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L‘ordonnance de 1945 à la dérive ?

Publié le mardi 1er octobre 2002 | http://prison.rezo.net/l-ordonnance-de-1945-a-la-derive/

Article paru dans la revue Territoires d‘avril 2002 Enfance et délinquance - L’ordonnance de 1945 à la dérive ?

Face à une délinquance juvénile présentée comme plus violente et en augmentation, les politiques pénales semblent impuissantes. La priorité de l‘éducatif préconisée par l‘ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante perd du terrain. Il devient alors urgent de revenir aux origines de ce texte fondateur.Surmédiatisation, dramatisation, politisation ; la délinquance des mineurs est stigmatisée dans tous les discours. Les politiques pénales tentent difficilement de trouver des solutions adaptées aux nouvelles réalités de cette délinquance. Pourtant, les moyens existent dans l‘ordonnance du 2 février 1945. Cette véritable Charte de la jeunesse délinquante a posé des principes fondamentaux qui, presque soixante ans après leur énonciation, sont toujours d‘actualité.

La philosophie de l‘ordonnance part du postulat qu‘il n‘y a pas d‘enfance coupable, mais seulement une enfance malheureuse. Les mineurs délinquants sont ainsi justiciables avant tout de „mesures de protection, d‘assistance, de surveillance et d‘éducation“ (article 2), et la réponse pénale ne peut être envisagée que de manière subsidiaire. Cet article clé consacre donc la primauté de l‘éducatif. Comme l‘a justement écrit Françoise Dekeuwer-Defossez [1], Professeur de droit, l‘ordonnance de 1945 „a construit un modèle de justice qui éduque plus qu‘elle ne juge, un modèle pénal qui tend à protéger plus qu‘à réprimer“. Face à un jeune délinquant, une série de mesures s’offre au juge des enfants : remise du mineur à ses parents ou ses tuteurs, admonestation, mise en liberté surveillée ou sous protection judiciaire, placement dans un centre d’éducation renforcée et dans un centre de placement immédiat ( milieux ouverts). Depuis 1993, une énième modification de l‘ordonnance (qui en compte dix sept et dont la dernière date de 2000) a donné aux juridictions pour mineurs la possibilité de proposer une „réparation“ qui consiste en „une mesure ou une activité d‘aide à l‘égard de la victime ou dans l‘intérêt de la collectivité“ (article 12-1). Les peines de prison, si elles sont prononcées, doivent être justifiées eu égard aux circonstances et à la personnalité du mineur qui doit avoir au moins 13 ans. Le tribunal pour enfants doit alors motivé son choix. Et le plus souvent, la peine est atténuée. Il peut aussi prononcer une peine de travaux d’intérêt général à l’encontre d’un jeune de 16 ans. Elle devra présenter un caractère formateur ou de nature à favoriser l’insertion sociale. Malgré ces précautions, le nombre de peines privatives de liberté a plus que doublé dans les cinq dernières années. Pourtant, tout le monde reconnait qu‘une incarcération peut être nocive au mineur, en accentuant plus encore que chez les majeurs le processus de marginalisation. Mais, faute de moyens, les structures éducatives sont trop peu nombreuses. En conséquence, les solutions qui s‘imposent au juge sont soit de laisser le mineur libre de ses faits et gestes –il ne sera alors pas sanctionné-, soit de donner une réponse radicalement répressive : l‘enfermement.

Oubli du débat contradictoire
On passe ainsi de la protection du mineur en danger à celle de la protection d‘un soi-disant danger causé par le mineur. Le droit positif n’a certes pas changé, mais de larges inflexions viennent faire disparaître la spécificité de la juridiction des mineurs inscrite dans l‘ordonnance. Le nouveau juge de la détention a compétence dans la mise en détention des mineurs, alors qu‘il n‘est pas du tout spécialisé. La circonstance aggravante de bande organisée a été étendue aux mineurs, ce qui induit un accroîssement du nombre des jeunes impliqués dans les affaires criminelles. On ne peut pas nier que l‘enfermement de certains mineurs est inévitable, mais que dire quand les prescriptions légales instituant un régime de détention particulier ne sont pas respectées (exemple : les quartiers réservés aux mineurs dans les prisons) ? Autre évolution : le parquet s‘est substitué peu à peu au juge des enfants afin que la réaction sociale soit immédiate et éviter ainsi l’engorgement des tribunaux. 90% des mesures de réparation sont prononcées par un procureur, dont on peut douter des critères de qualification en la matière. Cette procédure a de graves conséquences. D‘une part, elle oublie la place de la défense dans un processus juridictionnel et la notion de débat contradictoire et, d‘autre part, elle élude la nécessité de confronter le mineur à l‘autorité judiciaire et donc à la loi. La règle pénale pour les mineurs durcit…et les projets éducatifs à long terme sont progressivement abandonnés à cause d‘un manque criant de structures adaptées.

Face au sentiment d’insécurité, sans doute excessif, exprimé par la population, les hommes politiques souhaitent une réponse visible immédiatement. Presque tous les candidats à l’élection présidentielle ont l’intention de créer des centres fermés pour les mineurs, bien que cette expérience se soit déjà montrée désastreuse dans les années 70.

Réassurer la priorité éducative
Pourtant, d’autres orientations de politique pénale incitent à privilégier le rôle des autorités locales. En effet, entre le juge et l‘enfant, surgissent des acteurs collectifs (les travailleurs sociaux, les associations...). Alors que le pouvoir de décision en matière de délinquance juvénile est concentré entre les mains du parquet et du siège, une nouvelle distribution des rôles en faveur des services éducatifs s’avère indispensable. Un collectif de magistrats et d’avocats spécialistes des mineurs propose de renforcer l’ordonnance dans ce sens. Il s’agit pour eux de développer une véritable articulation entre l’éducatif et le judiciaire, en renforçant de manière significative les moyens des services éducatifs, en donnant à ces services un réel pouvoir de proposition en direction du juge, en élargissant le champ d’intervention des associations, en développant des mesures éducatives qui prendraient en compte le contexte dans lequel évolue le mineur, en assurant une continuité de l’action éducative dans des centres pour mineurs plus nombreux. Ils préconisent également une spécialisation du parquet, et mettent biensûr l‘accent sur la nécessité de donner un sens à la peine d’emprisonnement, en assurant la priorité éducative, une thérapie éventuelle ainsi que la sortie de prison.

Il serait sans doute bon que cette initiative, qui respecte l’esprit de l’ordonnance de 1945 et lui donne les moyens nécessaires à son application, serve de base à nos politiques en mal d‘idées.

Claire Chognot
Journaliste

[1] Petites affiches, n°94, 7 août 1995.