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UFRAMA Rapport relatif au maintien des liens familiaux

Publié le dimanche 18 mars 2012 | http://prison.rezo.net/uframa-rapport-relatif-au-maintien/

UFRAMA
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Rapport relatif au maintien des liens familiaux
Conséquences financières pour les familles de personnes incarcérées et propositions

Rapport établi en collaboration avec Georgia BECHLIVANOU, docteur en droit, spécialiste en droit pénitentiaire européen et droits de l’homme.

Les familles de personnes détenues subissent des dommages importants du fait de l’incarcération d’un de leurs proches. Au-delà du choc psychologique provoqué par l’incarcération, de la séparation qui en résulte, de la stigmatisation sociale dont elles font l’objet, des conséquences matérielles occasionnées par une diminution des ressources du foyer, elles doivent faire face à des dépenses supplémentaires conséquentes pour les visites au parloir [1].

Le maintien des liens familiaux constitue l’un des facteurs essentiels pour la réinsertion sociale de la personne détenue et revêt une importance particulière pour les enfants dans leur construction psychologique et identitaire. Ce maintien des liens repose toutefois sur la capacité des familles à faire face aux contraintes multiples entraînées par les visites : jours et horaires imposés, frais de déplacement et d’hébergement parfois importants en fonction du lieu d’affectation de la personne détenue.

Or, aux problèmes déjà connus liés aux critères d’affectation et de transfèrement des personnes détenues, on assiste aujourd’hui, à une aggravation de la situation. Les actuels plans de construction d’établissements à capacité importante (700 à 800 places) et à vocation régionale, amènent à la disparition progressive des maisons d’arrêt de proximité qui existaient dans chaque département (à l’exception du Gers). Cette politique nouvelle entraine un éloignement des établissements du domicile des personnes détenues et a de graves conséquences pour le maintien des liens familiaux du fait de l’accroissement des frais de déplacement et d’hébergement pour les familles.

  1. Constat relatif à la situation des familles au regard des frais entrainés par les visites

L’enquête effectué par l’UFRAMA en 2008 auprès de 2100 personnes proches de personnes incarcérées, montre que si, pour rendre visite à un proche incarcéré, la moitié parcourt moins de 50 km, l’autre moitié parcourt plus de 50 km. Parmi cette dernière, ¼ effectue plus de 100 km et 7% plus de 300 km [2]. (nota : le nombre de visites autorisées est d’au moins une fois par semaine pour les condamnés et de trois fois par semaine pour les prévenus).

Dans 58% des cas, les familles dépensent plus de 50 euros par personne et par mois, et une fois sur 4 plus de 100 euros [3].Ces dépenses représentent pour celles-ci un coût considérable si l’on tient compte que, selon l’enquête du CREDOC de novembre 2000, 47 % des familles considérées dans l’enquête se situent en dessous du seuil de pauvreté [4]. Les familles sont fragilisées par les dépenses occasionnées et pour certaines d’entre elles privées de facto de visites faute ressources suffisantes.

Par ailleurs, il est à noter que l’on ignore le nombre de personnes qui ne rendent pas de visites à leurs proches incarcérées à cause des deux obstacles : coût des visites et durée du trajet. On ignore aussi le nombre de personnes qui n’exercent pas ce droit pour des problèmes de handicap ou de garde d’enfants.

Ce problème est fortement accentué concernant les familles des détenus étrangers ; le nombre de personnes détenues étrangères était au 1er janvier 2010 de 11 740 soit 18% de la population générale détenue [5].

Cette situation qui a des conséquences multiples et graves, aussi bien pour les personnes détenus que pour les familles, est de nature à mettre en jeu la responsabilité de l’Etat (B).

  1. Les fondements en faveur du financement des visites en droit français et européenne.

 Les frais engendrés par la détention qui pèsent sur les familles montrent que celles-ci sont mises à contribution pour l’exécution d’une sanction pénale. On peut alors qualifier les conséquences familiales de "sanctions accessoires" [6].

 Ce constat est en décalage avec les exigences contemporaines de la justice pénale qui veut respecter les droits fondamentaux, limiter la responsabilité des actes à leurs auteurs et protéger leurs familles. Cette situation constitue précisément une violation du principe des obligations positives des Etats à mettre en place des moyens pour assurer la garantie effective d’un droit fondamental : le droit au respect de la vie familiale (1)  ; elle s’oppose au principe de personnalité des peines (2) ; elle constitue, en dernier lieu, une entrave à l’objectif de réinsertion dans laquelle le maintien des liens familiaux est primordial (3).

  1. Le financement des visites : une obligation positive implicite des Etats pour le maintien des liens familiaux

 Le maintien des liens familiaux est un objectif tant en droit français qu’en droit européen. Au regard des exigences européennes, les visites sont un droit fondamental faisant partie des composantes du droit au respect de la vie familiale (article 8 de la CEDH [7]).

 Devant la séparation familiale forcée créée par la détention d’une personne, l’article 8 de la CEDH "ne se contente pas de commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles ingérences ; à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives", a estimé la Cour de Strasbourg à plusieurs reprises [8].

 Si personne ne met en doute l’existence d’un tel droit, en revanche son exercice effectif est mis à mal pour les raisons évoquées : la distance et le coût. Ainsi en droit français, alors que le maintien des liens familiaux est reconnu aujourd’hui par la loi pénitentiaire comme un droit des personnes détenues, on assiste à une logique qui va à l’encontre du rapprochement familial pour des questions de gestion administrative et économique de la population pénale.

 En effet, si la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 nov. 2009 reconnaît en termes généraux à l’article 35 le droit des personnes détenues au maintien des relations avec les membres de leur famille "soit par les visites que ceux-ci leur rendent, soit, pour les condamnés et si leur situation pénale l’autorise, par les permissions de sortir des établissements pénitentiaires", elle omet de poser le principe du rapprochement familial pour les condamnés après leur condamnation. Seul est élevé au rang législatif le régime juridique du rapprochement familial pour les prévenus qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement (article 34). Il s’agit toutefois là d’une faculté et non d’une obligation.

 Pourtant, conscients du problème, les organes du Conseil de l’Europe ont consacré le rapprochement familial comme une des garanties du maintien des liens familiaux.

 Depuis 1990, la CEDH reconnaît le rapprochement familial aux détenus et à leur famille. La jurisprudence européenne, si elle considère que la séparation physique fait partie de la peine de privation de liberté ainsi que la perte de la liberté de choisir son lieu de résidence, elle reconnaît cependant que l’éloignement géographique peut porter atteinte au droit à la vie familiale parce ce qu’il peut rendre les visites difficiles [9].

 Le Commissaire européen aux droits de l’homme a abondé dans ce sens dans un de ses rapports sur la France : les Etats doivent faire "le maximum pour favoriser la détention de personnes définitivement condamnées à proximité du lieu de domicile de leurs proches afin de faciliter le maintien de liens [10]"

 Les Ministres des affaires étrangères de 47 Etats membres du Conseil de l’Europe ont fini par consacrer en 2006 le droit au rapprochement familial dans la dernière version des Règles pénitentiaires européennes (art. 17.1 [11]). Ce principe n’est cependant pas absolu : certaines raisons peuvent justifier une incarcération lointaine. Par conséquent, son respect n’est pas obligatoire.

 En revanche, garantir le droit de visites est obligatoire et il revient à chaque Etat de prendre les moyens pour l’assurer. Le rapprochement est un moyen, et à défaut, l’Etat doit prendre d’autres moyens.

En résumé, au vu des développements précédents, il est possible d’affirmer le principe suivant : toute personne privée de sa liberté doit être détenue près de son domicile familial ; à défaut le coût des visites doit être pris en charge par l’Etat.

  1. Le coût des visites familiales opposé au principe de personnalité des peines

 Il existe un principe fondamental commun à tous les systèmes pénaux de l’Europe : "le principe de personnalité des peines".

 Ce principe de justice pénale vise à limiter les conséquences d’une sanction à l’auteur d’une infraction pour prémunir la famille. En France, il a été consacré par la Révolution française (Code pénal de 1791), pour tourner le dos à l’Ancien Régime où la condamnation d’une personne pouvait entraîner la confiscation de tous ses biens punissant ainsi sa famille. Ce principe étant actuellement acquis par tous les pays de l’Europe, les conséquences des peines sur les familles sont vécues comme des sanctions accessoires et apparaissent comme un vestige d’un passé révolu. Il en va notamment des conséquences financières.

  1. Le financement des visites : un facteur majeur de la politique de réinsertion et de prévention de la récidive

 Il est largement reconnu que le lien familial est un facteur de stabilité affective et comportementale, donc de réinsertion et, par voie de conséquence, de prévention de la récidive.

 D’après des études, la réinsertion des sortants de prison passe d’abord et de loin par le maintien des liens familiaux [12]. Les visites des proches sont un facteur de prévention du suicide. L’incarcération rompt la plupart des liens sociaux et amicaux. Seuls les liens familiaux peuvent résister à cette rupture. Or, si ces liens sont amenés également à être rompus, la personne se retrouve dans une détresse affective qui peut amener jusqu’au suicide.

 Ainsi, les trois motifs invoqués, - droit fondamental, principe de personnalité des peines, réinsertion des détenus et prévention du suicide - plaident-ils pour une évolution des politiques nationales vers la reconnaissance du financement des visites familiales aux personnes détenues, d’autant que le droit comparé a déjà ouvert la voie.

  1. Les expériences d’une mise en pratique du financement des visites en droit comparé

 La justice internationale, précisément la CPI (1), et les droits européens, notamment le droit britannique (2) sont les précurseurs d’une évolution vers la prise en charge financière des visites des familles aux personnes détenues.

  1. La justice pénale internationale : Cour Pénale Internationale et Tribunal de Sierra Léone

 La création des tribunaux pénaux internationaux, et donc la mise en détention des personnes venant souvent des pays autres que celui de l’implantation du tribunal, ont mis en évidence la difficulté de la garantie du droit des visites des détenus.

Le premier tribunal à avoir reconnu un droit au financement des visites fut la Cour spéciale pour la Sierra Leone. Elle prend en charge certaines visites des familles des détenus indigents se trouvant à Freetown en leur accordant 100 dollars par mois [13].

 La CPI s’y est penchée depuis 2008. Après une longue réflexion, et des réticences du service du greffe, ce tribunal a explicitement reconnu dans sa décision du 10 mars 2009que le financement constitue une obligation implicite du droit au respect effectif de la vie familiale [14]. Quant à sa mise en place pratique, la CPI a prévu de soumettre cette aide à la condition des ressources [15], de préciser le nombre des visites financées par an, le nombre des personnes ainsi que les postes de dépenses.

 Ainsi dans l’affaire en question, il s’agissait de la détention d’un ressortissant de la République de Congo, père de 6 enfants. La Cour envisageait de financer 3 voyages par an. Ces frais comprendraient les billets d’avion, l’hébergement et les faux frais. L’indigence serait évaluée en référence au salaire d’un membre du personnel des Nations-Unies recruté à l’échelon le plus bas dans le pays où vit la famille.

  1. Le droit européen comparé : l’exemple de la Grande-Bretagne

 Certains pays européens ont été des précurseurs. L’exemple britannique offre le modèle le plus abouti sur le financement des visites aux détenus. L’Espagne limite le financement des visites aux personnes gardées à vue.

En Grande Bretagne, il existe un système dit de "Visite assistée" permettant d’éviter aux personnes détenues d’être privés des visites de leurs proches si ces derniers n’ont pas de ressources suffisantes pour se rendre à la prison. L’Administration pénitentiaire dispose d’un service "Unité des visites assistées en prison" qui gère cet aspect de leur détention.

 L’aide est ouverte aux proches parents et aux partenaires du détenu. Sont considérés comme des parents proches : l’épouse, le mari, les enfants, les grands-parents, les sœurs et frères, les beaux-parents ou parents adoptifs. Un partenaire est une personne qui a vécu avec le prisonnier en couple au moins quatre mois avant sa détention.

 L’aide au financement est soumise à la condition de "faibles revenus". Il s’agit des revenus qui correspondraient en France au RMI, au RSA, aux allocations chômage et aux pensions de retraite (inférieurs à un certain seuil), à l’allocation adulte handicapé. Le seuil de faible revenu se situerait autour de 13 895£ annuels bruts.

 Chaque visiteur admissible à l’aide a droit à une visite assistée tous les 14 jours et jusqu’à 26 visites par an. La répartition des visites peut être aménagée sur l’année. L’aide couvre les frais de transport, d’hébergement, de la garde éventuelle d’enfants et des rafraichissements légers. Les paiements sont gérés par les agences locales de la sécurité sociale au nom du Service pénitentiaire.

  1. Recommandation

 Il est souhaité, au regard des textes internationaux et des expériences étrangères, que soit institué en France un programme pour l’indemnisation des familles concernant les frais de déplacement et d’hébergement entraînés par les visites au parloir d’un de leur proche incarcéré.

 Il en va du respect des droits fondamentaux de justice, des engagements internationaux ainsi que de l’équité pour les familles qui se trouvent financièrement pénalisées par le système d’exécution des peines ou mesures privatives de liberté. Il en va aussi de la politique sociale de réinsertion sociale, de prévention de la récidive et du suicide.

 Saintes le 27 janvier 2011

Lire aussi :
-
source : Enjeux d’enfants
- proposition de loi : sénat
- proposition de Ban Public :
Protéger et améliorer le maintien des liens familiaux, amicaux et sociaux


 

[1] 1 Trois enquêtes significatives effectuées en France mettent en évidence les conséquences familiales de l’emprisonnement d’une personne : CREDOC (2000) "L’autre peine - Enquête exploratoire sur les conditions de vie des familles de détenue", Cahier de recherche, n°147-novembre 2000 ; INSEE "L’histoire familiale des hommes détenus", INSEE PREMIERE, n° 706-avril 2000 ; UFRAMA (2008) "Enquête Etat des lieux" Actes de la VI° rencontre nationale, août 2010

[2] Enquête UFRAMA, précitée

[3] Enquête UFRAMA, précitée

[4] Enquête CREDOC, précitée. "En France, un individu peut être considéré comme "pauvre" quand ses revenus mensuels sont inférieurs à 791 ou 949 euros (données 2008) selon la définition de la pauvreté utilisée (seuil à 50% ou à 60% du niveau de vie médian. Le revenu pris en compte est le revenu dit "disponible" : après impôts et prestations sociales", INSEE, Enquête Revenus fiscaux et sociaux 2008

[5] Statistiques P.V. Tournier, ACP, n° 194, Mai 2010

[6] Les travaux menés par le Conseil de l’Europe, qui ont donné lieu à la Recommandation 1340 (1997) relative aux effets de la détention sur le plan familial et social de l’Assemblée parlementaire, avaient soulignés que la détention garantit mal le principe de personnalité des peines, tant ses effets sur la famille sont multiples

[7] Convention européenne des droits de l’Homme

[8] Arrêt X et Y c/Pays-Bas, 26 mars 1985, Série A, n°91, § 23 ; Zawadka c. Pologne, n°48542/99, CEDH 2005-VI, § 53 ; Pini et autres c. Roumanie, § 149 ; Wagner et J.M.W.VL. c. Luxembourg, no 76240/01, 28 juin 2007 § 118

[9] Douglas Wakefield/RU, n° D 15817/89, D.R. 66, p. 251 ; Ouinas/France, n°13756/88, Décision, 12.3.1990, D.R. 65, p. 265

[10] CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France, § 108

[11] "Les détenus doivent être repartis autant que possible dans des prisons situées près de leur foyer ou de leur centre de réinsertion sociale", règle 17.1

[12] Rapport de recherche pour la DG de l’Union Européenne, « Field Study of Ex-convicts, Reintegration into Labour Market and Social Life », 2003

[13] La Haye, 18 juillet 2008, « CPI/DETENUS – Interrogation à propos des visites familiales aux détenus », http://fr.hirondellenews.com/conten...

[14] Dans sa décision, la Présidence a fait droit à la demande, relevant qu’"une obligation positive de financer les visites familiales doit être considérée comme implicite pour assurer la jouissance d’un droit qui serait autrement privé d’effet dans les circonstances particulières du détenu. C’est par conséquent à tort, en droit, que le Greffier a déterminé qu’il n’existe aucune obligation positive de financer des visites familiales dans les circonstances spécifiques du<détenu". Prosecutor c. Germain Katanga, and Mathieu Ngudjolo Chui, 10 mars 2009 (ICC-RoR-217-02-08)

[15] « La Cour examinera ci-après les incidences financières de cette décision et formulera un certain nombre de propositions sur les mesures qui devraient être adoptées pour réduire le coût des visites familiales aux détenus, notamment grâce à une révision de la méthode actuellement utilisée pour calculer l’indigence aux fins des visites familiales »