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Des parents en prison (billet du juge des enfants, JP Rosenczveig)
Les Droits des enfants vus par un juge des enfants, Jean-Pierre Rosenczveig, Président du Tribunal pour enfants de Bobigny

Publié le mercredi 4 août 2010 | http://prison.rezo.net/des-parents-en-prison-billet-du/

Où est la cause ? où est l’effet ? Le président de la République met le focus sur les enfants en refus d’école et annonce un renforcement du dispositif de retrait des allocations familiales aux parents dont les enfants « sèchent » et l’actualité se fait fort d’illustrer que, d’ores et déjà, nous disposons de d’outils juridiques tant pénaux que civils, de moyens tant éducatifs que financiers, pour nous attacher – et non pas pour nous attaquer – au problème posé.

Ainsi Le Monde daté du vendredi 28 mai consacre un papier important à la condamnation d’une mère de famille à deux mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir une responsabilité dans l’absentéisme de ses deux filles.

On sent déjà la prudence du journal qui ne veut pas donner l’impression d’aller dans le sens du poil gouvernental. D’entrée de jeu dans le titre il précise bien que l’affaire est exceptionnelle et qu’en tout cas on ne parle pas de deux chenapans qui ont fait l’école buissonnière à l’ancienne. Ce ne sont pas moins de 373 demi-journées d’absence qui sont reprochées. 279 pour l’une âgée de 15 ans et 94 pour sa sœur de 14 ans. On additionne ! 373 le compte est bon ! Ce sont ces 373 demi-journées d’absence qui sont reprochées à la mère de famille.

On ne nous dit pas s’il s’agit d’absences totales ou de retards d’une heure comptabilisés pour une demi-journée comme cela est courant. Admettons quand même qu’en l’espèce on sort de la normale !

En tout cas la lecture de l’article montre bien que pour justifier la condamnation il y a plus qu’un absentéisme scolaire. Le procureur de la République de Laon le dit lui-même : « L’attitude de la mère qui témoignait d’un total désintérêt vis-à-vis de l’absentéisme et de ses obligations, est également en cause ».

Pour l’illustrer il est relevé que cette mère n’a pas déféré à la convocation du procureur qui aurait voulu une explication pour se contenter d’un rappel à la loi.

Auparavant elle n’avait pas repondu aux « convocations » du principal du collège et ensuite de l’inspecteur d’académie.

Apparemment, ensuite, cette mère n’avait pas plus répondu aux convocations du juge des enfants.

Notons au passage qu’une fois de plus on ne parle pas du père !

Devant ce positionnement, le parquet a donc décidé d’engager des poursuites pénales.

Il aurait été intéressant de savoir si en parallèle des dispositions ont été prises pour s’attaquer aux difficultés familiales quitte, éventuellement devant le blocage de la mère, à envisager un départ du domicile des enfants. On ne dit pas si cette démarche a été engagée ; surtout on ne sait si la mère y a fait ou non obstacle.

En tout cas il est démontré qu’à travers l’article 227.17 du code pénal (code Badinter) appliqué à Laon nous disposons, comme je l’ai déjà développé ici, d’un outil juridique permettant de sanctionner les parents qui se soustraient à leurs obligations légales à l’égard de leur enfant mineur au point de compromettre leur santé, leur sécurité, leur mortalité ou leur éducation.

Article 227-17 du Code pénal
Ordonnance nº 2000-916 du 19 septembre 2000
Loi nº 2002-1138 du 9 septembre 2002
« Le fait, par le père ou la mère légitime, naturel ou adoptif, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30000 euros d’amende.
L’infraction prévue par le présent article est assimilée à un abandon de famille pour l’application du 3º de l’article 373 du code civil. »

Ce texte est le pendant pénal de l’article 375 du code civil qui affirme la fonction parentale et instaure son contrôle social :

Article 375
Modifié par Loi n°2007-293 du 5 mars 2007 - art. 14 JORF 6 mars 2007
Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public. Dans les cas où le ministère public a été avisé par le président du conseil général, il s’assure que la situation du mineur entre dans le champ d’application de l’article L. 226-4 du code de l’action sociale et des familles. Le juge peut se saisir d’office à titre exceptionnel.
Elles peuvent être ordonnées en même temps pour plusieurs enfants relevant de la même autorité parentale.
La décision fixe la durée de la mesure sans que celle-ci puisse, lorsqu’il s’agit d’une mesure éducative exercée par un service ou une institution, excéder deux ans. La mesure peut être renouvelée par décision motivée.
Cependant, lorsque les parents présentent des difficultés relationnelles et éducatives graves, sévères et chroniques, évaluées comme telles dans l’état actuel des connaissances, affectant durablement leurs compétences dans l’exercice de leur responsabilité parentale, une mesure d’accueil exercée par un service ou une institution peut être ordonnée pour une durée supérieure, afin de permettre à l’enfant de bénéficier d’une continuité relationnelle, affective et géographique dans son lieu de vie dès lors qu’il est adapté à ses besoins immédiats et à venir
.
Un rapport concernant la situation de l’enfant doit être transmis annuellement au juge des enfants.”

On voit donc qu’en cas d’absentéisme scolaire chronique révélateur d’un non exercice de l’autorité parentale le procureur de la République a deux voies à sa disposition.

Il peut déjà saisir le juge des enfants sur la base des articles 375 et s. du code civil. S’il y a lieu à « placement » dans une institution ou dans une famille d’accueil le juge des enfants peut compléter cette mesure par la versement à l’institution ou à la personne qui accueil le l’enfant mais il peut aussi mettre une contribution financière à charge du (ou des) parent(s) défaillant(s) ce qui a généralement pour effet de faire sortir celui de sa tanière devant le risque d’être soumis aux foudres du fisc. La vérité voulant de dire que certains parents n’en ont cure au regard des difficultés financières auxquelles ils sont déjà confrontés. Mais pas tous !

Le procureur peut aussi, en plus ou en alternative, engager des poursuites pénales contre les parents à travers l’article 227-17 du code pénal qui sanctionne la mise en péril de l’enfant par non-exercice de l’autorité parentale.

Ainsi chaque année (voir le tableau joint) deux cent parents sont poursuivis et un peu plus d’une vingtaine se trouvent condamnés à des peines fermes. La limite de cette démarche est de tenter de restaurer l’autorité parentale censée être défaillante aux yeux de l’enfant en faisant de son parent …. un délinquant. Ce modèle d’identification instituée est contestable !

L’article 227-17 du code pénal a été légèrement réécrit par la loi du 9 septembre 2002 avec le souci de pouvoir y recourir contre les parents tenus pour responsables de la délinquance de leur enfant.

Jusqu’ici il fallait que l’attitude des père et mère ait « gravement » compromis la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de l’enfant. Il était ainsi appliqué aux parents qui livraient leurs enfants à des sectes (Cass. Crim. 11 juillet 1994 pour un enfant de 6 ans et demi envoyé en Inde dans une école dirigée par les adeptes du Sahaja Yoga).

La circulaire de la Chancellerie du 13 décembre 2002 invite les parquets à engager des poursuites. On vise l’absentéisme scolaire chronique et répété sans réaction efficace des parents ; également les parents laissant leur enfants accéder à des images pornographiques ou d’une extrême violence.

Des alternatives aux poursuites pénales se développent - à Colmar, à Strasbourg - qui s’appuient sur l’obligation faite aux parents de participer à des stages éducatifs pour éviter de se retrouver en correctionnelle. La Chancellerie propose de généraliser l’organisation de stages de ce type sur la base d’un “modèle de protocole d’accord” joint à sa circulaire du 13 décembre 2002. La circulaire du 16 mars 2004 qui précise les alternatives aux poursuites suite à la loi Perben II ne vise pas les mineurs.

On le voit le recours à l’article 227-17 n’est pas une nouveauté comme certains semblent le penser, notamment l’avocate de la mère de Laon.

En d’autres termes Laon est loin d’être une première.

Application de l’article 227-17 du code pénal
Source : Ministère de la justice

         Infractions Condamnations Peines privatives de liberté dont ferme
1997 170 130 114 16
1998 154 115  101  22
1999 143 115 95 16

2005 171
2006     221
2007     192 (provisoire)

La loi dite “Egalité des chances” de 2006 a eu également le souci de développer des stages de parentalité. Par ailleurs, la loi “Prévention de la délinquance” du 5 mars 2007 donne la possibilité aux maires de créer un Conseil des droits et devoirs des parents et de décider également de stages de parentalité. Au point où il devient très difficile aujourd’hui de se retrouver entre les mesures que peuvent prendre le maire, le président du Conseil général, le procureur ou le juge qui visent toutes à travers ces stages à apprendre, en quelques jours, aux parents à être parents.

On a rappelé supra les projets présidentiels énoncés en mars 2010 pour lutter contre l’absentéisme scolaire ; ils ont un goût de « Revenez-y » sans qu’apparemment, on se soit interrogé un instant sur la non-application de règles déjà adoptées : où sont les blocages et à quoi tiennent-ils ? Pourtant cette démarche de réflexion sur les blocages s’impose pour dépasser l’incantation.

Les présidents des conseils généraux, responsables par ailleurs des services sociaux départementaux dont l’ASE, sont plus que réservés, souvent hostiles, à la démarche proposée car ils connaissent les limites d’une action purement coercitive face à un absentéisme scolaire révélateur de bien des difficultés familiales. Il y a besoin d‘action sociale et donc de gagner la confiance des intéressés. Voici un exemple parmi d’autres où il est visible qu’en partageant un intérêt commun – la scolarisation des enfants - Etat et conseils généraux doivent rechercher un consensus dans l’approche de la question.

Ajoutons pour être complets que le juge des enfants peut également retirer aux parents qui en font un mauvais usage les allocations familiales et autres prestations sociales perçues du chef de l’enfant pour les faire gérer « dans l’intérêt de l’enfant » par un tuteur.

Comme le conclut à juste titre l’article du Monde, cette démarche consistant à faire condamner les parents des enfants absentéistes scolaires n’a pas eu pour effet en Angleterre de réduire le phénomène qui au contraire a cru entre 2002 et 2007 alors que 133 parents ont été un temps emprisonnés.

En d’autres termes on se doit d’avoir ces armes dans la besace institionnelle, mais en vérité, il y a travail au long terme à engager auprès de la famille quand on en arrive à ce point chronique de refus de scolarisation.

Pour dire la vérité, le retrait des allocations familiales et les poursuites pénales apparaissent très vite comme la pratique d’un exorcisme quand la situation va justifier un travail en profondeur et sur la durée pour réconcilier chacun, adultes comme enfant, avec ses perspectives de vie.