Publié le mercredi 13 janvier 2010 | http://prison.rezo.net/l-enfermement-d-un-delinquant/
DROIT A LA LIBERTE ET A LA SURETE (Art. 5 CEDH) :
Internement de délinquants sexuels
Un homme condamné à plusieurs reprises pour des faits de pédophilie fut placé, au terme de sa peine, « à la disposition du gouvernement » pour dix ans (cette modalité fut prévue par le jugement initial de condamnation, en application de « la loi de défense sociale » belge de 1964. V. le régime et son évolution récente, § 27 et 28). Avant l’échéance de sa peine principale, sa libération conditionnelle fut refusée sur la base de son comportement qui exigeait « un traitement spécialisé résidentiel, intensif et de longue durée » (§ 15). Cependant, aucun institut spécialisé n’accepta de l’accueillir. A la fin de cette peine principale et au début de la « mise à disposition », le ministre de la justice belge pris la décision de faire interner cet homme. Ce dernier estime que ce refus de libération, fondé selon lui sur son absence de traitement, est une détention arbitraire qui viole le droit à la liberté et à la sûreté (Art. 5) car cette dernière absence ne peut lui être imputable.
La Cour européenne des droits de l’homme commence par rappeler sa jurisprudence relative à ce type de privation de liberté, même si elle le fait afin de marquer la spécificité de la présente affaire (§ 37 à 40). Ainsi, elle souligne qu « à première vue, la mise à disposition du gouvernement ne semble pas arbitraire car elle faisait partie de la peine fixée par le tribunal correctionnel au moment de la condamnation du requérant » (§ 41). Poursuivant son analyse plus en profondeur, la Cour considère que la décision du ministre a été adoptée conformément à la législation de 1964 (§ 43) mais que, sans être le seul point pris en considération, « l’absence de traitement spécialisé [était] déterminant car, comme le ministre le précise expressément, un traitement adéquat et adapté à la situation du requérant aurait permis de réduire sa "dangerosité" ». (§ 44). Or, selon les juges strasbourgeois, les autorités belges ont tenté à plusieurs reprises de faire admettre le requérant en institution spécialisée et ont d’ailleurs placé ce dernier en pré-thérapie durant sa détention afin de faciliter son admission. Surtout, les juges distinguent les cas de lenteur du placement d’un « délinquant souffrant de troubles mentaux, en raison du manque de place dans celui-ci et d’un problème structurel » (qui a conduit à une condamnation : Cour EDH, 2e Sect. 11 mai 2004, Morsink c. Pays-Bas, req no 48865/99) du cas d’espèce où « l’internement était justifié par l’état de dangerosité persistant du requérant et par le caractère prématuré d’une prise en charge médicale dans une institution spécialisée » (§ 47). En conséquence, la Cour ne condamne pas la Belgique car elle estime que « les autorités belges n’ont […] pas manqué à leur obligation de tenter d’assurer au requérant un traitement adapté à son état et de nature à l’aider à retrouver sa liberté [… car l’absence de traitement] résulte surtout de l’évolution de l’état du requérant et de l’impossibilité thérapeutique pour les établissements contactés de le traiter à ce stade » (§ 48).
Cet arrêt refuse donc, s’agissant des internements de délinquants sexuels jugés dangereux, de consacrer une obligation étatique de résultat quant à la prise en charge médicale de ces derniers et lui préfère une obligation de moyen, rappelée ici in fine par la Cour au gouvernement belge (« l’obligation de prendre toutes les initiatives appropriées afin de pouvoir trouver, dans un avenir proche, un établissement public ou privé susceptible de prendre en charge des cas de ce type » - § 48). On peut toutefois estimer qu’en acceptant que la privation de liberté soit justifiée seulement par les efforts des autorités pour solliciter une place dans des instituts (sans tenir compte d’aspects plus généraux comme, par exemple, les efforts budgétaires fournis pour qu’il y ait assez de places au niveau national), la Cour se montre assez peu exigeante sur un terrain – l’article 5 – où elle est habituellement plus stricte. Rappelons enfin que cet arrêt fait bien sûr écho au débat français sur la "rétention de sûreté" qui, en vertu d’une décision du Conseil constitutionnel (et en conformité d’ailleurs avec la jurisprudence de la Cour – V. § 41), sera applicable aux faits commis postérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi du 25 février 2008.
Sources :
CREDOF - actualités droits-libertés du 16 octobre 2009 (2) – Nicolas Hervieu
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