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Interview interdite 7 : « Céline, au nom du père... »

Même dehors le combat continu, c’est ainsi que mon premier « post » à l’extérieur sera consacré à un cas d’urgence. Celui de Guy ce père de famille qui lors d’une audience fut incarcéré il y a un mois, malgré son état de santé plus que précaire, en effet, deux expertises affirmaient que son pronostic vital était engagé.

La justice, une fois de plus, a fait preuve de la plus grande fermeté à l’égard d’une personne fragilisée et en danger de mort.

Heureusement grâce à une certaine mobilisation d’associations, dont je fais partie aujourd’hui en tant qu’ « expert prison », et un communiqué de presse sans concession, le 16 février dernier, une cour d’appel de la région PACA a ordonné la remise en liberté de Guy.

Je suis vraiment heureux que la contribution de tous ait pu enfin faire plier cette justice implacable et obtenir cette libération tant espérée.

Avant ce grand jour pour nous et surtout pour sa famille, j’avais réalisé une « Interview interdite » de Céline la fille de Guy, afin de donner, comme je l’ai toujours fait dans ce BLOG, la parole à ceux qui ne l’on pas, ceux qui souffre en silence. Malgré l’heureuse nouvelle, il me paraissait important de livrer quand même le témoignage poignant de sa fille afin que l’on prenne réellement conscience du terrible impacte que peuvent prendre ces décisions judiciaires totalement inconsidérées inhumaines et absurdes et surtout dire aussi que cela a existé. Cela sera aussi l’occasion de parler des UHSI (unité hospitalière sécurisée interrégionale) (voir photo avec le texte), ces « hôpitaux prisons » construit à la hâte pour ne plus faire sortir les malades incarcérés, autre scandale que je ne cesserai de dénoncer.

A ce propos, d’ailleurs, je participerai le 4 mars prochain, à l’occasion du huitième anniversaire de la loi Kouchner, à une conférence de presse, organisée par le pôle de suspension de peine, afin de témoigner sur les disfonctionnements et la mauvaise application de cette loi. Cette conférence de presse devrait avoir lieu à science po de Paris.

En attendant je vous laisse avec les mots de Céline, qui je pense, vous toucheront dans leur vérité brutale et sincère, ceux d’une fille en colère qui ne veut pas voir son père mourir au fond d’une cage...

A bientôt sur le BLOG pour la suite...

1) Peux-tu nous expliquer la situation scandaleuse dans laquelle se trouve ton père, actuellement incarcéré malgré de très graves problèmes cardiaques ?
Le 13 Janvier 2010, mon père, Englumen Guy, s’est présenté au tribunal de Grande Instance de Marseille afin de plaider une suspension de peine pour raison médicale. Les expertises des médecins désignés par la Cour, concordent sur le fait que son processus vital est engagé irrémédiablement et qu’il est incompatible avec une incarcération. Un dossier en béton armé, croyait-on, puisqu’ il souffre de graves problèmes cardiaques qui le condamnent déjà. La loi était de notre côté au vu de l’article 720.1.1 sur la suspension de peine.
 
Et pourtant... Contre toute attente il a été enfermé.
 
Mon père a été incarcéré au centre de détention de Salon-de-Provence après décision du Juge d’application des peines, qui bafoue la loi et se donne tout pouvoir de décision sur la vie ou mort de mon père. Il s’octroie donc le droit de se substituer à l’autorité médicale.
 
Il n’a pas tenu le choc et a été dirigé directement aux urgences du CHU de Salon de Provence, qui l’a ensuite dirigé vers l’Hôpital Nord en soins intensifs. Une coronographie a été effectuée et nous apprenons que toutes ses artères sont bouchées et une autre intervention lui serait fatale.
Mon père n’a rien à faire en prison, son état de santé se détériore de jour en jour, et, nous savons qu’en milieu carcéral il n’y a absolument pas ni le suivi, ni l’appareillage nécessaire pour sa survie, il va donc vers une mort certaine. Le stress joue sur son cœur, il m’a dit la dernière fois que je l’ai vu qu’il ne tiendrait pas le coup. Il est dans un état lamentable. Il a besoin d’une rééducation cardiaque obligatoire qui n’est pas faite et il n’est pas sorti de sa cellule depuis un mois. Un vrai cachot pour quelqu’un de malade. Pleins de bleus sur le corps car on le pique à l’Hôpital pour qu’il se calme.
 
Jusqu’où va t’on aller ? La punition des condamnés est-elle de mourir en prison ?
 
Nous avons bien sur fait appel à cette décision scandaleuse.
 
2) Côté famille comment fait-on face devant l’inertie inhumaine du monde carcéral et la lenteur de cette justice implacable ?
On ne fait pas face. On subit. Nous n’avons pas le choix.
On se doit d’obéir et d’attendre patiemment que quelqu’un veuille bien écouter et nous renseigner. Le système archaïque de la lourde administration pénitentiaire et judiciaire nous écrase. La France et ses administrations sont déjà bien connues pour leurs lenteurs et leurs inepties, mais en milieu carcéral elles atteignent leur apogée. C’est des « non-dits » et lenteurs volontaires pour casser les détenus et les familles dans la toute puissance de l’Etat. Nous user jusqu’à la moelle en toute impunité. On est scandalisé.
 
L’Etat se doit de communiquer avec la famille et si les associations ne prennent pas le relais, on se meurt dans les pénibles méandres de la Justice.
  1. Peux-tu nous dire, après cette douloureuse expérience, ce que tu penses de ces institutions ?
 
Je reste profondément convaincu que les institutions carcérales sont honteuses en France et qu’on fait tout pour ne pas nous montrer le vrai visage des prisons. Il n’y a aucune pitié ni pour les condamnés ni pour leurs familles. Il est URGENT d’ouvrir les prisons et de montrer les insanités qu’il s’y passe à l’intérieur. C’est le système judiciaire et carcéral qu’il faut condamner. Tout ce beau monde qui se joue de la vie des gens se devrait d’écouter les témoignages des détenus et des familles. C’est intolérable que l’on juge de la vie des gens et qu’on se donne le droit de détruire la vie de personnes sous le couvert de l’Etat. Il faut réagir et demander à voir les prisons de l’intérieur. L’individu est déshumanisé, il n’a plus aucun droit. La prison tue le condamné - et c’est le cas de mon père - et étouffe son entourage. On s’ancre dans un système de révolte et on ne peut dans ce contexte aller dans les sens de la réinsertion.
  1. As-tu rencontré des problèmes pour avoir des informations ou rendre visite à ton père ?
 
En ce qui concerne tout ce qui à trait au monde carcéral et aux informations relatives aux détenus, l’expression « portes de prisons » a pris tout son sens. J’assimile cela au parcours du combattant. Des heures au téléphone en attente d’avoir une information, des papiers pour les parloirs, et l’attente des transferts de courriers. Ce n’est que manigance pour isoler le détenu et le punir. On a plus le droit à rien quand on est condamné et de l’autre coté de la barrière pour la famille, l’attente est insupportable.
L’isolement est donc la première punition de la justice. Il faut faire le deuil du condamné.
 
On s’est immédiatement heurté à l’incompétence, la désinformation et le laxisme outrageant fort du Pouvoir. Avant de trouver quelqu’un qui nous réponde, il faut s’accrocher.
On hésite pas d’ailleurs a nous raccrocher à la gueule comme des malpropres, on est rien que la famille d’un condamné. Mise à l’écart...
 
Quand mon père a été transporté aux urgences, nous n’avons su que le lendemain qu’il avait fait un malaise après être resté pendant une demi-heure seul dans une cellule avant que quelqu’un ne daigne venir lui porter secours. Il grattait à la porte comme un chien. Dans des cas d’urgence médicale comment se fait-il qu’on ne soit pas averti ? Il ne nous appartient plus, il appartient à l’administration pénitentiaire et n’est plus qu’un numéro d’écrou malade. Nous n’avons plus à savoir ce que l’on fait et ce qui se décide de lui.
J’en ai la nausée et je garderai ces souvenirs ineffables dans ma mémoire pour toujours.
  1. As-tu rencontré des soutiens à l’extérieur ou dans le monde associatif pour t’aider dans tes démarches ?
 
J’ai été agréablement surprise de l’élan de solidarité qui s’est formé autour de moi dès que j’ai exposé mon cas. Je me croyais seule avec ma sœur et ma grand-mère au début, mais derrière j’ai trouvé un soutien considérable d’un bon nombre de personnes et d’associations qui se battent pour montrer la triste réalité du monde carcéral.
Je pense ici, bien évidemment, aux associations telles que BAN PUBLIC et ACT UP, à Laura, Milko et toi Laurent auprès de qui je me suis sentie en confiance mais aussi aidée de façon remarquable.
 
Ecoute, compétence, mobilisation et action. Je ne remercierai jamais assez tous ces gens qui se sont mobilisés pour aider mon père et ma famille dans ce chaos.
  1. Que penses-tu de la prise en charge médicale de ton père actuellement dans les nouveaux établissements pénitentiaires UHSI (unité hospitalière sécurisée interrégionale) ?
 
L’UHSI a tendance à banaliser l’état de gravité des patients détenus. Il y a très peu de lits disponibles et je sais déjà que d’un point de vue financier, l’état ne peut se permettre de garder les malades dans ces lieux. Ne nous voilons pas la face, on les renvoie dans des endroits non médicalisés car ca revient trop cher. C’est juste une parade pour faire croire à une éventuelle prise en charge médicale. Les experts de la Cour de Justice sont contre tous types d’incération pour mon père et pourtant l’UHSI se donne le droit de renvoyer mon père vers un milieu pénitencier non médicalisé. Quel paradoxe flagrant.
Dans ce milieu également, il est très difficile de suivre son état de santé.
Mourir pour mourir, mon père qui devait être transféré à nouveau vers la prison alors qu’il a toutes ses artères bouchées, a décidé de ne plus prendre ses médicaments pour mourir seul plutôt que de se faire achever. Et contre toute révolte il s’est vu administré un puissant sédatif, qui le rend méconnaissable psychologiquement et intellectuellement. L’acharnement est à son paroxysme. Je ne reconnais plus mon père. On nage en plein cauchemar.
  1. Qu’aimerais-tu dire a ceux qui vont décider de la libération ou non de ton père en cour d’appel ?
 
Libération ou non, je tiens personnellement responsable tous ces gens de la dégradation de l’état de santé de mon père. Il faut pouvoir se regarder en face en sachant qu’on condamne les gens dans la souffrance et la maladie en les éloignant de leurs proches. Notre vie n’est devenue qu’un enfer, faite de tristesse, de haine, d’incompréhension. Plus rien n’a de sens que notre combat afin de sauver mon père.
La justice, je n’y crois plus et je ne déposerais plus jamais les armes.
  1. Comptes-tu à présent te battre d’une façon ou d’une autre contre le système carcéral et judiciaire ?
 
Plus que jamais.
Malheureusement il a fallu que je sois dans cette la situation pour réaliser l’urgence d’ouvrir les prisons et de dénoncer les abus du système judicaire et carcéral. Nous ne sommes pas assez informé de ce qu’il s’y passe, on tait les prisons car je pense que cela arrange bien du monde. On tait les souffrances, la misère et les conditions d’enfermement des condamnés et de leurs proches. C’est « silence on meurt » comme tu le dis si bien. Un monde fermé et caché volontairement. Ce n’est pas pour rien que la France est montrée du doigt en Europe car, on meurt trop souvent dans nos prisons. Les condamnés sont les enfants oubliés de la patrie.
 
Sans l’aide de l’association Ban Public et d’Act up je n’aurais jamais eu toutes les opportunités de faire parler de l’histoire de mon père. Il est urgent de faire passer le message, il y a d’autres familles qui sont dans le même cas mais qui n’ont pas la force de faire toutes les démarches nécessaires pour se faire entendre.
Je me suis toujours battue dans la vie et maintenant plus que jamais.
Il s’agit de mon père, j’ai la rage au ventre, l’envie, la raison qu’on le sorte de ce milieu qui, je le répète n’est pas du tout approprié à sa santé qui le pousse de jour en jour un pied de plus dans la tombe.
 
9) Que penses-tu de la suspension de peine dont peut bénéficier ton père ?
Je pense que pour l’instant, c’est la seule façon de le faire sortir avant qu’il ne meure en prison. Il ne s’agit pas de se substituer à la justice, mais cela reste la seule loi concernant les détenus dont le pronostic vital est engagé et on se bat pour la mettre en application pour mon père.
En vérité, cette loi, devrait être appliquée au bon moment, c’est-à-dire avant la phase finale et l’urgence. Mon père n’aurait jamais du rentrer en prison.
Il est déjà assez dur de combattre la maladie, c’est une autre épreuve à affronter.
Il est incompréhensible et inadmissible qu’une remise en liberté immédiate ne soit pas accordée à mon père.
 
10) As-tu d’autres choses à dire au nom de ton père et de ceux qui subissent le même sort ?
Nous ne ressortirons jamais indemne de cette histoire. Il ne faut pas hésiter à se mobiliser et dénoncer ce qu’il se passe dans les prisons Françaises.
 
En 2010, nous sommes encore obligés de nous battre pour démontrer qu’un détenu est gravement malade, qu’il ne peut absolument pas rester dans un milieu carcéral qui l’affaiblit chaque jour. C’est tout simplement inadmissible et intolérable.
 
Qui peut me donner les chiffres de l’application de la loi sur la suspension de peine ?
A quel pourcentage cette loi est-elle appliquée ? Je n’ai pas trouvé de réponse, en revanche, je connais les chiffres des personnes mortes en prison depuis le début de l’année.
Ces gens qui sont à la tête de notre justice ont oublié le sens du mot humain et pendant qu’ils s’endorment sur leur pouvoir, ils torturent et s’acharnent sur un numéro qu’ils ont donné pour toute correspondance. 9535 c’est celui de mon père.
 
Je veux juste faire appliquer le droit à la vie, le droit à la dignité de mon père pour que cela ne se reproduise plus jamais au sein du pays des droits de l’Homme.
Céline Englumen