Publié le mercredi 3 août 2016 | http://prison.rezo.net/condamnation-de-la-france-pour/ Dans deux affaires similaires examinées le même jour, La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France pour violation de l’article 6 §1 de la Convention Européenne, estimant que les deux requérants, souffrant d’importants troubles psychiques, acquittés en première instance mais condamnés en appel respectivement à 10 et 20 ans de réclusion criminelle pour meurtre devaient « disposer d’éléments susceptibles de [leur] permettre de comprendre le verdict de condamnation » ce qui n’était pas le cas pour chacun d’eux. Les faits : Dans l’affaire Haddad c/ France, la requérante avait été renvoyée devant la Cour d’Assises pour le meurtre de son époux, par une ordonnance de mise en accusation datée du 15 avril 2008. Alors qu’elle avait été acquittée par la Cour d’Assises de l’Isère le 06 mars 2009, le Ministère Public avait interjeté appel. Par arrêt du 10 décembre 2010, elle fut déclarée coupable et condamnée à 10 ans de réclusion criminelle alors qu’une seule question avait été posée au jury, à savoir “L’accusée Teldja HADDAD est-elle coupable d’avoir à GRENOBLE (38), entre le 17 et le 18 août 2006, volontairement donné la mort à [M.L.] ?” Le 19 septembre 2011, sa mise en liberté fut ordonnée en raison d’un état de santé jugé incompatible avec la détention. Dans l’affaire Peduzzi c/ France, le requérant avait été renvoyé devant la Cour d’Assises pour le meurtre d’une bijoutière, par une ordonnance de mise en accusation datée du 23 février 2005. Alors qu’il avait été acquitté par la Cour d’Assises des Bouches-du-Rhône le 13 octobre 2005, le Ministère Public avait interjeté appel. Par la suite, en septembre et décembre 2007, 2009 et 2010, 4 expertises psychiatriques ont conclu que le requérant ne disposait pas du discernement suffisant pour participer à son procès. La présidente de la Cour d’Assises en appel ordonna quand même une 5ème expertise dont le résultat fut donné le jour de l’audience et où l’expert concluait que le requérant était en état de comparaître. Par arrêt du 22 octobre 2010, il fut déclaré coupable et condamné à 20 ans de réclusion criminelle après que seulement 5 questions aient été posées au jury, dont une aux fins de savoir si le requérant pouvait bénéficier de la cause d’irresponsabilité pénale prévue à l’article 122-1 alinéa 1er du Code pénal, selon lequel n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. A cette question, le jury avait simplement répondu non à la majorité des 10 voix. Le raisonnement de la CEDH : La Cour rappelle tout d’abord dans les deux arrêts que « pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu ». Elle ajoute ensuite que « l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, [ont] en définitive conduit les jurés à répondre » par l’affirmative ou la négative aux questions qui leur étaient posées. Dans les deux espèces, elle précise que les questions étaient « d’autant plus importantes que, pendant le délibéré, les magistrats et les jurés ne disposent pas du dossier de la procédure et qu’ils se prononcent sur les seuls éléments contradictoirement discutés au cours des débats ». La Cour note par ailleurs que l’enjeu était considérable, les requérants, après avoir fait l’objet d’un acquittement, ayant été ensuite condamnés à une longue peine de réclusion criminelle. Enfin, la Cour conclut que « dès lors que le requérant a été acquitté en première instance puis déclaré coupable en appel, qui plus est en se voyant infliger une peine très lourde, il devait disposer d’éléments susceptibles de lui permettre de comprendre le verdict de condamnation : tel ne pouvait être le cas avec un examen conjugué de l’acte de mise en accusation et des questions posées au jury en l’espèce. La Cour relève en outre que la question du discernement du requérant et de sa capacité de compréhension des raisons de sa condamnation se posait avec une particulière acuité en l’espèce, compte tenu de son état psychique non contesté. En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. »
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