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"Témoignage de Danielle, maman de Thierry Jurado"

Publié le samedi 14 novembre 2009 | http://prison.rezo.net/temoignage-de-danielle-maman-de/

Thierry est né le 18 mars 1964, il est mort le 8 octobre 2005 après s’être pendu le 5 octobre 2005 à la prison de Bayonne et 3 jour de coma.
Thierry avait 41 ans, il n’avait jamais été violent c’était une personne chaleureuse, d’excellent conseil ;
Il aimait la mer, la montagne, il croyait que tous les hommes étaient bons.
Il voulait vivre libre. Il refusait ce handicap psychique qui l’obligeait à prendre des médicaments.
Il disait : « je suis un amoureux de l’amour. »
Malgré sa maladie, Il avait eu un parcours ‘’sans faille’ : scoutisme, aumônerie, collège,
lycée, faculté, Service Militaire, travail…

Rappel des faits

Mon fils a commencé à avoir de graves troubles de la personnalité et de l’humeur en 1980, à l’âge de 16 ans. A l’époque nous habitions le Val d’Oise.
Le psychiatre qui l’a traité m a dit que c’était des crises d’excitation nerveuse. N’y connaissant rien cela m’a suffit.

Je précise que Thierry a toujours rejeté sa maladie et a toujours consulté les médecins psychiatre contre son gré. Ce qui, maintenant je le sais, fait partie de sa pathologie.

Après plusieurs rechutes et hospitalisations à cause de l’arrêt de son traitement, j’ai réussi à le faire hospitaliser à la clinique de l’Isle Adam (Val d’Oise) en 1985, à l’âge de 21 ans. Le docteur WAHL psychiatre de l’établissement m’a dit à sa sortie qu’il avait une psychose maniaco-dépressive, que c’était une maladie grave. Que cette psychose se soignait mais ne se guérissait pas et qu’il lui faudrait un traitement tout au long de sa vie.
Cette psychose est appelé actuellement « troubles bipolaires ».

Son traitement étant correctement dosé, il a pu effectuer son service militaire de mars 1986 à fin février 1987. Ce qui prouve qu’avec un traitement adapté et bien encadré il est capable de vivre normalement.

Puis il a arrêté son traitement et fin 1988 les pouvoirs publics et les pompiers l’ont arrêté dans le métro à Paris alors qu’il se tenait devant le wagon de tête pour disait-il, empêcher le métro de démarrer avec sa seule pensée !
Les services de l’hôpital Ste Anne à Paris m’ont téléphoné à mon travail pour que je signe son internement et ainsi éviter que ce soit le Préfet qui le fasse. Il a été transporté à l’hôpital d’Argenteuil puisque j’habitais encore le Val d’Oise.
Il a été suivi par le Docteur Madame COURTEILLE psychiatre à l’hôpital d’Argenteuil jusqu’à fin 1990, date à laquelle il nous a rejoint dans le Tarn où j’habite depuis. Je n’ai pas eu connaissance du diagnostic car elle m’a dit : secret médical. Mais j’ai compris, d’après le traitement qu’elle le considérait comme schizophrène.

De 1990 à 1992, dans le Tarn, il a eu un suivi psychiatrique et médicamenteux (intraveineuses d’Haldol retard, au départ 7 ampoules puis descendu à 1 et ½) ce qui le faisait certes dormir beaucoup mais n’a pas empêché la partie maniaque de se développer (achats inconsidérés, médisances, mégalomanie, hallucinations etc…)

Fin 1992 il a fait sa vie dans le pays basque où il s’est marié en 1993. Sous la pression de ses proches qui refusaient de le considérer comme malade, il a arrêté son traitement en septembre 1994. En 1995 alors que j’habitais BRIVE (19), son ex-femme nous a demandé de l’aide, et avec mon mari, nous somme allés chercher Thierry à Bordeaux alors qu’il s’était réfugié à l’hôtel Mercure.
Puis le lendemain, après lui avoir administré de l’haldol en cachette, avec son frère, nous l’avons raccompagné à Saint Pée sur Nivelle dans le 64. Il a été transporté à l’hôpital de Bayonne par les pompiers.

Il a été hospitalisé à Bayonne plusieurs fois en courts séjours de 1995 à 1999.
C’est depuis 1999 que sa pathologie n’est pas suffisamment prise en compte par les professionnels de la psychiatrie ! De plus on ne tient pas compte de sa famille.

Malheureusement mon fils n’a pas contracté un virus, il est né je pense avec ce handicap, Ce n’est pas lui qui a choisi d’être maniaco-dépressif. Contrairement à ce que certains veulent faire croire ce n’est pas en connaissance de cause qu’il arrête son traitement cela a toujours été son entourage qui l’a poussé à le faire.
Et quand il n’a plus de traitement bien sûr qu’il ne veut pas se soigner puisqu’il ne se rend pas compte de l’état dans lequel il se trouve, cela aussi fait partie de la maladie.

Pour moi qui suis sa mère, c’est très difficile, car même la famille proche ne me croit pas quand je parle de cette maladie.

Il semblerait, depuis l’affaire de Pau, que les médias commencent à aborder le problème des maladies psychiques, il faut reconnaître que c’est un sujet plus que tabou. Ces maladies font honte à la société, s’il n’y avait pas eu l’affaire précitée on n’en parlerait pas.
Ces maladies ne se voient pas, ce n’est pas comme un handicap physique, et malheureusement l’être humain a peur de ce qu’il ne voit pas et donc ne connaît pas.

C’est dommage que les médias et plus gravement certains professionnels de la psychiatrie ne fassent pas la différence entre un alcoolique, un drogué et un malade atteint de troubles bipolaires (psychose maniaco-dépressive) qui lui, n’a pas choisi son état.

Pour moi qui ne suis pas médecin et pour rester simple je dirai que dans cette maladie, par rapport à Thierry, il y a la phase maniaque où il achète n’importe quoi, est plein de vitalité, se procure ce dont il croit avoir besoin ou tout simplement envie, va dans des hôtels quatre étoiles, demande des prêts bancaires, se croit invincible, ne dort plus, ne mange plus, marche des jours et des nuits entiers, n’est jamais fatigué, se prend pour un mage et plus rarement la phase dépressive où il parle de suicide, de sa souffrance et de son mal être et en veut à la terre entière. Bien sûr je schématise.

Je pense que l’isolement familial dans lequel il a été tenu par les services psychiatriques et sociaux depuis 1999 ne sont pas sans incidence sur son comportement actuel et les faits graves qui en ont découlé. Il est totalement désocialisé depuis fin 2002.


Conséquences de sa maladie

En 2005, Thierry, hospitalisé à sa demande aux services psychiatriques de l’hôpital de Bayonne depuis une semaine, a tenté d’agresser une infirmière de l’hôpital qui refusait de lui mettre de la musique tibétaine et de lui donner des médicaments.
Il nous a dit qu’elle lui avait répondu « Monsieur ce n’est pas l’heure »
Le 12 mai le médecin signait son autorisation de sortie.
Cette incident intervenant quelques mois après le double meurtre de Pau, sous la pression des syndicats le Directeur de l’hôpital a porté plainte.

Thierry a été arrêté à son domicile le 17 mai 2005, en comparution immédiate il a été placé en détention provisoire. Un expert psychiatre a été nommé, il a conclu que lors de l’agression le jugement de Thierry était altéré mais pas aboli et qu’il devait être confronté aux conséquences de son acte.

Les deux experts qui l’ont entendu, ont jugé que son discernement était altéré et non aboli aux moments des faits.

Thierry a toujours nié cette agression, Il disait qu’il y avait eu une cabale contre lui, qu’on ne voulait pas le soigner et que c’était un moyen de se débarrasser de lui.
Le 5 juillet 2005, jour du jugement au TGI de Bayonne, le Président nous a lu la lettre du Directeur de la Maison d’Arrêt qui disait que ce détenu n’avait pas sa place en prison mais qu’il avait besoin de soins.
Le réquisitoire du Procureur de la République a malheureusement surtout porté sur le double meurtre de Pau et sur les gentilles infirmières qui tiennent la main des malades jusqu’à la fin de leur vie. Mon fils a donc été condamné à 18 mois de prison dont trois fermes et deux ans d’obligation de soins. Puis il a été rattrapé par d’autres peines, car en un an il a commis d’autres délits (petits vols, violence envers les forces de police, détournement d’électricité….). Il aurait dû sortir fin novembre. Il n’avait jamais eu affaire à la justice avant ces faits.


Thierry et son incarcération

Lorsque j’allais voir mon fils en maison d’arrêt, j’entrais dans un parloir puis les gardiens faisaient d’abord entrer les autres détenus et Thierry entrait en dernier.
Il était traité comme un pestiféré, c’est à dire que les gardiens se méfiaient de lui, puisqu’il avait été condamné pour avoir agressé une infirmière à l’hôpital psychiatrique de Bayonne.
Je dois dire que la première fois où je me suis retrouvée seule devant la maison d’arrêt je ne savais pas où regarder et quand on rentre dans la prison après être passé devant un détecteur, l’odeur de la prison vous envahit et on entend des prisonniers crier.

Le Directeur de la Maison d’Arrêt que nous rencontrions pratiquement après chaque visite nous a informés que Thierry était seul en cellule car il était trop malade et aucun autre détenu n’aurait pu rester avec lui. Il disait « dans ma carrière j’ai connu beaucoup de détenus ayant des problèmes psychiatriques mais jamais comme votre fils, il n’a pas sa place ici. Je ne comprends pas car il est intelligent et cultivé. »
Je lui ai expliqué que mon fils était bipolaire et que la bipolarité est une maladie qui n’affecte pas le physique mais le psychisme et sans soin on n’a plus sa raison ce qui n’altère ni l’intelligence ni la culture, dans l’état où il se trouve comme il n’a plus sa raison il ne se rend pas compte qu’il est malade, Il faudrait qu’il soit placé en hospitalisation d’office.
Il m’a informé que le psychiatre affecté à la maison d’arrêt ne ferait rien pour lui car il travaillait dans l’hôpital où mon fils avait agressé l’infirmière.

Thierry refusait de manger ce qu’on lui apportait, il avait peur nous disait-il, qu’on mette des médicaments dans sa nourriture. Avec l’argent que je lui envoyais il s’achetait des gâteaux, des pommes et ne mangeait que cela.

Thierry ne voulait pas sortir de sa cellule, devant son refus un jour le Directeur de la Maison d’Arrêt l’a fait sortir sans les autres détenus pour que les gardiens puissent nettoyer sa cellule qui était selon lui, une véritable porcherie.
Thierry refusait de prendre tout traitement médical.
Il ne se lavait pas, se laver était pour lui une trop grande souffrance psychique.
En fait il était dans le déni le plus total !
L’adjoint du directeur m’a dit un jour « nous n’osons pas l’obliger à se laver, nous ne sommes pas des infirmiers, il faudrait qu’il aille à l’hôpital. Je ne comprends pas qu’il soit ici ».

Lors du premier parloir au mois de juin, il nous a fait part de son intention de se suicider.
J’étais avec son ex-femme, il nous a montré le lien de son survêtement et nous a dit il y a deux lits superposés, je sais comment je ferai.
A la sortie du parloir nous avons prévenu l’adjoint du directeur.

La plupart du temps il tenait des propos incohérents ou qui n’avaient rien à voir avec la situation dans laquelle il se trouvait mais à chaque fois il disait il faut que mon avocat me fasse sortir d’ici.
Or, pour ce procès nous avions pris un avocat sur Bayonne, et nous n’avons pas gardé celui commis d’office. Il a vu Thierry une fois avant le procès et peut-être une fois pendant son incarcération. On ne peut pas dire que cet avocat nous ait beaucoup aidés. Il n’y a franchement aucun lien entre la qualité du service rendu et le montant de la facture !

Comme il ne se lavait pas, lors de tous les parloirs nous essayions de trouver le parloir ayant une fenêtre afin de pouvoir l’ouvrir tellement l’odeur de Thierry était insoutenable.

Thierry nous disait que sa cellule était pratiquement en sous-sol car il n’avait comme fenêtre qu’un soupirail à ras du plafond.

Le vendredi 23 septembre après-midi, au parloir de la prison, Thierry était très heureux de nous voir, surtout que son frère était présent, il parlait très fort et se rappelait les moments heureux qu’il avait passé avec son frère qui a 14 ans de moins que lui. C’était la première fois depuis son incarcération qu’il y avait chez lui de telles démonstrations de joie. Lorsque le parloir a été terminé, Thierry a voulu sortir de la prison avec nous, il a fallu six gardiens pour le maîtriser et le ramener dans sa cellule. C’était terrible et inhumain !
A ce moment précis je me suis demandée comment un stagiaire aurait pu empêcher l’infirmière d’être étranglée alors qu’il avait fallu six personnes habituées à cet exercice !
Que s’est-il passé ensuite ? nous ne le saurons certainement jamais… Thierry devait sortir de prison le 20 octobre 2005.


Suicide de Thierry

Le mercredi 5 octobre 2005, le directeur de la M.A. a téléphoné sur le portable de mon mari pour nous dire que Thierry s’était pendu dans sa cellule, qu’il avait été ranimé, transporté dans un hôpital de Bayonne dans le coma.
J’espère nous dit-il qu’il s’en sortira au moins aussi bien que ce qu’il était avant, mais je ne pense pas que vous puissiez le voir ;

Aussitôt, j’ai téléphoné audit hôpital. Thierry était dans le coma mais nous pouvions aller lui rendre visite.
Quand j’ai demandé s’il fallait une autorisation on m’a répondu qu’il était en réanimation et que les visites étaient libres. L’infirmière que j’ai eue au téléphone m’a demandé d’amener des produits de toilette, je me souviens lui avoir demandé s’il fallait une brosse a dent, elle m’a répondu que ce n’était pas nécessaire.

Arrivés à l’hôpital, effectivement pas de policier en vue et pour cause, Thierry était en réanimation dans un coma profond et j’ai alors compris l’inutilité de la brosse à dents, il était intubé et respirait grâce au poumon artificiel.
Le médecin ne m’a donné aucun espoir, il m’a dit « j’avais une sœur qui était bipolaire elle s’est suicidée en se noyant dans notre piscine. », c’était presque réconfortant, dans ces chambres d’avant la mort je trouvais un peu d’humanité.
Je suis restée auprès de lui, j’ai pu le toucher, lui parler même si d’après le médecin il ne pouvait pas m’entendre, heureusement mon mari était présent. D’Orléans sa sœur est venue également à son chevet.

Quand Thierry s’est retrouvé en prison il n’avait plus de vêtement. Avec ma fille nous lui avions acheté tout une garde robe, en fait tout ce dont il avait besoin.
Lors des parloirs il mettait à chaque fois des vêtements neufs.
Quand on m’a rendu ses effets personnels, je me suis rendu compte qu’il n’avait jamais porté les vêtements que nous lui avions achetés sauf aux rares moments des parloirs car tout était neuf et plié.
Dans les vêtements qu’il portait le jour du suicide, il y avait le survêtement qu’il avait en juin le jour du premier parloir, seul vêtement qu’il a dû porter pendant les cinq mois de son incarcération, ainsi que ses chaussures de randonnées qu’il n’avait jamais du quitter non plus.
L’odeur de ces effets était pestilentielle, on se serait cru dans une porcherie. Iil manquait évidemment le lien du survêtement qui lui avait servi pour se pendre.

Thierry est mort le samedi 8 octobre 2005. Il est enterré au cimetière de la Barque à Castres dans le Tarn.

Mon fils a vécu cinq mois dans une oubliette digne du moyen âge et pourtant nous étions en 2005, en France dans le pays des droits de l’Homme et du citoyen.

Au moment où se pose la question du grand débat national sur l’identité française, j’interpelle les pouvoirs publics :
FRANCE, que fais-tu de tes malades psychiques ?
Au siècle dernier un certain dictateur mettait les handicapés mentaux dans des chambres à gaz, aujourd’hui en France Pays des Droits de l’Homme et du Citoyen nous les mettons en prison.
 

Dépôt de plainte

En janvier 2006, j’ai porté plainte pour non-assistance à personne en danger car le psychiatre aurait pu demander pour Thierry une hospitalisation d’office, mais il n’a jamais cru à sa maladie, pour lui c’était un simulateur.
J’avais pris Maître Gilbert COLLARD comme avocat, il y a eu deux audiences et il ne s’est jamais dérangé. Il envoyait des avocats qui ne connaissaient rien au dossier, j’ai été très déçue par cet avocat qui m’a demandé 10 000 €uros.
Début 2009, il y a eu une ordonnance de non-lieu.
J’ai fait appel et le 6 octobre 2009 ; l’Arrêt de la Cour d’Appel de Pau a confirmé l’ordonnance de non-lieu.
Il n’a été tenu compte que des dires du psychiatre même si lors des audiences et lors de sa confrontation avec moi, il se contredisait dans ses déclarations.
 

 
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• photo de Thierry en 2000, (PDF - 564.3 ko)