Publié le mercredi 22 avril 2009 | http://prison.rezo.net/2009-courrier-a-la-senatrice-alima/ Hervé Bompard-Eidelman Le 13 avril 2009 SENAT Madame la Sénatrice, Je souhaitais, par la présente, vous signaler des événements macabres : il y a eu quatre morts dans cette prison en une semaine, dont deux suicides et deux morts suspectes, plus un rescapé du suicide qui a été décroché à deux reprises à temps par son codétenu, au centre de détention. Près de vingt morts depuis janvier 2007 dans cette prison, morts suspectes et suicides inclus. Mais la série ne s’arrête pas là : le vendredi 10 avril, il y a eu deux rescapés dont un à la maison d’arrêt (pendu) et un autre au centre de détention (coupé), à 30 minutes d’intervalle. Le pendu de la maison d’arrêt était en mort cérébrale. Ces morts, ces rescapés, ne sont pas directement imputables à l’administration pénitentiaire. Je peux affirmer que les personnels n’y sont pour rien, au contraire. Ils sont tout autant désemparés et écoeurés. C’est ailleurs qu’il faut regarder, du côté du traitement judiciaire par les magistrats des personnes détenues. Omerta. Il n’est plus acceptable qu’on accuse ainsi sans cesse l’administration pénitentiaire et ses personnels lorsque les gens meurent dans les prisons, sans s’interroger au préalable sur les causes réelles qui poussent ces personnes à mettre fin à leur vie. Beaucoup de détenus vivent à l’extérieur dans des conditions égales – pour les prisons récentes ou réhabilitées – qu’en prison. Le problème est ailleurs, dans le traitement infligé par les magistrats aux personnes détenues : incarcérations aveugles et sans état d’âme, fausses promesses, refus de permissions de sortir, de remises de peine, d’aménagements de peine sans cause réelle, qui entraînent désespérance et actes de désespoir. Et les personnels, frustrés et impuissants, passent derrière avec la pelle et le balai pour ramasser les frustrations, la violence et les morts. Je peux témoigner de l’engagement des travailleurs sociaux, du chef d’établissement et des personnels en faveur des personnes détenues, notamment au cours des commissions de l’application des peines. Mais ils ne sont pas écoutés, ils sont impuissants à faire passer leurs préconisations auprès des magistrats. La substitut du procureur fait sa loi, dirige la prison comme un camp de prisonniers. Ce constat correspond à la réalité, même s’il déplaît. La politique ultrasécuritaire qui a court a eu pour conséquence entre autre de retirer à l’administration pénitentiaire ses prérogatives, son autorité et ses pouvoirs quant à sa mission principale – la réinsertion – et l’a jetée dans une sorte de déshérence. Il est temps de briser la chaîne des morts de Varennes-le-Grand et de partout ailleurs. Il en va de la dignité et de l’honneur des personnels, des personnes détenues, de leurs familles, des intervenants, mais aussi des citoyens de ce pays. C’est la loi française qui doit s’appliquer dans les juridictions, et pas des lois locales coutumières. Pour ma part, je ne supporte plus toute cette violence brutale aveugle, muette, qui se perd dans la brume de l’indifférence des magistrats qui enferment sans état d’âme d’un côté et qui ne libère pas par idéologie de l’autre. J’ai entendu l’expression « camp de la mort » prononcée. Que va-t-il m’arriver à moi demain ? Qu’est-ce qui va encore nous tomber dessus ? Qui sera le suivant ? Je suis, nous sommes profondément marqués par ces personnes qui ont perdu leur vie ici, pour rien, à bout de force, à bout d’espoir, mortes du mépris et de l’indifférence des magistrats tout puissants pour leur sort. Aussi, je demande, au nom de l’honneur et de la dignité et de la sauvegarde de la vie humaine que les autorités administratives, en l’espèce l’IGSJ [1], soient saisies d’une demande d’enquête ainsi que la CNDS [2] et la CNCDH [3], et qu’une enquête parlementaire soit conduite sur les pratiques judiciaires dans cette juridiction. Autant de morts dans une même juridiction et dans un même établissement sont inadmissibles et inacceptables, surtout lorsque les personnels pénitentiaires ne sauraient être mis en cause. Tout le monde doit prendre ses responsabilités. Vous remerciant par avance pour vos interventions et dans l’attente d’une réponse rapide de votre part, je vous prie d’agréer, madame la Sénatrice, l’expression de mes salutations distinguées. Hervé Bompard-Eidelman
[1] IGSJ : Inspection Générale des Services Judiciaires, voir communiqué du ministère de la Justice [2] CNDS : Commission Nationale de Déontologie de la sécurité, http://www.cnds.fr/ [3] CNCDH : Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, http://www.cncdh.fr/
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