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2008 N°8 KAMO Communiqués de syndicats SPEP-IDEPP, SPH, SPS-IDEPP et USP

Publié le mercredi 28 janvier 2009 | http://prison.rezo.net/2008-no8-kamo-communiques-de/

SYNDICAT DES PSYCHIATRES D’EXERCICE PUBLIC (SPEP-IDEPP)
SYNDICAT DES PSYCHIATRES DES HOPITAUX (SPH)
SYNDICAT DES PSYCHIATRES DE SECTEUR (SPS-IDEPP)
UNION SYNDICALE DE LA PSYCHIATRIE (USP)

Jusqu’à ce mardi 2 décembre 2008, la psychiatrie publique pouvait être fière du formidable outil de prise en charge qu’elle avait développé en 40 ans de politique de secteur, ouverte hors des murs des asiles pour les 1,2 millions de personnes qui font appel à elle. Malgré les difficultés liées à l’augmentation constante de son activité et de ses missions, alors que ses moyens étaient toujours revus à la baisse, elle s’attachait à garantir plus de 85% de ses soins de manière ambulatoire.
Elle proposait pour l’immense majorité de ses 600.000 admissions annuelles des hospitalisations libres de courte durée. Elle s’évertuait à répondre au mieux aux besoins de la population en terme de prévention, dépistage des troubles, soins et réinsertion sociale. Le défi pour les prochaines années était donc bien de relancer et d’actualiser ce remarquable réseau ville-hôpital qu’est le secteur psychiatrique. Et, en installant récemment la Mission Couty, la Ministre de la santé ne semblait pas avoir d’autre objectif. La première visite d’un chef d’Etat dans un hôpital psychiatrique aurait pu être l’occasion de se féliciter d’une telle marque d’intérêt pour cette discipline complexe et trop souvent négligée.
Il n’en fut rien, bien au contraire.
Car ce mardi 2 décembre 2008 a signé une rupture. En quelques mots prononcés par le plus haut responsable de l’Etat, voilà la psychiatrie en procès de légèreté, les personnels soignants accusés de se cacher derrière la fatalité, coupables d’un angélisme idéologique qui les mettrait systématiquement du côté des patients, contre les familles et la société. Avec une nouvelle fois la confusion entre dangerosité et maladie mentale, par cette volonté affichée de réduire le champ de la psychiatrie aux seules hospitalisations d’office, c’est-à-dire à 2% de l’ensemble des hospitalisations en psychiatrie (et non 13% comme affirmé par le Président). Avec pour solutions des dispositifs techniques de surveillance, des nouveaux lieux d’enfermement sécurisés, et une complexification des procédures de levée des hospitalisations d’office pour lesquelles l’accent menaçant mis sur la responsabilité accrue du représentant de l’Etat conduira inéluctablement au maintien en rétention administrative de personnes jugées médicalement aptes à la sortie.
Tout cela sans aucun renfort en personnels formés ni moyen financier pour continuer à humaniser les lieux d’accueil et de soins pour toutes les personnes ou leurs familles qui peuvent ou pourront être touchées par des troubles psychiatriques au cours de leur vie.
Pourtant, c’est au quotidien que les personnels soignants prennent leurs responsabilités, autant quand ils doivent gérer eux-mêmes les situations de violence qui peuvent effectivement émailler le parcours d’un patient, que lorsqu’ils se questionnent sur la portée thérapeutique des mesures privatives de liberté. Bien conscients des conséquences sur l’entourage de certains troubles comme du rôle que joue l’environnement sur le développement des symptômes, ils n’excluent jamais les familles et la société de leurs préoccupations.
C’est encore en prenant leurs responsabilités qu’ils sont parvenus en 2006 à un consensus avec les familles de patients et les représentants des usagers pour une réforme de la loi du 27 juin 1990 qui régit le cadre des hospitalisations en psychiatrie. Ce consensus n’a pas encore été pris en compte par les pouvoirs publics, pour une révision qui était pourtant prévue par la loi dès 1995.
C’est aussi pour faire face à toutes les demandes émanant de la société et obtenir des modes de prise en charge capables de répondre à certains besoins qu’ils avaient eux-mêmes demandé une augmentation des places en Unités pour Malades Difficiles (UMD) et attendaient l’ouverture promise des Unités d’Hospitalisations Spécialement Aménagées (UHSA) destinées aux détenus atteints de troubles mentaux.
La mission Couty n’a pas encore rendu ses conclusions que le chef de l’état nous propose un virage à 180° pour l’organisation psychiatrique : refermer l’hôpital sur lui-même et renforcer auprès de la population toutes les images d’une psychiatrie carcérale et de rejet, simplement vouée à l’enfermement du fou dangereux. Nous savons par notre pratique combien cette image est un obstacle aux soins nécessaires, et combien elle va s’opposer aux autres missions toutes aussi importantes de la psychiatrie au sein desquelles la prévention n’est pas la moindre : le plan « santé jeunes » lancé en février 2008 n’a-t-il pas soulignée l’importance du suicide dans cette tranche d’âge ?
Nous demandons solennellement que l’actualité dramatique ne soit pas prétexte à des mesures sécuritaires inadaptées et ignorantes des vrais besoins de la population. Si le drame de St Egrève après celui de Pau doit susciter de légitimes interrogations, il faut que ce soit pour engager des réformes à la hauteur des enjeux : la société fait de plus en plus appel a cette discipline, et pour des motifs qu’il serait bien imprudent de réduire aux seules questions de violence et de dangerosité.
Pour la psychiatrie efficace et de qualité que la population est en droit d’attendre, c’est une rénovation ambitieuse et humaniste qu’il faut engager, avec les personnels, les associations d’usagers et les élus qui ont déjà oeuvré ensemble pour faire des propositions dignes de la complexité et du sérieux que réclame notre discipline.
La psychiatrie et la santé mentale dans leur ensemble ne méritent pas et ne pourront s’accommoder de prises de décisions autoritaires et réductrices qui, en plus d’être inefficaces, aboutiraient à une régression inacceptable pour l’organisation, la qualité et l’efficacité des soins comme pour les droits des patients.

Dr Marie NAPOLI, Dr Norbert SKURNIK, Dr Angelo POLI, Dr Pierre FARAGGI