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A l’ombre des retraites

Publié le mardi 12 octobre 2010 | http://prison.rezo.net/a-l-ombre-des-retraites/

A sa sortie de prison, T., 62 ans, s’enquiert de ses droits à la retraite, après avoir travaillé 21 ans au service général de plusieurs établissements pénitentiaires. En réponse à sa demande d’information, la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) lui indique par courrier le montant brut mensuel de sa retraite : 22,40 euros à compter du 1er avril 2009 ou 129, 47 euros à compter du 1er janvier 2013. T. a choisi d’attendre ses 65 ans pour percevoir une « meilleure » retraite... Il a acquis 35 trimestres. Bien loin des 158 trimestres qui assurent un régime complet de retraite aux personnes nées, comme lui, en 1947. Certes, T. a travaillé exclusivement durant ses deux longues périodes de détention (1977 à 1990 - 1998 à 2007). De fait, il ne peut prétendre à une pension pleine en raison de son déficit d’annuités1. Est-ce suffisant pour justifier que 21 années de travail en prison permettent de valider seulement 35 trimestres ? Sur la même période, un salarié extra-muros n’aurait-il pas acquis 84 trimestres2 ? Comment expliquer ce différentiel de 49 trimestres entre un travailleur captif et un employé lambda ? La réponse se trouve dans les fiches de paie des détenus.

Exclus du bénéfice de la protection du droit du travail et partant de la garantie du revenu minimum (cf. encadré), ils gagnent – en théorie – 44% du Smic horaire3. Or, l’obtention d’un trimestre suppose d’atteindre une somme au moins égale à 200 fois le Smic horaire, soit 1772 euros en 2010. Vu les rémunérations des détenus, valider un trimestre par an en prison est déjà un tour de force. Valider deux trimestres relève de l’exception. A preuve, sur dix années d’incarcération, B. a acquis seulement... 13 trimestres. Âgée de 62 ans, cette ex-détenue pourrait percevoir aujourd’hui 118 euros/mois, calculée sur la base de 29 trimestres, dont un tiers obtenus sous écrou (consulter le relevé de carrière de Mme B.). B. préfère se tourner vers des minima sociaux (RSA jusqu’à ses 65 ans ou Allocation de solidarité aux personnes âgées4) plus avantageux. « Que voulez-vous que je fasse avec ça, c’est moins qu’un loyer ?! J’ai travaillé quasiment sans interruption, sauf la première année où j’étais en observation. Je ne m’attendais pas à avoir aussi peu », a-t-elle confié à l’OIP.

Alors que la réforme des retraites sera adoptée dans les prochaines semaines, les détenus ont, comme souvent, été écartés des débats. Pas de régimes spéciaux ou d’aménagements spécifiques les concernant. Les occurrences « prison », « détenus », « sortants de prison » « travail carcéral » n’apparaissent jamais dans le projet de loi, voté le 15 septembre dernier par l’Assemblée Nationale. En tête de la contestation de l’allongement de la durée de cotisation, les syndicats sont à la peine lorsqu’on les sollicite sur les travailleurs-détenus : « Je connais mal le sujet, il faudrait faire un travail de conviction en interne et se saisir un jour de cette question », admet Gérard Rodriguez, conseiller confédéral CGT en charge des retraites. A la CFDT, on ne trouve « personne pour répondre à ce sujet ».

Débattu début octobre au Sénat, le texte risque d’être entériné sans que cette question n’ait soulevée la moindre interrogation. A l’exception à ce jour du député PS Armand Jung, qui a tenté en octobre 2009 d’alerter l’exécutif en rappelant que le salaire perçu en prison ne « permet pas d’atteindre les trimestresde travail pris en compte dans le calcul des droits à la retraite »5, malgré un taux de cotisation identique6. Hélas, dans sa réponse émise en mars 2010, le ministère du Travail laisse penser que la retraite des détenus ne pose pas question car « depuis le 1er janvier 1977 », ils sont « obligatoirement affiliés à l’assurance vieillesse du régime général ». Interrogé par l’OIP, Jean-René Lecerf (UMP), qui fut rapporteur du projet de loi pénitentiaire au Sénat, reconnait que « la retraite n’existe pas » aujourd’hui pour les détenus ayant travaillé longtemps en prison. « Pour eux, cette retraite et rien, c’est pareil », commente-t-il.

Des retraites qui reflètent la situation du travail carcéral qui est « loin d’être le nirvana, c’est le moins que l’on puisse dire ! », estime le sénateur du Nord. Dans ce contexte, pourquoi ne pas avoir intégré une réévaluation substantielle des rémunérations, lors des discussions préalables au vote de la loi le 24 novembre 2009 ? « On ne peut pas tout faire en même temps. Dans un premier temps, il faut développer quantitativement et qualitativement le travail. Il sera temps ensuite d’envisager des modalités de paiement du travail carcéral pour qu’il soit davantage comparable à ce qui se passe à l’extérieur ». En attendant une hypothétique réévaluation des salaires et/ou l’instauration de contrats aidés7, la main d’œuvre carcérale est bradée et on le fait savoir : « Budget serré : ne bloquez pas vos projets, passez par la prison », lit-on sur le plateau d’un étonnant jeu de société promotionnel distribué aux entrepreneurs Rhône-Alpins par l’administration pénitentiaire.

Des travailleurs (et futurs retraités) sans droit
Miroir amplificateur, les retraites reflètent le parcours professionnel d’un salarié. En l’occurrence, le travailleur-détenu évolue dans une zone de non droit dont la pierre angulaire se niche dans l’article 717-3 du code de procédure pénale. Lequel souligne expressément que « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail » dans l’enceinte d’une prison. De fait, tous les droits attachés au contrat de travail disparaissent : pas de SMIC, pas d’indemnités chômage, de maladie ou d’accident du travail, pas de congés payés, ni de droit syndical. Un système totalement dérogatoire au droit commun qui permet aux entreprises de s’implanter en prison à moindre frais. Et de bénéficier notamment de taux de cotisations considérablement minorés (assurance maladie, maternité, vieillesse, accidents du travail). Un eldorado économique qui fait dire à certains que la prison est une délocalisation...à domicile ciblant un public captif rémunéré trois à à quatre moins qu’à l’extérieur.



1. Les personnes nées en 1947 doivent comptabiliser 39,5 années.
2. Nombre de trimestres acquis par un salarié employé à temps plein sur 21 années.
3. Les détenus employés aux ateliers (travaux usinage et façonnage essentiellement) pour le compte de sous-traitants sont rémunérés sur la base – théorique – d’un seuil minium de rémunération (SMR) évalué à 3,90 brut de l’heure, soit 44% du SMIC, en 2009. La rémunération mensuelle moyenne aux ateliers est de 370 euros en 2009. Au service général (restauration, blanchisserie, nettoyage, cantine, etc.), la moyenne des rémunérations est de 233 euros. Le troisième régime de travail (SEP-RIEP) est le plus rémunérateur : 525 euros en moyenne. Cela concerne une minorité : environ 1000 détenus employés par l’AP pour des postes plus qualifiés (confection, menuiserie, informatique, numérisation d’archives audiovisuelles, etc.) réalisés majoritairement en centre de détention.
4. 460, 09 euros pour le RSA. 708, 85 euros brut pour l’ASPA (montants pour une personne seule)
5. Lire la question et la réponse à cette adresse : http://www.nosdeputes.fr/question/Q...
6. 6,65% pour la part salariale en 2010. Les détenus « classés » aux ateliers et au SEP-RIEP payent cette cotisation ; ceux affectés au service général en sont exemptés, l’AP ayant à sa charge la part salariale et patronale.
7. Les employeurs signataires de contrats aidés dans le secteur non marchand et marchand reçoivent des aides de l’État (subventions, exonérations de certaines cotisations sociales, aides à la formation, etc.), en échange de l’embauche (CDD de 6 à 24 mois maximum) d’un salarié éloigné de l’emploi.

22 septembre 2010

 
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