En septembre 1999, une délégation parlementaire conduite par Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois, visitait la maison d’arrêt de Saint-Denis de la Réunion. L’état lamentable de cet établissement, « une honte pour la République ! » comme a cru devoir le qualifier un des membres de la délégation, a permis d’entamer une nécessaire réflexion sur le système pénitentiaire français. Cette réflexion a bénéficié d’un appui particulièrement efficace avec la publication du livre de Mme Véronique Vasseur, « médecin chef à la prison de la Santé » et le retentissement inattendu qu’il a eu dans les médias et sur l’opinion, alors même que la situation qu’il décrivait était connue et avait été dénoncée par le comité européen pour la prévention de la torture en 1993 puis en 1998 et, plus récemment, par l’Observatoire international des prisons, organisation non gouvernementale dont la section française a été créée en 1996.
Tout cela a donné l’occasion à des parlementaires sensibilisés aux difficultés du monde carcéral et venant de tous les horizons politiques, de déposer plusieurs propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les prisons : la première (n° 2078) de M. Claude Goasguen sur les conditions sanitaires dans les prisons françaises, la seconde (n° 2079) de Mme Christine Boutin sur les conditions de vie des détenus, la troisième (n° 2106) de M. Guy Hascoët sur l’état des établissements pénitentiaires, les conditions de vie des détenus et le respect des normes d’hygiène et de sécurité dans les prisons, la quatrième (n° 2118) de MM. Laurent Fabius et Louis Mermaz sur la situation dans les prisons françaises.
Le 3 février 2000, l’Assemblée nationale adoptait, à l’unanimité, sur le rapport de M. Raymond Forni, la proposition de M. Laurent Fabius. C’était la première fois depuis 125 ans, depuis la création de la IIIème République, qu’une commission d’enquête parlementaire était créée sur ce sujet. Une semaine plus tard, le Sénat créait à son tour une commission d’enquête sur « les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France. »
Le champ d’investigation fixé à la commission de l’Assemblée nationale était vaste : la mission qui lui était assignée concernait tous les aspects du monde carcéral : état des lieux, conditions de détention, santé, travail, usage de la détention provisoire, situation des personnels pénitentiaires, conditions de la réinsertion sociale et solutions alternatives à l’incarcération. L’objectif qui lui était fixé était de formuler « des propositions de nature à améliorer la situation dans les prisons françaises. »
C’est en fonction de telles orientations que son Président, Laurent Fabius, proposait d’emblée à la commission un objectif ambitieux : visiter tous les établissements pénitentiaires de métropole.
Chaque membre de la commission fut donc chargé de visiter un certain nombre d’établissements et d’en rendre compte à la commission. Ce programme ambitieux, qui a exigé des commissaires une disponibilité et un investissement importants, a été pour l’essentiel réalisé. Ces visites ont permis à la commission de procéder à une sorte d’audit des établissements pénitentiaires sans précédent et lui ont permis de recueillir une foule d’informations concrètes d’une grande richesse. Surtout, elles ont permis à chaque député d’appréhender sur le terrain ce qu’est la vie en prison pour les détenus, mais aussi pour le personnel et pour tous ceux qui participent à la vie des établissements. Chacun a pu ainsi mesurer, à la fois, l’extrême diversité des établissements et la permanence d’un certain nombre de problèmes.
La commission a, par ailleurs, procédé à de multiples auditions de personnalités et de responsables de l’administration pénitentiaire.
La commission ne voulait pas se limiter aux seuls établissements métropolitains et a donc dépêché une délégation en Guyane, Martinique, Guadeloupe du 15 au 22 avril 2000, conduite par le Président Louis Mermaz, appelé à succéder à M. Laurent Fabius, nommé membre du gouvernement. 1
Enfin, la commission, afin d’élargir sa vision du sujet et dans le souci de s’inspirer de modèles étrangers, a également envoyé une mission au Canada du 29 mai au 2 juin. Il faut souligner ici combien les informations recueillies dans ce pays ont été riches d’enseignement et ont montré la voie à suivre pour parvenir, dans notre pays, à un système pénitentiaire plus efficace et plus apte à remplir sa mission première qui est de protéger la société de la délinquance, sans écarter pour autant définitivement ceux de nos concitoyens qui se sont rendus coupables d’infractions.
Au terme de cinq mois de travaux intenses sur un sujet difficile et souvent douloureux qui n’a laissé aucun de ceux qui y ont participé indifférents, votre rapporteur tient à souligner que le présent rapport est le fruit d’un travail exemplaire, marqué par une parfaite collaboration entre tous les groupes parlementaires.
Après avoir décrit la réalité carcérale en France aujourd’hui, marquée par l’extrême diversité des établissements et les inégalités de traitement des détenus qui en résultent, mais aussi par une inadaptation importante de beaucoup de lieux de détention et les difficultés rencontrées par une administration pénitentiaire désorientée et confrontée à une mission impossible, le rapport tente de répondre à la question de fond : à quoi sert la prison et quel est le sens de la peine ?
De cette interrogation et des réponses qui lui sont données découlent les orientations qu’il propose : redonner toute sa place à la mission de réinsertion et éviter l’incarcération de ceux pour lesquels elle est inutile ou nuisible. Cela ne signifie pas que la sanction doive être écartée, mais, au contraire, que des modalités alternatives véritablement de nature à améliorer la sécurité de nos concitoyens en évitant la récidive, doivent être développées. Il faut également à chaque fois prendre en compte la douleur des victimes et des familles des victimes ; elles doivent pouvoir au minimum être informées si elles le souhaitent bien évidemment, des modalités d’exécution de la sanction.
Cela veut dire aussi que l’administration pénitentiaire doit être reconnue comme un des grands services de la République, qu’aucun citoyen ne doit ignorer son existence ni méconnaître son fonctionnement ; qu’aucun parlementaire, lorsqu’il aura à décider d’une réforme du code pénal ou du code de procédure pénale, ne s’interroge : quelle protection pour la société, quelle réparation pour la victime, quelle application de la sanction pour ceux qui ont manqué à la loi ? qu’aucun magistrat chargé de dire le droit et de déterminer dans l’échelle des peines la plus juste ne se désintéresse du devenir de sa décision et de celui ou celle qui la subit.
Pour mener à bien ces indispensables réformes, une mobilisation de tous est nécessaire. Un effort financier important doit aussi être consenti si l’on ne veut pas que, comme en 1875, les travaux du Parlement restent lettre morte.