Lettre ouverte à Madame la Ministre, Mesdames les juges,
Surveillantes et directrices de prisons
Qui d’entre vous peut avoir la certitude de ne jamais devoir rendre visite à son compagnon détenu dans une prison à la suite d’un acte terrible et répréhensible ou d’un grave accident de voiture dont il est responsable ?
Alors, si un tel drame frappait un jour votre famille, je souhaiterais vous présenter le parcours du combattant que vous devriez vivre à votre tour.
Je ne remets nullement en question le fait que la justice condamne un coupable et que, de ce fait, la peine soit exécutée, je m’étonne simplement du contexte des visites dans le pays des droits de l’homme.
PETIT GUIDE A L’ATTENTION DES FUTURES VISITEUSES DE PRISON
1ère étape
Après avoir obtenu l’accord écrit de l’administration pénitentiaire au droit de visite, se munir d’une bonne dose de disponibilité pour réussir la prise de rendez-vous : c’est-à-dire obtenir par téléphone ce que les initiés appellent « un parloir » Appeler, au plus tôt 14 jours avant et au plus tard 3 jours (si toutefois il peut rester des places) un standard téléphonique constamment occupé, affluence oblige, et ouvert du lundi au jeudi, uniquement aux horaires de bureau.
Si vous avez la chance d’avoir le rappel automatique ou une charmante voisine à la retraite et très généreuse, vous obtiendrez la visite d’une heure le matin et avec un peu de chance une autre petite heure l’après midi. Quant à la joie d’acquérir un parloir de 2 heures (autorisé seulement une fois par mois) cela nécessitera un autre parcours, encore plus sophistiqué, avec demande écrite de votre compagnon et beaucoup plus de patience et de détermination.
2e étape
Le jour de la visite, attendez patiemment dans la salle d’attente de la prison. Je vous épargnerai le manque d’hygiène des sanitaires, il vaudra mieux prendre vos précautions avant. Cinq minutes avant l’heure fixée, un haut-parleur citera très rapidement la liste des 3 ou 4 noms des familles prévues. Surtout ouvrez grand vos oreilles, car si vous ne comprenez pas bien, ce sera assez gênant devant les autres familles, de dialoguer avec la personne au bout du haut parleur. Ensuite suivez le groupe de gens appelés, passez portes et grilles puis présentez vos papiers.
3é étape
Si, dans la précipitation bien légitime, personne n’a la gentillesse de vous expliquer comment fonctionne les consignes pour enfermer vos sacs et autre objet suspect, il faudra apprendre seule et vite à vous en servir, sous peine de bloquer la consigne. Expérience vécue et jolie honte en retour. Viendra ensuite le passage au détecteur des objets métalliques. Un conseil très utile : évitez de vous faire belle et bannissez ceintures, bijoux, chaussures sophistiquées et autres grigris car selon le zèle du surveillant ou le manque d’habitude des familles vous précédant, vous allez encore perdre entre 5 à 8mn.
Je ne comprenais pas, lors de ma première visite, pourquoi mes « soeurs de parloir » se précipitaient et me doublaient tel le 1er jour de soldes, dès l’audition de leur nom dans la salle d’attente.
4e étape
Ayant validé avec succès les premières épreuves, vous avez alors le droit d’apercevoir, au loin, au bout d’un large couloir, derrière une immense grille, l’être tant aimé qui vous fait un petit signe amical. Pour qui en feriez-vous autant ?
Dans le meilleur des cas et si vous avez la chance de ne pas habiter trop loin , vous ne l’avez pas vu depuis seulement une semaine. En plus, cerise sur le gâteau, vous faites partie de la petite liste de privilégiés que votre compagnon chéri a le droit d’appeler au téléphone. Si toutefois il lui reste assez de crédit et s’il n’a pas oublié les 2 seuls moments de la semaine durant lesquels il peut recharger sa carte.
Donc, vous avez peut-être eu l’immense privilège d’avoir pu l’entendre au téléphone dans la semaine. Sous réserve que vous ne travailliez pas entre 18h et 19h car avant ou après cet horaire, ce n’est pas possible pour lui puisqu’il travaille, et si toutefois les rares cabines téléphoniques n’étaient pas constamment prises d’assaut par les autres détenus. Ultime et fondamentale condition : que vous ayez réussi à tout lâcher pour décrocher votre portable immédiatement. Sinon, allez donc utiliser la touche rappel de votre téléphone lorsque vous verrez s’afficher cet intitulé maudit : « Inconnu ». Dans ce cas, vous en serez quitte pour archiver le beau message d’amour qu’il laissera, sans aucun doute, sur votre répondeur et vous aurez la chance de pouvoir vous le repasser en boucle, quand sa voix vous manquera trop.
Donc, vous voici enfin tout proches, mais dernière étape avant de vous jetez dans ses bras, il faut vous inscrire à nouveau auprès d’un surveillant. Parfois il n’y a plus de places, alors vous devrez soit attendre 5mn, soit vous essayerez d’avoir plus de chance en vous inscrivant pour l’autre série de box.
Certains surveillants vous proposent de choisir vous mêmes le box et d’autres vous l’imposent. Il vous faudra alors une bonne dose de fantaisie pour réussir à projeter un regard positif sur ces minuscules cabines, garnies d’une petite table et de chaises empilées. Je suis toujours émerveillée de voir, parfois, une famille entière réussir à se caser, durant une heure, dans un espace aussi réduit. Certains s’offrent même le luxe de manger quelques friandises proposées par les distributeurs.
Je vous déconseille de miser sur un « parloir de fin de matinée ou de fin d’après midi » car vous serez assurée de voir surgir le surveillant 5 bonnes minutes avant la fin de la séance car il a hâte, et c’est bien compréhensible, de finir sa demi-journée de travail.
Soyez toujours vigilante et n’oubliez pas les objectifs de la privation de liberté, car certains surveillants seront très compatissants, humains et respectueux, mais d’autres n’hésiteront pas à vous prouver que la loi doit s’appliquer à la lettre.
5e étape
Vous voilà enfin dans les bras de votre grand amour après 8 ou 15 jours ou plus de séparation. Vous allez alors passer par l’épreuve « sélection des bruits »
En effet, la quinzaine de box n’ayant pas de plafond, vous entendrez un brouhaha irrégulier, une cacophonie sonore qui ne sera pas sans vous rappeler la cantine de la douce époque où vous étiez au collège. Rassurez-vous, notre capacité d’adaptation est telle, qu’au bout de 10 petites minutes, vous n’entendrez plus que la belle voix douce et chaude de votre bien-aimé.
Profitez au maximum de ce petit répit d’intimité car très vite vous verrez des visages qui passent devant la petite fenêtre de surveillance. Le gardien doit régulièrement indiquer à d’autres box que « la visite est finie » puis vos voisins vont passer ensuite pour s’en aller . Garder votre concentration, profiter de chaque seconde car bientôt ce sera votre tour. Ne gâchez pas votre rencontre en pensant que l’on pourrait vous observer furtivement.
Pour ne pas blesser votre compagnon évitez de regarder votre montre, vous allez très vite apprendre à reconnaître le bruit des pas et des clés du surveillant qui revient pour vous. Puis la porte s’ouvrira parfois de façon très discrète ou plus lourdement, au choix, selon la sensibilité de la personne. Dans un tel contexte, il est quasiment impossible et parfois interdit selon les prisons sous peine « d’atteinte à la pudeur », de vivre une relation intime.
Comment pourrait-on se donner à l’être aimé, vivre une relation sexuelle avec aussi peu de « moyens » et autant de barrières ? Mais d’ailleurs c’est une prison pas un club de vacances.
6e étape
Vous repartirez un peu nostalgique et très frustrée. Il faudra encore attendre que votre compagnon remplisse avec succès le passage de la « fouille ». Vous serez alors autorisée à reprendre le parcours inverse, étape plus légère, mais votre cœur, lui, sera beaucoup plus lourd. Les formalités seront plus rapides, pas de détecteurs de métaux, très peu d’attente. Il suffira de ne pas oublier au passage l’énorme sac de linge sale. Car les détenus visités fréquemment, ne bénéficient pas du service buanderie. Après avoir récupéré vos papiers et votre sac, si vous n’avez pas oublié dans l’émotion le code de votre casier, vous pourrez repartir le cœur chaviré par la relativité du temps.
En effet, une heure à peine vous aura paru durer 15mn. Il ne vous restera alors plus qu’à lui écrire tous les petits détails de votre quotidien car en si peu de temps, vous aurez fait l’impasse sur les futilités. Quant aux lettres d’amour intimes, il faudra beaucoup de temps, de frustration et d’impudeur pour réussir à en écrire sachant que votre courrier sera lu par la censure.
Surtout ne manquez jamais votre rendez-vous car le standard téléphonique s’arrêtant le jeudi, il vous sera impossible de prévenir votre compagnon en cas d’empêchement. Il vous attendra au parloir, ce sera préparé psychologiquement à vous accueillir et répartira dans sa cellule sans aucune information sur les raisons de votre absence.
EPILOGUE
Vous ne voulez pas croire une seconde que dans un état de droit comme la France, le pays de la liberté, l’égalité, la fraternité, un couple ne puisse avoir un moment de réelle intimité lors des « parloirs » ? Pourtant de nombreuses femmes pourraient écrire des témoignages semblables au mien.
Un détenu a droit de s’abonner à la TV, de cuisiner dans sa cellule, il a le droit de faire du sport, de suivre des études, d’avoir un travail rémunéré, mais il n’a pas le droit (sauf en centrale) d’avoir des relations sexuelles avec sa compagne .
Ce serait trop de bonheur, trop de plaisir pour une personne qui ne doit pas connaître l’épanouissement ; d’ailleurs qui a dit que la prison aurait pour objectif l’épanouissement des détenus ?
Avec naïveté, j’avais imaginé, avant d’avoir le triste privilège de connaître le milieu carcéral de si près, que plus la société aiderait un détenu à devenir « un bon citoyen » plus vite celui-ci pourrait, à sa sortie, se réinsérer et éviter la récidive .
Je ne comprends pas pourquoi des parloirs « conjugaux » ne peuvent être mis en place. Un détenu, aimé, entouré, câliné par sa compagne ne deviendra-t-il pas plus vite un « homme bien » ? A quoi sert la prison ? Seulement à punir ? Uniquement à payer sa dette, à racheter sa faute en frustrant au passage le plus possible la famille du détenu ? Cette famille qui n’a pas su prévenir, empêcher « l’acte fatidique »
Je souhaite simplement que cette lettre ouverte vous éclaire sur un des problèmes à traiter d’urgence dans les prisons françaises.
Une compagne de détenu