Publié le samedi 6 novembre 2010 | http://prison.rezo.net/un-rapport-d-expertise-medicale/ Cuire des pâtes ou préparer un café en cellule peut nuire gravement à la santé. Dans bon nombre de prisons, l’administration pénitentiaire refuse d’autoriser les détenus à utiliser des plaques électriques chauffantes, notamment en raison de l’actuelle vétusté des installations électriques. Pour cuisiner, ceux-ci doivent alors « cantiner »1 des réchauds à pastilles combustibles, commercialisées généralement sous les marques Chof’vit ou Amiflam. Des produits en principe dédiés au camping, comme l’atteste la mention « ne pas utiliser dans une atmosphère confinée » qui figure sur leur emballage. La combustion de ces pastilles libère en effet des vapeurs irritantes pouvant entraîner des gênes (picotements des yeux, irritation de la gorge) et des « symptômes respiratoires (toux douloureuses, expectoration, bronchospasme) »2. Un moindre mal puisque le formaldéhyde, gaz issu de la combustion de ces pastilles, est classé comme « cancérogène avéré chez l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer, rattaché à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Depuis que l’administration pénitentiaire (AP) a décidé de leur mise en vente en 19963, détenus et personnels soignants s’inquiètent d’une éventuelle toxicité de ces pastilles. Les soupçonnant d’être à l’origine d’une toux chronique et de crises d’asthmes, N.M., incarcéré à Fleury-Mérogis entre décembre 2007 et février 2010, a demandé une expertise médicale. Ordonnée par le tribunal administratif de Versailles le 19 octobre 2009, remise le 10 septembre 2010, l’expertise établit clairement le lien entre la toxicité des pastilles et l’état de santé dégradé de N.M. : « Le déclenchement des symptômes respiratoires est indéniablement lié à l’utilisation des [pastilles] Amiflam », observe le médecin expert. Après avoir souligné leur caractère toxique, l’expert estime que l’utilisation de ces réchauds « devrait être proscrite » en milieu « confiné ». Ce n’est pas la première fois que des autorités sanitaires avertissent l’administration pénitentiaire de la nocivité des réchauds à pastilles combustibles. En 2005, l’inspection générale des affaires sanitaires (IGAS), interpellée par l’OIP et des plaintes de détenus auprès des services médicaux en prison, avait interrogé l’administration pénitentiaire. En janvier 2007, le comité de coordination de toxicovigilance (CCTV), mandaté par la direction générale de la santé (DGS), observait que « ces pastilles ne devraient pas être utilisées en atmosphère confinée »4, après avoir constaté, lors d’une étude menée à la Maison d’arrêt de Strasbourg, que « neuf détenus sur dix se déclarent gênés par ces pastilles ». Pourtant, ce comité n’a pas tiré les conclusions de ces propres constatations : « il conviendrait de préconiser l’ouverture des fenêtres au moment de leur utilisation. (...) Une petite affiche pourrait être remise à chaque détenu au moment de l’achat de ces pastilles », ont avisé timidement les experts du CCTV. En clair, « une petite affiche » recommandant « l’ouverture de fenêtre » suffirait à faire disparaitre le danger ! Cette précaution n’a pas franchement convaincu la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) d’Île-de-France. Dans son rapport sur la maison d’arrêt de la Santé, remis en mars 2008, la DRASS relève l’absurdité de cette mesure : « La ventilation des cellules nécessaire à l’usage de ce mode de réchauffement est impossible à respecter dans la disposition d’une cellule »5. Aussi, la DRASS alerte sur la nécessité de changer les systèmes électriques défaillants pour proposer « des plaques chauffantes et des fours à micro-ondes ». Une recommandation identique avait été faite, dés novembre 2007, par la même DRASS, qui épinglait la « nocivité avérée »6 des pastilles utilisées à la MA de Fresnes. Une préconisation passablement ignorée par l’AP qui a préféré se conformer à celle – nettement moins contraignante - du rapport du CCTV. Plus aisé en effet pour l’administration pénitentiaire de diffuser une affiche listant des précautions aussi inapplicables soient-elles, que d’autoriser les détenus à disposer de plaques chauffantes électriques ou de micro-ondes. Équipements nécessitant d’engager de coûteux travaux de rénovation en cas de système électrique défaillant. Aussi, les personnes détenues n’ont-elles eu le droit qu’à des consignes de mise en garde étonnantes (voir les consignes diffusées à la maison d’arrêt de Villepinte). Diffusée en avril 2008 dans l’ensemble des établissements pénitentiaires, la « notice d’information type relative aux pastilles chauffantes » recommande notamment aux détenus de « pratiquer une aération de la cellule pendant et après la combustion des pastilles ». Or, l’administration sait parfaitement que les cellules ne sauraient être aérées convenablement puisque les fenêtres, de petite taille, sont obstruées par des grillages, des barreaux ou des caillebotis de sécurité. De plus, la notice préconise de « maintenir une certaine distance » lors de l’utilisation des pastilles « afin d’éviter d’inhaler les vapeurs qui s’en dégagent ». Mais, ironise Maitre Dimitri Pincent, avocat de N.M. (lire son interview ci-dessous), « quand on est deux dans 9 m2, on voit mal comment on peut faire pour se tenir éloignés ». Certes, comme le rappelle l’administration pénitentiaire, ces pastilles doivent servir d’« appoint pour réchauffer de l’eau ou une boisson et non pour cuisiner un plat ». Dans ce cas, pourquoi l’administration pénitentiaire vend-elle des produits et plats à cuire (riz, pâtes, conserves) et des ustensiles de cuisine (poêles, casseroles) alors même qu’il n’existe que ce moyen pour les cuisiner ? (voir un bon de cantine de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis). Le ministère de la Justice a d’ailleurs admis, en février dernier, que « ces pastilles (...) sont nécessaires pour réchauffer des boissons ou des aliments, faute de disposer d’installations électriques supportant la généralisation des plaques chauffantes ». Avant d’ajouter qu’« il n’est pas envisageable actuellement de (les) supprimer » 7. Une posture dénoncée par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) qui n’a pas manqué d’épingler la pérennisation de ce système de cuisson toxique en cellules suite à plusieurs visites d’établissements pénitentiaires, telles à Villefranche-sur-Saône, Chartres, Angers, ou Compiègne. Selon le CGLPL, autoriser les plaques électriques « permettrait de retirer de la cantine l’achat des pastilles combustibles dont l’administration pénitentiaire indique par note le risque cancérigène, ce qui, pour le contrôle général, apparaît pour le moins incohérent... 8 ».
D’autant que le Contrôleur a pu constater, à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône, par exemple, que l’absence de mise à disposition de plaques chauffantes, « comme ailleurs, n’est pas due à des obstacles techniques »9, et que « le risque de saturation du réseau électrique pourrait être pris en compte en introduisant principalement des plaques à la puissance limitée ». En s’abritant derrière des consignes hypocrites, la « sensibilisation » de l’administration pénitentiaire sur ce sujet « paraît malheureusement bien factice », écrit Maître Dimitri Pincent, dans une lettre envoyée à la garde des Sceaux, le 14 octobre dernier. Courrier dans lequel il note que « l’administration pénitentiaire n’a pas daigné se déplacer à la réunion de l’expertise médicale du 4 mai 2010, la première sur cette problématique, ni même s’excuser de son absence auprès de l’expert ». Outre une demande d’indemnisation, N.M. souhaite aussi faire interdire l’utilisation de pastilles chauffantes « dans tout établissement pénitentiaire situé sur le territoire français ».
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