Ban Public
Le portail d’information sur les prisons
Affaire Emily Virginie Raffray Taddei - Arrêt Raffray Taddei c. France

Publié le samedi 16 avril 2011 | http://prison.rezo.net/affaire-emily-virginie-raffray/

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE RAFFRAY TADDEI c. FRANCE
(Requête no 36435/07)
ARRÊT
STRASBOURG
21 décembre 2010
DÉFINITIF
21/03/2011

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Raffray Taddei c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
 Jean-Paul Costa,
 Karel Jungwiert,
 Rait Maruste,
 Mark Villiger,
 Isabelle Berro-Lefèvre,
 Ganna Yudkivska, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section.

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 novembre 2010,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 36435/07) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Virginie Raffray Taddei (« la requérante »), a saisi la Cour le 21 août 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante est représentée par Me J. Dubs, avocat à Joinville le Pont. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. La requérante alléguait en particulier que son maintien en détention contrevenait à l’article 3 de la Convention de même que le défaut d’accès aux soins dont elle bénéficie en prison.

4. Le 27 août 2008, la Cour a décidé de communiquer la requête. Les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l’autre. Le 25 juin 2010, le président de la chambre a invité le Gouvernement à présenter des observations complémentaires sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1962 et est actuellement incarcérée à Roanne.

6. La requérante est écrouée en exécution de peines correctionnelles prononcées entre 1997 et le mois de novembre 2007 principalement pour des faits d’escroqueries, abus de confiance, falsification de chèques et usage, recel, vol, outrages, violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique. Le montant total des dommages et intérêts alloués par les différentes juridictions aux parties civiles est de 23 962 euros (EUR). Son casier judiciaire mentionne vingt condamnations depuis 1994 pour des faits similaires. Par ailleurs, elle fut mise en examen le 23 septembre 2008 par un juge d’instruction de Bastia pour des escroqueries commises au préjudice de la Caisse d’allocations familiales (CAF) entre 2005 et 2006.

7. Le 27 janvier 2004, l’observatoire international des prisons (OIP) écrivit au juge de l’application des peines du tribunal de grande instance de Nice où la requérante était incarcérée pour dénoncer le manque de soins prodigués à son égard. Il ressortait du communiqué que la requérante était hospitalisée depuis août 2003 pour le traitement d’un cancer et que sa demande de libération conditionnelle avait été rejetée. L’OIP faisait valoir que l’état d’avancement de la maladie dont la requérante était atteinte ne semblait pas pouvoir tolérer le moindre retard dans les soins.

8. Le 6 juillet 2004, le Dr C., praticien hospitalier au centre hospitalier universitaire (CHU) de Montpellier en unité du département des maladies respiratoires certifia que la requérante était suivie depuis 1997 suite à une réanimation pour décompensation respiratoire grave et qu’elle présentait des pathologies graves du système respiratoire. Il dénonça « l’incohérence totale des traitements qui ont été mis en place pendant son incarcération ».

9. Par la suite, la requérante retourna en Corse. Par une ordonnance du 23 juin 2006, le juge de l’application des peines (JAP) du tribunal de grande instance (TGI) de Bastia désigna le Dr B., expert près la cour d’appel de Bastia, pour « Examiner le condamné, décrire son état de santé, définir la nature et les modalités des soins nécessaires, préciser les perspectives d’évolutions ; dire s’il est établi qu’il est atteint d’une pathologie engageant le pronostic vital ; dire si son état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention. »

10. Le 30 décembre 2006, le Dr B. rendit son rapport en précisant qu’il avait examiné la requérante à son domicile en septembre 2006 (probablement mise en liberté sous contrôle judiciaire à ce moment là) et conclut, au vu de l’absence de pièces médicales fiables et de coopération de la requérante « qu’il n’est pas établi que la requérante soit atteinte d’une pathologie engageant le pronostic vital et que son état de santé n’est pas durablement incompatible avec son maintien en détention. »

11. Le 7 mai 2007, la requérante fut incarcérée à la maison d’arrêt de Borgo (Haute-Corse). Au cours de sa détention à Borgo, la requérante demanda une suspension de peine médicale en vertu de l’article 720-1-1 du code de procédure pénale (CPP).

12. Le 23 août 2007, la requérante présenta une demande urgente en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour afin d’obtenir « la suspension de sa peine pour raisons de santé ». Le président de section à laquelle avait été attribuée la requête rejeta cette demande le 24 août 2007 mais décida d’informer le gouvernement défendeur de l’introduction de la requête et l’invita à fournir des renseignements sur les faits conformément à l’article 54 § 2 a) du règlement.

13. Le 12 septembre 2007, le Gouvernement répondit notamment ce qui suit :

« Sur l’état de santé actuel de la requérante et les soins dont elle bénéficie.

Sur le plan somatique, la requérante est prise en charge par le médecin responsable de l’UCSA de la maison d’arrêt de Borgo. Elle est régulièrement suivie et reçoit les traitements et examens complémentaires nécessités par son état. Mme Raffray s’étant plainte de difficultés respiratoires, plusieurs examens cliniques ainsi qu’une radiologie des poumons et divers bilans ont été effectués mais ils n’ont mis aucune pathologie en évidence (voir le rapport du 30 décembre 2006). De l’oxygène a néanmoins été mis à la disposition de l’intéressée mais elle ne semble pas l’avoir utilisé. L’état de santé est actuellement considéré comme stable.

Sur le plan psychiatrique, la requérante a été admise, une première fois, dans le courant du mois d’août 2007 à la clinique San Ornello de Borgo pour un bref séjour. Elle a déclaré dès son entrée ne pas être malade et avoir demandé son hospitalisation pour avoir de meilleures conditions de vie et voir plus facilement ses enfants. L’examen psychiatrique n’ayant mis en évidence aucun trouble grave réel, un refus d’hospitalisation d’office a été prononcé. A son retour en détention, elle a eu des gestes autodestructeurs qui ont entraîné l’intervention du SAMU. Elle a été à nouveau transférée le 3 septembre à la clinique San Ornello en Hospitalisation d’Office. Le médecin psychiatre qui la suit n’a décelé aucun état dépressif sévère mais plutôt des troubles de la personnalité. »

14. Le 7 janvier 2008, un médecin du centre hospitalier de Bastia rendit compte d’un examen médical effectué sur la requérante au médecin de la prison de Borgo :

« (...) les antécédents sont assez lourds, à la fois tumoraux, cancer de l’utérus (...), vasculaire infarctus du myocarde et surtout une insuffisance respiratoire chronique sous oxygénothérapie à domicile secondaire à une BPCO sévère.

L’examen clinique de ce jour est relativement stable dans la mesure où l’auscultation ne fait que retrouver quelques râles sibilants et quelques crépitants. Le cliché thoracique par contre montre un cliché de distension thoracique net (...). Pour l’instant, je n’ai rien changé à son traitement, je pense simplement que cette patiente devrait pouvoir quitter la maison d’arrêt et recommencer une vie normale tout au moins à son domicile. »

15. La requérante fut hospitalisée dans le service de médecine du centre hospitalier de Bastia du 7 au 11 février 2008. Le compte rendu d’hospitalisation du Dr M. est ainsi rédigé :

« (...) Adressée pour crise comitiale. Antécédents Médicaux : infarctus du myocarde

Déficit en protéine S, Chirurgicaux : (...) utérus : chimiothérapie arrêtée il y a quelques mois ; tumeur du tronc cérébral traitée par chimio + radiothérapie en 2008

Sous réserve d’un examen complémentaire par IRM et de documents précis sur les antécédents lourds de cette patiente mais sujets à caution, il importe de compléter le bilan. Par une gazométrie de repos en air ambiant, une échographie cardiaque, une IRM et si possible une exploration fonctionnelle respiratoire, en sachant que celle-ci sera très difficile à réaliser correctement. Tant que ce bilan n’est pas réalisé, il ne sera pas possible de déterminer de manière formelle les possibilités d’incarcération ou pas de [la requérante]. »

16. Le 20 février 2008, la requérante fut transférée au centre pénitentiaire de Rennes.

17. Le 3 mars 2008, le Dr B., expert près la cour d’appel de Bastia, mandaté par le juge de l’application des peines, après avoir examiné la requérante le 5 février 2008 au centre hospitalier de Bastia, conclut « qu’en raison de l’altération de l’état général de la requérante, celui-ci est durablement incompatible avec son maintien en détention » :

« (...) Antécédents déclarés : déficit en protéine S, asthme allergique, pneumothorax récidivent, cancer du col de l’utérus traité par hystérectomie totale plus radiothérapie plus chimiothérapie, tumeur cérébelleuse plaie par arme à feu avec perforation diaphragmatique gauche, enfin hypertension artérielle.

L’examen général : 1 m 62 pour 49 kg, cicatrice opératoire latéro-cervicale de 4 cm cicatrice pelvienne horizontale.

[la requérante] n’est pas capable de nous procurer ni les radiographies ni le compte rendu opératoire de son intervention chirurgicale. Toutefois les différentes cicatrices sont compatibles avec les éventuelles interventions déclarées. »

18. Le 4 mars 2008, elle réitéra sa demande de suspension de peine médicale effectuée préalablement au centre pénitentiaire de Borgo.

19. Le 31 mars 2008, une synthèse socio-éducative fut établie au centre pénitentiaire de Rennes :

« La requérante présente une personnalité pour le moins pathologique : ce qu’elle affirme est la plupart du temps contredit par la réalité, le reste n’est pas vérifiable ...

Elle est mère de trois enfants dont deux filles mineures placées en foyer, un grand fils en perdition dont personne ne semble savoir où il vit. Les établissements d’accueil de ses filles sont très attachés à maintenir le lien avec la maman et fournissent régulièrement des nouvelles (...) Nous avons affaire à une personnalité éminemment mythomane, particulièrement bien illustrée par un expert : « manie affabulatrice extrêmement développée ».

20. Le 8 avril 2008, l’administration pénitentiaire présenta une synthèse qui fit état de l’impossibilité de vérifier les maladies dont se plaint la requérante. Elle conclut qu’elle émettrait un avis réservé pour tout autre projet mais « se conformera à l’avis des experts médicaux si son état est réellement incompatible avec la détention ».

21. Par un jugement du 16 avril 2008, le juge de l’application des peines près le tribunal de grande instance de Rennes désigna deux experts, les Drs L. et B., experts auprès de la cour d’appel de Rennes, pour procéder à une expertise médicale de la requérante, avant le 30 juin 2008, après avoir rappelé ce qui suit :

« Attendu (...) que le Dr B. indique [que l’état de santé de la requérante] est durablement incompatible avec la détention ; que cependant, l’expert indique que [la requérante] n’a pas été capable de procurer le moindre document médical ;

Que le docteur M., expert auprès de la cour d’appel de Bastia, conclut que sous réserve d’un examen complémentaire IRM et de documents précis sur les antécédents lourds de cette patiente, mais sujets à caution, il importe de procéder à un bilan complémentaire avant de déterminer les possibilités d’incarcération de l’intéressée ;

Attendu que ces expertises n’apportant pas une réponse claire à la question de savoir si [la requérante] se trouve dans une des situations prévues par l’article 720-1-1 du code de procédure pénale, il y a lieu d’ordonner deux expertises distinctes ; »

22. Le 18 avril 2008, la requérante fit appel de cette ordonnance.

23. Du 19 au 23 avril 2008, la requérante fut hospitalisée pour une crise d’asthme au CHR de Rennes. Le 26 mai 2008, le Dr J. écrivit au médecin de la maison d’arrêt des femmes de Rennes ce qui suit :

« (...) a été hospitalisée dans la chambre carcérale de l’hôpital Pontchaillou du 19 avril au 23 avril 2008 pour une crise d’asthme.

(...) son terrain est lourd. On relève :

– une tumeur du tronc cérébral, nous n’avons pu avoir l’anatomopathologie, le dossier se trouvant entre les mains de ses médecins à Bastia. Elle aurait bénéficié pour cette tumeur d’une radio et chimiothérapie dont nous ne connaissons ni la dose, ni la nature concernant la chimiothérapie. En complication, elle a une ostéonécrose mandibulaire.

– un asthme vieilli au stade de l’insuffisance respiratoire chronique, nécessitant une oxygénothérapie de longue durée à trois litres par minute. Elle est sous Bêta 2 mimétiques, anti cholinergique inhalé et corticoïdes per os.

– une névralgie cervico brachiale avec hernie discale C5-C6 et C6-C7 ayant nécessité un traitement chirurgical avec mise en place d’ostéosynthèse.

– une maladie thrombo embolique avec des phlébites à répétition (...)

– une cardiopathie ischémique avec des séquelles d’infarctus du myocarde postérieur, sans notion, d’après la patiente, de geste de revascularisation.

– Enfin, un lourd terrain allergique avec notamment des antécédents de choc sur les anesthésies en locaux type Xylo/Lidocaïne, Pénicilline et IODE.

– des douleurs de type céphalées dues à la fois à sa hernie cervicale et probablement à sa tumeur du tronc, évoluant par paroxysme et clamées des morphiniques à libération rapide de type Actiq.

Son traitement à l’admission comprend : Cardensiel 1,25 : 2cp le matin, Lasilix 40 mg : 1 cp le matin, Solupred 20 mg : 1cp le matin, Aerius 5 mg : 1cp le matin, Singulair : 1 cp le matin, Lovenox : 1 injection sous cutanée par jour, Actiq 200 µg dispositif à faire fondre dans la bouche jusqu’à trois fois par jour si douleurs, Durogesic 50 : 1 patch tous les 2 jours, Sérévent : une bouffée matin et soir.

L’histoire de la maladie est celle d’une infection ORL qui va progressivement déséquilibrer l’asthme de la patiente. Elle consulte donc aux urgences le 19 avril. A l’arrivée, au niveau clinique, la patiente est tachypnéique, cyanosée avec discret signe de tirage et des sibilants à l’expiration (...)

L’évolution va être favorable sous aérosols de Bricanyl-Atrovent, augmentation de la corticothérapie à 60 mg/jour. Dans le cours de l’hospitalisation, [la requérante] va se plaindre d’une suppuration chronique au niveau du maxillaire supérieur gauche. Une consultation stomatologique et un orthopantogramme vont donc retrouver un abcès dentaire. Celui-ci nécessiterait une intervention chirurgicale qui ne peut se faire sous anesthésie locale compte tenu du terrain allergique de [la requérante]. Les stomatologues, compte tenu du terrain lourd respiratoire et cardiaque (...) n’envisagent pas de le faire sous anesthésie générale, et tant que l’ensemble du dossier ne leur sera pas parvenu.

Au niveau respiratoire, l’état va donc vite s’améliorer. [La requérante] va retrouver sa respiration de base, sous 3 litres d’oxygène. Il existe des questions en suspens, concernant sa maladie respiratoire. Tout d’abord, il faudrait faire le point sur la cardiopathie ischémique, pour savoir si elle justifie réellement l’emploi des bêta bloquants compte tenu de son asthme très sévère. D’autre part, au niveau thérapeutique, il semble que [la requérante] n’ait jamais bénéficié d’immunosuppresseur de type Méthotrexate ou d’anti IgE spécifique (Xolair). Ces thérapeutiques ne peuvent être envisagées que si nous possédons tous les antécédents et tout le dossier. Il est donc extrêmement important de pouvoir récupérer toutes les données de [la requérante], au cas où son séjour à Rennes devait se prolonger. Néanmoins, les pathologies sont nombreuses et intriquées et une prise en charge de qualité ne pourrait être faite que par les équipes qui la connaissent déjà.

D’autre part, les conditions actuelles d’incarcération de [la requérante] seraient incompatibles avec son état de santé. Elle se plaint effectivement d’une humidité au niveau de sa cellule qui est un risque de faire décompenser son asthme. Son maintien actuel en détention, dans des conditions qui sont siennes, sont a priori délétères sur son état de santé. »

24. Par un arrêt du 8 juillet 2008, la cour d’appel de Rennes rejeta la demande d’annulation de l’ordonnance du 16 avril 2008. Par un arrêt du 20 août 2008, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.

25. Entre-temps, les experts commis le 16 avril 2008 rendirent leurs rapports en juin et juillet 2008. Le Dr L. releva que la requérante, pesant 54 kg, présentait un asthme bronchique depuis l’enfance justifiant une thérapeutique au long cours. Sur le plan chirurgical, il était noté une ostéosynthèse du rachis cervical et une lobectomie partielle gauche pulmonaire, vraisemblablement après plaie par arme à feu mais aucun compte rendu ne permet de confirmer la lésion. Il précisa que la requérante souffrait d’une insuffisance respiratoire justifiant la thérapeutique telle que précisée par le compte rendu d’hospitalisation du mois d’avril 2008. Le médecin conclut à la compatibilité de l’état de santé de la requérante avec un maintien en détention.

Le Dr B. rédigea son rapport après avoir examiné la requérante en mai 2008 et « en l’absence de communication des pièces réclamées et en particulier les comptes rendus d’hospitalisation ». Il précisa qu’il ne disposait d’aucun argument médical s’agissant de la tumeur du tronc cérébral et du cancer de l’utérus allégués. En ce qui concerne la sphère respiratoire, il ne nota pas de difficultés respiratoires. Il conclut que l’état de santé était compatible avec le maintien en détention.

26. Du 1er au 18 juillet 2008, la requérante fut hospitalisée en raison d’une grève de la faim. A son retour en détention, et à la suite de son refus de s’alimenter et de s’hydrater, la requérante fut transférée, le 8 août 2008, vers l’hôpital de santé de Fresnes. Du fait de ce transfèrement, le juge de l’application des peines de Rennes ne put audiencer la requête aux fins de suspension de peine.

27. Le 13 février 2009, la requérante réitéra sa demande de suspension de peine. Par une ordonnance du 26 février 2009, le juge de l’application des peines du tribunal de grande instance de Créteil commit deux experts, les Drs F. et M., tous deux experts auprès de la cour d’appel de Paris, afin de dire si le pronostic vital était engagé ou si la santé de la requérante était durablement incompatible avec le maintien en détention (voir paragraphe 30 ci-dessous).

28. Par décision du 23 février 2009, l’administration pénitentiaire décida de l’affectation de la requérante au centre de détention de Roanne.

29. Le 24 février 2009, le Dr I.B., à la demande du juge de l’application des peines du TGI de Créteil, établit un certificat médical ainsi libellé :

« (...) Certifie que la requérante présente une pathologie chronique conduisant à des hospitalisations itératives et nécessitant un suivi médical régulier. Elle peut être exposée à des complications aigues potentiellement graves. Son retour en détention nécessite des aménagements en particulier la mise à disposition d’un extracteur d’oxygène et une UHSI proche. Pour des raisons humanitaires, il est hautement souhaitable que son affectation la rapproche de son domicile. Compte tenu de son hospitalisation prolongée à l’hôpital de Fresnes depuis août 2008, du fait de n’avoir pas obtenu d’affectation adaptée pour cette patiente, il est souhaitable d’envisager les possibilités d’aménagements de peine. Certificat médical à la demande de M. B., juge de l’application des peines. »

30. Suite à l’ordonnance du 26 février 2009, une première expertise médicale fut diligentée le 7 mars 2009 à Fresnes. Elle se lit comme suit :

« Sur le plan général :

Il s’agit d’une femme sthénique, maigre, sinon cachectique. Elle mesure 1m64 pour un poids de 37 kg. (...)

Sur le plan psychologique

La coopération est satisfaisante, mais avec une très vive et vaste quérulence. Contrairement aux examens précédents, la requérante n’est pas réticente (...)

Les fonctions intellectuelles sont de bon niveau et conformes aux acquis annoncés (...) La requérante relate son histoire : elle a eu une enfance semble-t-il difficile initialement puis a été adoptée par une avocate (...) elle fait des brillantes études jusqu’à la 4e année de médecine. Elle a abandonné ses études pour une vie d’aventure et semble-t-il de combat politique (...)

L’humeur est labile, avec des aspects cycliques : on ne relève pas de douleur morale, de tristesse, ou de sentiment de dépréciation, non plus que d’échec mais les idées de mort sont prégnantes, la cachexie, les troubles respiratoires, l’énumération quasi ludique des maladies graves, sont autant de manifestations fantasmatiques d’autodestruction. (...)

Il existe une nette tendance à l’interprétation et l’appropriation de pathologies non démontrées (cardiopathies, cancers) pose problème. (...)

[La requérante] présente selon elle les affections invalidantes suivantes (...)

De cet ensemble d’affections, peu ont été démontrées, ce que le dossier médico-judiciaire rappelle à toutes les pages. (...) Par contre, l’insuffisance respiratoire est réelle, bien que les pneumologues soient dubitatifs. Un seul l’affirme, le Dr C. [paragraphe 8 ci-dessus], qui s’exprime avec une véhémence surprenante. Cependant les épreuves fonctionnelles respiratoires ont fait la preuve d’un syndrome obstructif et restrictif sévère et la détenue est sous oxygène. D’autre part, [la requérante] a du mal à s’alimenter – depuis sa grève de la faim, dit-elle, ce qui est plausible – elle vomit et elle pèse 37 kg. Elle est le portait d’une anorexique ce qui d’ailleurs correspond à une personnalité pathologique à cheval sur l’histrionique et le narcissique. La mort est parfois l’aboutissement d’une volonté de paraître. Au total :

L’état de la détenue n’est pas, actuellement, stricto sensu, compatible avec la détention ordinaire ou hospitalière ; certes, la requérante peut se déplacer bien qu’alitée, elle n’est pas grabataire, les affections dont elle dit souffrir ne sont pas toutes démontrées et, a priori, on ne peut évoquer de pronostic fatal à court terme.

Cependant, l’ensemble des affections aboutit en réalité à constituer un état précaire avec une menace de complications globales liées à la personnalité, aux troubles respiratoires, et aux conduites mortifères qui ne sont absolument pas impulsives mais raisonnées, majorées par un état nutritionnel préoccupant, avec des complications métaboliques, notamment rénales et des crises convulsives, non démontrées mais possibles.

L’urgence actuelle est la réalimentation. (...) La prise en charge à Fresnes est correcte, mais elle se prolonge sans progrès patent, le retour à la détention ordinaire est actuellement exclu.

Les troubles respiratoires et métaboliques (notamment la dénutrition) sont inquiétants et nécessitent une prise en charge spécialisée dans un centre hospitalier de renutrition avec un encadrement psychiatrique. A l’issue de cette prise en charge un nouvel examen permettra d’évaluer, d’une part, la compatibilité réelle avec la détention, d’autre part et surtout, le pronostic à court terme et moyen terme. »

La seconde expertise datée du 19 mars 2009 conclut que par rapport aux nombreuses allégations médicales de la requérante, on retrouvait d’une manière objective une arthrodèse par une plaque vissée au niveau du rachis cervical, une hystérectomie et une gastrite. Le médecin précisa que « le traitement prescrit à l’heure actuelle semble donc un compromis entre les praticiens et la patiente ». Il conclut que son état de santé était durablement compatible avec le maintien en détention mais ajouta que la requérante nécessitait une réalimentation adaptée.

31. Le 23 avril 2009, une expertise psychiatrique diligentée par le Dr P. , expert près la cour d’appel de Paris, et destinée au juge de l’application des peines (pour évaluer « s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction », le JAP ordonne une expertise psychiatrique ou psychologique depuis la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive) indiqua que l’examen psychiatrique « révélait un syndrome de Munchausen responsable d’un certain nombre de pathologies somatiques induites par la requérante elle-même et responsables actuellement d’une dénutrition avec anorexie qui est comorbide d’une réaction à son transfert de Corse sur la France continentale ». Il poursuivit ainsi :

« Un suivi en psychothérapie est nécessaire et un traitement spécialisé pour l’anorexie et la pathologie du syndrome de Munchhausen (...)

Les réponses aux questions de la mission d’expertise sont les suivantes : (...)

– apprécier l’état de dangerosité actuelle du détenu : Madame Virginie Raffray épouse Taddei n’est pas dangereuse en dehors d’une dangerosité pour elle-même du fait de son anorexie mais son projet de revenir en Corse s’il est réalisé devrait permettre une relative normalisation de son état de dangerosité pour elle-même. En revanche, le syndrome de Munchausen doit nécessiter une prise en charge spécialisée en psychiatrie et une psychothérapie de même que l’anorexie responsable de dénutrition qui nécessite un séjour à l’Institut Montsouris ou à Sainte Anne.

– dire si un suivi psychiatrique ou médico-psychologique est actuellement utile en détention et lui sera nécessaire après sa libération : [la requérante] pèse 35 kg pour 1m 65, elle a été suivie en psychiatrie à 2 à 3 reprises à l’hôpital de Fresnes et en psychothérapie lorsqu’elle habitait Noisy-le-Grand. Actuellement, son état nécessite un suivi spécialisé dans un service pour traitement de son anorexie et du syndrome de Munchhausen comorbide de cette pathologie.

– dire si cette condamnée est susceptible de faire l’objet d’un traitement : un transfert à l’institut Montsouris ou à Sainte-Anne pour traitement de l’anorexie et du syndrome de Munchausen est nécessaire. [La requérante] en est d’accord. »

32. Par un jugement du 5 mai 2009, le juge de l’application des peines du TGI de Créteil rejeta la demande de suspension de peine. Il rappela que la fin de peine était prévue le 25 janvier 2012 et conclut comme ceci :

« Lors de l’audience du 30 avril, à laquelle elle a comparu très affaiblie du fait d’une importante perte de poids, [la requérante] a maintenu la réalité de toutes les pathologies dont elle se plaint, a déclaré que l’anorexie dont elle souffrait était consécutive à une grève de la faim entamée l’année dernière.

Il ressort de cet ensemble d’éléments, et notamment des conclusions des deux expertises qui ne précisent pas de façon concordante que le pronostic vital est engagé ou que l’état de santé est incompatible avec la détention, que la condamnée ne remplit pas les conditions lui permettant de bénéficier d’une mesure de suspension de peine pour raisons médicales. »

33. Le 4 juin 2009, la requérante fut transférée en ambulance au centre de détention de Roanne. Selon le Gouvernement, la requérante bénéficie depuis son arrivée d’une prise en charge médicale et psychologique hebdomadaire.

34. Le 19 juin 2009, la requérante présenta une demande de libération conditionnelle (article 729 du CPP, paragraphe 39 ci-dessous). A l’appui de cette demande, elle présenta un projet de sortie consistant en une hospitalisation, à partir du 11 mars 2010, au CHU Carémeau de Nîmes, un projet de soin devant être élaboré par la suite.

35. Par un arrêt du 20 octobre 2009, la cour d’appel confirma le jugement du 5 mai 2009.

« (...) Considérant qu’il résulte de l’expertise psychiatrique diligentée le 23 avril 2009 par le docteur P. que la condamnée souffre de crises d’angoisse et d’un état dépressif depuis 7 mois, que selon cet expert, elle présente un syndrome de Munchausen responsable de certaines pathologies somatiques induites par elle-même et responsable de sa dénutrition actuelle avec anorexie justifiant d’une psychothérapie ; (...)

Considérant que conformément à la loi, deux expertises médicales ont été ordonnées et déposées en avril 2009 à la suite de la nouvelle requête présentée par la condamnée, dont la précédente demande de suspension de peine pour raison médicale avait fait l’objet d’une décision de rejet ; (...) Considérant qu’en présence de deux expertises ne concordant ni sur le pronostic vital engagé, ni sur l’incompatibilité de l’état de santé avec le maintien en milieu carcéral, la Cour ne peut que confirmer le jugement entrepris. »

 


36. Par un courrier du 3 mars 2010, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, saisi par la requérante à plusieurs reprises, écrivit à la directrice du centre de détention de Roanne :

« Port du bandeau

Mme Raffray m’avait indiqué par courrier qu’à son arrivée au centre de détention, un lieutenant lui avait fait retirer le bandeau qu’elle portait afin de masquer sa calvitie. (...) En tout état de cause, le risque de prosélytisme n’était pas établi de sorte que l’atteinte portée à sa dignité était manifestement disproportionnée au regard des impératifs de sécurité invoqués. (...) Je souhaiterais que vous me précisiez les mesures qui pourront être prises pour porter à la connaissance de l’ensemble des personnels l’autorisation donnée à [la requérante] de porter un bandeau pour raison médicale.

Repas

Compte tenu de la pathologie dont souffre [la requérante], les repas constituent nécessairement pour elle et pour l’ensemble du personnel d’encadrement, une source de difficultés. S’il ressort des informations transmises par l’UCSA que la maladie de cette détenue ne lui impose pas de suivre un régime alimentaire strict, les chargées d’enquête du contrôle général ont pu constater que l’organisme GEPSA et la diététicienne s’efforçaient de satisfaire à ses demandes et ont mis en place une fiche de suivi permettant d’attester les aliments servis à l’intéressée.

Conditions de détention

Les contrôleurs ont pu s’assurer que la requérante bénéficiait d’une cellule située au rez-de-chaussée de la détention, de façon à faciliter ses mouvements, notamment pour les activités (...). Elles ont bien noté que vous vous étiez engagée à lui fournir, à sa demande, un tabouret ou une chaise pour qu’elle puisse s’asseoir durant ses conversations téléphoniques et que les démarches que vous aviez entreprises pour trouver un fournisseur vendant les produits dont elle a besoin pour entretenir sa perruque ont abouti (...)

Suivi médical

Cette détenue bénéficie d’un suivi médical optimal, dans la limite toutefois des moyens dont dispose l’UCSA. Elle bénéficie d’un suivi régulier par le médecin psychiatre et bénéficie d’une consultation mensuelle avec un médecin généraliste pour surveiller l’évolution de son état de santé et notamment pour effectuer des prises de sang.

Il est toutefois incontestable qu’une hospitalisation dans un environnement spécialisé permettrait à [la requérante] d’obtenir une meilleure prise en charge. Mes collaboratrices ont pu s’assurer du dévouement du Dr M. à s’occuper au mieux de la situation de [la requérante], ce dernier ayant notamment permis à l’intéressée de présenter une demande d’aménagement de peine abouti.

Aménagement de peine

La demande de libération conditionnelle avec hébergement en centre de nutrition a été présentée au juge de l’application des peines lors de l’audience du 4 février, audience qui a été ajournée au 4 mars afin qu’une date d’hospitalisation puisse être déterminée. Si la loi du 30 octobre 2007 ne me permet pas d’interférer avec une procédure judiciaire en cours, je note toutefois que ce projet aurait pour avantage de permettre une prise en charge médicale globale et de faciliter le maintien des liens familiaux, notamment avec son fils. »

37. Par un jugement du 18 mars 2010, le juge de l’application des peines de Roanne rejeta la demande de libération conditionnelle de la requérante datée du 19 juin 2009 :

« (...) Mme Raffray apparaît comme une détenue dont le seul objectif est de sortir de détention avec comme seul projet celui de se soigner. Si un tel projet peut apparaître utile, encore faut-il qu’il soit justifié par une réelle pathologie extérieure à la volonté de la condamnée. En l’espèce, [la requérante] est particulièrement active dans la dégradation de son état physique et dans la volonté de donner à ses interlocuteurs une image dégradée de sa personne. Elle se met volontairement et activement dans cette situation et essaie par ce biais d’attirer la compassion des autorités, en multipliant les saisines de tiers extérieurs. Outre cet élément comportemental, il convient de constater que le projet de sortie n’est guère abouti et que les soins donnés actuellement en détention sont suffisants, ainsi que l’avait constaté le jugement de rejet de suspension de peine pour raison médicale. Les multiples réitérations de la requérante, malgré les séjours en détention, ne laissent pas augurer une grande capacité à l’amendement. Le risque de récidive est élevé, surtout avec un projet de sortie des plus vagues. (...) »

38. La requérante interjeta appel de ce jugement. Par un arrêt du 19 mai 2010, la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Lyon confirma le refus de libération conditionnelle :

« (...) Sur l’état de santé de la requérante :

Virginie Raffray justifie avoir été hospitalisée en chambre carcérale à l’hôpital Pontchaillou du 19 au 23 avril 2008 pour crise d’asthme. Elle a par la suite fait l’objet de 10 mois d’hospitalisation à l’Hôpital de Fresnes, du 8 août 2008 au 4 juin 2009.

Depuis son arrivée au centre de détention de Roanne, le 4 juin 2009, elle s’est entretenue de façon hebdomadaire avec le docteur Moschetti, médecin psychiatre auprès de l’UCSA et avec le docteur Tuduri, somaticien, afin de traiter ses troubles alimentaires (attesté par courrier du 3 août 2009).

Selon le docteur Moschetti un suivi médical en milieu spécialisé est justifié. Par courrier adressé au JAP de Roanne le 7 décembre 2009, il a indiqué « qu’une hospitalisation librement consentie en service de psychiatrie est tout à fait adaptée voire nécessaire à la problématique actuelle de Virginie Raffray » et que des soins pourraient se poursuivre à cette fin à Nîmes en cas de libération.

Suivant courrier du 23 février 2010, le docteur Boulet exerçant au C.H.U. de Nîmes s’est engagé à la prendre en charge à partir du 11 mars 2010.

La nécessité d’un suivi psychiatrique ou médico psychiatrique avait déjà été affirmée par le docteur Peretti, suivant rapport en date du 23 avril 2009, mais non par le docteur Magnier, suivant rapport en date du 19 mars 2009.

Par ailleurs, son traitement médical est particulièrement lourd. Il ressort des éléments déclarés par la condamnée que celle-ci serait notamment sous oxygénothérapie, sous morphine et porterait une prothèse capillaire. (...)

Sur la situation pénale de la requérante :

Le casier judiciaire de Virginie Raffray présente 19 condamnations. Deux sursis avec mise à l’épreuve ont fait l’objet de révocations totales.

Après de multiples doutes concernant sa situation pénale, il s’avère que celle-ci est définitive (pas d’audience prévue au tribunal correctionnel de Draguignan). (...)

Avis de l’administration pénitentiaire :

Le travailleur social du service pénitentiaire d’insertion et de probation de Roanne a émis un avis favorable à la demande. Le représentant de l’administration pénitentiaire ne s’est pas opposé à la présente demande.

Par courrier daté du 22 mars 2010, Virginie Raffray a vivement réagi au jugement de rejet de sa libération conditionnelle, aux termes duquel le JAP de Roanne a indiqué qu’elle était « particulièrement active dans la dégradation de son état physique et dans la volonté de donner à ses interlocuteurs une image dégradée de sa personne » ; qu’elle se mettait « volontairement et activement dans cette situation afin d’attirer la compassion des autorités en multipliant les saisines de tiers extérieurs ».

La requérante a retracé son parcours de vie difficile et les raisons de son entrée dans la délinquance, tout en exprimant son mécontentement face aux représentants de l’ordre, de la justice, et à la motivation du jugement, faisant référence à des « remarques déplacées, vindicatives et outrageantes ».

Elle a ajouté que suite à l’affirmation selon laquelle elle ne serait ni malade, ni anorexique, elle stopperait immédiatement ses traitements, y compris ses anticoagulants ; elle arrêterait de se forcer à avaler des produits protéinés, et ne ferait plus aucun effort pour s’alimenter, sachant qu’elle pèse actuellement 34 kilos.

A l’audience de la cour, le ministère public conclut à la confirmation de la décision déférée, il souligne que Virginie Raffray exécute à l’heure actuelle onze peines, qu’elle présente un risque élevé de récidive, qu’enfin elle n’a pas de projet de sortie autre que celui de se soigner.

La défense de Virginie Raffray souligne que cette dernière est confrontée à la réalité de ses peines en les exécutant, qu’elle présente des problèmes de santé extrêmement sérieux puisqu’elle ne pèse que 34 kg, que sa maladie nécessite des soins difficiles à mettre en œuvre en milieu carcéral, que la libération conditionnelle constitue un espace de surveillance, que des obligations peuvent lui être imposées dans ce cadre dont le non-respect serait sanctionné (...)

Sur quoi,

(...) Il apparaît des expertises une difficulté à distinguer les troubles dont [la requérante] est objectivement atteinte, ceux qu’elle évoque et qui ne sont pas documentés, et ceux qui sont induits par son propre comportement. Néanmoins, les experts ont estimé nécessaire que [la requérante] suive un traitement médical.

A l’issue de son hospitalisation à Fresnes du 3 août 2008 au 4 juin 2009, elle a été suivie de façon hebdomadaire par le psychiatre de l’UCSA qui suggère une hospitalisation librement consentie de l’intéressée au CHU de Nîmes dans l’éventualité de sa libération.

La seule condition de la nécessité de soins ne suffit pas à ouvrir au condamné un droit à la libération conditionnelle, mesure qui exige de ce dernier qu’il manifeste « des efforts sérieux de réadaptation sociale ».

Or, de ses propres déclarations lors du débat contradictoire du 4 février 2010, Virginie Raffray qui doit 23 453,67 EUR aux parties civiles disait disposer de 24 000 EUR, pouvoir donner 10 000 EUR et payer le solde mensuellement, évoquant le coût de ses soins pour ne pas avoir effectué de versements volontaires. Elle n’assume donc pas, alors qu’elle en a la possibilité, les conséquences dommageables importantes de ses actes.

Par ailleurs, le risque de récidive doit être envisagé dès lors que Virginie Raffray, condamnée à dix-neuf reprises se refuse à dédommager les victimes et donc à assumer pleinement la responsabilité des faits commis, ce que ses capacités intellectuelles tout à fait satisfaisantes lui permettent aisément de comprendre, malgré sa fragilité psychologique. (...) »

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

39. Il est renvoyé aux arrêts Mouisel c. France (no 67263/01, § 26, CEDH 2002-IX) et Rivière c. France (no 33834/03, § 29, 11 juillet 2006) pour les dispositions relatives aux soins de santé en prison. L’article 720-1-1 du CPP relatif aux demandes de suspension de peine a été modifié par la loi no 2010-242 du 10 mars 2010 « tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale » :

« Sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction, la suspension peut également être ordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n’a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention, hors les cas d’hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux.

La suspension ne peut être ordonnée que si deux expertises médicales distinctes établissent de manière concordante que le condamné se trouve dans l’une des situations énoncées à l’alinéa précédent. Toutefois, en cas d’urgence, lorsque le pronostic vital est engagé, la suspension peut être ordonnée au vu d’un certificat médical établi par le médecin responsable de la structure sanitaire dans laquelle est pris en charge le détenu ou son remplaçant. (...) »

L’article 729 du code de procédure pénale dispose que :

« La libération conditionnelle tend à la réinsertion des condamnés et à la prévention de la récidive. Les condamnés ayant à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle s’ils manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment lorsqu’ils justifient (...) de la nécessité de subir un traitement, soit de leurs efforts en vue d’indemniser leurs victimes.

Sous réserve des dispositions de l’article 123-23 du code pénal, la libération conditionnelle peut être accordée lorsque la durée de la peine accomplie par le condamné est au moins égale à la durée de la peine lui restant à subir. (...) »

40. L’article 167 du CPP du titre III du CPP relatif aux juridictions d’instruction indique que le juge d’instruction donne connaissance des conclusions des experts aux parties et à leurs avocats après les avoir convoqués conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 114. Dans tous les cas, le juge d’instruction fixe un délai aux parties pour présenter des observations ou formuler une demande, notamment aux fins de complément d’expertise ou de contre-expertise.

41. La résolution 1663 (2009) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur « Les femmes en prison » indique, en ses parties pertinentes ce qui suit :

« (...) 2. Compte tenu du nombre relativement faible de femmes détenues et de femmes en détention provisoire, il y a moins de prisons pour femmes et encore moins de places pour les femmes en détention provisoire ; c’est pourquoi les femmes sont détenues plus loin de leur domicile, les coupant de leurs liens familiaux.

8. En vue d’améliorer les conditions de détention des femmes dans les prisons, l’Assemblée appelle les Etats membres :

8.7. à chercher à réduire le nombre de femmes envoyées en prison compte tenu du pourcentage élevé de femmes actuellement détenues qui sont toxicomanes ou qui souffrent de problèmes de santé mentale ;

9. En ce qui concerne la détention de mères ou de femmes enceintes en prison, l’Assemblée invite les Etats membres :

9.1. à garantir, lorsqu’il n’est pas possible de recourir à des mesures alternatives à la détention provisoire, des conditions de détention aussi favorables que possible. Les restrictions pénalisant les familles des personnes détenues, concernant par exemple les visites et le lieu d’incarcération, doivent être appliquées avec la plus grande souplesse possible ;

9.7. à veiller à ce que les mères détenues soient placées dans des prisons situées à une distance raisonnable de leur famille, avec un temps de déplacement acceptable.

10.6. à garantir, tout au long de la peine, que la détenue fait l’objet d’un dépistage de signes éventuels de dépression ou d’autres maladies mentales. Une attention particulière doit être accordée aux catégories vulnérables, telles que les femmes détenues particulièrement susceptibles d’automutilation ;

10.7. à garantir que davantage de recherches sont menées sur la nature et la fréquence des troubles mentaux qui touchent les femmes détenues, et que des moyens de traitement sont proposés dans chaque prison pour femmes ; »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

42. La requérante se plaint de son maintien en détention et de l’insuffisance des soins adaptés à son état de santé. Elle invoque l’article 3 de la Convention ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

43. Le Gouvernement rappelle que les articles 720-1-1 et 729 du CPP constituent les voies de recours qui permettent à un détenu, en cas de dégradation de son état de santé, de demander sa libération. Il explique que la seconde voie ne pouvait être utilisée par la requérante car son cas n’entre pas dans les hypothèses prévues par la disposition. Quant à la demande de suspension de peine, il note qu’elle était en cours au moment de l’introduction de la requête et rappelle le principe de subsidiarité qui justifierait « en soi l’irrecevabilité de la requête ».

44. Il soutient par ailleurs que des voies de droit existent pour permettre à un détenu de contester les résultats de la procédure prévue à l’article 720-1-1 du CPP s’il considère que ces droits fondamentaux n’ont pas été respectés. Le détenu a la possibilité de contester les ordonnances avant dire droit du juge de l’application des peines (article 712-13 du CPP) et les expertises médicales en vertu de l’article 167 du CPP. Si la requérante a fait appel de l’ordonnance du 16 avril 2008, elle n’a pas selon le Gouvernement contesté les expertises de juin et juillet 2008 ni les précédentes, ce qui entraîne l’irrecevabilité de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes.

45. La requérante estime avoir épuisé les voies de recours internes en demandant la suspension de peine. S’agissant des expertises, elle explique qu’elle ne pouvait les contester, étant hospitalisée pour une grève de la faim.

46. La Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que les articles 729 et 720-1-1 du CPP mettent en place des recours devant le juge de l’application des peines qui permettent en cas de dégradation importante de l’état de santé d’un détenu de demander à bref délai sa libération (Mouisel, précité, § 44 ; Sediri c. France (déc.), no 44310/05, 10 avril 2007 ; Lesnes c. France (déc.), no 1306/05, 13 janvier 2009 ; Poulain c. France (déc.), no 45649/06, 30 mars 2010). Elle observe que la requérante a fait des demandes de suspension de peine en vertu de la seconde disposition ainsi que, récemment, une demande de libération conditionnelle, et qu’elle a dès lors usé des voies de recours effectives pour faire valoir la violation qu’elle allègue maintenant devant la Cour. Elle doit en conséquence être considérée comme ayant épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. La Cour constate en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) La requérante

47. La requérante explique que ses problèmes de santé sont bien réels et dénonce la façon dont les autorités traitent ses souffrances en mettant tout sur le compte de la mythomanie. Elle soutient, par exemple, n’avoir vu que deux fois une assistance sociale à Rennes et s’indigne de la synthèse socio-éducative qui en résulta le 31 mars 2008, alors qu’elle était dans un très mauvais état qui justifia son hospitalisation quelques semaines plus tard en soins intensifs. Elle estime que la contradiction des rapports médicaux témoigne de son mauvais état de santé. Elle dénonce encore les conditions de détention à Rennes (cellule moisie alors qu’elle a un appareil à oxygène) et les soins minimaux prodigués. Elle considère également que les prescriptions des médecins ne sont pas respectées en particulier celle d’être transférée dans une prison plus proche de ses enfants. Elle estime enfin ne pas bénéficier des soins nécessaires à Roanne pour soigner son anorexie et demande à être transférée dans un service de nutrition spécialisé. Dans un courrier du 14 septembre 2010, envoyé depuis l’UHSI (Unité hospitalière sécurité interrégionale) du centre hospitalier de Lyon sud, la requérante écrit qu’elle pèse maintenant 30/31 kilos et que rien n’est fait pour son anorexie, ajoutant confusément qu’elle a peur pour ses enfants (et en particulier pour sa fille

de quatorze ans) et pour sa vie.

 


b) Le Gouvernement

48. Quant à la compatibilité du maintien en détention de la requérante avec son état de santé, le Gouvernement précise à titre liminaire que les hospitalisations de la requérante depuis juillet 2008 ne sont pas liées aux pathologies lourdes alléguées mais à son refus de s’alimenter et de s’hydrater. Il fait observer le nombre élevé d’expertises qui témoignerait de l’attention portée à la requérante. Selon le Gouvernement, il ne peut être établi que la requérante est porteuse d’une maladie engageant le pronostic vital et que son état de santé n’est pas compatible avec la détention. Le Gouvernement explique que la crédibilité des allégations de maladie graves doit être appréciée au regard de l’attitude non coopérative de la requérante pour se faire soigner ou présenter les pièces médicales, et de sa personnalité. Les flous entretenus par la requérante seraient également, de l’avis du Gouvernement, à rapprocher de son passé judiciaire (condamnations qui ont en commun d’avoir procédé à des modifications intentionnelles de la réalité : abus de confiance, escroquerie, usage de faux en écriture). Une telle personnalité doit être cernée pour examiner la véracité des allégations de maladie grave, jamais avérées ni étayées par quelque document probant. La dernière expertise psychiatrique diagnostique d’ailleurs un syndrome de Munchhausen. En conséquence, le seuil de gravité exigé par l’article 3 n’est pas atteint et, en tout état de cause, la requérante dispose de la possibilité de redemander la suspension en cas d’aggravation de son état de santé.

49. Le Gouvernement considère par ailleurs que la requérante bénéficie de soins appropriés. Il fait valoir qu’à la maison d’arrêt de Borgo, ses difficultés respiratoires ont été traitées. Sur le plan psychiatrique, il rappelle que la requérante a été admise en août 2007 à Borgo à la clinique et qu’elle a été hospitalisée d’office le 3 septembre 2007 suite à des gestes auto destructeurs. A Rennes, la requérante a été suivie par le responsable de l’UCSA et a bénéficié d’un traitement et de nombreuses consultations spécialisées, notamment en psychiatrie. Enfin, un transfèrement dans l’établissement public hospitalier de Fresnes a été décidé pour faire face au refus de la requérante de s’alimenter. Une fois que son état de santé n’a plus necessité son hospitalisation à Fresnes, elle a été transférée à Roanne, et non à Marseille (faute de place) où la requérante souhaitait se rapprocher de sa famille. A Roanne, elle bénéficie d’un suivi hebdomadaire par un médecin psychiatre depuis juin 2009 et d’un suivi régulier d’un médecin généraliste. Le Gouvernement relève que le contrôleur général des lieux de privation de liberté estime qu’une hospitalisation dans un environnement spécialisé permettrait d’obtenir une meilleure prise en charge mais note que tel n’est pas le diagnostic des médecins qui n’ont pas encore décidé d’une telle hospitalisation. En conclusion, le Gouvernement estime que la requérante est suivie avec beaucoup d’attention et de sollicitude par l’équipe médicale du centre de détention de Roanne et qu’elle bénéficie des soins adaptés à son état de santé. Sa souffrance n’atteint pas, en tout état de cause, le seuil de gravité exigé par l’article 3 de la Convention.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

50. La Cour renvoie aux principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence relative à l’article à l’obligation positive de l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (voir, parmi de nombreux autres, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, CEDH 2000-XI ; İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, CEDH 2000-VII ; CEDH 2000-XI ; Mouise, précité ; Matencio c. France, no 58749/00, 15 janvier 2004 ; Sakkopoulos c. Grèce, no 61828/00, 15 janvier 2004 ; Gennadiy Naumenko c. Ukraine, no 42023/98, 10 février 2004 ; Poghossian c. Géorgie, no 9870/07, 24 février 2009 ; Grori c. Albanie, no 25336/04, 7 juillet 2009).

51. En particulier, la Cour rappelle que le manque de soins médicaux appropriés peut constituer un traitement contraire à l’article 3 (voir İlhan, précité, § 87 ; Gennadiy Naumenko, précité, § 112). La Cour exige, tout d’abord, l’existence d’un encadrement médical pertinent du malade et l’adéquation des soins médicaux prescrits à sa situation particulière. L’efficacité du traitement dispensé présuppose ainsi que les autorités pénitentiaires offrent au détenu les soins médicaux prescrits par des médecins compétents (voir Soysal c. Turquie, no 50091/99, § 50, 3 mai 2007 ; Gorodnitchev c. Russie, no 52058/99, § 91, 24 mai 2007). De plus, la diligence et la fréquence avec lesquelles les soins médicaux sont dispensés à l’intéressé sont deux éléments à prendre en compte pour mesurer la compatibilité de son traitement avec les exigences de l’article 3. En particulier, ces deux facteurs ne sont pas évalués par la Cour en des termes absolus, mais en tenant compte chaque fois de l’état particulier de santé du détenu (Serifis c. Grèce, no 27695/03, § 35, 2 novembre 2006 ; Rohde c. Danemark, no 69332/01, § 106, 21 juillet 2005 ; Iorgov c. Bulgarie, no 40653/98, § 85, 11 mars 2004 ; Sediri c. France (déc.), no 4310/05, 10 avril 2007). En général, la dégradation de la santé du détenu ne joue pas en soi un rôle déterminant quant au respect de l’article 3 de la Convention. La Cour examinera à chaque fois si la détérioration de l’état de santé de l’intéressé était imputable à des lacunes dans les soins médicaux dispensés (voir Kotsaftis c. Grèce, no 39780/06, § 53, 12 juin 2008).

b) Application en l’espèce

52. Les allégations spécifiques de la requérante portent sur son maintien en détention et sur les soins dispensés pour le traitement de ses pathologies médicales et psychiatriques.

53. La Cour observe que si la requérante a demandé à plusieurs reprises que sa peine soit suspendue pour raisons médicales, il ne ressort pas de ses observations qu’elle se plaint de l’existence d’un état de santé « durablement incompatible avec la détention » ordinaire. En outre, la Cour constate que, à aucun moment de la procédure, il n’a été présenté au juge de l’application des peines deux expertises médicales concordantes, comme l’exige l’article 720-1-1 du CPP, concluant à l’incompatibilité de l’état de santé de la requérante avec le maintien en détention (paragraphes 32 et 35 ci-dessus). La Cour relève que la législation récente vient d’enrichir le dispositif procédural mis à la disposition des détenus pour demander à bref délai leur libération, en permettant, en cas d’urgence et lorsque le pronostic vital est engagé, que la suspension de peine puisse être ordonnée au vu d’un seul certificat médical établi par le médecin responsable de la structure dans laquelle est prise en charge le détenu (paragraphe 39 ci-dessus). Cependant, et en tout état de cause, elle observe que les médecins n’ont jamais conclu que la requérante était atteinte d’une pathologie engageant le pronostic vital. Dans ces conditions, la Cour ne peut pas conclure que le maintien en détention de la requérante est incompatible en soi avec l’article 3 de la Convention.

54. En revanche, il est incontestable que la requérante souffre de pathologies qui nécessitent une surveillance et une prise en charge thérapeutique, au nombre desquelles figurent l’asthme chronique, l’anorexie et le syndrome de Munchausen dont elle est atteinte aujourd’hui. Ainsi, la Cour se doit de rechercher si, en l’espèce, les autorités nationales ont fait ce qu’on pouvait raisonnablement exiger d’elles et, en particulier, si elles ont satisfait, en général, à leur obligation de protéger l’intégrité physique de la requérante par l’administration de soins médicaux appropriés.

55. En général, la Cour observe que, le 3 mars 2008, un expert concluait à l’incompatibilité de la détention compte tenu de « l’altération de l’état général » de la requérante (paragraphe 17 ci-dessus) tandis qu’un médecin, un mois plus tôt, terminait son certificat médical en demandant des examens complémentaires sur « les antécédents lourds avant de déterminer les possibilités d’incarcération » (paragraphe 15 ci-dessus). En avril 2008, un compte rendu d’hospitalisation de la requérante indiquait que « les pathologies sont nombreuses et intriquées » et que « son maintien en détention, dans les conditions qui sont les siennes, sont a priori délétères » (paragraphe 23 ci-dessus). En juin et juillet 2008, deux expertises conclurent à la parfaite compatibilité de l’état de santé de la requérante (paragraphe 25 ci-dessus). Après son transfert à l’hôpital de santé de Fresnes, un certificat médical du 24 février 2009 conclut « qu’il était souhaitable d’envisager les possibilités d’aménagements de peine compte tenu de l’hospitalisation prolongée à Fresnes et de l’absence d’affectation adaptée pour la requérante » (paragraphe 29 ci-dessus). Une expertise médicale du 7 mars 2009 précisa que « l’état de la détenue n’est pas actuellement, stricto sensu, compatible avec la détention ordinaire ou hospitalière », « l’ensemble des affections aboutit en réalité à constituer un état précaire », « la prise en charge à Fresnes est correcte, mais elle se prolonge sans progrès patent, le retour à la détention ordinaire est actuellement exclu » et que « les troubles respiratoires et métaboliques (dénutrition) sont inquiétants et nécessitent une prise en charge spécialisée dans un centre hospitalier de renutrition » (paragraphe 30 ci-dessus) tandis qu’une autre du 19 mars conclut que l’état de santé de la requérante « est durablement compatible avec le maintien en détention » mais que « néanmoins la requérante nécessite une réalimentation adaptée » (ibidem). En avril 2009, une expertise psychiatrique destinée au juge de l’application des peines fait valoir que l’état de la requérante nécessite un suivi spécialisé pour traitement de son anorexie et du syndrome de Munchausen comorbide de cette pathologie (paragraphe 31 ci-dessus). La nécessité d’un tel traitement sera finalement réaffirmée par le Dr M., médecin psychiatre de l’UCSA de Roanne en charge de la requérante, et par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, en décembre 2009 et mars 2010 (paragraphes 36 et 38 ci-dessus).

56. Etant donné l’état préoccupant de la santé de la requérante, la Cour estime que la pertinence du traitement médical dispensé à la requérante revêt une importance particulière en l’espèce.

57. La Cour observe en premier lieu que les experts s’accordent à dire que la requérante souffre d’un asthme grave et d’une insuffisance respiratoire chronique. A cet égard, elle relève qu’elle a dû être hospitalisée à plusieurs reprises pour des crises et que celles-ci ont toujours été traitées avec diligence. La Cour relève au surplus que la requérante semble avoir bénéficié des soins que demandent ces pathologies chroniques en ayant à sa disposition les médicaments nécessaires et, en cas de besoin, un extracteur d’oxygène. Elle relève également que les certificats médicaux indiquent que la requérante a bénéficié d’un suivi médical régulier, en particulier à Fresnes, où les médecins ont confirmé les troubles respiratoires, susceptibles de complications au regard de l’état général de la requérante. En conséquence, la Cour estime que les autorités n’ont pas manqué à leur devoir de protéger les affections respiratoires de l’intéressée.

58. En ce qui concerne en second lieu l’anorexie, la Cour observe que le poids de la requérante est passé de cinquante-quatre kilos en juin 2008 (paragraphe 25 ci-dessus) à trente-sept kilos en mars 2009 (paragraphe 30 ci-dessus) puis trente-cinq un mois plus tard (paragraphe 31 ci-dessus), soit une perte de dix-neuf kilos en moins d’un an (elle affirme aujourd’hui peser 30/31 kilos). Si la requérante a dans un premier temps été prise en charge à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes à la suite de la détérioration de son état, force est de constater que la maladie n’a pas été maîtrisée au terme de cette hospitalisation faute entre autres « de n’avoir obtenu d’affectation adaptée » (paragraphe 29 ci-dessus). Face à cet état de dénutrition sévère, les médecins ont indiqué en mars et avril 2009 l’urgence de la réalimentation et préconisé un séjour dans un service spécialisé (paragraphes 29, 30 et 31 ci-dessus) incluant une psychothérapie pour le traitement du syndrome de Munchausen qui lui est lié.

59. Or la Cour relève qu’aucune des mesures préconisées par les médecins n’ont été suivies par les autorités en charge de la requérante. Au contraire, la requérante est retournée en détention ordinaire en juin 2009 à un moment critique de l’évolution de sa maladie, et force est de constater que depuis lors, son état de santé se dégrade encore, le médecin qui la suit à Roanne ayant indiqué « qu’un suivi médical en milieu spécialisé est justifié » (paragraphes 38 et 47 ci-dessus ; voir également le courrier du contrôleur général des lieux de privation de liberté, paragraphe 36 ci-dessus). La Cour est frappée à cet égard par la discordance entre les soins préconisés par les médecins et les réponses qui y sont apportées par les autorités nationales, celles-ci n’ayant pas envisagé un aménagement de peine qui eût pu concilier l’intérêt général et l’amélioration de l’état de santé de la requérante. A cet égard, la Cour rappelle qu’il n’est guère suffisant que le détenu soit examiné et un diagnostic établi. En vue de la sauvegarde du prisonnier, il est primordial qu’une thérapie correspondant au diagnostic établi et une surveillance médicale adéquate soient également mis en œuvre (Poghossian, précité, § 59). La Cour note au demeurant que la requérante consent à la prise en charge de sa dénutrition (paragraphes 31 et 47 ci-dessus).

60. S’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer dans l’abstrait sur la manière dont le juge de l’application des peines aurait dû trancher la demande de libération conditionnelle introduite par la requérante, la Cour considère que la question de savoir si l’autorité judiciaire compétente a pris suffisamment en compte tous les éléments revêt une importance particulière dans le cadre de l’article 3. Cette question est en effet directement liée à la qualité des soins dispensés. Dans ce contexte, la Cour observe que tout en admettant que le traitement médical de la requérante est particulièrement lourd et que les autorités pénitentiaires ne s’opposent pas à la demande de libération conditionnelle, la chambre de l’application des peines de la cour d’appel a relevé que certains de ses troubles sont induits par son propre comportement, et conclut à son rejet au motif que la seule condition de la nécessité de soins ne suffit pas en l’absence d’efforts sérieux de réadaptation sociale (absence de dédommagement des parties civiles pour un montant de 23 453 EUR, paragraphe 38 ci-dessus). La recommandation répétée de l’hospitalisation de la requérante dans un environnement spécialisé (paragraphes 30, 31, 36 et 38 ci-dessus) n’a ainsi pas été prise en compte par le juge de l’application des peines, lié aux termes de l’article 729 du CPP par la subordination du prononcé d’une mesure de libération conditionnelle à l’expression « d’efforts sérieux de réadaptation sociale » par la requérante (paragraphes 38 et 39 ci-dessus). L’exigence d’une telle condition en l’espèce apparaît aux yeux de la Cour rigoureuse compte tenu de l’état mental et physique de la requérante et a eu pour conséquence inéluctable l’absence d’examen des possibilités de soins adaptés aux besoins de la requérante.

61. La Cour en déduit que la requérante s’est ainsi vu transférer dans un établissement dont rien n’indique qu’il dispose des infrastructures nécessaires pour le traitement de sa maladie. Ce transfert a eu en outre pour effet de la placer en connaissance de cause, loin de son domicile et de ses enfants alors que les médecins ont relevé à plusieurs reprises que cet éloignement constituait une souffrance pour la requérante et une des causes de son refus de s’alimenter qui a commencé après son transfert à Rennes (paragraphes 29 et 31 ci-dessus ; voir également paragraphes 41 et 47 ci-dessus).

62. La Cour relève enfin, sous l’angle procédural, que la requérante a présenté une demande de suspension de peine le 4 mars 2008 à Rennes et que celle-ci n’a pas été examinée pour des raisons de compétence territoriale en la matière, malgré deux expertises médicales déposées, du fait de son transfert à Fresnes en août 2008 au moment de sa grève de la faim. Elle a donc réitéré le 13 février 2009 sa demande qui a été rejetée définitivement le 20 octobre 2009, soit huit mois plus tard. La Cour ne peut que constater que ces délais cadrent mal avec le contentieux concerné impliquant l’examen de pathologies engageant le pronostic vital ou d’un état de santé incompatible avec la détention (mutatis mutandis, Aharon Schwarz c. Roumanie, no 28304/02, § 102, 12 janvier 2010).

63. A la lumière de qui précède, la Cour estime que l’absence de prise en compte suffisante par les autorités nationales de la nécessité d’un suivi spécialisé dans une structure adaptée que requiert l’état de la requérante, conjuguée avec les transferts de l’intéressée – particulièrement vulnérable – et l’incertitude prolongée qui en a résulté quant à sa demande de suspension de peine, ont pu provoquer chez elle une détresse qui a excédé le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. Dans ces conditions, la Cour ne saurait considérer que les autorités compétentes ont fait ce qu’on pouvait raisonnablement attendre d’elles vu les exigences de l’article 3 de la Convention. Le seuil de gravité pour qu’un traitement soit considéré, au sens de cet article, comme inhumain ou dégradant, a ainsi été dépassé. Il y a donc eu violation de cette disposition.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

64. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

65. La Cour note que la requérante n’a pas présenté de demande de satisfaction équitable. Partant, elle décide qu’il n’y a pas lieu d’allouer une somme au titre de la satisfaction équitable.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’allouer une somme au titre de la satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 décembre 2010, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
 Greffière Président