignant est désormais tenu de signaler au directeur de la prison les patients présentant un risque sérieux pour la sécurité d’autrui. Bien qu’insérée dans la loi relative à la rétention de sûreté, cette disposition s’applique à l’ensemble des établissements pénitentiaires. La loi dispose certes que cette communication doit se faire dans le respect du secret médical.
Toutefois, ce dernier repose sur la confiance absolue qui doit s’établir entre le patient et le soignant. Une remise en cause même partielle risque d’en altérer les fondements.
Le Commissaire invite les autorités françaises à garantir le respect le plus strict du secret médical.

b. La prise en charge des maladies psychiatriques

48. En octobre 2006, le Comité d’éthique a exprimé sa préoccupation quant au taux de pathologies psychiatriques qui est vingt fois plus élevé en prison qu’au sein de la population dans son ensemble. Cela s’explique en partie par la forte diminution du nombre de personnes reconnues irresponsables pénalement. D’autres explications résident dans l’allongement de la durée des peines et dans la dégradation des conditions d’incarcération qui accroissent la fragilité psychique des détenus. En 2006,
la France a d’ailleurs été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour le maintien en prison, sans traitement approprié, d’un homme souffrant de troubles mentaux [22]. Il apparaît également qu’au lieu d’être hospitalisés, certains malades relevant de la psychiatrie sont placés en quartier d’isolement, voire en quartier disciplinaire ou encore font l’objet de régimes de détention plus stricts, dans le cadre des régimes différenciés. Le Commissaire invite les autorités à se montrer vigilantes sur une gestion disciplinaire des personnes souffrant de troubles mentaux et à développer les aménagements de peine à leur égard.

49. En plus des SMPR (services médico-psychologiques régionaux) créés en 1986, la France a opté pour la création d’unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) [23] pour recevoir les détenus souffrant de troubles psychiatriques. Cette solution est rejetée par un certain nombre de praticiens, comme entretenant la confusion entre maladie mentale et criminalité. Les difficultés à prévenir les suicides en prison illustrent cette carence qu’il conviendrait de résoudre.

50. Enfin, concernant la prise en charge psychiatrique des délinquants sexuels, la législation semble s’orienter vers les impératifs de sécurité pour prévenir les récidives, plus que sur les soins à apporter à ces personnes durant leur détention. Quelques établissements, comme la prison de Melun, se distinguent par la création de parcours de soins thérapeutiques pour les délinquants sexuels, mais ils constituent des exceptions non encore accessibles à l’ensemble des détenus qui devraient en bénéficier. Le Commissaire invite les autorités françaises à développer de telles pratiques et à permettre aux détenus nécessitant une prise en charge particulière d’en bénéficier.

4. La loi sur la rétention de sûreté

51. En 2007, le Gouvernement français a élaboré un projet de loi pour autoriser la « rétention de sûreté » de criminels ayant purgé leurs peines. Le Conseil Constitutionnel a été saisi pour vérifier la constitutionnalité du projet de loi tel qu’adopté par le Parlement le 8 février 2008. Dans sa décision du 21 février [24], il a considéré que la loi ne pouvait s’appliquer rétroactivement comme initialement envisagé. La loi adoptée ne peut donc s’appliquer que pour des crimes graves jugés après sa promulgation. Bien que considérée comme une mesure ne pouvant être appliquée rétroactivement, le Conseil Constitutionnel a estimé que la rétention de sûreté n’était pas une « punition » au sens de la Constitution française et que, dès lors, elle pouvait être ordonnée après l’exécution d’une peine d’incarcération. La loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental a été finalement adoptée le 25 février 2008.

52. Le projet initial limitait la mesure aux auteurs de crimes à caractère sexuel sur mineurs de moins de 15 ans. Toutefois, lors de son adoption au Parlement, son champ d’application a été étendu à tous les crimes sur mineurs ainsi qu’aux crimes graves commis sur majeurs [25].

53. Au terme de la loi, « la rétention de sûreté consiste dans le placement de la personne intéressée en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel il lui est proposé, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure ». La possibilité d’un tel placement doit avoir été expressément prévue dans le jugement de condamnation, si le condamné présente « 13
une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’il souffre d’un trouble grave de la personnalité ».

54. Au moins un an avant la date prévue de libération, le criminel concerné est placé en observation aux fins d’expertise médicale. Sur la base de cette évaluation, une commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté [26] évalue la persistance de la dangerosité du criminel et peut proposer la rétention de sûreté, dans un avis motivé.
Sur la base de cet avis une commission de trois juges, la commission régionale de sûreté, peut ordonner la rétention.

55. La rétention est prévue pour une durée initiale d’un an. Elle est renouvelable indéfiniment par la Commission régionale de trois juges. La rétention est effectuée dans un milieu fermé où les retenus seront privés de leur liberté d’aller et de venir.
Lorsque la Commission régionale met fin à la rétention de sûreté, elle peut ordonner une surveillance de sûreté, comportant par exemple les obligations du port du bracelet électronique ou de se présenter régulièrement aux autorités. La loi introduit aussi l’injonction de soins en tant que mesure quasi automatique. En cas de non respect de ces mesures, la Commission peut réordonner la rétention.

56. Au cours de sa visite, le Commissaire a pu constater que l’adoption de cette loi a suscité et continue de susciter un important débat au sein de la société française. De nombreux syndicats de professions juridiques et médicales, des associations, des personnalités du monde académique et intellectuel ont exprimé leur désaccord quant à la rétention de sûreté et aux risques d’abus qui en découlent.

57. Dans son avis du 8 février 2008 la CNCDH a considéré que les principes de la sécurité juridique et de la présomption d’innocence sont remis en question par le projet de loi [27].
Elle considère aussi que le lien de causalité entre une infraction et la privation de liberté est rompu, la rétention n’étant pas liée à une infraction commise mais à la possibilité d’une infraction future. Une partie de ses arguments et d’autres similaires développés par la société civile [28] ont été entendus par le Conseil constitutionnel.

58. Le Commissaire note que de plus en plus d’Etats européens [29] mettent en place des procédures afin de prévenir les récidives d’actes criminels particulièrement insupportables pour la société tels que les crimes sexuels. Si certains pays ont fait le choix d’accroître les structures médicales et le suivi psychiatrique régulier en milieu ouvert, d’autres, en nombre plus limité, ont mis en place des mécanismes semblables en milieu carcéral.

59. Dans le cas d’espèce, le Commissaire note l’existence de multiples mécanismes de contrôle et en particulier le rôle central accordé à l’autorité judiciaire. Cet élément, mis en avant par le Conseil constitutionnel dans sa décision, est en conformité avec les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme [30]. Toutefois, le Commissaire partage certaines des préoccupations exprimées notamment quant au risque d’arbitraire qui découle de l’appréciation de la dangerosité du criminel. La notion de « dangerosité », à partir de laquelle est prononcée la rétention de sûreté, n’est pas une notion juridique claire. Son contenu scientifique est également flou dans la mesure où l’évaluation de la dangerosité criminologique et du risque de récidive semblent sujets à controverse et la France semble manquer d’outils pour évaluer avec précision cette dangerosité. Ainsi les juges seront amenés à prononcer une mesure de rétention en se fondant principalement sur le pronostic de « dangerosité » délivré par une expertise médicale. Même si cette décision leur appartiendra, elle sera largement dictée par l’expertise. Comme en matière de peines, l’existence d’un doute quant à la dangerosité devra profiter au condamné. De plus, on peut s’interroger sur la situation dans laquelle sera placé le juge en cas de divergence entre experts. La logique du risque zéro ne devrait pas devenir la règle, au détriment des libertés individuelles.

60. Selon l’analyse faite par le Conseil Constitutionnel, la rétention de sûreté « ne saurait constituer une mesure nécessaire que si aucune mesure moins attentatoire à cette liberté ne peut suffisamment prévenir la commission d’actes portant gravement atteinte à l’intégrité des personnes » [31]. Selon le Commissaire, il convient d’abord de recourir aux autres mesures de prévention de la récidive prévues par la loi (surveillance judiciaire, obligation de se présenter à la police ou surveillance par bracelet électronique). La rétention de sûreté ne devant être que l’ultime réponse, il est nécessaire d’assurer l’effectivité des mécanismes de prévention non privatifs de liberté.

61. La loi ne devrait pas mener à un emprisonnement réellement perpétuel qui annihile tout espoir chez le détenu. Le Commissaire rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a noté « qu’infliger à un adulte une peine perpétuelle incompressible pouvait soulever une question sous l’angle de l’article 3 » [32]. Les mesures sévères doivent être appliquées dans certaines circonstances, afin de protéger la société, mais cette utilisation ne doit en aucun cas être banalisée et doit rester l’ultime recours, sous peine de nier les chances de réinsertion des personnes concernées.

62. Par ailleurs, le Commissaire est préoccupé par le fait que la loi ne distingue pas parmi les criminels concernés par la rétention de sûreté qui s’applique aussi aux mineurs ayant commis des crimes graves. Cette disposition va à l’encontre de la prise en compte de la responsabilité spécifique des mineurs.

63. A la lumière de ces observations, le Commissaire invite à une extrême précaution dans l’application de la rétention de sûreté qui devrait constituer une mesure de dernier ressort. Il encourage également les autorités à examiner les résultats obtenus par les autres pays où une mesure similaire est en vigueur ainsi qu’à recourir à des études indépendantes régulières afin de déterminer si cette législation contribue réellement à la protection de la société.

[1] Recommandation (2006)2 sur les règles pénitentiaires européennes, 11 janvier 2006

[2] Ministère de la Justice, Application des règles pénitentiaires européennes en France, août 2006 www.justice.gouv.fr/art_pix/RPE3.pdf

[3] www.etatsgenerauxprisons.org

[4] CNCDH, Sanctionner dans le respect des droits de l’Homme, volume I et II, 23-24 octobre 2007

[5] Comité d’orientation restreint de la loi pénitentiaire, Orientations et Préconisations, novembre 2007

[6] Règle 18.8 : « La décision de placer un détenu dans une prison ou une partie de prison particulière doit tenir compte de la nécessité de séparer : a. les prévenus des détenus condamnés ».

[7] Règle 18.5 « chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus »

[8] Article 716 « Les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire sont placés au régime de l’emprisonnement individuel de jour et de nuit Il ne peut être dérogé à ce principe que dans les cas suivants : 1° Si les intéressés en font la demande ... ».

[9] Commission nationale de suivi de la détention provisoire, rapport 2007

[10] Entre la publication du décret le 12 juin et le 4 juillet, 33 demandes d’encellulement individuel ont été enregistrées par l’administration pénitentiaire dont 28 d’entre-elles auraient abouti à un refus.

[11] Rapport de la Commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, créée en vertu d’une résolution adoptée par le Sénat le 10 février 2000. Tomes I et II. Paris : Sénat, déposé le 29 juin 2000 et Rapport fait au nom de la Commission d’enquête sur la situation dans les prisons françaises.
Paris : Assemblée nationale, déposé le 28 juin 2000

[12] Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France du 11 au 17 juin 2003, publié le 31 mars 2004, CPT/Inf (2004) 6 §12

[13] Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France du 27 septembre au 9 octobre 2006, publié le 10 décembre 2007, CPT/Inf (2007) 44 §146.

[14] Arrêt du Tribunal administratif de Rouen, 27 mars 2008 confirmé en appel le 24 juin 2008.

[15] Ministère de la Justice, Statistiques mensuelles de la population écrouée et détenue en France, 1er juin 2008

[16] « Programme 13 200 » lancé en 2002 qui vise à la construction de 13 200 places d’ici 2012.

[17] Recommandation n° R (99) 22 du Comité des Ministre s concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, 30 septembre 1999

[18] Ministère de la Justice, Statistiques mensuelles de la population écrouée et détenue en France, 1er mai 2008

[19] 1863 personnes bénéficiaient de ce régime au 1er mai 2008

[20] Rapport « Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux », de Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, remis au Président de la République, 30 mai 2008.

[21] Selon cette loi, des unités de consultations et de soins déambulatoires (UCSA) ont été créées dans les prisons, les équipes médicales étant fournies par les hôpitaux publics. Les détenus malades qui nécessitent des examens poussés, une hospitalisation ou une intervention chirurgicale sont transférés dans un hôpital public. Ceux qui doivent être hospitalisés sur la longue durée sont incarcérés à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes.

[22] CEDH, Rivière c. France, 11 juillet 2006

[23] Construction de 440 places prévue entre 2008 et 2010 et de 265 places entre 2010 et 2011. Prévu par la loi Perben I de 2002.

[24] Conseil Constitutionnel, Décision n° 2008-562 DC s ur la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de trouble mental, du 21 février 2008

[25] Assassinat ou meurtre aggravé, torture ou actes de barbarie aggravés, viol aggravé, enlèvement ou séquestration aggravés.

[26] Composée du préfet de région, du directeur interrégional des services pénitentiaires compétent, d’un expert psychiatre, d’un avocat, d’un représentant d’une association nationale d’aide aux victimes.

[27] Avis le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de trouble mental du 8 février 2008.

[28] Voir notamment les observations du Syndicat de la magistrature soumis au Conseil Constitutionnel

[29] Voir notamment les rapports du Commissaire suite à sa visite en Suisse (CommDH(2005)7, §§ 134-135) et en Allemagne (CommDH(2007)14, §§ 201-206)

[30] Voir mutatis mutandis, CEDH, Stafford c. Royaume-Uni, 28 mai 2002, paras 87-89.

[31] Décision du Conseil Constitutionnel, § 17

[32] Voir CEDH, Kafkaris c. Chypre, 12 février 2008, para 97