Publié le jeudi 14 mai 2009 | http://prison.rezo.net/e-carre-la-symphonie-carcerale/ Université Toulouse Le Mirail Eric CARRE La Symphonie Carcérale Directeur de séminaire : Monsieur Michel LAPEYRE Résumé « Peut-il exister une pénitentiaire intelligente ? » Je l’ai intitulé « la symphonie carcérale » parce que l’on évoquera la musicothérapie au travers d’une approche psychanalytique après avoir , dans un premier temps , dressé un tableau du panorama politico-juridico-social actuel , évoquant notamment les évènements de cette année universitaire 2005-2006 , à savoir , les banlieues en feu , le C.P.E , l’affaire d’Outreau puis dans un deuxième temps , tenter une approche psychanalytique du vécu carcéral concernant notamment l’angoisse. La symphonie carcérale s’articule en trois mouvements, le chiffre trois étant récurrent en psychanalyse :
« Création, psychanalyse et politique sont les trois termes majeurs de mon propos. Le terme de création est pour évoquer la cause, le terme de psychanalyse est destiné à convoquer la praxis, le terme de politique fait référence au lien social. Si vous récusez le premier, si vous méprisez le second, si vous réprouvez le troisième, il y a de fortes chances que mon discours vous heurte : il n’en reste pas moins qu’il est aussi pour vous, il s’adresse à vous et vous vise, et surtout il vous est destiné, sinon dédié. Ce sont les fils, que je reprends sans cesse, d’un séminaire que je tiens depuis plusieurs années, quitte à ressasser. Je le poursuis quand même, à moins que ce soit lui qui me précède. Que je lui coure après en traînant la patte, ou qu’il m’entraîne en avant en me forçant à me déplacer, il m’accompagne. Création, psychanalyse, politique, pourquoi ? Parce que, si ce n’est pas le cœur ou le noyau de l’être humain (« Kern das Wesen », dit Freud), ce sont les voies royales pour y parvenir : pour atteindre et toucher les taches que nous sommes et que nous faisons dans le tableau de la vie ; pour aborder et affronter les tâches qui sont les nôtres sur la scène du monde. Car, à cet égard, nous sommes servis : comme le suggèrent tant de titres, « nous vivons une époque formidable ». Mais est-ce que la formule est sincère et, et surtout vraie et réelle ? Est-ce du mauvais esprit, de l’humour à cent balles, de l’ironie caustique, voire un ricanement sarcastique ? En tout cas, il y a tout ce qu’il y a, et qu’on ne peut tout simplement pas repérer, et à quoi on est encore moins capable de faire face sans et la création et la psychanalyse et la politique. Rien de ce qui est humain ne l’est sans le nœud qu’elles sont appelées à former (sans pour autant le fermer)… » Michel LAPEYRE LA SYMPHONIE CARCERALE Les malheurs d’Alfred « Pour écrire l’histoire de sa vie, il faut d’abord avoir vécu ; aussi n’est-ce pas la mienne que j’écris. Mais de même qu’un blessé atteint de la gangrène s’en va dans un amphithéâtre se faire couper un membre pourri ; et le professeur qui l’ampute, couvrant d’un linge blanc le membre séparé du corps, le fait circuler de mains en mains par tout l’amphithéâtre, pour que les élèves l’examinent ; de même lorsqu’un certain temps de l’existence d’un homme, et, pour ainsi dire, un des membres de sa vie a été blessé et gangrené par une maladie morale, il peut couper cette portion de lui même, la retrancher du reste de sa vie et la faire circuler sur la place publique, afin que les gens du même âge palpent et jugent la maladie. » [1] Mémoire et Histoire Un mémoire, c’est un travail individuel de recherche ; c’est aussi un travail collectif quand cette recherche se situe dans le cadre d’un séminaire universitaire. Un mémoire s’inscrit dans une histoire, un mémoire peut être l’Histoire. En plus de rimer, Mémoire et Histoire font la paire, devrais-je écrire LAPEYRE ? Petit clin d’œil à l’écriture surréaliste dont l’humour est l’une des techniques, car « les Surréalistes reprennent une idée chère à Freud quand ils s’attachent à montrer que tout phénomène, quel qu’il soit a une finalité, et que le hasard n’est qu’apparent puisqu’une analyse approfondie nous fait trouver un désir à l’origine d’un acte qui semblait résulter d’une coïncidence » [2]. Pour comprendre l’articulation de mon mémoire, il est nécessaire de résumer le parcours qui m’a amené à la reprise des études en octobre 2005. La valse des chômeurs Titulaire d’une Licence de Psychologie et Habitant le Nord - Pas de Calais, zone sinistrée en matière d’emploi, les profils « Psy », comme disaient les recruteurs de l’époque, étaient recherchés dans le domaine de l’Insertion et/ou de la Formation Professionnelle pour leurs qualités relationnelles dans l’approche des publics en difficultés de tous ordres. Entre les chômeurs longue durée, les jeunes en difficulté d’insertion, les chômeurs de plus de cinquante ans et les gens au RMI, il y a de quoi effectuer un parcours dans la pauvreté riche de contacts humains et d’enseignements. Sous des gouvernements de gauche ou de droite, d’année en année, en dépit de toutes les mesures en faveur de l’emploi, il reste toujours environ 10 % de la population active au chômage, ce qui signifie en clair que l’on déshabille Pierre pour habiller Paul. Le système a besoin de ses chômeurs pour fonctionner et surtout faire fonctionner ses institutions. Le marché de l’emploi est un marché économique qui mobilise des milliers d’emplois et des milliards de capitaux. On appelle ça le traitement social du chômage qui perdure encore aujourd’hui alors qu’une énième mesure en faveur de l’emploi des jeunes, le C.P.E vient de voir le jour. La pauvreté, c’est devenu un métier ; un métier dont beaucoup de monde s’occupe et qui occupe beaucoup de monde : donc beaucoup de monde ne veut pas voir disparaître la pauvreté de peur de perdre son emploi. Lourdes, l’autre souffrance est la souffrance de l’autre Un déménagement à Lourdes me fait découvrir au sanctuaire une autre misère ; celle qui atteint l’individu dans son intégrité physique, dans sa chair, plus qu’une détresse liée à une insuffisance matérielle. Des gens paralysés, qui vivent allongés à longueur d’année, que l’on ne peut parfois nourrir qu’avec une paille et qui trouvent le moyen de vous sourire, contents pour vous que vous soyez en bonne santé, qui sont heureux d’être là, sachant qu’ils ne repartiront pas en marchant mais simplement contents de voir du monde, leurs semblables et… leurs dissemblables : une réflexion sur l’exclusion ; le poids du regard des autres. De la musique à la prison A Lourdes, à la recherche d’un emploi, on peut penser que l’activité touristique ouvre des portes dans le domaine de l’animation : Chanteur, Disc-jockey, Figurant sont des expériences enrichissantes sur le plan personnel mais pas sur le plan financier ; dure la vie d’artiste. L’Administration Pénitentiaire recrute des surveillants : la solution sous forme de triade : un salaire régulier, plus de chômage, continuer la musique. On entre dans la pénitentiaire par échec, en désespoir de cause, personne n’ayant la vocation de devenir surveillant. On ne sait pas où l’on met les pieds. Beaucoup de gens critiquent la prison en émettant des sentiments fort louables sur ce qu’elle devrait être et/ou ne pas être mais pour rien au monde ne veulent prendre les clés de la coursive si on les leur propose. La réalité carcérale c’est une coursive, des portes, des gens enfermés derrière ces portes, un surveillant et un trousseau de clés. Si vous avez affaire à la justice, vous constaterez que de votre inculpation jusqu’à votre incarcération, un processus déshumanisant vous fera cesser d’être quelqu’un pour devenir un dossier, quelque chose d’informel, une raison sociale. Quand vous êtes sur une coursive et que vous ouvrez la porte d’une cellule, ce n’est pas un dossier que vous avez en face de vous. Transfert sur partition … La Maison Centrale de Saint Maur est équipée d’un atelier Son où les détenus travaillent pour l’I.N.A. Leurs tâches consistent à transcrire sur C.D audio, les bandes magnétiques archivées de la radio. Les détenus reçoivent une formation de techniciens du son, certains d’entre eux sont également musiciens. Ils travaillent de manière autonome, chacun gérant son projet sur son propre ordinateur dans une cabine insonorisée mais pouvant circuler d’une cabine à l’autre sans souci. La confiance est de mise, c’est important dans le milieu carcéral où une suspicion permanente est de règle. Une demi-journée par semaine est consacrée à la création musicale. Chaque détenu dispose du matériel pour laisser libre cours à son imagination. … et miroir sans tain Un projet impliquant détenus et surveillants peut modifier le discours, c’est à dire au sens de Lacan, le lien social, par l’introduction du signifiant musicien entre le signifiant détenu et le signifiant surveillant. En l’occurrence, il s’agit de l’enregistrement d’une maquette. L’enregistrement et le mixage d’une œuvre musicale impliquent les différents intervenants d’un point de vue technique mais aussi artistique. Chacun apporte son propre avis sur la finalité du projet. Cela démontre que dans l’univers carcéral, univers du mal, du crime, de l’individu dans ce qu’il peut avoir de plus négatif, continue de briller la flamme de l’espoir et de la vie. Soulignons bien le mot vie car la prison n’est pas une vie qui s’arrête mais une vie qui continue différemment. Cette vie difficile à cause de l’enfermement peut être constructive. Elle est aujourd’hui souvent un lent parcours destructif. Le dialogue reste possible entre deux catégories de personnes qu’en apparence tout semble éloigner, à savoir le personnel de surveillance et la population carcérale. Par le biais de l’expérience artistique, on peut percevoir les gens comme ils sont et non pas comme nous croyons qu’ils sont. Le processus créatif laisse émerger une partie intime de la personnalité. Ce type d’expérience nous rappelle que le détenu est une personne. La considération que vous lui apportez en le laissant exprimer une opinion lui rappelle également qu’il est encore quelqu’un et rien que pour cela, le détenu vous témoignera de la reconnaissance et contrairement à ce que les idées reçues laissent penser, l’autorité et le respect de l’uniforme n’en sortent pas diminués mais bien au contraire grandis. Le manque de communication avec la population pénale de même que le manque de communication entre les différents services maintiennent la pénitentiaire et par extension le ministère de la Justice dans un fonctionnement archaïque. Sans doute, tout cela est-il voulu et l’adage récurrent « on manque de moyens… » sert de pare-feu pour bien maintenir les choses en place. Vous ne trouverez personne pour dire : « Comment peut-on améliorer les choses avec les moyens qu’on a ? » Maison d’arrêt : la grande désillusion Proposer à la Direction de la maison d’arrêt la création d’un groupe de parole inspiré de la méthodologie de la musicothérapie pour tenter de réduire la pression psychologique liée au vécu carcéral : telle était l’idée. Cette demande est restée sans réponse de la Direction Régionale de l’Administration Pénitentiaire. La loi du 18 janvier 1994 a instauré un transfert de compétences : la santé en prison n’est plus du ressort de la Justice mais de la Santé. L’administration pénitentiaire s’est défaite de cette activité en admettant mal la présence de personnels médicaux échappant à son contrôle. L’expérience du terrain montre que de la part des hiérarchies tant pénitentiaire que médicale, une collaboration au sein de la Maison d’arrêt, des personnels de surveillance et des personnels soignants, n’est pas souhaitée. Retour à la case départ Obtenir le titre de psychologue et dans le cadre de la musicothérapie associer musique, psychologie et activité professionnelle : une manière originale et cohérente de boucler la boucle. La logique imposerait de rédiger un mémoire sur la Musicothérapie en milieu carcéral ; une approche simple et réaliste de l’art thérapie dans un univers particulier, convaincu par expérience qu’elle peut être bénéfique pour le détenu lui même, en apaisant les tensions et du même coup rendre le travail moins pénible pour les surveillants. Culture et lien social Par extension, montrer l’importance du facteur culturel pour faire tomber les barrières sociales d’un côté et institutionnelles de l’autre, et, par une sorte de relation bijective pouvoir améliorer le relationnel en tentant d’ouvrir le dialogue ; bref rendre le séjour carcéral moins inhumain. Il existe toujours une lourdeur et une rigidité, voire psychorigidité entre les institutions et les usagers mais je m’appuie sur cette citation du Général de Gaulle, homme ô combien institutionnel puisque fondateur de la V° république : « Car, quand la lutte s’engage entre le peuple et la Bastille, c’est toujours la Bastille qui finit par avoir tort » Réflexion et Réfection Concernant le projet d’origine, c’est un entretien avec Monsieur Michel LAPEYRE, Directeur de séminaire, qui m’a amené à reconsidérer les choses :
L’enfermement pénal suscite interrogation car dans l’état actuel des choses, il est un instrument destiné à asseoir la souveraineté du pouvoir sans procurer de vertu citoyenne. De fait, chercher à humaniser la peine, c’est être complice d’un processus d’assujettissement. Mais comme on ne développe pas de systèmes substitutifs efficaces, ne faut-il pas agir de l’intérieur pour rendre le discours moins dichotomique entre l’intérieur et l’extérieur, et ainsi briser le système de déshumanisation que génère la prison actuelle. D’autant plus que cette déshumanisation est à l’origine d’un sentiment de rejet de la société de la part de la population carcérale et de rejet de la population carcérale de la part de la société. En conséquence, l’enfermement dont l’un des buts affichés est de corriger l’individu et de le remettre dans le droit chemin par la coercition, apporte finalement l’effet inverse. Il génère de l’exclusion et par conséquent de la délinquance et du même coup aggrave la fracture sociale. En définitive et pour être tout à fait clair, plus on incarcère, plus la probabilité de voir brûler sa voiture augmente. La vraie question devient donc : « Peut-il exister une pénitentiaire intelligente ? » Nous y répondrons en traitant de la démocratie et de la justice, de l’enfermement, de la réalité carcérale aujourd’hui et des possibilités de son amélioration. Une symphonie en trois mouvements Nous référant aux trois termes majeurs du propos de M. LAPEYRE dans son séminaire, à savoir, création, psychanalyse et politique : - 1 - Démocratie et Justice d’Esope à Outreau : l’Humain et le droit, le droit d’être humain
Le premier mouvement part de la genèse de la cité juste telle que l’évoque Platon pour aboutir au biopouvoir de notre démocratie en crise où le désir de liberté de chacun s’articule dans l’individualisme au détriment de la collectivité ; libéralisme exacerbé qui conduit au non respect et aboutit à ce que la démocratie détruise la démocratie. Le second mouvement traite de la souffrance carcérale à savoir souffrir l’enfermement pour lutter contre l’angoisse. Une approche psychanalytique du vécu carcéral. Le troisième mouvement privilégie la création : une approche analytique de la musique, langage universel comme agent actif du lien social pour lutter contre la déchéance humaine en prison, et tenter de repenser l’enfermement. Démocratie et Justice d’Esope à Outreau : l’Humain et le droit, le droit d’être humain Il n’y a que deux millénaires et demi, Platon parlait ainsi : « Il est difficile de trouver une meilleure éducation que celle qui s’est établie au cours des âges, je veux dire la gymnastique pour le corps et la musique pour l’âme. Or la musique comporte des discours. Et il y a deux sortes de discours, les vrais et les mensongers. Nous racontons des fables aux enfants. En général elles sont fausses, bien qu’elles renferment quelques vérités. Donc il faut veiller sur les faiseurs de fables, choisir leurs bonnes compositions et rejeter les mauvaises. Nous engagerons ensuite les nourrices et les mères à conter aux enfants celles que nous aurons choisies. Il est important que les premières fables qu’entende l’enfant soient les plus belles et les plus propres à lui enseigner la vertu. » [3] La musique évoquée ici par Platon dépasse le cadre des notes et de l’instrument et fait référence au langage et au discours. Platon affiche l’importance du choix des mots pour une bonne éducation, qui apporte le bien vivre et les bonnes conduites. Dès l’antiquité , la notion de juste et d’injuste est présente dans l’éducation , mais sélectionner les bonnes fables , éliminer les mauvaises , les imposer à l’enfant n’est ce pas un avant goût de ce que Michel Foucault qualifiera d’ensemble de procédures pour quadriller , contrôler , mesurer , dresser les individus , les rendre à la fois « dociles et utiles » , les discipliner ? Musique et Justice Deux termes qui sembleraient a priori ne rien à voir l’un avec l’autre, que l’on concevrait même facilement comme antinomiques, le premier suscitant plutôt la joie et le second plutôt la tristesse. Cependant, il faut toujours se méfier des idées reçues et même s’en défier. Pour que la musique soit jolie, l’interprète doit jouer juste et pour être juste l’homme de loi se doit de composer. De fait, parce que rien n’est tout blanc ni tout noir mais que tout s’articule entre gris clair et gris foncé, l’écart entre musique et justice ne relève pas de la différence entre la fourmi et l’éléphant mais plus modestement du lion et du rat. Allusion à la célèbre fable de La Fontaine dont la morale est « on a toujours besoin d’un plus petit que soi » « Je chante les héros dont Esope est le père, La cité juste qu’évoque Platon [5] est un monde idéal qui n’existe pas et qu’il lui faut donc imaginer. La discussion tourne autour de la notion de justice. Selon lui, il est aussi difficile de rester sage au sein de la justice que de le devenir au sein de la pauvreté. La justice est une vertu qui consiste à dire la vérité et à rendre à chacun ce qui lui est dû. Dans chaque cité, le gouvernement, élément le plus fort, recherche son propre avantage et l’assure par des lois. L’injustice suscite la discorde, divise les parties de l’âme et rend ainsi toute action féconde impossible. Nul homme n’est juste volontairement, dès qu’il a le pouvoir de mal faire sans crainte, le sage lui même ne résiste pas à la tentation. L’homme vertueux est récompensé jusque dans sa postérité mais la justice est dure et pénible tandis que l’injustice est aisée. Il n’est pas mauvais de la commettre si l’on est assez puissant pour se soustraire aux châtiments prévus par les lois. Quand la cité se développe, il se crée de nouvelles spécialités parmi les habitants et donc de nouvelles classes. La cité prospère et s’étend. La population augmente et pour agrandir le territoire, on a recours à la guerre. Il faut donc former les gardiens. Très jeune, on éveille leur intelligence en racontant des fables. La nature divine doit y être représentée. Elle est exempte de tout mal, étrangère au mensonge, immuable car toute transformation pour un être parfait équivaut à une déchéance. Dans la cité juste, hommes et femmes seront appliqués aux mêmes tâches et pour s’y préparer recevront la même éducation. Les cités perverties Après l’idéal de la cité juste, Platon passe à l’examen des cités perverties partant des métamorphoses successives de la cité idéale qui sont en fait une corruption croissante. On passe ainsi de la timarchie à l’oligarchie puis à la démocratie et enfin à la tyrannie. Haine de la démocratie On ne peut s’empêcher, à cette lecture de Platon, de faire le parallèle avec les événements du printemps 2006, généré par le projet du C.P.E mais qui, en fait, en dépasse largement le cadre. Plus qu’un problème de contrat de travail, c’est la manifestation d’un profond malaise de société. Plus qu’un écart croissant entre riches et pauvres, entre confort et précarité , le C.P.E exacerbe un rapport patron/employé du type maître/esclave , d’autant plus dur à avaler que dans le même temps, certains dirigeants de grands groupes industriels et financiers s’accordent des dérogations pour prolonger leurs mandats au delà de soixante dix ans et ainsi encaisser des millions d’euros de royalties. Quant au pouvoir en place, on sait que députés et sénateurs se sont organisés un système de retraite tel qu’en vingt deux ans de carrière, ils touchent une retraite à taux plein , et que ces mêmes personnes votent des lois obligeant le peuple à cotiser plus de quarante deux ans pour combler le déficit des régimes de retraite. A examiner cette partie émergée de l’iceberg, on ne peut que penser à Louis XVI qui s’est fait guillotiner pour moins que cela et à Coluche, qui, il a plus de vingt ans disait déjà « Il est temps, dans ce pays, qu’on arrête de se foutre de la gueule des gens ! » Evènements 2005-2006, le pouvoir de la rue Les émeutes dans les banlieues fin 2005, les évènements en 2006, concernant le Contrat Premier Emploi (C.P.E) et les mesures qui l’accompagnent démontrent le refus de se laisser diriger par des représentants du peuple que le peuple considère comme ne les représentant pas. La rébellion née à la suite de ce projet dénote une volonté du peuple de se faire respecter en outrepassant la démocratie représentative et en s’imposant par la démocratie directe. Ainsi le mode d’expression de la rue supplée au pouvoir en place. Dans notre démocratie, l’oligarchie en place donne l’image de gouvernants qui tentent d’imposer leur diktat s’apparentant ainsi à un régime totalitaire. Dans MARIANNE, J.-F.Kahn [7] souligne la rigidité institutionnelle et l’étonnant décalage entre le pays réel dans sa diversité et la bipolarité totalement artificielle du pays légal (ce qu’a mis en évidence le référendum européen : 80% des députés pour, 55% des français contre). « C’est cette distorsion entre la réalité bouillonnante et effervescente de la nation et l’étouffoir normatif de sa représentation qui régulièrement débouche sur le face à face explosif entre les minorités agissantes de la rue et les minorités légiférantes du parlement, arbitré par une opinion publique qui peut parfois sanctionner la rue, mais ne se reconnaît presque jamais dans la pseudo-légalité du pouvoir législatif. Surtout que s’ajoute à ce divorce l’impressionnante délégitimation des élites politiques, médiatiques, économiques et intellectuelles du pays. Entre les français et le pouvoir, il n’existe plus de structures intermédiaires crédibles servant de sas de décompression. Le pouvoir de la rue se renforce et grandit face à la dégénérescence idéologique et morale de la quasi-totalité des autres pouvoirs que leurs manquements ont discrédités. » Homo Sacer : Tous des banlieusards sacrés ? La banlieue est liée à la ville (polis), à la limite de la ville, selon un lien qu’il s’agit d’interroger mais qui annonce d’emblée que la banlieue est une question éminemment et originairement politique. La question de la banlieue, et de ce qu’elle est, n’est pas une question parmi d’autres de la politique en général, n’est pas seulement ce à quoi tend de la restreindre la vision politique de l’Etat qui la cantonne à la « politique de la ville » mais elle interroge en retour le sens aujourd’hui de la politique et de la démocratie. La question d’une politique démocratique de la ville doit toujours commencer par la grave question : Que veut dire banlieue ? La banlieue est le lieu où se déclare véritablement le sens de la politique, où le politique déclare sa vérité. Elle n’est pas une simple réalité mais le lieu exemplaire de l’espace politique dans lequel s’inscrivent les vies qui se vivent comme laissées à l’abandon, abandonnées par les pouvoirs publics. Mais cette puissance d’abandon est elle-même constitutive du pouvoir : la banlieue est le lieu de la manifestation de la souveraineté de l’Etat abandonnant la vie à elle-même tout en la réduisant à l’objet de sa puissance souveraine. Se présentant de cette manière, la question de la banlieue s’inscrit délibérément dans la perspective d’une analyse biopolitique au sens où l’entend le philosophe italien Giorgio Agamben à la suite de Michel Foucault. Déployant ensuite une analyse du ban, auquel l’étymologie de la banlieue nous renvoie, Agamben écrit : « le ban est à proprement parler la force, à la fois attractive et répulsive, qui lie les deux pôles de l’exception souveraine : la vie nue et le pouvoir, l’homo sacer et le souverain. C’est cette structure de ban que l’on doit apprendre à reconnaître dans les relations politiques et dans les espaces publics où nous vivons encore. L’espace du ban – la banlieue de la vie sacrée – est, dans la cité, plus intime encore que tout dedans et plus extérieur que tout dehors. Elle est le nomos souverain qui conditionne toutes les autres normes, la spatialisation originaire qui rend possibles et qui gouverne toute localisation et toute assignation de territoire ». La puissance de la loi est indissociable de sa capacité à décider que certains individus ne méritent pas d’être protégés par elle, et toujours plus, la puissance de la loi prend la forme de cette puissance d’exception, d’abandon. Et précisément, la banlieue est constituée par un certain abandon, l’abandon du pouvoir souverain et de la loi : la loi s’y abandonne dans un état d’exception. La loi protectrice des corps dans la figuration citoyenne s’abandonne à l’absence de protection, à la défiguration de la vie dénudée, abandonnée à elle-même. Non pas parce que la loi serait impuissante à y régner, non pas par absence d’intérêt ou par capitulation, mais au contraire parce que cet abandon n’est que le revers de la puissance de la loi. Aussi prend-il la forme d’une emprise souveraine sur la vie ainsi abandonnée. La banlieue est la part suspendue de la souveraineté. Ainsi la banlieue apparaît-elle sous la forme de l’état d’exception, comme espace d’exception. Qu’il suffise de rappeler l’exception de la civilité (brutalités policières, les prérogatives policières abusives), l’exception aux règles de la mobilité sociale de l’Etat social (la panne de l’ascenseur social se répétant dans la panne des ascenseurs), l’exception au droit social, l’exception de la mobilité géographique (communautarisme ethnique) et urbaine (ghetto) et l’exception au processus d’intégration d’un état républicain universaliste. La banlieue est le lieu de l’exception souveraine du droit que l’on reconnaît et méconnaît dans l’expression commune d’une zone de non-droit. Mais si elle est une « zone de non-droit », c’est qu’elle est alors l’envers de la souveraineté qui mime la monopolisation de la violence par l’Etat : elle conteste moins le monopole de la violence de l’Etat qu’elle n’est plutôt le miroir du micro-pouvoir de la souveraineté anonyme et démocratique exercé par les agents ou fonctionnaires de l’Etat. Et la volonté déclarée de faire entrer le droit dans les prétendues zones de non-droit de l’Etat, selon le discours policier ou le discours universaliste républicain, de même que la demande de protection et de sécurité des habitants de la banlieue à l’encontre des délinquants qu’elle produit en son sein (dans une sorte de réaction d’auto-immunité du corps d’une vie nue qui se divise encore elle-même) sont aveugles à l’origine et à la genèse de la banlieue comme zone de suspension du droit où l’Etat manifeste son pouvoir souverain, où l’Etat, à peu de frais, manifeste sa fonction étatique et son pouvoir de souveraineté. La « bavure » en constitue une trace visible et surexposée : elle n’est pas un simple accident mais l’exposition de la vie nue du « sauvageon », dont on a suspendu la détermination « citoyenne » à l’intervention policière souveraine. La pensée d’Agamben conduit à voir dans la banlieue le modèle même de ce qu’est la politique aujourd’hui : la banalisation. L’indice de cette banalisation – du devenir-banlieue de la vie politique – est le nom que revêt aujourd’hui la banlieue : la cité : Et si la cité était le nom de la ville comme lieu politique, peut-être faudrait-il également parler de devenir-banlieue de la ville. Cette banalisation de la ville elle aussi est visible , comme par exemple dans la création , la prolongation des Zones franches urbaines (ZFU) et leur extension en un grand projet de ville (GPV, comme celui de la métropole lilloise) : la politique de la ville , nom de l’action politique de l’Etat en vue de réorganiser et d’administrer les banlieues , retourne à la ville banalisée ; la ville et son centre s’apprêtant à être recouvertes par les mêmes dispositions d’exceptions des zones franches de banlieues. C’est la grande ville, les centres-villes et la ville en son centre qui se voient régis par les dérogations économiques des banlieues : la politique économique de la banlieue devenant le paradigme de la politique de la ville. Si ce retournement indique lui aussi que l’exception est devenue la règle, est-ce parce que les citoyens que nous sommes aujourd’hui ne sont rien d’autre que des « banlieusards » sacrés potentiels ? La Faillite d’un système Le modèle français dont la stabilité, la sécurité et la pérennité de l’emploi constituaient l’armature est mort et enterré. La précarité, la flexibilité et l’insécurité tendent à devenir la norme. En conséquence, ce n’est pas ce modèle qui exacerbe la crise mais au contraire la crise est en partie la conséquence de l’éradication de ce modèle. Cette précarisation, conséquence d’une flexibilisation du marché du travail de plus en plus généralisée loin de doper la croissance et limiter le chômage a l’effet inverse comme le démontre l’ampleur de la crise sociale, la mauvaise mine financière du pays et la mollesse de l’activité économique non spéculative. La précarité s’étant imposée partout et à tous les niveaux autant l’institutionnaliser. Pourquoi pas ? A ceci près que l’argumentation est du même style que celle qui consiste à affirmer que puisque les libertés sont systématiquement remises en cause, et dans l’anarchie, autant instaurer la dictature, et dans l’ordre. Le contrôle généralisé L’ouvrage de Bentham [10], le panoptique (fin 18°), est un mémoire sur un nouveau principe pour construire des maisons de force, entendons maisons d’arrêt. Trouver un moyen de contrôler les comportements des gens pour qu’ils produisent l’effet désiré. Les gouvernements, et donc leurs dirigeants, peuvent ainsi avoir un œil sur tout le monde et tout contrôler.
Le modèle de prison de Bentham est constitué de deux bâtiments circulaires : - celui de la périphérie abrite les cellules sur six étages fermées côté intérieur par un grillage qui laisse voir ce qui se passe.
Prison pour tous Si le projet de Bentham n’a pu voir le jour en son temps et l’a par ailleurs ruiné, il est en passe de se généraliser aujourd’hui. Des caméras en centre ville pour assurer la sécurité du citoyen , des caméras sur les routes ainsi que des radars de plus en plus sophistiqués qui ne contrôlent plus seulement la vitesse mais aussi le port de la ceinture de sécurité et la distance entre les véhicules. Vidéo surveillance sur la voie publique et dans les trains, puces électroniques, internet, GPS, biométrie, la vie quotidienne n’échappe plus aux grands yeux et aux grandes oreilles du tout sécuritaire. Les démarches administratives sur internet se généralisent et il suffira, d’ici peu de temps, de quelques regroupements de fichiers pour mettre l’individu à nu en quelques secondes. Soulignons, par exemple, qu’en matière fiscale, l’augmentation fulgurante des déclarations par internet libère un nombre de personnels de plus en plus important qui pourront ainsi être affectés au contrôle fiscal. Voilà des exemples du contrôle de l’individu par le modernisme. Nous vivons dans une société de plus en plus contrôlée et dont le mode de pensée se trouve régulé par les médias qui imposent un mode de pensée standardisé. Ainsi l’image du jeune banlieusard est celle de celui qui ne veut pas travailler et qui veut gagner de l’argent facile en dealant, ce qui lui permet de rouler dans une belle voiture que ne pourra jamais acquérir un ouvrier travaillant honnêtement toute sa vie. Ce discours stéréotypé est diffusé au niveau gouvernemental. Si vous rencontrez les gens qui se rendent aux parloirs de la maison d’arrêt, vous verrez des familles pour lesquelles le prix du ticket de bus pose problème, quant au véhicule de luxe, un coup d’œil sur le parking vous fera vite comprendre qu’on est loin du XVI° arrondissement de Paris. Hormis les gens du voyage qui roulent dans des berlines pas forcément dernier cri pour tirer leurs caravanes, le panorama ne révèle pas une population roulant sur l’or, au contraire, on peut sans grands risques de se tromper affirmer que les prisons françaises sont un mode de traitement du quart monde. Le discours de l’incarcération généralisée ne résout rien dans le long terme. Le délicat problème de l’emploi, et de l’exclusion voire délinquance qu’il peut générer, demeure entier. C’est aussi lui qui entretient la division entre une population intégrée qui trouve son bonheur dans le système en place et ne veut pas qu’on y change quoi que ce soit, et ceux qui en sont exclus, qui revendiquent un droit au bonheur qui passe par une réforme de ce système. Dès lors, la frange active de cette population exclue se manifeste chaque fois qu’une occasion se présente, sous le regard inquisiteur de la partie intégrée, qui admet à la fois le problème et son impuissance à le résoudre. Prison et souffrance carcérale approche psychanalytique Supplice et prison [12] 75 ans plus tard, début du 19° siècle, voici un règlement rédigé par Léon Faucher « pour la maison des Jeunes détenus à Paris » Art.17. La journée des détenus commencera à six heures du matin en hiver à cinq heures en été. Le travail durera neuf heures par jour en toute saison. Deux heures par jour seront consacrées à l’enseignement. Le travail et la journée se termineront à neuf heures en hiver, à huit heures en été. Le châtiment de la place publique… Comme le souligne M. Foucault, ce supplice et cet emploi du temps ne sanctionnent pas les mêmes crimes, ils ne punissent pas les mêmes délinquants. Il y a moins d’un siècle entre les deux et on constate que le corps supplicié, marqué, amputé, exposé mort ou vif a disparu de la sanction pénale. La punition cesse d’être un spectacle car cela est perçu comme négatif. Se régaler de la violence du supplice, c’est accoutumer le public à la férocité condamnée. Du coup le bourreau devient un criminel et le juge un meurtrier. « L’assassinat, que l’on présente comme un crime horrible est perpétré sous nos yeux sans que nous ayons le moindre remords. » Il faut concevoir le supplice, tel qu’il est ritualisé au 18° siècle comme un opérateur politique. Il s’inscrit dans un système où le souverain de manière directe ou indirecte fait exécuter les châtiments dans la mesure où c’est lui qui, à travers la loi a été atteint par le crime. …à la prison La punition va devenir la part la plus cachée du processus pénal. C’est la condamnation elle même qui est censée marquer négativement le délinquant, d’où les débats et la sentence publics. Mais s’il est laid d’être punissable, il est peu glorieux de punir. L’exécution de la peine devient un secteur autonome dont un mécanisme administratif décharge la justice. De nos jours, l’Administration Pénitentiaire dépend du Ministère de la Justice. Mais pendant longtemps, les prisons ont été placées sous la dépendance du Ministère de l’Intérieur, et les bagnes sous le contrôle de la marine ou des colonies ce qui montrait bien le lien entre justice et châtiment. Au temps de la guillotine Article 3 du code français de 1791 : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée ».
Punir proprement Il s’opère une dénégation théorique : Il est honteux de punir mais le juge ne punit pas, il corrige, redresse, guérit ce qui le libère du métier de châtier. La honte de punir n’exclut pas toujours le zèle, pour preuve on incarcère de plus en plus mais à grands renforts de « psy » et de fonctionnaires redresseurs. On prive l’individu de sa liberté considérée comme un droit et un bien. Le corps est alors pris dans un système de contrainte et de privation, d’obligations et interdits. On y touche mais de loin et proprement. Dans ce cadre, le bourreau a été remplacé par une armée de techniciens de la peine : surveillants, médecins, psychologues, conseillers d’insertion, enseignants, aumôniers. Mais s’il est vrai que l’on ne pratique pas de sévices corporels dans les prisons d’aujourd’hui, il existe des moyens plus pernicieux de porter atteinte au corps en s’en prenant à la dignité humaine, on peut citer l’exemple des quartiers disciplinaires. Certaines façons de traiter les gens laissent des blessures dont les marques ont la propriété d’être à la fois invisibles et indélébiles, mais pouvant réapparaître de manière inattendue et se manifester par des comportements encore plus inattendus et pourtant prévisibles : agression ou pendaison, le quotidien de la pénitentiaire française. Détention pharmacologique Foucault fait allusion aux produits psychotropes distribués dans les prisons pour notamment rendre moins douloureuse la peine et en particulier la peine de mort. Son livre date de 1975, depuis la peine de mort a été abolie. La pharmacologie est en effet de mise car la plus grande partie de la détention est sous l’influence de psychotropes qui sont le principal motif de consultation au Services Médico-Psychologiques Régionaux (S.M.P.R). Si l’on tient compte de l’angoisse que génère la détention, des toxicomanes, des délinquants sexuels, des psychotiques et délirants de tous ordres, la prison ressemble à un hôpital sans équipements et le surveillant à un infirmier sans formation médicale. Le personnel de surveillance en est arrivé à devoir gérer un public de malades à un point tel que pour répondre à la demande, il faudrait médicaliser les maisons d’arrêt. En 1986 ont été créés les S.M.P.R (26 pour 186 établissements pénitentiaires) dont la mission est de lutter contre les troubles psychiatriques, l’alcoolisme et la toxicomanie. La loi du 18 janvier 1994 instaure le transfert de compétences concernant les services de santé gérés dès lors par le ministère de la Santé et non plus par le ministère de la Justice. La volonté étant de donner aux détenus les mêmes soins que le reste de la population. Une Unité de Consultations et de Soins Ambulatoires (U.C.S.A) a été installée dans chaque établissement. Outre la médecine générale, on peut parfois y trouver un dentiste et un kinésithérapeute. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas la panacée. Concernant les soins psychologiques, il faut que le détenu soit volontaire. Une des conséquences du transfert de compétence est que la pénitentiaire et le milieu médical sont deux familles qui ne peuvent pas se voir : J’ai été mobilisé pour effectuer la fouille d’un centre de détention. Tout l’établissement devait être passé au crible donc le S.M.P.R aussi, puisque les détenus y ont accès. La pantomime et les gerbes d’étincelles entre le responsable médical et le gradé de la pénitentiaire lors de notre arrivée, le premier criant à la violation de domicile car l’hôpital selon lui n’est pas la prison et le second de prétendre que l’hôpital étant dans la prison, il en fait partie et doit être fouillé. Il a fallu toute la diplomatie du psychiatre et une dose de bonne volonté de la hiérarchie pénitentiaire pour aboutir à ce que l’un fasse semblant d’autoriser l’autre à faire semblant de fouiller. Le personnel soignant dit qu’il se place dans une logique de soins et que le personnel de surveillance se place dans une logique sécuritaire, comme si l’un et l’autre étaient incompatibles. C’est entre autres pour cette raison que les services soignant et pénitentiaire ne fraternisent pas. Par ailleurs, le personnel de surveillance ancré dans ses vieilles idées héritées du temps des supplices conserve dans ses modes de fonctionnement la notion de souffrance qui doit, selon lui accompagner l’incarcération, comme si le fait d’être enfermé ne suffisait pas. Lorsqu’un quelconque service peut apporter un soulagement au détenu cela dérange. Le personnel de surveillance estime également qu’il est fait beaucoup de cas de la souffrance morale des détenus et peu de cas de la sienne qui pourtant est bien réelle. Profitons pour souligner que la profession se porte très mal même si personne ne s’en soucie [13]. L’ouverture prochaine des U.H.S.I (Unités Hospitalières Sécurisées Interrégionales) permettra de mieux s’occuper des cas d’hospitalisations de détenus avant l’ouverture des U.H.S.A (Unités Hospitalières Spécialement Aménagées) destinées aux détenus présentant des troubles psychiatriques . Souffrance de l’épreuve et preuve de la souffrance Ce qui est étonnant et qui perdure aujourd’hui dans la pénitentiaire, c’est l’éternel besoin d’une certaine souffrance dans la peine : le condamné doit souffrir. Sans doute en raison de son histoire, la pénitentiaire demeure noyée dans ses archaïsmes comme le souligne Monsieur Philippe Seguin, Premier Président de la Cour des Comptes. Le plus étrange est que c’est en Maison d’Arrêt qu’on fait souffrir le plus alors que les trois quarts de la population pénale sont des prévenus, c’est à dire qu’ils ne sont pas jugés. Les criminels jugés et placés en Centre de Détention ou en Centrale bénéficient paradoxalement d’un traitement plus souple. C’est vrai qu’ils y entrent avec une certaine expérience de la prison et qu’ils y resteront pour longtemps. Il s’instaure alors une sorte de consensus entre le détenu et le surveillant : tant qu’à vivre ensemble quelques années faisons en sorte que cela se passe le mieux possible. C’est vrai également qu’il ne s’agit pas non plus du même public pourtant mélangé en Maison d’Arrêt. Mais il demeure néanmoins bizarre que les prévenus en Maison d’Arrêt, non encore condamnés, soient traités plus durement et surtout moins humainement que les condamnés en Centre de Détention. Le détenu doit souffrir, c’est un postulat et ce fond suppliciant perdure dans l’exécution de la peine. L’opinion supporte mal par exemple que les détenus puissent bénéficier de plus de confort que certaines familles pauvres n’ayant fait de mal à personne. La mentalité qui perdure est que lorsque l’on est incarcéré, on est là pour payer, payer le mal que l’on a fait, même si l’on n’est pas encore condamné. De toute façon, le fait d’être emprisonné à titre préventif équivaut à une condamnation. A l’intérieur de la prison, vous serez traité comme un condamné même si vous clamez votre innocence à longueur de journée. A l’extérieur, les gens diront qu’il n’y a pas de fumée sans feu et le passé de la personne incarcérée se trouvera soudain entaché de mille défauts. La condamnation reste une honte qui suscite le rejet de l’opinion. Si au cours de l’évolution historique, on observe une atténuation de la sévérité pénale, ce que veut dire Foucault, c’est qu’on ne torture plus sur la place publique en infligeant des tas de supplices des plus sadiques. Mais la souffrance, le manque de respect et d’humanité sont encore aujourd’hui le quotidien de la pénitentiaire. Le parcours carcéral est un parcours de déchéance. A la sortie, la preuve que l’on a souffert doit valider la fin de la souffrance de l’épreuve. L’âme du criminel Dans l’évolution de la justice, on observe un changement d’objectif : Ce n’est plus le corps qui est visé mais l’âme. Par delà le crime ou le délit, on juge des passions, ses perversions, des pulsions, des désirs et même si ce ne sont pas eux qui sont directement jugés, mais les faits qu’ils ont entraînés, ils restent dans l’ombre derrière la cause. D’un côté, on peut souligner que dans un tribunal, on ne doit pas juger quelqu’un mais le comportement de quelqu’un, à savoir des faits commis punissables par un code. D’un autre côté, il nous faut admettre qu’il est difficile de dissocier les faits commis par la personne, des causes qui ont amené la personne à les commettre. Ces causes seront, le cas échéant, circonstances atténuantes ou aggravantes, mais seront prises en compte et de fait, on se met à juger l’âme des criminels. Il ne s’agit plus simplement de savoir qui est l’auteur du crime mais comment assigner le processus de la cause du crime, où en est, dans l’auteur lui même, l’origine : inconscient, instinct, milieu, hérédité ? Quelle mesure prendre, oui, mais aussi prévoir l’évolution du sujet, de quelle manière sera-t-il le mieux corrigé ? Dans ce cadre est introduit la notion de responsabilité en faisant appel aux experts psychiatres et psychologues, concernant l’état mental du sujet. Le pouvoir de juger se trouve partagé même si le juge reste souverain. J’ai pour ma part participé à des Commissions d’Application des Peines (C.A.P). Si le Juge d’Application des Peines (J.A.P) n’omet jamais de consulter l’avis de tous les services, c’est lui qui, au bout du compte reste maître de sa décision. La justice moderne se charge d’éléments extra-juridiques, non pas pour les qualifier juridiquement et s’en servir pour punir, mais au contraire pour les faire fonctionner à l’intérieur du processus pénal comme éléments non juridiques, ainsi le processus n’est plus simplement une opération légale et le juge se disculpe d’être celui qui châtie. On prononce un verdict, amené par un crime mais en introduisant le discours scientifique, on ne punit pas, on cherche à guérir. Un savoir et des discours à caractère scientifique s’entrelacent avec la pratique du pouvoir de punir et Foucault établit une corrélation entre l’âme moderne et un nouveau pouvoir de juger. Il centre son étude selon quatre règles : - 1° Prendre la punition comme une fonction sociale complexe. Ne pas voir les mécanismes punitifs sous leur seul aspect répressif mais aussi considérer les effets positifs qu’ils peuvent induire même s’ils sont infimes.
Justice de l’Etat … La Justice et l’Etat constituent un mécanisme d’assujettissement et l’on constate, d’une part que la prison veut retirer au détenu sa singularité en le plaçant comme objet d’étude, et d’autre part, que le pouvoir peut asseoir sa souveraineté, par le biais des sciences humaines et des processus d’individualisation. Historiquement, le supplice est un rituel politique par lequel le pouvoir se manifeste. La loi émane du souverain, donc violer la loi c’est s’en prendre au souverain. Dans le châtiment, la force physico-politique du souverain est présente. Le supplice a une fonction juridico-politique. Il est un cérémonial qui reconstitue la souveraineté blessée. Il doit y avoir, dans la peine, une affirmation du pouvoir et de sa supériorité. En plus de la réparation du préjudice, la peine doit avoir une valeur exemplaire. Cette mentalité perdure encore aujourd’hui dans l’opinion publique et dans l’administration judiciaire. On veut que l’incarcération soit dissuasive. Le carcéral s’inscrit comme une technique de coercition des individus. On veut les amener à respecter la loi. Les procédés s’articulent dans une logique de dressage du corps. …ou Etat de la Justice ? Le fonctionnement systématisé de la Justice fait que la détention provisoire est la règle de base. Alors que théoriquement la présomption d’innocence devrait prévaloir. Le système fonctionne généralement ainsi : on enferme d’abord l’individu ce qui permet au magistrat d’éradiquer le facteur humain, à savoir re-matérialiser, dans un deuxième temps, l’individu sous forme de dossier, fameux dossier qui, selon les propos du Juge d’Instruction Eric Halfen [14], doit passer sur le bureau de la pile de gauche à la pile de droite signifiant qu’il a été traité, enfin, dans un troisième temps, l’affaire est jugée. C’est cette confrontation de l’homme et du papier qui aboutira à la sentence. L’évincement de l’humain au profit du papier est ressenti par nombre de justiciables comme un manque d’humanité dans le déroulement des procédures judiciaires, n’être qu’un dossier parmi d’autres dossiers. La condamnation n’en est que plus mal acceptée. Les magistrats apparaissent comme de véritables machines à châtier, automatisées, s’abritant derrière un code et une foule de facteurs extra-juridiques en guise de paravent humanitaire. Le magistrat paraît agir comme un P.C. dont le greffier serait l’imprimante. Certains prévenus qui demandent à consulter leur dossier voient arriver un carton de plus de mille cinq cents feuilles, ce qui est absurde. On peut également être choqué du déroulement quasi robotisé d’une séance de conciliation dans le cadre d’un divorce. La mécanique est la suivante : on peut divorcer par consentement mutuel, aux torts partagés ou pour fautes. Si l’un des deux partenaires refuse le divorce, l’autre peut l’attaquer pour des fautes qu’il n’a pas commises. Cela vous mène devant le Juge des affaires familiales qui, faute de conciliation, chassera le partenaire récalcitrant de son foyer. Une fois exclu de son domicile, on lui conseille un retour à une procédure aux torts partagés qui permet de résoudre l’affaire sans s’enfermer dans des procédures juridiques à n’en plus finir. Les avocats connaissent tout cela parfaitement. La mécanique est parfaitement rodée, systématisée, bien huilée. Le divorce est à l’avocat ce que la carie est au dentiste et peu importent les sentiments, les familles qu’on déchire, l’essentiel est que le dossier soit passé de la pile de gauche à la pile de droite et que l’on puisse passer au dossier suivant. Errare Humanum Est… Dans le même registre on ne peut s’empêcher de citer l’affaire d’Outreau qui restera pour longtemps une référence en termes d’erreur judiciaire. Elle est intéressante dans la recherche qui nous occupe puisque c’est la pénitentiaire qui gère la détention provisoire. Le journal La dépêche du midi du jeudi 19 janvier 2006 titrait à la manière de Zola « Ils accusent ! », parlant des acquittés de l’affaire de pédophilie d’Outreau qui témoignaient devant la commission parlementaire. Ils dénonçaient un fiasco judiciaire et accablaient le juge Burgaud qui les avait fait enfermer. Or la détention provisoire dans un cas de violences sexuelles sur mineurs est logique pour protéger les enfants. Malheureusement, dans le cas présent, les accusations étaient fausses. Curieusement, dans le même journal page sept, rubrique faits divers, on peut lire « Nicolas, mort à 9 ans à force de raclées », un article sur le martyre d’un enfant maltraité. Cela a duré plusieurs semaines durant l’été 2003 dans un appartement ; peut-être qu’une dénonciation aurait pu sauver l’enfant. Finalement toute la difficulté de la détention provisoire se trouve exposée dans ce journal : en première page des innocents incarcérés suite à de fausses accusations, page sept des tortionnaires en liberté qui assassinent un enfant. En justice, le risque d’erreur est double : enfermer un innocent ou laisser courir un coupable. Détention provisoire, contradiction non contradictoire En principe, la détention provisoire ne peut être ordonnée que si elle constitue l’unique moyen de conserver des preuves ou des indices matériels, d’empêcher des pressions sur des victimes ou des témoins ou des concertations entre complices, de protéger la personne mise en examen ou de la maintenir à disposition de la justice, de mettre fin à l’infraction ou d’éviter son renouvellement, de mettre fin à un trouble de l’ordre public. Pour ces deux derniers motifs, la commission sénatoriale d’enquête sur les prisons en juillet 2000 note les contradictions de la loi : concernant la fin de l’infraction ou l’empêchement de son renouvellement, concernant également le trouble à l’ordre public, si le juge d’instruction place quelqu’un en détention provisoire c’est qu’il estime l’infraction réelle. Or le but de l’instruction est d’établir s’il y a infraction ou pas. Il y a donc contradiction entre les termes de la loi et le rôle du juge d’instruction. Malgré cela la détention provisoire reste la règle et elle peut durer plusieurs années même si les textes prévoient qu’ « elle ne doit pas dépasser un délai raisonnable… » Incarcération : Anxiété et Angoisse L’anxiété peut présenter plusieurs visages. Elle peut se manifester par des ruminations chroniques, dures à chasser de son esprit. Concernant l’angoisse, les causes en sont parfois mécaniques : chacun de nous peut se sentir mal à l’aise et oppressé dans des lieux surpeuplés, surchauffés, fermés. Cela est sans doute dû à l’augmentation du taux de gaz carbonique dans l’air que l’on inspire, ce qui déclenche dans notre cerveau une réaction d’alarme physiologique inconsciente (des récepteurs cérébraux évaluent, à tort, que nous risquons l’asphyxie). Ce type de sensations de malaise est assez fréquent dans les grands magasins pendant les soldes, lors de concerts, de soirées, dans le métro aux heures de pointe. Paradoxalement, chez certains citadins, c’est parfois le silence et la solitude (par exemple, à la campagne) qui peuvent déclencher de l’angoisse. Probablement parce que les petits soucis de la vie urbaine (bruits, agitation, activités multiples) leur permettent de ne pas penser à leurs véritables angoisses… Il peut aussi exister des causes métaphysiques aux crises d’angoisse : de nombreux penseurs, mystiques et philosophes ont décrit leurs vertiges existentiels face à la mort, à la notion d’infini… Pascal, dans ses Pensées, écrivait par exemple : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. » Enfin, les crises d’angoisse sont souvent facilitées par un état physique particulier de l’organisme : stress prolongé, fatigue, privation de sommeil, consommation excessive de café ou de drogues. Tous ces facteurs facilitent la survenue de crises d’angoisse, surtout chez les sujets prédisposés. Si vous voulez expérimenter ce que peut-être une attaque de panique, mélangez volontairement tous ces ingrédients : à une période où vous êtes stressé, buvez beaucoup de café, passez une nuit blanche. A ce moment, rappelez-vous que vous êtes mortel et que la vie est fragile, demandez-vous si votre cœur ne bat pas un peu bizarrement (comme s’il allait s’arrêter) ou si ce léger vertige que vous ressentez ne peut pas dégénérer en syncope. Des crises d’angoisse isolées peuvent arriver à tout le monde mais si elles se répètent, il y a problème. Le LA : L comme Liberté, A comme Angoisse L’enfermement génère l’angoisse définie comme un affect de déplaisir plus ou moins intense, qui se manifeste à la place d’un sentiment inconscient chez un sujet dans l’attente de quelque chose qu’il ne peut nommer. L’angoisse se traduit par des sensations physiques. Beaucoup de détenus évoquent un sentiment d’oppression et de gêne respiratoire. En plus des phénomènes physiques, elle est souvent accompagnée d’une douleur psychique. L’angoisse a été repérée par Freud dans ses premiers écrits théoriques comme étant la cause des troubles névrotiques. Freud attribue l’angoisse de ses névrosés en grande partie à la sexualité. Mais en s’intéressant à la façon dont naît l’angoisse, il avance que celle-ci provient d’une transformation de tension accumulée, cette tension pouvant être de nature physique ou psychique. Pour lui, c’est une conversion de l’angoisse qui produit l’hystérie ou la névrose d’angoisse. Dans l’hystérie, c’est une excitation psychique qui emprunte une voie conduisant à des réactions somatiques. Dans la névrose d’angoisse, c’est une tension physique, qui ne peut se décharger psychiquement, qui serait en œuvre. Cette approche par une origine physique pourrait expliquer le comportement de passage à l’acte des détenus qui détruisent tout dans leur cellule ou s’automutilent, comme pour évacuer physiquement un trop plein d’énergie qui se transforme en une angoisse devenue insupportable. Dans un premier temps, Freud considère l’angoisse comme une réaction générale du Moi soumis au déplaisir mais il revient sur cette conception en soulignant ces deux limites : faire entre l’angoisse et la libido sexuelle une relation particulièrement intime, et d’autre part, considérer le Moi comme seul et unique lieu de l’angoisse. Il reconsidère ses positions à partir des travaux d’O. Rank, qui considère le traumatisme de la naissance comme angoisse originelle. Freud remonte de la réaction d’angoisse à la situation de danger, dont la naissance reste le prototype. Il donne alors à l’angoisse deux sources différentes : l’une involontaire, automatique, inconsciente qui s’explique lorsque se présente une situation de danger assimilable à la naissance et qui met en péril la vie même du sujet ; l’autre volontaire, consciente, qui serait produite par le Moi lorsqu’une situation de danger réel le menace. L’angoisse aurait alors fonction d’agir pour éviter le danger. Freud aboutit à une nouvelle définition de l’angoisse dont il distingue deux niveaux.
Lacan, dans son séminaire X, essaie après Freud d’élaborer une conception aussi précise que possible de l’angoisse. Pour lui, il ne s’agit pas de la décrire ou de la comprendre, mais de la repérer dans sa position structurale et dans ses éléments signifiants. Il reprend la définition de Freud en disant que l’angoisse est un affect dont la position à minima est d’être un signal. Pour Lacan, l’angoisse n’est pas la manifestation d’un danger interne ou externe, mais c’est l’affect qui saisit un sujet quand il est confronté au désir de l’autre. Cet objet manquant est spécifiquement concerné dans l’angoisse, Lacan le qualifie de support puis de cause du désir et le nomme objet a. « Cet objet a », dit Lacan, « c’est l’objet sans lequel il n’est pas d’angoisse. C’est le roc de la castration dont parle Freud, réserve dernière et irréductible de la libido. C’est de lui dont il s’agit partout où Freud parle de l’objet quand il s’agit de l’angoisse. » [15] Pour Lacan, ce qui constitue l’angoisse, c’est quand quelque chose vient apparaître à la place qu’occupe l’objet cause du désir. L’angoisse est toujours suscitée par cet objet qui est ce qui dit « je » dans l’inconscient et qui tente de s’exprimer par le biais d’un besoin, d’une demande ou d’un désir. Pour qu’un sujet puisse être désirant, dit Lacan, il faut qu’un objet cause de son désir puisse lui manquer. Que cet objet a vienne à ne pas manquer et nous nous trouvons précipité comme sujet dans l’inquiétante étrangeté (umheimliche) et c’est alors que surgit l’angoisse. Qu’est ce que l’Unheimliche, ou inquiétante étrangeté, a à faire avec l’angoisse ? Au plan descriptif, on peut dire que l’Unheimliche appartient à l’effrayant, à ce qui excite l’angoisse et l’épouvante. Un des effets de l’inquiétant est donc bien de susciter l’angoisse mais aussi de l’effrayant et de l’épouvante. Le non-familier fait résonance à l’inconnu propre à générer l’angoisse. Selon Lacan, il y a toujours une structure de l’angoisse. Elle se manifeste sur une scène où, comme dans le fantasme, vient s’inscrire le louche, l’inquiétant, l’innommable. Ainsi l’angoisse n’est pas le signal d’un manque mais la manifestation pour un sujet d’un défaut de cet appui indispensable qu’est pour lui le manque. En effet, ce qui engendre l’angoisse de la perte du sein pour un nourrisson, ce n’est pas que ce sein puisse venir à lui manquer, mais c’est qu’il l’envahisse par sa toute présence. C’est la possibilité de son absence qui préserve pour l’enfant un au-delà de sa demande, constituant ainsi un champ du désir radicalement séparé de celui du besoin. Toute réponse qui se veut comblante ne peut, pour Lacan, qu’entraîner le surgissement de l’angoisse. Lacan rend compte de l’angoisse en usant de trois points de repère :
La souffrance carcérale Qu’il s’agisse d’un manque d’objet, d’une séparation selon Freud, ou de l’objet a, cause du désir, remplacé par un autre objet selon Lacan, l’angoisse se présente. La liberté d’aller et venir, droit public fondamental, est un véritable moteur de la vie. La supprimer, c’est donc porter atteinte à la vie. Tout individu aspire à la liberté et l’indépendance. La punition qu’a choisie la justice, à savoir l’incarcération, atteint donc l’être humain au plus profond de lui même. L’univers carcéral fait confronter le sujet à l’Unheimliche, ou inquiétante étrangeté. En ayant pour accueil une mise à nu et ensuite un enfermement à deux dans neuf mètres carrés, avec l’obligation de demander l’autorisation quoi que vous désiriez faire, il y a de quoi sérieusement ébranler le sujet. La plupart des détenus confient qu’ils ont le sentiment de ne plus exister. On peut s’interroger quant à savoir si l’incarcération n’amène pas le détenu à craindre d’être totalement envahi par elle (à l’image du sein chez le nourrisson) et , en conséquence , supprimer au fond de lui même , son désir de sortir et de recouvrer la liberté. Dans ce cas, le carcéral remplacerait l’objet a et le sujet, ainsi envahi perdrait le désir de liberté. Le détenu s’interroge alors : Qui suis-je ? Que dois-je faire ? Qu’est-ce qu’on attend de moi ? Il perd son identité, sa personnalité, sa singularité, d’où l’angoisse mais aussi méfiance, paranoïa et agressivité. Il se fait, selon son expression, « casser » par le système mis au point par la pénitentiaire pour mater les récalcitrants et obtenir ce que Foucault nomme les corps dociles [17]. Pour conserver sa dignité, le détenu doit lutter contre les affres de l’angoisse mais ceci suppose une réserve d’énergie importante car l’angoisse est perfide. Elle est définie comme un sentiment pénible d’attente, une peur sans objet, la crainte d’un objet imprécis. Ces caractéristiques la distinguent de la peur, émotion analogue, mais liée à un danger objectif et réel. La peur apparaît comme un sentiment compréhensible pour un tiers, alors que l’angoisse apparaît illogique, irrationnelle ou disproportionnée. Elle prend des formes qui appartiennent au registre de la représentation, de la sensation, du comportement et des manifestations somatiques. Quand s’installe l’angoisse [18] Les manifestations subjectives de l’angoisse consistent en l’apparition soudaine d’une intense inquiétude avec le sentiment d’une menace grave et la perception de modifications somatiques, génératrices elle même d’angoisse. Lors de l’accès aigu, l’impression de perdre tout moyen de contrôle peut se traduire par un sentiment de mort imminente, de perte de la raison, de déréalisation et dépersonnalisation. La phobie est une crainte déclenchée par un objet, une situation ou une personne, n’ayant pas par eux mêmes une dangerosité potentielle. Le sujet qui tente d’éviter la confrontation admet que sa crainte est pathologique et disproportionnée. L’évitement phobique est un mouvement qui vise à échapper à l’objet phobogène, par le biais d’un autre objet contra-phobique. « Réinsertion mon cul ! » Dit Zazie Oui, nous pouvons citer Queneau, car l’univers carcéral est absolument surréaliste ou pour le moins, au delà du réel, ce qui ne serait pas pour déplaire à Lacan, ni même à Freud. Car enfin, en prison, nous sommes face à un système qui se veut rééducatif en fabriquant ou ré-fabriquant de l’exclusion et de la délinquance. L’incompétence des politiques à résoudre le problème de l’emploi signe le désaveu d’une politique de réinsertion basée sur l’emploi. Il n’y a déjà pas de travail pour les gens sans casier, imaginez dès lors quand vous en traînez un. Je sais par expérience que le simple fait d’évoquer un problème carcéral fait fuir le meilleur des employeurs. S’il existait des solutions au problème de l’emploi, il y a longtemps que cela se saurait. Dans l’administration pénitentiaire, tout le monde a conscience du non sens et de l’anachronisme de la politique carcérale menée. Pour tout dire, il n’existe pas de politique carcérale. Au ministère de la justice, aucune des différentes branches ministérielles ne communiquent entre-elles, et au sein même de la maison d’arrêt, aucun des différents services ne communique avec les autres. Comment dans ses conditions faire fonctionner un service public basé sur le relationnel, car enfin et une fois pour toutes, le détenu est un humain et non pas un dossier ! Lorsque l’on sait qu’à l’université de Paris VIII, en cours de maîtrise de ressources humaines, on cite le ministère de la justice comme référence de dysfonctionnement en matière de communication, c’est un comble. Art-thérapie, une voie possible L’art-thérapie et l’ergothérapie mises en place dans les hôpitaux psychiatriques mais aussi dans les prisons, sont basées sur le volontariat. Elles ouvrent des voies intéressantes, mais sont aujourd’hui développées dans le but d’une occupation du temps plus que dans le cadre d’une sortie ou d’une réinsertion. On peut toutefois noter que la participation à ces ateliers permet aux détenus de parer à au moins deux fléaux récurrents de la prison : l’ennui et le besoin de parler. Musicothérapie et prison Approche clinique La musicothérapie L’Association Française de Musicothérapie [20], définit la musicothérapie comme « une forme de psychothérapie qui utilise le son et la musique sous toutes ses formes comme moyen d’expression, de communication, de structuration et d’analyse de la relation ». La musique en elle-même n’a jamais soigné personne ! La musicothérapie ne consiste pas en l’utilisation de supposés pouvoirs qu’exercerait la musique sur l’être humain. La définition d’Edith Lecourt est parlante à cet égard. C’est le patient qui est au centre, l’acteur principal, le sujet de sa thérapie. Et l’utilisation de la musique sera un moyen pour lui , et dans la relation thérapeutique qu’il établit avec le thérapeute , de s’ouvrir à une plus grande expressivité , ou à une meilleure communication avec l’entourage , de développer ses potentialités créatrices , d’analyser , au travers de ses liens intimes avec la musique ( ce que le musicothérapeute appelle le "vécu sonore et Edith Lecourt est Secrétaire Générale de l’Association Française de Musicothérapie. Musical ») son propre rapport à lui-même, au corps, aux affects, au langage, aux autres, au monde. Ainsi , lorsque le musicothérapeute propose à son patient d’écouter un extrait de musique , d’exprimer ce qu’il ressent , ou encore d’utiliser un instrument de musique , ou sa voix , il ne se pose pas tant la question de savoir « ce que la musique lui fait », mais plutôt « ce que le patient fait de la musique qui lui est donné à entendre, ou à produire ». La pratique de la musicothérapie
La liste serait long, et il conviendrait d’ajouter le travail possible avec des groupes familiaux dans le cadre de musicothérapie familiale, mais aussi la prise en charge des troubles psychologiques secondaires à des maladies somatiques (cancers, maladies de longue durée, invalidantes, ...) Le musicothérapeute Le musicothérapeute est un soignant. Il a suivi une formation à la musicothérapie, à l’Université ou dans un centre privé. Il est tenu au secret professionnel. Le musicothérapeute est appelé à travailler tant avec des adultes que des enfants , ou des personnes âgées , il est le plus souvent associé à une équipe pluridisciplinaire , et se doit de ne pas rester isolé : il soumet sa pratique à une supervision , rencontre d’autres professionnels , participe à des travaux de recherche clinique. Les musicothérapeutes regroupés au sein de la Fédération Française de Musicothérapie ont signé un Code de Déontologie, précisant le cadre professionnel, éthique et déontologique de leur exercice. C’est une garantie de sérieux et de professionnalisme vis à vis des patients. Musique et médecine Il existe une liaison étroite entre la musique et la médecine. Tellement étroite, qu’aux débuts de l’humanité musique et médecine ne faisaient qu’une. L’origine commune de la musique et de la médecine est l’incantation magique qui est à la fois le prototype de l’art musical et le premier geste de l’art de guérir. Cette incantation traduit l’angoisse de l’homme primitif devant l’hostilité de la nature. A partir de cette origine commune, musique et médecine auront une évolution parallèle. En s’inspirant des travaux de L.Bence et M.Mereaux [21], on peut distinguer un cheminement en trois étapes, l’époque du magicien-médecin, l’époque du prêtre-médecin, l’époque d’Hippocrate à nos jours. On retrouve dans toutes les religions antiques une notion fondamentale : la médecine et la musique sont d’origine divine. On passe de l’incantation au chant de louange qui s’adresse à un dieu protecteur. Avec les chinois, apparaît un troisième élément : la magie des nombres qui influencera la médecine et la musique. C’est ainsi que la doctrine des cinq éléments ( terre , feu , eau , bois , métal ) qui est la base de la médecine énergétique chinoise , est contemporaine de la « personnification » des cinq notes fondamentales de la gamme (fa-do-sol-ré-la) car chacune des notes prend dans la gamme un nom qui indique sa fonction , par exemple , la première, fa , se dit Hong et correspond au palais. Avant la médecine hippocratique, la transition est assurée par les prêtres assyriens qui introduisent les notions d’interrogatoire, d’observation des symptômes, de diagnostic et de pronostic. Mais on pratique beaucoup l’observation des astres et l’explication et l’explication des songes. Le chant religieux demeure le facteur qui domine la thérapeutique. Une autre idée prédominante est celle de la pureté de la vie, créatrice d’hygiène individuelle et collective qui aura une influence énorme sur les systèmes médicaux de l’orient. Au moyen âge, dès le cinquième siècle, ce sont les moines qui sont dépositaires de la science musicale et de la musique. Musique et thérapie L’historique précédent a pour but de montrer les liens qui unissent la musique et le fait de soigner. Mais on se doit de rester circonspect. Entre le chirurgien qui se sent plus à l’aise pour opérer avec un fond de musique douce, et soigner une carie dentaire en posant le diapason sur la dent malade, il y a une marge. En tant que musicien, je sais que la musique m’apporte l’essentiel. Quand vous écrivez une nouvelle chanson, vous en êtes fier, c’est votre bébé. Les paroles, la musique, les arrangements, génial ! Au moment de l’enregistrement, quand vous l’aurez entendu cent fois sur la même journée et que, pour x raisons il aura fallu recommencer vingt fois le même passage, vous quittez le studio avec le morceau qui vous sort par le nez et l’envie de déchiffrer une partition de silences. Bien sûr cela ne dure pas. Finalement, le créateur oscille dans le Ying et Yang : il souffre dans son bonheur et est heureux dans son malheur. On peut se détendre sur un morceau de musique mais ce moment de détente ne se vivra pas sur n’importe quel morceau. Chacun d’entre nous a sa musique privilégiée qu’il écoutera dans un moment bien précis. La musique, procure le rêve, l’évasion, un ailleurs possible l’espace d’un enregistrement. L’homme ne peut pas, si ce n’est difficilement, et c’est bien sûr le cas en prison, vivre seul, supporter le silence. Le risque est trop grand. Concernant les émissions de télévision, les plus grands indices d’audience portent sur les émissions de variétés, même si les chanteuses et chanteurs à la mode serinent sur des mélodies et des rythmes répétitifs, des paroles de circonstance, chantant le vide affectif de notre époque, permettant deux doigts d’illusion. Les baladeurs et internet renforcent nos possibilités de fugue dans l’ambivalence rêve - réalité. Thérapie et musique Lorsque ce « guérisseur », intermédiaire entre le malade et la maladie utilise la musique comme moyen, nous nous trouvons en présence de la relation inverse, c’est à dire la thérapie et musique. La thérapie devient privilégiée. Il existe une demande de soins formulée au thérapeute dans le cadre, ou non, d’une institution. Prise de conscience personnelle ou de l’entourage, il n’est plus possible au sujet de vivre avec son mal. Nous nous trouvons alors devant un être humain qui souffre et qui a besoin d’aide. Aux bons soins de la musique Comment réaliser, évaluer, contrôler cette thérapeutique, face à la souffrance, à la possibilité ou l’impossibilité de vivre avec elle, et à l’angoisse qu’elle génère ?
La musicothérapie est liée aux composantes de la musique dans plusieurs directions : psychologiques, analytiques, comportementales, éducatives, rééducatives. La musique, par l’intégration des phénomènes vibratoires sonores de la structuration du temps, de l’espace peut en elle-même être thérapeutique. Véhicule de l’image, elle donne libre cours au développement de l’imaginaire ; recevant le souvenir, elle laisse passer le signifiant. Les différents éléments composant la musique permettent de justifier l’élaboration d’une démarche musicothérapique. On est alors confronté aux composantes du langage musical, notamment en musicothérapie réceptive :
La séance de musicothérapie doit tenir compte de tous ces paramètres. Dans le cas où apparaît une créativité, tout devient plus complexe, tant la place que chacun attribue à l’autre est sujette à une remise en cause permanente, notamment dans un groupe. L’identification au musicothérapeute, la répétition, l’imitation poseront de nombreuses difficultés dans la négociation du passage d’une stéréotypie à une authentique expression sonore. Le créateur sonore, actif ou réceptif, se situe dans un espace temps et dans une structure, la musique devenant ainsi un langage patio-temporalisé à écouter. Elle est souvent révélatrice d’images, de souvenirs, d’affects, inducteurs ou provocateurs du réel, du symbolique et de l’imaginaire. Bégaiement et musicothérapie R.Vallée [23] propose une approche musicothérapeutique des troubles du langage chez l’adolescent, notamment le problème du bégaiement. Selon lui, la musicothérapie permet d’aborder la connaissance de soi, de son corps, et de son rapport à l’autre, à l’environnement. Le bégaiement constitue un handicap important. Mais que signifie bégayer ? Freud et le sonore La prise de contact avec l’univers sonore s’effectue pour l’être humain par un cri, un cri de douleur, une joie pour les parents, un traumatisme pour le bébé qui passe du milieu utérin aquatique au milieu aérien de l’environnement terrestre. Bien sûr, le bébé perçoit des sons à l’intérieur du ventre, mais là il s’agit de son propre son porté par l’air jusqu’à ses tympans. Pour Freud, la naissance constitue le trauma originel, aussi, chaque fois que nous souffrons et que nous crions, nous reproduisons le cri originel, nous répétant ainsi que vivre c’est aussi souffrir. La musique comme l’expression lisible d’une société Dans les débuts de l’humanité, le musicien est à la fois chaman et médecin, la multiplicité de ses fonctions lui donne, dès l’origine, le pouvoir et le savoir de faire évoluer, de transformer la maladie en guérison et donc le pouvoir sur la vie. Le musicien, par son savoir et son pouvoir a une action sur le quotidien et sert en quelque sorte de garant pour l’avenir. Il n’est pas surprenant alors d’observer que, selon les sociétés, le musicien est valorisé ou exclu à cause des pouvoirs qui lui sont attribués dans l’exercice de ses fonctions. Ainsi , l’islam interdit à un croyant de manger à la même table qu’un musicien , alors que les religions antiques produisaient des castes de musiciens-prêtres leur donnant des pouvoirs surnaturels et civilisateurs. Ceci montre que les sociétés, à travers leurs membres, contrôlent la musique supposée canaliser implicitement ou explicitement la violence sociale. De même, la musique est rejeté, c’est à dire non valorisée, quand le musicien est d’une souche inférieure, tel le jongleur au moyen-âge, mais ce dernier apporte par son itinérance, une circulation de l’information et peut devenir l’objet de propagande politique, de sorte que même rejetée, la musique peut être achetée.
Musicothérapie et Psychanalyse Les deux caractéristiques essentielles des pratiques psychanalytiques sont l’importance donnée aux processus inconscients, d’une part, et à l’analyse de la relation thérapeutique (transfert et contre-transfert), d’autre part. La place de la musicothérapie ici peut paraître paradoxale. En effet, la psychanalyse se fonde sur le discours verbal, tandis que l’approche musico-thérapeutique se situe pour partie dans le registre non-verbal. Néanmoins, deux arguments peuvent être avancés : - La découverte de l’inconscient a amené un certain nombre de psychanalystes, et Freud le premier, à s’interroger sur les œuvres d’art dont la musique fait partie. Le concept de sublimation a été proposé par Freud pour rendre compte de cette utilisation particulière des ressources pulsionnelles et de la fonction économique, dans la psyché, de cette activité créatrice.
En dirigeant l’utilisation thérapeutique de la musique vers une musicothérapie de tendance analytique, le musicothérapeute se pose en situation d’écoute face à l’expression verbale du patient face à la musique, dans sa réceptivité présente. La mise en évidence de productions imaginaires , l’association d’œuvres musicales donnent au patient et au thérapeute la possibilité d’aller chercher ce que la démarche psychanalytique freudienne appelle amener à la conscience du malade le psychique refoulé en lui. Sublimation : sexe sur partition La sublimation est un processus psychique inconscient qui rend compte de l’aptitude de la pulsion sexuelle à remplacer un objet sexuel par un objet non-sexuel , connoté de certaines valeurs et idéaux sociaux , et à échanger son but sexuel initial contre un autre but , non sexuel , sans perdre en intensité. Le processus de sublimation ainsi défini fait valoir l’origine sexuelle d’un ensemble d’activités, scientifiques, culturelles et de réalisations D’œuvres d’art, de poésie, de musique, qui paraissent sans rapport avec l’activité sexuelle. Par là s’explique comment la sublimation toujours plus poussée d’éléments pulsionnels permet l’accomplissement des plus grandes œuvres culturelles. Le but de la pulsion, c’est la satisfaction. La capacité de sublimation, qui implique le changement d’objet, permet donc le passage à une satisfaction autre que la satisfaction sexuelle. Freud écrit dans L’introduction à la psychanalyse en 1917 : « La sublimation consiste en ce que la tendance sexuelle , ayant renoncé au plaisir partiel ou à celui que procure l’acte de procréation , l’a remplacé par un autre but présentant avec le premier , des rapports génétiques mais qui a cessé d’être sexuel pour devenir social » et Lacan , de reprendre cette articulation déclarant devant l’auditoire de son séminaire dans un style qui le caractérise : « Pour l’instant , je ne baise pas , je vous parle , eh bien je peux avoir exactement la même satisfaction que si je baisais ! » Création et projection Dans sa création, l’individu s’implique tant et si bien qu’une partie de lui même se retrouve dans l’œuvre. En prison, le détenu se retrouve seul en cellule, face à lui même et les faits délictueux qu’il a commis. L’administration pénitentiaire se veut à la fois punitive et redresseuse de torts. Le détenu se trouve confronté à une double problématique à savoir continuer à être en tentant d’oublier ce qu’il a été et tout cela dans neuf mètres carrés de solitude. La tâche n’est pas évidente. Confronté à son conflit intérieur, entre le Moi et le Surmoi par rapport à l’infraction à la loi, puis entre le Ça et le Moi par rapport à l’enfermement qui perturbe, voire empêche, la décharge des pulsions, la situation devient vite intolérable. L’énergie accumulée qui ne peut plus s’évacuer devient d’une telle intensité que le détenu, pour s’en libérer va la projeter sur le système qui l’a fait enfermer. De ce fait tout ce qui peut incarner la justice sera la cible des pulsions agressives du détenu pour qui cette projection est devenue un moyen de défense contre la souffrance carcérale. Projection : Sosie face à Mercure [27] La projection est une opération par laquelle un sujet situe dans le monde extérieur, mais sans les identifier comme tels, des désirs, croyant de ce fait à leur existence extérieure, objective, comme un aspect du monde. Dans un sens plus étroit, la projection constitue une opération par laquelle un sujet rejette dans le dehors et localise dans l’autre personne, une pulsion qu’il ne peut pas accepter pour sa personne, ce qui lui permet de la méconnaître en lui même. La projection est une réponse aux conflits et aux stress en attribuant à tort, à un autre ses propres sentiments, impulsions ou pensées inacceptables. Elle permet d’expulser de soi et de percevoir dans un autre ce que l’on refuse de reconnaître en soi même. Plus généralement, la projection peut concerner tout ce que notre esprit ressent comme douloureux ou déplaisant. Il existe deux formes de projection, l’une ou la pulsion n’est plus ressentie et l’autre où la pulsion est toujours ressentie : Dans le premier cas, la projection complète ou renforce un refoulement ou un déni. Une expérience psychique inacceptable ou désagréable (pensées, désirs, affects, impulsions) est réprimée ou déniée puis expulsée dans le monde extérieur, en l’attribuant à une autre personne, tout en désavouant ce qui est projeté : la pulsion n’est plus ressentie. La projection se rencontre typiquement dans le répertoire défensif des organisations névrotiques. On en remarque l’usage dans la vie quotidienne sous la forme de tendance à dénoncer chez les autres ce que la personne a tendance à nier en elle-même. Par exemple, un sujet refoule sa colère contre le thérapeute et craint que le thérapeute ne soit en colère contre lui. La jalousie injustifiée peut s’expliquer par la projection sur le partenaire du désir d’être infidèle qui lui est attribué. Dans le second cas, le sujet persiste à éprouver la pulsion projetée. Par exemple, la proposition « Je le hais » se transforme grâce à la projection en cette autre « Il me hait », ce qui justifie alors la haine que je lui porte, et fait apparaître sa propre haine comme une réaction légitime. Le sujet se débarrasse de sa culpabilité mais pas de sa haine qu’il continue à éprouver. Ceci correspondrait à un mécanisme de sécurité pour nous défendre contre les forces destructrices internes. Ces forces que nous craignons, nous les expulsons et les localisons à l’extérieur de nous en tant que choses mauvaises, puis, ayant localisé le danger à l’extérieur, nous procédons à une deuxième manœuvre projective qui consiste à décharger les pulsions agressives en nous sous une forme d’attaque contre ce danger extérieur. Du point de vue topique, la projection est un processus qui concerne le Moi en premier chef. En tant que mécanisme de défense, elle fournit à ce dernier une possibilité majeure de résoudre un conflit intrapsychique. Mais elle concerne le Moi pour une raison encore plus spécifique : le processus projectif se déroule autour d’un axe central formé par la perception, l’une des grandes fonctions du Moi. Rien d’étonnant que la régression se traduise par une chute du niveau de l’organisation perceptive. Du point de vue économique, la projection est régie par le principe de plaisir, c’est à dire par la nécessité de réduire une tension que provoque un contenu pulsionnel provenant du ÇA, et inacceptable pour le Moi. Cette formulation vaut pour toute activité défensive utilisant d’autres mécanismes que la projection. Cependant, le fonctionnement du principe de plaisir marque ici le retour au « Moi- plaisir » ainsi qu’à l’identification du dedans et du dehors, au « bon » et au « mauvais ». Du point de vue dynamique, il s’agit de montrer comment la projection est un mécanisme de défense destiné à mettre fin à un conflit intrapsychique. Il faut donc situer la projection par rapport aux types majeurs de conflits propres à la névrose et à la psychose. La musique comme objet transitionnel L’objet transitionnel est un objet matériel ayant une valeur élective pour le nourrisson et le jeune enfant, notamment au moment de l’endormissement (par exemple : un doudou, ou un coin de couverture). La nécessité d’un objet transitionnel apparaît dans l’enfance au moment ou une menace de rupture se fait sentir, c’est à dire au moment où l’enfant affronte l’épreuve de la réalité. Il y a alors besoin d’un champ intermédiaire entre la réalité interne et la réalité extérieure pour effectuer le passage. L’objet transitionnel sera une poupée, une ficelle, une bobine, un mouchoir, une tétine … ou une chanson. Les enfants chantonnent avant de savoir parler et le font souvent avant de s’endormir par sécurisation. Par la suite, le grand enfant puis l’adulte auront toujours besoin, plus ou moins inconsciemment, d’objets transitionnels, surtout aux périodes de risque de rupture. L’objet transitionnel permet une manipulation magique dans un but de défense contre l’angoisse. On peut définir l’objet transitionnel comme un instrument de communication, capable d’avoir une action thérapeutique sur le patient, au moyen de la relation privilégiée, sans libérer des états d’alarme intense. La musique répond parfaitement à cette définition et représente sans doute le meilleur de ces objets intermédiaires. La musique comme objet de projection Le compositeur exprime dans sa musique sa propre personnalité, ses propres sentiments. Il exprime aussi dans ses compositions ses préoccupations et ses problèmes, sans doute inconsciemment, et les alternances de tension et de détente qui rythment sa propre vie. La musique est pour lui un objet de projection. [28] Musique et métapsychologie [29] : Point de vue topique On peut considérer deux points de vue qui s’opposent entre conscient et inconscient :
La seconde topique permet de situer la place des instances psychiques dans le phénomène d’écoute musicale. Selon ce point de vue, la musique aurait partie liée avec le ÇA, en ce qu’elle serait une expression cathartique. Elle consisterait à faire revivre au patient un souvenir traumatisant pour le libérer d’un mal-être. Le Moi aurait pour fonction de maîtriser la menace liée au son ; quant à la reconnaissance et à l’acceptation des lois esthétiques, elles seraient du domaine du Surmoi. Dans cette conception, le Moi suis considéré comme organe de régulation et d’adaptation. La perception est une fonction de ce Moi. Les aptitudes musicales ne sont que les défenses du Moi spécifiques élaborées dans un but d’adaptation, et l’expérience musicale est une ré-expérimentation de stades archaïques de l’organisation du Moi. Trouver le moyen de garder un lien avec cette vie laissée à l’extérieur par des séances musicales peut aider à enrayer le processus d’anéantissement et lutter contre l’angoisse qui l’accompagne. Un travail individuel plus profond pourra, par la suite, être proposé à l’individu pour mieux se reconstruire. Musique et métapsychologie : Point de vue économique Il est tentant de recourir à la métaphore énergétique, en rapprochant énergie psychique et énergie musicale et en faisant correspondre au couple charge/décharge, la classique opposition tension/détente. La production sonore s’envisage comme une décharge de tension. La musique peut transformer l’énergie libidinale en énergie audible et inversement, l’audition musicale peut susciter de la libido. Le cri, comme décharge de tension libidinale, est alors privilégié, parmi les diverses manifestations vocales du nourrisson, comme origine de la musique. Mais, principe du musical, il est aussi cri d’angoisse, de protestation, d’appel à la mère. C’est sur ce dernier aspect qu’insiste O. Rank [30] pour qui, le cri est à l’origine de la voix et du chant, tandis que la musique puise ses sources dans la vie intra-utérine. L’issue souhaitée de la pulsion est la satisfaction. Rappelons que [31] « la pulsion est un processus dynamique consistant dans une poussée qui fait tendre l’organisme vers un but. Une pulsion a sa source dans une excitation corporelle, son but est de supprimer l’état de tension qui règne à sa source pulsionnelle. C’est dans l’objet ou grâce à lui que la pulsion peut atteindre son but. »
Freud [32], en 1916, dans l’Introduction à la psychanalyse, mentionne le refoulement à propos des mélodies involontaires et obsédantes : « De même des mélodies qui nous passent par la tête sans raison apparente se révèlent à l’analyse comme étant déterminées par une certaine suite d’idées et comme faisant partie de cette suite qui a le droit de nous préoccuper sans que nous sachions quoi que ce soit de son activité. Il est alors facile de montrer que l’évocation en apparence involontaire de cette mélodie se rattache soit à son texte, soit à son origine. » - La première où la musique est associée à un signifiant qui par association à un autre permet l’accès au refoulé, - La seconde permet la reviviscence de situations passées par l’identité de perception, Musique 1 (Actuelle) ↔ musique 2 (Passée) ↔ situation (Passée) ↔ refoulé Si l’on confronte ces schémas au vécu carcéral, on se rend compte, s’ils sont avérés, notamment le deuxième, que la musique peut contribuer à construire un pont entre le détenu et sa situation présente, et, le monde extérieur et sa vie passée. Par ailleurs, on peut aussi admettre que des paroles de chansons considérées comme signifiant, puissent, comme le suggère le premier schéma, accéder à l’inconscient. Bilan psychomusical, la musique qui soigne Au cours d’un stage en institution psychiatrique, j’ai pu préparer trois séances de musicothérapie.
Un test réceptif ne vise pas à tester des aptitudes musicales, mais à rechercher, au travers des réactions aux morceaux de musique, à définir un type de sensibilité à la musique et des traits de personnalité. Parmi les recherches dans ce domaine, il faut citer celle de Murray qui, lors de l’expérimentation qui l’a conduit à créer le Thématic Apperception Test (T.A.T), test de personnalité couramment employé par les psychologues (un peu comme le Rorschach), a également testé les réactions suscitées par l’audition d’œuvres musicales. Le TAT , comme toute épreuve projective , sollicite à la fois des conduites perceptives et projectives , si bien qu’on peut évoquer , comme pour le Rorschach , le caractère paradoxal de cette double injonction ; paradoxal au sens de D.W .Winnicott (1971) puisque l’objet-test est à la fois compris comme objet réel , tangible , concret et comme lieu d’investissement de significations subjectives à l’instar de l’objet transitionnel , objet de la réalité externe mais doté de significations personnelles , imaginaires que l’enfant lui attribue. La capacité du sujet d’accepter l’objet-test dans sa double appartenance perceptive/objective et projective/subjective témoigne de son aptitude à accepter le paradoxe de D.W.Winnicott, à savoir de penser qu’un objet est susceptible de se situer dans le champ intermédiaire entre réel et imaginaire que constitue l’espace transitionnel. Cattell, autre auteur bien connu des tests psychologiques (le 16 PF, par exemple, pour l’exploration des seize traits de personnalité) avait mis au point un test de personnalité à partir de choix de musiques associées deux à deux. Ce test n’a jamais été étalonné mais son principe est utilisé dans une méthode de musicothérapie. Ces diverses expériences et travaux, notamment au niveau de la musicothérapie réceptive ont amené à rechercher le moyen de mettre en évidence la qualité de réceptivité à la musique, spécifique à chaque individu, afin de faciliter l’évaluation de l’intérêt, de la possibilité et des modalités de prise en charge en musicothérapie. Edith Lecourt et son équipe ont eu pour ambition de donner une idée assez générale de cette réceptivité, sans la limiter à certains types de musiques plus ou moins marquées culturellement, ni à la seule écoute musicale. C’est ainsi qu’est né dans les années 70, le bilan psychomusical. Ce qui ressort de cette expérience S’agissant du groupe de parole, on peut constater que la musique a un effet facilitateur pour entamer le dialogue. Naturellement, chacun a sa propre interprétation. On note l’importance du texte même si la musique était entraînante. Quant à l’effet thérapeutique, on se doit de rester circonspect. En effet, si chacun s’exprime avec sincérité et en fonction de l’humeur du moment, cela tient plus de la conversation que de l’entretien clinique. L’effet positif est de permettre aux patients de parler entre eux ; Certains n’hésitent pas à évoquer leur pathologie et leur parcours. La musique, conjuguée à l’effet de groupe permet une levée de l’inhibition qui aide les personnes à se libérer. Musique et prison Nous avons dit en première partie que musique et justice pouvaient apparaître comme antinomiques mais que cette considération devait être modulée par le duo justesse-justice. Monsieur R, s’est fait passé pour un médecin durant quinze ans et a menti à sa famille pendant tout ce temps. Au moment où la vérité allait voir le jour, il a assassiné sa femme, ses enfants, ses parents. La société l’a condamné à la prison à perpétuité avec vingt-deux ans de sûreté. Cette même société, décide, dix ans plus tard, de tourner un film retraçant son affaire. Je revois la réalisatrice et les acteurs monter les marches au festival de Cannes. Je me revois la même semaine, le regardant par l’œilleton de la porte de la cellule lors de la ronde du soir. Le choc des paillettes et frivolités de Cannes, et de la réalité carcérale me font encore réfléchir aujourd’hui. Ce détenu me disait : « Vous comprenez les gens vont croire que je gagne de l’argent grâce à mon crime. Et puis, on reparle de mon affaire. » Tout le monde voit la télévision, y compris les codétenus. Il ajoutait, « dans un an, on sortira le DVD, et on reparlera de l’affaire. C’est dur aussi pour ceux qui restent » (Il faisait allusion à sa belle famille) « c’est toujours remuer le couteau dans la plaie. » Quoiqu’il en soit, maison d’arrêt ou établissement pour peine, le besoin de se confier est omniprésent, latent, à la recherche du moment propice pour s’exprimer. Pour ma part, concernant les criminels donc les longues peines, j’ai pu constater en les côtoyant au quotidien que pour certains, l’enfermement, bien que difficile à supporter, les amenait à une réflexion. De plus, est-ce à cause de ce qu’ils appellent la gamberge, ils acquièrent une certaine philosophie, une certaine sagesse avec l’âge. Les plus jeunes sont plus difficiles à aborder. Je me souviens d’un jeune des banlieues qui s’était pris quinze ans pour avoir collaboré à l’organisation d’une tournante. J’étais chargé de l’accueil ce jour là, et je mesurais la tension chez ce détenu qui me regardait sans répondre. Dans le silence qui parlait pour lui, j’entendais : « j’ai vingt ans aujourd’hui, j’en aurai au minimum trente en sortant d’ici ». Dans une atmosphère qui sent le passage à l’acte imminent et qui fait craindre pour votre sécurité, le temps n’est pas à la musicothérapie. Mais un bon accueil, D’autre part, je me suis posé la question à propos des détenus de l’atelier Son, à qui l’on propose d’exprimer leur créativité par la musique, et s’il s’agissait d’une autoanalyse [35] ? Perspectives psychanalytique de la création L’idée de création [37] est liée à celle de surgissement de quelque chose de nouveau dans un objet ou une pensée de telle sorte que le créé porte d’abord sur cet aspect de jamais vu.
Signifiant nouveau et réinsertion Un détenu âgé de quarante ans, dont vingt passés en prison par épisodes depuis l’âge de seize ans, me répondait à propos de la récidive : « quand vous sortez d’ici (de prison), vous n’allez pas vous tourner vers des gens qui n’ont jamais voulu de vous, donc vous retrouvez le même milieu et un jour où l’autre vous replongez. » Euterpe sur la balance L’individu pouvant s’exprimer au travers de sa créativité protège son Moi mais protège aussi son autre, ce qui entrave le processus d’anéantissement que génère l’incarcération. Par le processus d’identification et l’effet de groupe qu’elle suscite, la musique agit comme un véritable processus de socialisation et crée du lien social dans un univers plus habitué à le détruire. En tant qu’objet transitionnel, la musique permet à l’individu de lutter contre l’angoisse ce qui laisse entrevoir l’espoir d’une diminution du nombre de suicides. Rappelons à cet effet que, statistiquement, en trois ans de fonctionnement, la Maison d’Arrêt de Seysses-Toulouse a fait plus de morts dans la population pénale que la guillotine sous toute la V° république (19 exécutions de 1958 à 1981, soit moins d’un mort par an, au minimum trois par an à Seysses). L’incarcération est le résultat d’une déviance à la norme, l’activité créative et le fait de l’exercer en groupe évite la marginalisation et permet à l’individu de se corriger ce qui est le but de l’incarcération. Si comme le soulignait E. Lecourt, la musique ne guérit pas, elle contribue ici à un mieux être et à une resocialisation. Cette étape peut être préliminaire à un suivi thérapeutique. En effet, un détenu qui opte pour un suivi par le S.M.P.R durant sa détention, peut très bien envisager de poursuivre ce suivi à l’extérieur, une fois libéré, dans un Centre Médico-Psychologique (C.M.P). Le détenu a un désir de se retrouver après avoir connu l’angoisse de la détention. Conclusion « Peut-il exister une pénitentiaire intelligente ? », Telle est la question volontairement provocatrice et qui, finalement, ne s’avère pas infondée. L’enfermement tel qu’il est pratiqué reste avant tout un système punitif qui ne résout en rien le problème de la délinquance. Au contraire, par le mélange de détenus et prévenus, d’une part et, d’autre part, de petits délinquants avec des délinquants confirmés, il ne fait qu’aggraver les choses en marginalisant d’avantage une population déjà exclue. En ce sens, la notion de réinsertion n’est qu’un leurre qui, comme le souligne Foucault, n’est destiné qu’à donner bonne conscience à une justice qui ne veut pas apparaître uniquement comme un instrument de répression, ce qu’elle est pourtant. Le système actuel exclut du déjà exclus. La ritournelle du Ministère de la Justice « On manque de moyens ! ! ! » Doit s’interpréter de l’intérieur de l’administration judiciaire. En fait, elle signifie clairement que le retard justifie le retard, elle permet à toute une administration de traîner la patte en se réfugiant derrière un adage dont chacun s’auto-convainc. A titre d’exemple, comme le souligne le juge Halphen [41], les rythmes de travail des magistrats de la cour d’appel de Douai ne sont pas cadencés sur l’importance des dossiers mais sur les horaires du TGV Paris - Lille. Dans cet état d’esprit, il n’est pas étonnant qu’on ne trouve personne pour se demander si l’on peut améliorer les choses avec les moyens que l’on a. L’activité artistique au service de l’insertion est du registre du possible uniquement si les mentalités évoluent. Traiter les gens comme des animaux est une métaphore qui s’applique bien à la population pénale : on les met en cellule, puis on les sort pour les mettre en salle d’attente, puis on les sort de la salle d’attente pour les emmener dans un autre bâtiment où on les remet dans une salle d’attente d’où la personne qui doit les voir les sortira avant de les y remettre pour qu’on revienne les chercher pour les reconduire en détention où il leur faudra peut-être encore attendre en salle d’attente avant de regagner leur cellule, si un mouvement comme la promenade, par exemple, est en cours. La déresponsabilisation est totale, l’esprit d’initiative réduit au néant. La prison fabrique des loques humaines. Quand des chefs , en particulier les femmes, se sentent obligés d’hurler pour asseoir leur autorité , imitant ainsi l’institutrice qui pique sa crise au beau milieu de la classe , le processus d’infantilisation est complet et plus aucune forme de contact positif n’est possible. Si on veut élaborer une détention constructive, il faut d’abord réfléchir aux méthodes d’appréhension de la personne incarcérée. Le détenu se retrouve face à une situation de deuil qu’il lui faut gérer. Le deuil est un processus qui ponctue diverses périodes de la vie. Phase très importante pour l’avenir, le deuil est souvent mal résolu. Le deuil concerne toute forme de pertes : un divorce, la perte d’un objet, un déménagement, tout ce qui concerne la séparation d’avec quelque chose de très cher, jugée d’une perte irrémédiable et à laquelle l’individu qui la subit doit s’adapter. L’incarcération entre bien dans ce schéma. Le deuil peut être compris, au delà de la dimension de souffrance qu’il implique, comme un processus d’adaptation. Le détenu doit envisager l’avenir, ce qui est difficile quand on est coupé du monde. Nous avons vu qu’une activité culturelle peut maintenir un lien entre l’intérieur et l’extérieur. C’est à ce niveau que peut intervenir l’Art-thérapie en fournissant au sujet un environnement, des médias artistiques et, en tout premier lieu, du temps et de l’attention. L’objectif des séances est de développer un langage symbolique qui pourrait donner accès aux sentiments non reconnus et être également un moyen d’intégrer ces sentiments à la personnalité, donnant la possibilité d’une dynamique de changement thérapeutique. L’attention ne se porte pas sur la valeur esthétique du travail artistique, qu’il s’agisse de danse, de théâtre, de peinture, de musique, mais sur le processus thérapeutique, c’est à dire l’implication du patient dans son travail, sa perception du travail lui-même et la possibilité de partager cette expérience avec l’art-thérapeute. De nombreux patients trouvent que l’engagement dans des thérapies artistiques leur donne une chance d’exprimer des sentiments autrement inacceptables ou difficiles, (d’autant plus en milieu carcéral), et cela dans une ambiance sécurisante, car il est parfois plus facile de communiquer avec un thérapeute au travers d’une forme artistique, qui est une donnée personnelle ouvrant sur la discussion et l’évaluation de soi. L’enfermement provoque un état dépressif. Le processus de pensée propre à la dépression consiste à ne raisonner que sur l’aspect négatif des choses, on l’appelle la pensée dichotomique. Elle génère une spirale qui mène à une impasse (tout étant de plus en plus négatif). C’est ce cheminement qui est à l’origine des suicides. L’acte de création suppose un vide à combler par quelque chose de nouveau. La musique, conçue comme l’introduction d’un signifiant nouveau, peut enrayer ce cheminement. On peut ainsi agir sur l’enfermement en modifiant la manière de le penser. Dès lors, la création devient le tremplin qui transforme une incarcération strictement destructive en une opportunité de la rendre constructive. Le P.E.P., Projet d’Exécution de Peine, mis en place par l’administration pénitentiaire dans les établissements pour peine, pouvait assurer cette fonction. Le détenu s’engageait dans un projet et l’administration s’engageait à l’aider. Il fallait voir dans le P.E.P non pas une individualisation de la peine, ce qui au bout du compte, ne veut rien dire puisque la peine qu’est l’enfermement, est la même pour tous, mais un suivi individualisé du détenu, ce qui est différent puisque cela met en avant la singularité du sujet. On mesure combien le P.E.P était un projet trop ambitieux pour une administration aussi archaïque. Je l’ai vu se transformer, à la maison centrale de Saint Maur, en un vulgaire flicage de la population pénale, les dossiers étant consultés par la hiérarchie en vue d’étayer les rapports circonstanciés le plus souvent dans le cadre d’une punition. Voilà avec quelle tristesse la pénitentiaire enterre ses plus beaux projets. Pour les maisons d’arrêt rien n’a été prévu. Lors d’un déplacement de détenus, il suffit d’observer les visages qui à l’aller s’ouvrent un peu se refermer d’autant plus vite au retour, au fur et à mesure qu’ils franchissent les grilles qui les ramènent à la cellule. Qu’il s’agisse d’une visite au parloir ou d’une consultation au S.M.P.R, le bénéfice est aussi vite perdu. Il faut faire évoluer la façon de travailler. Bien sûr, la musique n’est pas la panacée. Sans aller jusqu’à imaginer les surveillants et les détenus se donnant la main pour danser la farandole dans la cour de promenade, elle peut quand même offrir une base de travail intéressante. La rigidité quant aux rôles et fonctions de chacun, et surtout, l’absence de communication entre les différents services, empêchent toute progression. Du surveillant maton au surveillant éducateur (du signifiant maton au signifiant éducateur, devrait-on dire), le chemin sera long. C’est pourtant la seule voie possible pour tenter de réussir une politique carcérale cohérente. [1] De Musset. A., La confession d’un enfant du siècle (1835), Paris, Ed Maxi-livres, 2005 [2] Duplessis. Y., Le surréalisme, coll. Que sais je n°432, Paris, PUF, 1950, 17° éd 2002 [3] Platon, (428-348 Av J.C) La république, Paris, Ed Garnier Frères, 1966 [4] La Fontaine. J.de, (1621-1695) Fables de La Fontaine, Paris, Ed Mame, 1948, Platon et la république [5] Platon., (428-348 Av J.C) La république, Paris, Ed Garnier Frères, 1966 [6] Rancière. J., La haine de la démocratie, Paris, La Fabrique Editions, 2005 [7] Kahn. 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