C. Recommandations sur les alternatives à la détention et les aménagements de peine
Il est peu aisé de comprendre l’intégration dans le titre II du projet de loi d’une section 3 concernant les « régimes de détention » aux côtés des alternatives à la détention et des aménagements de peine. Cette section 3 inclut des dispositions relatives à l’encellulement individuel, à la différenciation des régimes de détention, et à la procédure disciplinaire, sujets qui concernent au premier chef les droits fondamentaux des personnes détenues en ce qu’ils affectent leurs conditions de vie. L’avant-projet de loi soumis à la CNCDH n’intégrait pas ces dispositions dans la partie sur les aménagements de peine et alternatives à la détention, à juste titre puisque les sujets sont dissociés. Parce que l’intégration de la section 3 dans le titre II est inopportune, les dispositions de la section 3 ont été analysées antérieurement (voir pp.29 et svt). Seules les sections 1 et 2 du titre II sont donc traitées dans la présente partie.
La surpopulation et l’inflation carcérale ne pourront être contenues que par le biais d’une politique pénale cohérente et stable, et non par le développement incessant de programmes immobiliers. Dans son rapport faisant suite à sa dernière visite en France, le CPT recommandait aux autorités françaises de mener une stratégie contre le surpeuplement carcéral, « qui s’inspire des principes contenus dans les recommandations spécifiques du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe concernant le surpeuplement dans les prisons et l’inflation carcérale (R (99) 22), la détention provisoire (R (80) 11) et la libération conditionnelle (R (2003) 22), ainsi que des nouvelles RPE (R(2006) 2) (paragraphes 146 et 176) » [1]. Comme elle le disait en 2006 [2], la CNCDH considère que les politiques en matière pénale sont empreintes de nombreuses contradictions, de changements législatifs rapprochés, ainsi que d’une multiplication des infractions pénales et des circonstances aggravantes. Ce manque de lisibilité et de stabilité représente un frein majeur au développement du recours aux mesures alternatives à la détention par les magistrats, alors que l’exposé des motifs du projet de loi dit vouloir développer « des mesures de contrôle en milieu ouvert » [3]. Or, l’usage des mesures alternatives à la détention ne pourra se développer et avoir des effets sur le taux de détention que dans le cadre d’une politique pénale cohérente, stable et lisible. En ce sens, le Ministère de la Justice se doit d’élaborer et de diffuser chaque année des orientations de politique pénale, en tenant compte du principe selon lequel la privation de liberté devrait être considérée comme une mesure de dernier recours.
En particulier, il convient de rappeler qu’il est de la responsabilité des pouvoirs publics de maîtriser l’inflation d’incriminations pénales et de circonstances aggravantes. À cet effet, ils préconisent d’étudier les possibilités de transfert de certains contentieux vers les juridictions civiles. Ils considèrent également que le législateur devrait envisager, pour davantage d’infractions, d’indiquer une peine non privative de liberté au lieu de l’emprisonnement comme sanction de référence. S’ils notent dans l’actuel projet de loi une tendance au développement de l’assignation à résidence sous surveillance électronique, l’usage d’autres mesures alternatives doit être encouragé, tels que le travail d’intérêt général, d’élargir de manière effective l’octroi de libérations conditionnelles, et d’apporter de réelles améliorations aux possibilités d’aménagements de peine.
1. Les alternatives à la détention (articles 32 à 37)
Comme l’indique l’intitulé de la partie concernée du projet de loi (titre II), celui-ci traite essentiellement des alternatives à la détention provisoire et non des alternatives à la détention en général. Pourtant, ces dernières sont le corollaire du principe admis selon lequel le prononcé d’une peine privative de liberté doit être exceptionnel. Et l’exposé des motifs indique à juste titre que « la nécessité de limiter autant que possible l’incarcération d’une personne en lui substituant (...) des mesures de contrôle en milieu ouvert s’applique à tous les détenus, qu’il s’agisse de prévenus ou de condamnés » [4].
1.1. L’emprisonnement comme sanction de dernier recours (article 32)
En affirmant avec force dans son article 32 l’idée selon laquelle la peine d’emprisonnement ferme en matière correctionnelle ne peut être prononcée que si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendraient toute autre sanction manifestement inadéquate, le projet de loi pénitentiaire franchit un pas supplémentaire visant à inciter le juge correctionnel à recourir aux peines alternatives pour sanctionner les délits. La loi vient également renforcer une tendance déjà initiée par la loi Perben II à systématiser l’examen des possibilités d’aménagement des courtes peines de prison dès leur prononcé (ab initio).
La CNCDH salue cette orientation de politique pénale qui s’inscrit dans la droite ligne de ses travaux depuis plusieurs années sur la prison et les alternatives à la détention. La loi française s’inscrit ici exactement dans le cadre des recommandations européennes estimant que « la privation de liberté devrait être considérée comme une sanction ou une mesure de dernier recours et ne devrait dès lors être prévue que lorsque la gravité de l’infraction rendrait toute autre sanction ou mesure manifestement inadéquate » (Conseil de l’Europe, Recommandation R(99) 22 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, 30 sept. 1999). Le projet de loi pénitentiaire va même plus loin en ajoutant à la question de la gravité de l’infraction une condition cumulative de personnalité de l’auteur, ce qui permettra, comme le souhaite la CNCDH, une meilleure prise en compte du contexte de l’infraction et de la situation générale de son auteur. La CNCDH alerte néanmoins sur deux aspects qui lui apparaissent manquer dans le projet de loi pour qu’un tel article emporte les effets escomptés sur la situation en France.
1.1.1. L’applicabilité aux comparutions immédiates
Si les textes n’obligent pas les juges du siège à assortir les peines de prison ferme prononcées en comparution immédiate d’un mandat de dépôt, ils le font dans la plupart des cas, venant empêcher tout aménagement avant mise à exécution (ab initio). Pour que l’article 32 du projet de loi s’applique aux comparutions immédiates, qui sont devenues les principales pourvoyeuses d’incarcération en matière correctionnelle, la CNCDH estime indispensable d’étendre explicitement dans la loi les dispositions sur l’aménagement ab initio à cette procédure. Dans son avis sur les Alternatives à la détention, la CNCDH estimait déjà que « l’examen systématique par le JAP des possibilités de convertir la peine de prison d’un an [deux ans désormais] et moins [devait] être étendue aux personnes incarcérées, ainsi qu’à celles condamnées dans le cadre d’une comparution immédiate ». A défaut, la portée du nouvel article 132-24 du Code pénal s’en verrait fortement limitée.
Recommandation n°40 : La CNCDH demande que le projet de loi pénitentiaire précise explicitement que la procédure d’aménagement ab initio telle que décrite aux articles 32 et 33 s’applique aux procédures de comparution immédiate.
1.1.2. La nécessité d’une politique pénale cohérente
La CNCDH avait estimé dans son avis sur les Alternatives à la détention que « l’usage des mesures alternatives à la détention ne pourra se développer et avoir des effets sur le taux de détention que dans le cadre d’une politique pénale cohérente, stable et lisible » [5].
Si l’orientation de politique pénale en 2008 est de limiter les peines d’emprisonnement en matière correctionnelle et d’aménager les peines de moins de deux ans comme l’affirme le projet de loi pénitentiaire, la cohérence impliquerait de supprimer certaines dispositions antérieures qui s’inscrivent exactement dans une logique inverse. Ainsi en va-t-il principalement des dispositions sur les peines planchers en matière correctionnelle, la loi du 10 août 2007 instaurant pour les délits commis en état de récidive légale des minima de peines d’emprisonnement d’un à quatre ans. Dans la mesure où l’existence de ces minima entrent en contradiction avec le caractère exceptionnel du recours à la peine d’emprisonnement ferme en matière correctionnelle, il conviendrait de supprimer l’article 132-19-1 du Code pénal. Dans le même sens, la CNCDH estime que les dispositions limitant les aménagements de peine ab initio pour les condamnés récidivistes devraient logiquement être supprimées dans le cadre de la mise en oeuvre d’un principe d’aménagement généralisé des peines de moins de deux ans. A défaut, il ne pourra être reproché aux juges de ne pas appliquer l’article 132-24, dans la mesure où il leur est demandé, dans un intervalle très bref, de recourir plus systématiquement aux peines de prison ferme pour les récidivistes, puis de réduire au minimum les peines fermes non aménagées pour les délits.
La logique voulant réprimer de façon systématiquement plus sévère la récidive ignore certaines réalités criminologiques en vertu desquelles : une personne récidiviste peut se trouver en fin de « carrière délinquante » ; une personne primo délinquante peut présenter un plus fort risque de récidive ; la sortie de délinquance observe généralement une courbe décroissante qu’il convient de ne pas enrayer avec des peines plus lourdes. Il convient de préserver le principe de personnalisation de la peine et de suivre le Conseil de l’Europe lorsqu’il affirme que « la possibilité de revoir et d’élaguer les textes officiels qui empêchent l’utilisation de sanctions et mesures appliquées dans la communauté pour des délinquants récidivistes ou ayant commis des infractions graves devrait être envisagée » (Recommandation 22 concernant l’amélioration des règles sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, 20 novembre 2000).
Recommandation n°41 : La CNCDH rappelle que le manque de lisibilité et de cohérence des politiques pénales représente un frein majeur à leur bonne application en particulier s’agissant du recours aux mesures alternatives à la détention. En ce sens, la Commission demande que les dispositions contraires au nouvel article 132-24 du Code pénal soient révisées ou supprimées. Ainsi en va-t-il notamment de l’article 132-19-1 du Code pénal instaurant des peines planchers d’un à quatre ans de prison pour des délits commis en état de récidive.
1.1.3. De simples mesures de contrôle ?
Enfin, la CNCDH émet certaines réserves sur une nouvelle appellation des mesures alternatives en tant que « mesures de contrôle en milieu ouvert » dans l’exposé des motifs de la loi pénitentiaire. Ainsi peut-on lire dans le premier paragraphe d’introduction du titre II « Dispositions relatives au prononcé des peines, aux alternatives à la détention provisoire, aux aménagements des peines privatives de liberté et à la détention » que « la nécessité de limiter autant que possible l’incarcération d’une personne en lui substituant, lorsque cela est possible au regard de la situation de l’intéressé, des mesures de contrôle en milieu ouvert s’applique à tous les détenus, qu’il s’agisse de prévenus ou de condamnés ».
Si les mesures applicables en milieu ouvert comportent nécessairement une dimension de contrôle, elles ne peuvent en aucun cas se résumer à cette dimension. La dimension socio-éducative de ces mesures, le travail avec les personnes sur le passage à l’acte, l’accompagnement dans un projet d’insertion sociale... apparaissent en effet comme les seuls à même d’agir durablement sur la situation des personnes et la prévention de la récidive. C’est pourquoi la CNCDH s’inquiète fortement d’une telle dénomination apparaissant sur des documents officiels. D’autant qu’elle s’inscrit dans une tendance à développer le bracelet électronique parfois au détriment des autres mesures, quand le PSE tel qu’il est appliqué en France pêche justement par un manque, voire une absence de suivi socio-éducatif. Des experts internationaux l’expliquaient déjà dans l’étude de la CNCDH, « lorsque le bracelet électronique est utilisé sans prise en charge intensive, il s’agit d’une espèce d’assignation à résidence dont on ne peut pas attendre de bons résultats ». Il n’apparaît pas en effet que le simple contrôle des déplacements, sans aucun encadrement puisse être à même d’agir durablement sur les trajectoires délinquantes [6].
En ce sens, la CNCDH demande non seulement que soit remplacée l’appellation « mesures de contrôle en milieu ouvert » par une formule telle que « mesures de suivi en milieu ouvert ». Elle réitère également sa recommandation de voir inscrit dans la loi ou le règlement que « le placement sous surveillance électronique doit être obligatoirement accompagné d’un suivi socio-éducatif, notamment au moyen de visites à domicile et de contacts téléphoniques » [7]. Enfin, elle demande que des dispositions soient prises dans la loi et le règlement afin de préciser et renforcer le contenu du suivi socio-éducatif en milieu ouvert, afin de porter l’attention sur la qualité des mesures et non plus seulement sur leur quantité. En ce sens, le volet soutien et aide à la réinsertion inscrit dans l’article 132-46 du Code pénal à propos du régime de mise à l’épreuve devrait être largement complété et précisé, en listant les différents aspects que doit recouvrir l’accompagnement des personnes en milieu ouvert. Il devrait être renvoyé à cet article pour toute mesure exécutée en milieu ouvert (contrôle judiciaire, peines alternatives, aménagements de peine).
Recommandation n°42 : La CNCDH demande que les mesures alternatives ne soient pas dénommées dans les textes officiels comme « mesures de contrôle », mais comme « mesures de suivi » en milieu ouvert. Elle souhaite également que le contenu du suivi socio-éducatif de ces mesures soit développé et précisé dans la loi et ses décrets d’application. Il doit notamment être fait mention du caractère obligatoire d’un accompagnement socio-éducatif régulier dans le cadre de tout placement sous surveillance électronique (PSE).
1.2. Les aménagements de peine ab initio (article 33)
1.2.1. Rehaussement du seuil de un à deux ans pour les peines prononcées pouvant être immédiatement aménagées par la juridiction de jugement
Il convient d’approuver sans réserve l’élargissement aux peines de deux ans de prison des possibilités d’utiliser la procédure d’aménagement ab initio, comme le prévoit le projet de loi pénitentiaire dans son article 33. Les mérites d’une telle procédure avaient été largement vantés dans son étude sur les Alternatives à la détention, les courtes peines de prison pouvant « revêtir une dimension symbolique au moment de la condamnation », mais aggravant généralement la situation du condamné lorsqu’elles sont mises à exécution, le condamné rencontrant « davantage d’obstacles à sa réinsertion après un séjour en maison d’arrêt, avec un risque de récidive aggravé ». De nombreux professionnels estiment ainsi que la courte peine de prison est souvent plus intéressante sans mandat de dépôt. « Les actes peuvent être ainsi sanctionnés fermement par une juridiction de jugement, puis la peine immédiatement aménagée en mesure alternative afin de la rendre plus efficace à prévenir la récidive » [8]. Outre sa dimension pédagogique et son utilité en matière de prévention de la récidive, la procédure d’aménagement ab initio, si elle était massivement appliquée, pourrait à elle seule permettre de résoudre le problème de surpopulation qui affecte les établissements pénitentiaires et leurs occupants depuis quelques années. Un calcul a déjà été réalisé par des chercheurs démographes suite à l’adoption de la loi Perben II, s’agissant alors des seules peines d’un an de prison. Sur l’ensemble des courtes peines en cours d’exécution au 1er janvier 2006, si l’ensemble des courtes peines étaient aménagées, la surpopulation serait réduite de 70 % et le nombre total de détenus écroués réduit de 18,8 % [9]. Afin de s’approcher d’un tel objectif, qui représente un enjeu majeur, la CNCDH souhaite que les magistrats se voient mettre à disposition les moyens permettant de multiplier les aménagements de peine ab initio, en termes de possibilités de placement extérieur, de places d’hébergement social, de fréquence et qualité du suivi socio-éducatif, etc.
1.2.2. Ajout de deux conditions pour l’octroi d’une semi-liberté ou d’un placement extérieur ab initio
La CNCDH approuve également l’ajout de deux conditions pour l’octroi d’un aménagement de peine ab initio, qui pourra être désormais accordé lorsque le prévenu justifie de son « assiduité à la recherche d’un emploi » ou de « tout autre projet sérieux d’insertion ou de réinsertion ». De tels ajouts répondent exactement au souhait de la CNCDH de voir les critères d’octroi révisés afin de mieux les adapter aux réalités économiques et sociales, les personnes parvenant devant les tribunaux se trouvant souvent dans des situations économiques très défavorisées, avec de graves problèmes d’insertion. Une circulaire du 27 avril 2006 prévoyait déjà la possibilité d’étendre les aménagements aux personnes en difficulté dans le cadre d’une recherche d’emploi, mais il était nécessaire de l’inscrire dans la loi afin de lui donner une plus grande portée auprès des magistrats et des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP).
En théorie, les juges de l’application des peines et les SPIP devraient ainsi pouvoir accompagner toute personne dans un projet d’aménagement quelle que soit sa situation sociale. En pratique, la CNCDH demande au Ministère de la Justice et à la direction de l’administration pénitentiaire d’accompagner et de prévoir les moyens nécessaires pour qu’un tel changement culturel puisse se traduire en actes. Pour apporter plus de garanties en ce sens, la CNCDH propose qu’il soit ajouté dans la loi ou ses décrets d’application que l’absence de logement ou de travail ne peuvent constituer en soit des motifs de refus dans le cadre d’une demande d’aménagement de peine, ab initio ou non.
Recommandation n°43 : La CNCDH demande que soit inscrit dans la loi ou le règlement que l’absence de logement fixe ou de travail ne peut constituer des critères d’exclusion des aménagements de peine.
1.2.3. Aménagement ab initio avec placement sous surveillance électronique (132-26-1)
S’agissant du placement sous surveillance électronique, l’extension aux peines de deux ans des possibilités d’aménagement ab initio laisse néanmoins craindre à la CNCDH des durées de placement plus longues qu’avec des peines d’un an. Si le placement sous surveillance électronique présente l’avantage majeur par rapport à une semi-liberté d’éviter pour le prévenu toute rencontre avec le monde carcéral, il a été montré dès la période d’évaluation que le bracelet électronique pouvait difficilement être supporté au-delà de six mois. Le rapport Fenech sur le « placement sous surveillance électronique mobile » (avril 2005) émettait lui-même d’importantes réserves quant à la durée de la mesure avec bracelet fixe ou mobile, qui ne devrait pas dépasser quatre ou cinq mois selon lui, au-delà desquels la contrainte imposée par le respect des horaires d’assignation devient trop « difficile à supporter » pour le condamné, celui-ci commençant à commettre de plus en plus d’entorses au « contrat » passé [10]. La personne sous PSE doit en effet s’astreindre elle-même quotidiennement à un respect strict d’horaires de confinement à résidence. Elle subit également une forme de marquage au corps en tout lieu de sa vie quotidienne, depuis le logement familial au lieu de travail. Pour la CNCDH, les conséquences psychologiques de ce qui est communément appelé « la prison dans la tête » n’apparaissent pas suffisamment étudiées et prises en compte par les pouvoirs publics pour le bon déroulement et l’efficacité de la mesure en termes de réinsertion et de prévention de la récidive. Des programmes de reconnaissance vocale mis en place dans certains Etats américains à la place du bracelet électronique apparaissent d’ores et déjà mieux supportés par les personnes tout en offrant les mêmes garanties en termes de contrôle. Dès lors, la CNCDH propose une modification de l’article 132-26-1 tel que prévu dans le projet de loi pénitentiaire, afin que l’aménagement ab initio puisse être découpé en plusieurs parties, dont une première sous surveillance électronique d’une durée maximale de six mois et une ou plusieurs autres parties en placement extérieur ou régime de probation. Le juge pourrait ainsi prévoir un régime progressif, qu’il aurait également le loisir d’adapter en cours de mesure, commençant par un PSE, puis un placement extérieur, puis une mise à l’épreuve, le tout dans un délai maximal de deux ans. A défaut, le risque de multiplier les échecs sous PSE sera accentué, venant aboutir à des incarcérations et dissuadant les juges de recourir davantage aux aménagements ab initio.
Recommandation n°44 : En raison du fort risque d’inapplicabilité d’une surveillance électronique avec bracelet fixe ou mobile pour des durées supérieures à six mois, la CNCDH demande que la loi pénitentiaire limite le PSE dans le cadre d’un aménagement ab initio à une durée de six mois. Le PSE devrait alors pouvoir être suivi d’un autre aménagement de peine de type placement extérieur ou probation (régime du sursis avec mise à l’épreuve). Le juge de l’application des peines pourrait prononcer immédiatement après le jugement un PSE de six mois et une mise à l’épreuve ou un placement extérieur jusqu’à 18 mois, les deux mesures impliquant un accompagnement et un contrôle par le SPIP.
1.3. Le travail d’intérêt général (article 34)
La CNCDH approuve également la disposition de l’article 34 du projet de loi prévoyant la possibilité d’accomplir un TIG pendant un aménagement de peine : assignation à résidence sous surveillance électronique, placement à l’extérieur, semi-liberté ou placement sous surveillance électronique. La CNCDH encourage en effet les expériences et mesures visant à améliorer et diversifier le contenu du suivi en milieu ouvert, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’une peine alternative ou d’un aménagement de peine.
L’étude sur les Alternatives à la détention avait ainsi montré combien le Travail d’intérêt général, s’il est bien utilisé, fait partie du type de mesure apportant une qualité de contenu au suivi en milieu ouvert. Il peut permettre à la personne sous main de justice de rencontrer d’autres milieux socioprofessionnels, ainsi qu’une valorisation des qualités de travail et des qualités relationnelles de la personne, une mise en situation sociale, une réparation symbolique de l’infraction, etc. Pour avoir un effet sur les trajectoires des personnes, il s’avère justement que le TIG gagne à s’inscrire dans le cadre d’une mesure plus large d’accompagnement et d’aide aux personnes.
Pour la CNCDH, le projet de loi pénitentiaire gagnerait à appliquer la même logique au stade sentenciel en instituant un « TIG probatoire », afin de renforcer son contenu socio-éducatif et de pouvoir étendre son champ d’application. Le TIG deviendrait alors un élément parmi d’autres d’une peine de probation, comportant également un suivi socio-éducatif à base d’entretiens, un accompagnement spécifique pendant le déroulement du TIG, mais aussi la participation à des stages, modules, groupes de parole.
Recommandation n°45 : La CNCDH préconise de créer un travail d’intérêt général (TIG) probatoire dans la loi pénitentiaire, afin de faciliter le prononcé du TIG parmi d’autres obligations telles que l’indemnisation de la victime, le suivi d’un stage obligatoire et/ou le fait de répondre aux convocations du travailleur social, dans le cadre d’un délai d’épreuve pouvant être porté jusqu’à cinq ans. L’exécution du travail pourrait ainsi ne constituer qu’un élément d’une peine plus globale intervenant sur différentes problématiques criminogènes du condamné.
1.4. L’assignation à résidence avec surveillance électronique (article 37)
1.4.1. Sur la détention provisoire et l’assignation à résidence avec surveillance électronique
Le principe selon lequel toute personne mise en examen est présumée innocente et demeure à ce titre libre avant le jugement est repris sans modification dans l’article 37 du projet de loi. En cas de nécessité, la personne peut néanmoins être placée sous contrôle judiciaire, et si celui-ci s’avère insuffisant, le projet de loi pénitentiaire ajoute la possibilité d’une assignation à résidence avec surveillance électronique. A titre exceptionnel, si le contrôle judiciaire ou l’assignation est insuffisant, la personne peut être placée en détention provisoire (article 137 du CPP). Alors que le nombre de personnes en détention provisoire s’élevait encore à 16 572 prévenus au 1er août 2008, soit 26% du nombre total de détenus, le projet de loi pénitentiaire ne semble pas apporter de réponses et de moyens suffisants afin de faire réellement de la détention provisoire une exception, principe qu’elle réaffirme pourtant dans son article 37.
L’assignation à résidence avec surveillance électronique est ainsi présentée dans le projet de loi comme une mesure nouvelle à part entière, dont les modalités sont définies dans une nouvelle sous-section de la section VII « du contrôle judiciaire et de la détention provisoire » (CPP). Une nouvelle sous-section II intitulée « De l’assignation à résidence avec surveillance électronique » apparaît à la suite de la sous-section I « Du contrôle judiciaire ».
Or, la CNCDH tient à préciser que l’assignation à résidence avec surveillance électronique est déjà possible en l’état actuel du droit dans le cadre d’un contrôle judiciaire. En effet, l’article 138 du CPP définissant le contrôle judiciaire prévoit que le juge peut notamment prononcer comme obligation à l’égard du prévenu de « ne s’absenter de son domicile ou de la résidence fixée par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention qu’aux conditions et pour les motifs déterminés par ce magistrat », ce qui constitue une assignation à résidence. Le même article prévoit ensuite que cette obligation peut être exécutée sous le régime du placement sous surveillance électronique.
Si le projet de loi devait être adopté en l’état, l’assignation à résidence sous surveillance électronique pourrait donc être prononcée soit dans le cadre d’un contrôle judiciaire, soit dans le cadre des nouvelles dispositions qui la consacrent comme mesure spécifique. Dans le deuxième cas, il est néanmoins précisé que la personne pourrait être « en outre astreinte aux obligations et interdictions prévues par l’article 138 », à savoir celles du contrôle judiciaire.
Dès lors, la CNCDH ne comprend pas l’utilité de l’instauration dans la loi de cette mesure, craignant qu’elle ne vienne ajouter de la confusion aux textes. Elle interpelle le gouvernement sur le risque de pratiques politiques dites « d’affichage », a fortiori quand elles se traduisent dans des textes fondamentaux comme la loi pénitentiaire, venant ainsi semer davantage de trouble et confusion dans la magistrature et l’administration pénitentiaire, quand les orientations de politique pénale, pour être efficacement mises en oeuvre, nécessitent clarté et cohérence.
Recommandation n°46 : La CNCDH demande qu’il soit remédié à la confusion créée par le projet de loi pénitentiaire entre le contrôle judiciaire avec assignation à résidence et PSE et la mesure d’assignation à résidence avec surveillance électronique.
Alors que l’assignation à résidence sous surveillance électronique peut déjà être prononcée par le juge dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il s’avère en pratique qu’elle est faiblement utilisée, principalement en raison du manque de moyens pour la mettre en oeuvre. Dans son étude sur les Alternatives à la détention [11], la CNCDH avait ainsi constaté que le manque de crédibilité de la mesure de contrôle judiciaire comme alternative à la détention provisoire s’expliquait en grande partie par un manque de moyens en termes de places d’hébergement et d’accompagnement socio-éducatif. Pour que les juges aient davantage recours au contrôle judiciaire, notamment lorsqu’une assignation à résidence apparaît nécessaire, il leur manque des possibilités de placement en dehors du logement familial. Le directeur des Affaires criminelles et des grâces a lui-même expliqué devant la CNCDH que le contrôle judiciaire socio-éducatif pourrait être « développé dans de nombreux contentieux, comme celui des violences conjugales » si les juges disposaient de « plus de structures d’hébergement telles que les foyers socio-éducatifs ou les CHRS » [12]. En ce sens, il apparaît indispensable que les décrets d’application de la loi pénitentiaire prévoient les moyens de mise en oeuvre de l’assignation à résidence, qui peut être appliquée dans une autre résidence que le logement de la personne selon le projet de loi. A défaut de tels moyens d’hébergement, la « nouvelle » mesure pourrait être aussi peu utilisée qu’elle ne l’est actuellement dans le cadre du contrôle judiciaire.
Recommandation n°47 : La CNCDH demande que le projet de loi pénitentiaire s’accompagne de solutions en termes de moyens d’hébergement social et de placement en milieu ouvert dans le cadre des mesures alternatives à la détention provisoire.
De même, le manque d’accompagnement social dans le cadre d’un contrôle judiciaire est clairement identifié comme un obstacle majeur à l’utilisation de cette mesure. En ce sens, la CNCDH estime que la loi ou ses décrets d’application devraient être l’occasion de « définir plus précisément le contenu de la mesure de contrôle judiciaire et les obligations des structures chargées de sa mise en oeuvre (nature et fréquence du contrôle à effectuer, type d’accompagnement, qualification des contrôleurs judiciaires, obligation d’une permanence de travailleurs sociaux jusqu’à la fin des audiences...) » [13].
La CNCDH estime ainsi que la meilleure manière de réduire le recours à la détention provisoire résiderait dans un renforcement de la mesure de contrôle judiciaire socio-éducatif en termes de moyens d’hébergement et d’accompagnement soutenu des personnes, mais aussi de définition du contenu de la mesure. Elle reconnaît que dans certains cas, les garanties que peuvent apporter l’assignation à résidence et la surveillance électronique peuvent également renforcer la crédibilité du contrôle judiciaire, dans la mesure où la dimension socio-éducative ne serait pas négligée. En effet, le contrôle des déplacements ne peut en aucun cas se substituer à un accompagnement des personnes en termes d’insertion et de réflexion sur le passage à l’acte, véritables conditions d’une prévention de la récidive effective et durable.
Recommandation n°48 : La CNCDH demande que la loi ou le décret décrive de quelle manière parvenir à rendre le principe d’une détention provisoire exceptionnelle applicable. Notamment, elle souhaite que soient définis plus précisément le contenu de la mesure de contrôle judiciaire et les obligations des structures chargées de sa mise en oeuvre (nature et fréquence du contrôle à effectuer, type d’accompagnement, qualification des contrôleurs judiciaires, obligation d’une permanence de travailleurs sociaux jusqu’à la fin des audiences...).
1.4.2. Sur les conditions de l’assignation à résidence avec surveillance électronique
Le projet de loi pénitentiaire restreint l’application de l’assignation à résidence avec surveillance électronique aux peines encourues « d’emprisonnement correctionnel d’au moins deux ans ou une peine plus grave » (nouvel article 142-5 CPP et 37 du projet de loi). Le contrôle judiciaire avec ses obligations de l’article 138 peut pour sa part s’appliquer lorsque le prévenu « encourt une peine d’emprisonnement correctionnel ou une peine plus grave ». Dès lors, la CNCDH tient à signaler que l’assignation à résidence avec PSE telle qu’elle peut déjà s’appliquer dans le cadre d’un contrôle judiciaire concerne toute peine d’emprisonnement, y compris de moins de deux ans, tandis que la dite « nouvelle mesure » ne peut s’appliquer aux peines encourues d’au moins deux ans. Il y a là une contradiction juridique qu’il conviendrait à minima de rectifier, afin que l’assignation à résidence sous surveillance électronique, dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou non, puisse s’appliquer à toute peine d’emprisonnement encourue.
S’agissant de la durée de « nouvelle » mesure, la CNCDH réitère ses mises en garde sur l’applicabilité d’une surveillance électronique pouvant être prolongée jusqu’à deux ans (nouvel article 142-7 du CPP). Sachant que les contraintes liées au bracelet électronique peuvent difficilement être supportées par une personne au-delà de six mois, il est à craindre que des durées supérieures aboutissent à un taux d’échec élevé, d’autant que celui-ci peut être sanctionné d’un placement en détention provisoire, comme le précise le projet de loi dans le nouvel article 142-8 du CPP. Si les conditions de durée de l’assignation à résidence avec PSE ou PSEM aboutissent dans les faits à de nombreux mandats de dépôts, la mesure pourrait devenir largement contre-productive en tant qu’alternative à la détention provisoire.
La CNCDH approuve en revanche les garanties apportées par les nouveaux articles 142-10 et 142-11 du CPP, qui prévoient pour le premier un droit à réparation du préjudice subi en cas de non-lieu, relaxe ou acquittement suite à une assignation à résidence avec surveillance électronique. Le second assimile pour sa part la mesure à une période de détention provisoire imputable sur la peine privative de liberté qui pourrait être prononcée. Ces deux dispositions reconnaissent ainsi la dimension privative de liberté d’une telle mesure et son caractère préjudiciable pour les personnes.
1.4.3. D’autres façons de limiter la détention provisoire
Hormis l’instauration d’une assignation à résidence sous surveillance électronique, le projet de loi reste silencieux sur le champ d’application de la détention provisoire, tout en réaffirmant son caractère en principe exceptionnel. Pour que la pratique judiciaire suive les principes réaffirmés dans la loi, la CNCDH estime pourtant indispensable d’encadrer plus précisément dans la loi les critères de placement et de prolongement de la détention provisoire, les seuils de peines encourues permettant un placement en détention, ainsi que la durée maximale d’une détention avant jugement.
Les critères actuels prévus par l’article 144 du CPP tels que : mettre fin à un trouble à l’ordre public, conserver les preuves ou indices matériels, protéger la personne mise en examen ou empêcher des pressions sur les témoins ou victimes ne présentent pas de caractère véritablement restrictif et peuvent quasiment s’appliquer à n’importe quelle affaire. « Chaque infraction cause un trouble à l’ordre public, le risque de pressions sur les témoins et la victime est toujours possible. Quand un critère ne sert pas à effectuer un tri, il est inopérant », expliquait le responsable du principal syndicat de magistrats dans l’étude de la CNCDH sur les Alternatives à la détention [14]. En 2006, la CNCDH constatait en particulier qu’ « un consensus se dégage pour remettre en cause le critère du trouble à l’ordre public, uniquement en matière correctionnelle pour les uns, y compris en matière criminelle pour les autres. Il apparaît à tous que la notion d’ordre public dans l’article 144 du Code de procédure pénale est exposée « de façon trop imprécise et ne permet pas d’éviter les utilisations abusives », selon les termes du rapport d’enquête de la Commission parlementaire sur l’affaire d’Outreau » [15]. En ce sens, la Commission avait préconisé que « les critères actuels de placement et de prolongation de la détention provisoire soient entièrement remplacés par des critères objectifs » à rechercher du côté « des quantum encourus et du type d’infractions » [16].
En premier lieu, il apparaît indispensable de revoir les seuils de peines encourues pouvant donner lieu à une détention provisoire. Alors que la loi prévoit que le mis en examen doit encourir une peine criminelle ou une peine correctionnelle égale ou supérieure à trois ans, « ce dernier seuil abaissé par la loi du 9 septembre 2002 pourrait au minimum être rétabli à cinq ans comme l’avait établi la loi du 15 juin 2000 », estimait la CNCDH dans son étude sur les Alternatives à la détention [17]. Dans la perspective affirmée à plusieurs reprises de réduire l’usage de la détention provisoire à des cas d’exception, la réflexion devrait être poussée plus avant. A cet effet, la CNCDH proposait qu’ « une liste d’infractions qui pourraient seules donner lieu à une détention provisoire soit établie, en combinaison avec des seuils de peines encourues rehaussés » [18].
Recommandation n°49 : La CNCDH préconise de saisir l’occasion de la loi pénitentiaire pour remplacer les critères actuels de placement et prolongation de la détention provisoire par des critères objectifs. A cet effet, elle propose qu’une liste d’infractions qui pourraient seules donner lieu à une détention provisoire soit établie, en combinaison avec des seuils de peines encourus rehaussés.
Sur la durée de la détention provisoire, le projet de loi pénitentiaire n’apporte également aucune modification. La France est pourtant régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour des durées trop longues de détention provisoire en vertu de l’article 5-3 de la Convention posant le principe que « la personne détenue a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure ».
Dans le droit français, « cette durée est encadrée de façon insuffisamment précise, les délais butoirs d’un an en matière criminelle et de quatre mois en matière correctionnelle souffrant de multiples exceptions, pouvant les porter respectivement jusqu’à quatre ans et 28 mois », relevait la CNCDH en 2006 [19]. Parmi les propositions de la Commission parlementaire chargée de tirer les enseignements de l’affaire d’Outreau, figure celle d’instaurer « des délais butoirs pour la détention provisoire sans renouvellement possible », qui seraient fixés à un an en matière correctionnelle et deux en matière criminelle, sauf pour les infractions relevant de la criminalité organisée comme le terrorisme et pour les personnes ayant déjà été condamnées en état de récidive. Ces durées maximales de détention provisoire d’un et deux ans doivent effectivement être imposées et les moyens doivent être accordés à l’institution judiciaire pour les respecter. Mais il faut se garder de prévoir des exceptions à la règle, afin de ne pas prendre le risque de voir la norme contournée, notamment dans la manière de qualifier les faits.
Recommandation n°50 : Afin de garantir le droit à être jugé dans un délai raisonnable, la CNCDH propose que les durées maximales de détention provisoire soient ramenées à un an en matière correctionnelle et deux en matière criminelle, quelle que soit la nature des faits poursuivis.
2. Les aménagements de peine (articles 38 à 48)
Les parties suivantes analysent les articles 38 à 48 du projet de loi. Il convient de préciser que tout au long de cette étude et de l’avis de la CNCDH du 6 novembre 2008, les constats établis ont amené la CNCDH a élaboré des recommandations relatives aux aménagements de peine qui sortent du champ de ses dispositions. En complément à cette partie, il faut ainsi se référer aux parties 1.2.2. et 1.2.3 , qui recommandent un développement des aménagements de peine pour les personnes en situation de handicap et/ou de dépendance et les personnes nécessitant des soins psychiatriques (recommandations n°13 et 14).
2.1. L’aménagement comme mode privilégié d’exécution de la peine (article 38)
Hormis l’instauration d’une assignation à résidence sous surveillance électronique, le projet de loi reste silencieux sur le champ d’application de la détention provisoire, tout en réaffirmant son caractère en principe exceptionnel. Pour que la pratique judiciaire suive les principes réaffirmés dans la loi, la CNCDH estime pourtant indispensable d’encadrer plus précisément dans la loi les critères de placement et de prolongement de la détention provisoire, les seuils de peines encourues permettant un placement un détention, ainsi que la durée maximale d’une détention avant jugement.
Les critères actuels prévus par l’article 144 du CPP tels que : mettre fin à un trouble à l’ordre public, conserver les preuves ou indices matériels, protéger la personne mise en examen ou empêcher des pressions sur les témoins ou victimes - ne présentent pas de caractère véritablement restrictif et peuvent quasiment s’appliquer à n’importe quelle affaire. « Chaque infraction cause un trouble à l’ordre public, le risque de pressions sur les témoins et la victime est toujours possible. Quand un critère ne sert pas à effectuer un tri, il est inopérant », expliquait le responsable du principal syndicat de magistrats dans l’étude de la CNCDH sur les Alternatives à la détention [20]. En 2006, la CNCDH constatait en particulier qu’ « un consensus se dégage pour remettre en cause le critère du trouble à l’ordre public, uniquement en matière correctionnelle pour les uns, y compris en matière criminelle pour les autres. Il apparaît à tous que la notion d’ordre public dans l’article 144 du Code de procédure pénale est exposée « de façon trop imprécise et ne permet pas d’éviter les utilisations abusives », selon les termes du rapport d’enquête de la Commission parlementaire sur l’affaire d’Outreau » [21]. En ce sens, la Commission avait préconisé que « les critères actuels de placement et de prolongation de la détention provisoire soient entièrement remplacés par des critères objectifs » à rechercher du côté « des quantum encourus et du type d’infractions » [22].
En premier lieu, il apparaît indispensable de revoir les seuils de peines encourues pouvant donner lieu à une détention provisoire. Alors que la loi prévoit que le mis en examen doit encourir une peine criminelle ou une peine correctionnelle égale ou supérieure à trois ans, « ce dernier seuil abaissé par la loi du 9 septembre 2002 pourrait au minimum être rétabli à cinq ans comme l’avait établi la loi du 15 juin 2000 », estimait la CNCDH dans son étude sur les Alternatives à la détention [23]. Dans la perspective affirmée à plusieurs reprises de réduire l’usage de la détention provisoire à des cas d’exception, la réflexion devrait être poussée plus avant. A cet effet, la CNCDH proposait qu’ « une liste d’infractions qui pourraient seules donner lieu à une détention provisoire soit établie, en combinaison avec des seuils de peines encourues rehaussés » [24].
Recommandation n°51 : La CNCDH alerte les pouvoirs publics sur le risque d’un important décalage entre les principes édictés par la loi pénitentiaire concernant les alternatives à la détention et les aménagements des peines et les moyens de leur application sur le terrain. Alors que les services pénitentiaires d’insertion et de probation et les juges de l’application des peines rencontrent déjà toutes les difficultés pour mettre en oeuvre les dispositions existantes, l’extension souhaitée des mesures alternatives nécessite impérativement une prise en compte de la situation de ces professionnels et un accroissement de leurs moyens.
2.2. L’exécution immédiate des peines alternatives (article 39)
La modification de l’article 708 du CPP prévoit que le délai d’appel accordé au procureur ne fasse pas obstacle à l’exécution de la peine « quelle que soit sa nature ». Cela signifie que toutes les peines, y compris alternatives, peuvent être immédiatement exécutées, ce qui n’était pas le cas du travail d’intérêt général en l’absence de mesure d’exécution provisoire. Il ne faudra donc plus attendre deux mois, mais dix jours, en cas d’appel du procureur pour mettre un TIG à exécution.
La CNCDH ne peut que souscrire à une telle adaptation de la loi, d’autant que le TIG nécessite encore plus que les autres peines une exécution rapide afin d’intervenir rapidement après les faits, alors que la situation de l’auteur de l’infraction n’a pas encore changé.
En revanche, la CNCDH s’interroge sur les moyens prévus par les pouvoirs publics afin de rendre une telle disposition applicable. En effet, il apparaît que les services pénitentiaires d’insertion et de probation rencontrent de plus en plus de difficultés à trouver ou pérenniser des postes de TIG au sein des structures d’accueil. Les structures d’accueil manquent de formation et d’accompagnement dans l’intégration de personnes en grande difficulté et les représentations de la délinquance largement véhiculées nuisent aux démarches d’accueil de Tigistes. Afin d’y remédier, la CNCDH avait proposé la création de postes permanents de TIG au sein des collectivités territoriales et services de l’Etat, dans des secteurs tels que l’environnement, la santé, le logement, la police ou la culture [25].
Recommandation n°52 : La CNCDH demande que les moyens nécessaires à l’exécution rapide de mesures de travail d’intérêt général soient prévus dans le décret d’application de la loi pénitentiaire. Il apparaît notamment nécessaire d’organiser la création de postes permanents au sein des collectivités territoriales et services de l’Etat. Une formation et un accompagnement des structures d’accueil et des personnes encadrant les personnes condamnées à une peine de travail d’intérêt général devraient également être développés.
2.3. La collégialité en cas d’affaires complexes (article 40)
L’article 40 du projet de loi pénitentiaire ouvre la possibilité pour le juge de l’application des peines de renvoyer une décision d’aménagement de peine au tribunal d’application des peines si la complexité de l’affaire le justifie (article 712-6 du CPP). La CNCDH approuve là encore une disposition qui pourrait permettre de réduire la pression pesant sur le juge unique dans le cas de décisions susceptibles de provoquer une forme de réprobation sociale. En ce sens, l’exposé des motifs du projet de loi défend à juste titre l’idée selon laquelle la « complexité du dossier » ne doit pas constituer « un frein pour le juge à l’octroi d’une mesure d’aménagement, qui pourra dans certains cas être plus facilement ordonnée par la collégialité ». Dans un souci de cohérence, la CNCDH invite les pouvoirs publics à cesser de mettre en cause la responsabilité du juge dans les cas de récidive, aussi rares que dramatiques, de personnes ayant bénéficié d’un aménagement de peine. A l’inverse, de telles affaires devraient être l’occasion d’expliquer à la population que les mesures d’aménagement de peine permettent d’éviter des libérations sans contrôle ni accompagnement, avec de bien meilleurs taux de réussite que les « sorties sèches » en termes de prévention de la récidive.
2.4. La possibilité pour les services pénitentiaires d’adapter les horaires imposés dans le cadre d’un aménagement de peine (article 41)
L’article 41 du projet de loi permet au chef d’établissement pénitentiaire ou au directeur du SPIP d’apporter des modifications aux horaires d’entrée ou de sortie, et de présence en un lieu déterminé dans le cadre de l’exécution des mesures de placement extérieur, semi-liberté ou placement sous surveillance électronique (art. 712-8 du CPP).
Il s’agit là de « déjuridictionnaliser » une partie des conditions d’exécution de ces mesures, afin de les adapter aux réalités, par exemple afin d’éviter des incompatibilités entre les horaires de la prison et les horaires de travail du semi-libre. Seules des modifications favorables au condamné sont visées, ne « touchant pas à l’équilibre de la mesure ». En outre, le juge de l’application des peines peut toujours refuser l’utilisation d’une telle prérogative au moment où il accorde la mesure, en se réservant la possibilité de statuer sur de telles modifications. Il doit également être immédiatement informé des modifications opérées et peut décider de les annuler. Dans ces conditions, la CNCDH estime que les garanties nécessaires ont été prévues par le législateur afin d’éviter que des modifications puissent être réalisées sans l’accord du juge ou contre l’intérêt du condamné. La CNCDH estime en revanche qu’un tel mouvement de « déjuridictionnalisation » doit se limiter à ces aménagements précis dans le cadre de l’exécution de la mesure et non pas intervenir dans les décisions d’octroi ou de retrait des mesures d’aménagement de peine.
2.5. Le relèvement d’une interdiction professionnelle ou de l’inscription au casier judiciaire (article 43)
Le nouvel article 712-22 du CPP permettra aux juridictions de l’application des peines de relever une interdiction professionnelle ou de faire retirer la condamnation du bulletin n°2 du casier judiciaire, au moment où elles se prononcent sur une mesure d’aménagement de peine. Les mesures concernées sont le placement à l’extérieur, la semi-liberté, le fractionnement, l’ajournement ou la suspension des peines, le placement sous surveillance électronique, la libération conditionnelle, le relèvement de la période de sûreté.
La CNCDH approuve sans réserve cette nouvelle possibilité de relever deux obstacles importants au projet d’insertion, dans le cadre plus cohérent de la décision d’octroi d’une mesure d’aménagement de peine.
2.6. La libération conditionnelle suite à une période de sûreté (article 45)
Une libération conditionnelle suite à une condamnation avec période de sûreté supérieure à quinze ans doit obligatoirement être précédée d’une semi-liberté d’un an à trois ans. Le projet de loi ajoute la possibilité d’un placement sous surveillance électronique mobile à la place d’une semi-liberté. La CNCDH approuve cette disposition, qui devrait faciliter la décision d’octroi d’une libération conditionnelle dans le cas d’infractions graves. En effet, l’octroi d’une semi-liberté est souvent limité par un manque de places en quartier ou centre de semi-liberté, ou de proximité géographique entre le lieu d’activité de la personne semi-libre et le lieu de détention qu’elle doit réintégrer à certains horaires.
Cependant, la CNCDH interpelle une nouvelle fois sur l’applicabilité d’un placement sous surveillance électronique de longue durée, alors qu’il est établi que la mesure peut difficilement fonctionner au-delà de six mois. La période d’un à trois ans de PSEM ici prévue apparaît en ce sens tout à fait irréaliste à la Commission, avec un fort risque de multiplier les échecs de la mesure. En ce sens, elle demande qu’il lui soit substitué un système progressif, limitant dans tous les cas de figure le PSEM à six mois. Le PSEM pourrait dès lors être suivi d’une ou plusieurs autres mesures d’aménagement comportant une dimension de contrôle des déplacements, tels qu’un système d’assignation à résidence à certains horaires qui seraient progressivement réduits tout au long de la mesure ou encore une mesure de placement à l’extérieur dont le contenu serait mieux défini, le tout dans un délai maximal de trois ans.
Recommandation n°53 : La CNCDH approuve la possibilité de faire précéder une libération conditionnelle d’un placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) au lieu de la seule possibilité d’une semi-liberté à la suite d’une condamnation avec période de sûreté supérieure à quinze ans. En revanche, elle demande que la durée de PSEM soit limitée à six mois et qu’un système alternatif soit prévu dans la loi au-delà de cette période.
2.7. Le placement extérieur (article 46)
La CNCDH estime insuffisants les changements apportés par le projet de loi (article 46) concernant la mesure de placement à l’extérieur (article 723 CPP). Le simple remplacement de la formule « travaux contrôlés par l’administration » par celle d’ « astreinte à exercer des activités en dehors de l’établissement pénitentiaire » ne paraît pas à même de relancer l’utilisation de cette mesure dont les mérites sont largement vantés par les praticiens. Le placement extérieur présente l’avantage de constituer une sorte de palier intermédiaire encadré entre la détention et la vie libre, avec la possibilité d’être assorti des obligations du sursis avec mise à l’épreuve, le tout sur la base d’une activité soit professionnelle, soit de formation, soit non rémunérée, ou encore du cadre insertion du RMI. La mesure implique une solution d’hébergement et peut ainsi être envisagée pour des personnes désocialisées. En revanche, elle manque d’un cadre législatif clair quant à son contenu, avec pour conséquence un manque de lisibilité pour le juge sur son déroulement et les structures chargées de sa mise en oeuvre.
Recommandation n°54 : La CNCDH renouvelle son souhait d’un programme de développement de la mesure de placement extérieur incluant l’augmentation du nombre de places d’accueil. Elle demande au législateur de définir précisément le contenu de cette mesure en ce qui concerne son déroulement, la typologie des différents accompagnements, son financement et son évaluation.
2.8. La libération conditionnelle (article 47)
La CNCDH approuve sans réserve l’élargissement des critères d’octroi de la libération conditionnelle à la possibilité de présenter « tout autre projet sérieux d’insertion ou de réinsertion ». Il apparaissait en effet indispensable d’ouvrir la libération conditionnelle aux nombreux condamnés ne disposant pas d’un emploi assuré à leur sortie. Cette vision « dynamique » du parcours d’exécution de peine pourrait ainsi permettre à tout condamné, quelle que soit sa situation sociale, de réfléchir aux conditions de l’« après prison » et de mettre en oeuvre les démarches nécessaires à un projet d’insertion.
En revanche, aucun changement n’est apporté sur les délais d’exécution de peine rendant accessible à une libération conditionnelle, à l’exception des personnes âgées de plus de 75 ans, qui peuvent accéder à une libération conditionnelle à tout moment de l’exécution de leur peine « dans la mesure où celle-ci ne viendrait pas causer de trouble grave à l’ordre public ». Si cette libération conditionnelle pour les personnes âgées emporte la totale adhésion de la CNCDH, l’exception du trouble grave à l’ordre public apparaît de nature à en annihiler les effets. Un tel trouble pouvant être constitué dès lors qu’un simple comité viendrait à protester contre l’éventualité d’une libération conditionnelle, le juge risque d’être facilement confronté à un trouble à l’ordre public et donc de ne pas véritablement pouvoir utiliser la mesure. Si le législateur souhaite faciliter les mesures de libération conditionnelle pour les personnes âgées, la CNCDH estime qu’il doit aller au bout de sa logique sans immédiatement apporter une large réserve au principe qu’il vient de poser.
Recommandation n°55 : S’agissant d’ouvrir la possibilité d’une libération conditionnelle pour les condamnés âgés de plus de 75 ans à tout moment de l’exécution de la peine, la CNCDH demande que soit supprimée la mention « sauf si cette libération est susceptible de causer un trouble grave à l’ordre public » au dernier alinéa de l’article 729 du Code de procédure pénale tel que rédigé dans le projet de loi pénitentiaire.
2.9. Les moyennes et longues peines
Si la CNCDH approuve sans réserve l’amplification par le projet de loi pénitentiaire d’une politique d’aménagement des peines d’emprisonnement fermes égales ou inférieures à deux ans, elle s’interroge sur la quasi absence de dispositions nouvelles s’agissant des peines de plus de deux ans. Il lui semblerait regrettable d’aboutir à une cassure entre des courtes peines bénéficiant de l’ensemble des moyens et possibilités d’aménagement, et des moyennes et longues peines de plus en plus vouées à être entièrement exécutées en détention, sans mesure de soutien et de contrôle à la sortie. En ce sens, la CNCDH rappelle à quel point un système reposant sur la crainte de toute prise de risque « produit en fait plus d’insécurité que des mesures de libération anticipée » [26].
Dès lors, il apparaît indispensable à la CNCDH que soit ajouté dans le projet de loi pénitentiaire un volet sur l’aménagement des moyennes et longues peines, afin de travailler également à la réinsertion et la prévention de la récidive des auteurs d’infractions plus lourdement sanctionnées. La CNCDH rappelle à ce titre ses recommandations en faveur d’un principe d’aménagement progressif des moyennes et longues peines, visant à préparer, dès le début de l’exécution de la peine, différentes phases en milieu fermé, puis en milieu ouvert. Le Conseil de l’Europe, « préoccupé par l’augmentation dans de nombreux pays du nombre et de la longueur des peines d’emprisonnement de longue durée », préconise en effet une évolution du détenu dans le système pénitentiaire « dans des conditions progressivement moins restrictives jusqu’à une étape finale, qui, idéalement, se passent en milieu ouvert » [27].
A cet effet, la CNCDH souhaite également voir développée la réflexion sur l’idée d’une fin de peine se terminant par une libération conditionnelle dans la plupart des cas, inspirée des systèmes de libération conditionnelle de la Suède et du Canada.
Recommandation n°56 :
1 - La CNCDH demande qu’un volet sur l’aménagement des moyennes et longues peines soit ajouté au projet de loi pénitentiaire.
2 - La CNCDH souhaite notamment que le principe d’un aménagement progressif des moyennes et longues peines de prison soit inscrit dans la loi, impliquant une partie de l’exécution des peines en milieu fermé, l’autre en milieu ouvert. Le projet d’aménagement de peine devrait être entamé avec les travailleurs sociaux dès le début de l’exécution de la peine. Dans ce cadre, le condamné devrait passer par différentes phases, plus ou moins longues selon la durée de sa peine : une première phase d’élaboration d’un projet comportant des permissions de sortir, une seconde phase en semi-liberté ou placement extérieur et une troisième phase en libération conditionnelle.
3 - La CNCDH propose la mise en place d’un système de libération conditionnelle s’inspirant de celui de la Suède ou du Canada. Elle demande au Ministère de la Justice d’examiner les modalités pratiques d’une telle réforme adaptée à la France.
2.10. Les étrangers détenus
Enfin, la CNCDH souligne la spécificité de la situation des personnes détenues étrangères au regard de l’octroi d’aménagements de peine ou de permissions de sortie. Depuis 2003, une peine d’interdiction du territoire complémentaire d’une peine d’emprisonnement n’empêche pas, aux fins de préparation d’une demande de relèvement de la mesure d’éloignement, de prononcer des mesures de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de placement sous surveillance électronique ou de permission de sortir. La législation autorise aussi le prononcé de mesures d’aménagement de peine dans l’objectif précis de la présentation d’une demande en relèvement d’interdiction du territoire auprès des tribunaux. Ceci signifie que l’octroi de cet aménagement de peine, normalement lié au comportement en détention et à la situation personnelle et familiale à l’extérieur, est en fait dépendant de l’attitude prévisible de la juridiction statuant ultérieurement sur la requête en relèvement ou de l’administration préfectorale chargée d’examiner le droit au séjour en France. Dans la pratique, les étrangers sont de fait discriminés dans l’octroi des aménagements de peine, d’autant qu’ils ne peuvent remplir de condition de logement ou d’hébergement ; et il en de même pour bénéficier de permissions de sortie. La CNCDH entend ici préciser que l’élargissement des possibilités d’aménagements de peine offert par le projet de loi pénitentiaire, de même que les permissions de sortie, devraient effectivement s’appliquer aux personnes détenues étrangères, nonobstant leur situation de séjour.
Recommandation n°57 : La CNCDH demande que la situation de séjour des détenus étrangers ne fasse pas obstacle à l’obtention d’un aménagement de peine ou d’une permission de sortie comme l’autorise le Code de procédure pénale.