Interview du 17/09,
parution "Hommes et libertés" revue de la L.D.H, numéro d’octobre 2001
A lire également dans la rubrique Art, le commentaire sur le livre d’Anne-Marie Marchetti, "Perpétuités, le temps infini des longues peines"
Comment peut-on expliquer cet allongement des longues peines (perpétuité assortie de peines de sûreté), n’est-ce pas inquiétant d’y lire un "effet" de l’abolition de la peine de mort ?
A-M-Marchetti : L’abolition de la peine de mort ne l’explique pas à elle seule, bien qu’elle ait joué un rôle, et qu’à l’évidence, ces peines de sûreté aient cherché à en contrer les effets. En fait, un durcissement des peines s’était amorcé dés 1978, lorsque les jurys d’Assises sont passés d’une composition de notables à celle de jurés populaires (désormais tirés au sort sur les listes électorales). L’abolition de la peine de mort, telle que souhaitée par R. Badinter, se voulait sans contrepartie précisément de "durcissement" des peines prononcées, même si, à l’époque, lors des débats, plusieurs parlementaires avait clairement demandé des peines de sûreté.
Un durcissement sécuritaire que l’on doit lire comment ? La création de jurys populaires, c’est pourtant une évolution démocratique ?
A-M M : Ce durcissement sécuritaire est à relier aux difficultés économiques ; la fin des années 70, c’est aussi la fin des Trente glorieuses, une demande accrue de sécurité par rapport à l’état est plutôt à décrypter comme une angoisse, une demande de sécurité par rapport aux biens, aux personnes. Le malaise est ressenti de manière diffuse et se traduit par rapport à l’état au niveau de la justice. La notion de perpétuité a toujours existé, on pourrait parler de ces "perpets à l’ancienne" en citant le cas connu de José Giovanni, qui a exécuté onze années de sa peine avant d’obtenir une libération conditionnelle ; aujourd’hui, soyons clairs : la baignoire déborde.
La situation maintenant de ces "longues peines" : quel autre "sens" cette idée de perpétuité réelle peut-elle avoir sur des détenus que celui d’une élimination sociale ?
A-M Marchetti : On parle beaucoup du détenu citoyen et c’est du double discours, une double injonction qui ne tient pas compte en réalité du vécu de ces détenus. Ce fonctionnement est propre à tout univers totalitaire, comme je le rappelle dans mon ouvrage, en citant Hannah Arendt, on dit une chose et son contraire : L’Administration pénitentiaire-c’est un exemple- inscrit dans sa mission désormais, le "resserrement des liens familiaux", or je cite le cas de ce détenu qui s’est rendu" coupable" de relation sexuelle avec sa femme au parloir, et que l’on a envoyé au mitard pour ce seul motif.
Ce qu’il est urgent d’envisager, alors même que l’on est en train de mettre en place une nouvelle loi pénitentiaire ?
A-M-M : Revoir le code pénal d’urgence - même si cela ne plait pas- ; supprimer les peines de sûreté, arrêter de bloquer et de désespérer les détenus, ce qui n’a pas de sens, comprendre qu’une longue peine assortie d’une peine de sûreté n’est pas une expression de justice mais d’élimination sociale.
En fait il faut reconsidérer les choses : la France, actuellement, pratique une pénalisation des plus dures, au niveau européen par rapport aux délinquances et crimes sexuels, or la prison, là, est un lieu inadéquat, ce n’est pas en en rajoutant toujours plus dans la punition/sanction que l’on obtient plus de justice, le sens de la peine est plutôt dans l’adéquation, la mesure, un surcroît répressif ne donnera rien de plus aux victimes, l’équation ne fonctionne pas de la sorte, on l’a vu, et je l’ai connu à la fin des années 70, en tant que féministe, lors de la qualification de viol en tant que crime, si le droit des femmes devait en passer par cette reconnaissance là, on ne les reconnaît pas plus pour autant en prononcant des peines longues, cette sur signification agit dans le vide, le répressif.
Ce "plus de sécurité", est bel et bien présent et semble surdéterminer toute politique ?
A-M-M : il faudrait pourtant réfléchir sur la question du beurre et de l’argent du beurre, on demande plus de sécurité, plus de protection, mais à quel prix ; on est en pleine contradiction, nous sommes globalement, dans ne grande rupture du lien social, dans un émiettement constant du fait des biens de consommation, il faudrait tout de même s’interroger sur le "ciment" de cette sécurité que l’on demande de plus en plus, et puis surtout ne pas oublier, que les détenus, leurs familles, leurs proches, ne sont pas des isolats sociaux, que l’on relègue à l’ombre de notre démocratie...
Le propos de Churchill est toujours d’actualité "montrez-moi l’état de vos prisons, je vous dirai quelle société vous êtes".