Publié le mercredi 9 mai 2012 | http://prison.rezo.net/la-peine-privative-de-liberte-dite/ Le 4 mai 2012, le Conseil Constitutionnel français a rendu une décision historique au nom du respect des Droits de l’Homme. Il a supprimé l’infraction de « harcèlement sexuel » considérant qu’elle n’était pas suffisamment précise ; ne respectant pas le principe de légalité des délits et des peines comme l’exige l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 . Cette peine est définie par « tautologie ». A savoir de la même manière que l’infraction d’harcèlement sexuel qui, comme l’a souligné le Professeur Roseline Letteron, était définie comme « le fait de harceler autrui » (article 222-23 du Code pénal). Puisque la privation de liberté est définie comme l’état d’arrestation ou d’emprisonnement, et ces états sont définis comme privations de liberté. Pourtant cette équivalence pose un défi de légalité majeur. Si avant 1970, cette équivalence pouvait être défendable, aucune précision n’ayant été donnée à la liberté visée par ces peines, si bien que leur contenu pouvait être celui réalisé par l’organisation et le fonctionnement de la prison, la situation a depuis changée. La précision apportée depuis lors, que cette peine doit être limitée à la seule privation de la liberté physique, a accentué le problème de légalité. A l’imprécision de la peine privative de liberté, s’est ajouté le fossé entre le sens limité de cette peine et la réalité carcérale. C’est un lieu commun de dire que la prison dépasse, encore aujourd’hui, de loin la simple privation de liberté physique. Tous les rapports institutionnels, toutes les études, toute personne intervenant en prison le constatent et l’affirment : la prison a des conséquences multiples, globales sur la personne. Si bien que la prison en tant que modalité d’exécution de la peine privative de liberté, parce qu’elle n’est pas la seule (le bracelet électronique, l’assignation à résidence, la semi-liberté, le sont également), comporte une grande partie d’arbitraire : celle de privations de libertés qui ne font pas partie de la condamnation. Plus encore, à ce constat, s’ajoute un autre défi : la prison est-elle réductible à la seule privation de liberté physique ? En ce sens, la prison constitue un défi non seulement pour le principe de légalité des peines mais aussi pour la démocratie entière : elle constitue une institution totalitaire au cœur des démocraties. Totalitaire au sens politique du terme dès lors que son régime d’organisation et de fonctionnement est à l’opposé des principes politiques de liberté, à savoir ceux d’autonomie et de vie privée et intime. Tant qu’elle est organisée comme système clos, soumis à une surveillance totale et ininterrompue des personnes, organisant minutieusement et exhaustivement tous les comportements, tout geste, déplacement, parole et contact tant à l’intérieur qu’avec l’extérieur, le tout soumis à des autorisations préalables et sous la menace des sanctions, elle constituera un régime d’organisation totalitaire. Cette organisation entraîne la suppression de l’autonomie et la fin de la discontinuité entre vie privée et vie publique, qui sont les deux piliers des régimes garants de la liberté. Ce problème étant lié à la notion de liberté (« ce mot détestable qui a plus de valeur que de sens », selon Paul Valery ), et à sa principale modalité de mise en application, la prison, il faut inventer d’autres notions de peines et d’autres modalités d’exécution qui puissent rendre adéquat le contenu matériel avec le contenu légal. Vers la fin de la « peine privative de liberté » dite « peine de prison » ou « peine d’emprisonnement » ? Tenant compte de ces constats, les solutions que peuvent être proposées sont les suivantes. ° Suppression des expressions peine de « prison », « d’emprisonnement », de réclusion ou de détention, dans le code pénal et le code de procédure pénale , étant totalement privées de sens juridique précis. ° Fin de la tautologie entre prison et peine privative de liberté : la prison n’est qu’une des modalités d’exécution de la privation de liberté. ° Suppression de la sanction de privation de liberté. La peine privative de liberté ne pouvant pas avoir de sens juridique précis et l’exercice des droits fondamentaux ne pouvant, selon la CEDH, subir que des restrictions et non de privations, il faut envisager à la remplacer par des sanctions restrictives de liberté. Elles peuvent être nommées « restriction de la liberté de circulation » ou « placement sous surveillance physique » avec des degrés de restriction ou de surveillance précisés par la loi. Les modalités qui, aujourd’hui, répondent le mieux à une telle limitation sont : le bracelet électronique, l’assignation à résidence, la semi-liberté, le placement extérieur. Parce que la personne dispose du temps et de la liberté suffisants pour gérer l’ensemble des autres aspects de sa vie : travail, santé, école, famille, vie citoyenne etc. De telles notions permettent d’assurer l’efficacité de la peine en termes de protection de la sécurité des victimes et de la société, ce qui est en réalité au cœur de l’efficacité actuellement recherchée par la punition, tout en respectant le principe de légalité des peines. Est-ce utopique ? Ce qui peut faire apparaître comme utopique une telle perspective, serait notre incapacité à imaginer une société sans prison, notre incapacité de passer outre le poids des évidences. A ce propos, Beccaria, dont l’influence a beaucoup pesé dans l’abolition de la peine de mort, écrivait : Et plus près de nous, de citer Marc Ancel. Après avoir milité pour faire de la prison une « institution utile », il avait a fini par s’interroger sur la légitimité de son existence en la qualifiant d’institution périmée, et pour cela abusive, en rejetant sa justification du seul fait qu’elle existe : Il est alors temps de songer à tourner la page de cette peine dans l’histoire des pénalités : reconnaître son illégalité et la déclarer anticonstitutionnelle. La peine privative de liberté est une notion juridique floue et la prison est un cancer pour la démocratie. C’est un modèle d’organisation de la vie humaine qui, considéré comme compatible avec les principes de la démocratie, tend à s’étendre vers le reste de la société. Ban Public Pour aller plus loin : « Symbole et Verbe au sein du droit. A propos des lieux fermés et de la notion de privation de liberté dans la jurisprudence européenne », in Mélanges offerts à Jacques VELU, Bruyland, Bruxelles, 1992.
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