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I. A 3) Les conséquences de la surpopulation carcérale

Publié le vendredi 17 janvier 2003 | http://prison.rezo.net/i-a-3-les-consequences-de-la/

La surpopulation aboutit au non-respect des textes, rend très difficiles les conditions de vie en détention et empêche l’administration pénitentiaire d’assurer correctement son rôle.

a) Des règles du code de procédure pénale qui restent inappliquées.

Le non-respect des dispositions du code de procédure pénale n’est bien évidemment pas ce qui choque au prime abord lors de visites dans les maisons d’arrêt. Les conditions difficiles de détention qui se traduisent par la promiscuité et le manque d’intimité sont véritablement le quotidien de la vie en prison ; le respect des dispositions législatives et réglementaires apparaît dès lors comme un impératif lointain, dépourvu d’implications concrètes aussi bien pour les détenus que pour le personnel surveillant ou d’encadrement. Il importe néanmoins d’en dire quelques mots afin de mesurer l’abîme qui sépare les textes de la réalité carcérale.
La surpopulation carcérale est en premier lieu une réalité antinomique avec les dispositions des articles D.83 à D.85 du code de procédure pénale qui prévoient l’isolement individuel de jour comme de nuit dans les maisons d’arrêt. On l’a vu, ces dispositions sont assorties néanmoins de suffisamment de précautions pour que la responsabilité de l’administration pénitentiaire ne puisse être engagée en cas de non-respect du principe.
La surpopulation carcérale dans les maisons d’arrêt rend également totalement utopique l’application de l’article D.90 du code procédure pénale qui prévoit la séparation, sur les lieux de détention, des condamnés, des détenus soumis à la contrainte par corps et des prévenus.
L’article D.90 précise même qu’à l’intérieur de ces catégories doivent être séparés les détenus n’ayant pas subi antérieurement de peines privatives de liberté, et ceux ayant déjà encouru de nombreuses condamnations.
Dans la pratique, les directeurs d’établissement sont contraints de gérer cette surpopulation en faisant en sorte que celle-ci soit acceptée le mieux possible par les détenus. Les affectations dans telle ou telle cellule obéissent dès lors à des impératifs tenant à la personnalité de détenu, son âge, son comportement et éventuellement dans certaines maisons d’arrêt comme la Santé à Paris ou Les Baumettes à Marseille, sa nationalité ou son origine ethnique. Les prescriptions prévues par le code de procédure pénale tenant à la situation juridique du détenu et son éventuel passé judiciaire sont au mieux prises en compte de manière subsidiaire, au pire totalement ignorées. Il arrive également que la séparation des mineurs et des détenus âgés de moins de vingt et un ans, prévue par l’article D.516 du code de procédure pénale, puisse, en conséquence, ne pas être respectée, comme a pu le démontrer la visite de la maison d’arrêt de Troyes. Cette séparation entre mineurs et majeurs semble également totalement ignorée dans les quartiers de détention des femmes.
Les conséquences du non-respect du code de procédure pénale sont difficiles à évaluer. Elles ne semblent avoir aucune répercussion sur la vie quotidienne de la détention, et le mélange des détenus toutes catégories pénales confondues paraît même très bien accepté. Gageons cependant qu’en termes de prévention de la récidive, ces conditions de détention ne sont pas optimales. La prison n’est peut-être pas l’école du crime comme on a pu si souvent la présenter ; il est néanmoins certain que c’est en prison, par le mélange de l’ensemble des catégories de détenus, que peuvent se créer des réseaux et s’échanger des informations. La surpopulation pénale dans les maisons d’arrêt impose ainsi aux directeurs d’établissement et aux surveillants des contraintes de gestion qui nuisent aux possibilités de réinsertion des détenus.

b) Des conditions de vie en détention rendues très difficiles.

Il est excessif de présenter le phénomène de surpopulation carcérale comme une généralité touchant l’ensemble des maisons d’arrêt. Néanmoins les nombreuses visites des membres de la Commission d’enquête notamment dans les maisons d’arrêt de Rouen, Fontenay-le Comte, La Roche-sur-Yon, Meaux, Nîmes, Bayonne ou Loos ont permis de constater de visu les dégradations des conditions de vie qu’une telle surpopulation implique.
Concrètement, sur un plan purement matériel, la surpopulation est à l’origine d’un nombre considérable de dysfonctionnements. La distribution des repas met deux fois plus de temps que prévu en temps normal et les plats arrivent froids dans les cellules ; les capacités en eau chaude de l’établissement sont insuffisantes pour permettre le nombre de douches réglementaires ; les déplacements collectifs exigent beaucoup plus de temps ; les capacités des infrastructures sportives sont rapidement dépassées ; le nombre de places en ateliers ou en formation est insuffisant ; l’accès aux parloirs peut également devenir extrêmement difficile.
La surpopulation se traduit également par la présence de trois, voire quatre détenus en cellule. Il arrive de voir, comme à Nîmes ou à Gradignan, des détenus coucher par terre sur des matelas. Un député membre de la commission a pu constater à Gradignan que trois détenus vivaient dans 6 m² vingt et une heures sur vingt-quatre. La vie en commun dans un espace aussi exigu que la cellule exigerait des qualités relationnelles et une discipline rigoureuse. Tout peut en effet devenir sujet à conflit : la télévision allumée en permanence, le fonctionnement du réchaud à une heure tardive, l’éclairage, l’utilisation des toilettes en commun et généralement sans séparation, l’ouverture de la fenêtre, l’usage du tabac... La vie quotidienne en prison est une succession de négociations et de tensions. De telles conditions de promiscuité peuvent être l’occasion de tous les abus. Le problème des viols entre détenus, s’il fait parfois la une des journaux, est totalement occulté et, comme le note l’un des parlementaires dans ses comptes-rendus de visite, « il est impossible de savoir, côté détenus comme administration, ce qui se passe vraiment la nuit dans les cellules. L’omerta sur ces questions semble très puissante et efficace. »
S’agissant d’une population souvent déstructurée, dépourvue de repères et connaissant de graves difficultés d’insertion, la suroccupation dans les cellules relève dès lors de la gageure. Elle impose au détenu un véritable combat quotidien pour préserver sa dignité et son intimité. Le Comité européen pour la prévention de la torture, organe dépendant du Conseil de l’Europe, s’est élevé lors de ses précédentes visites des établissements pénitentiaires en France contre ces conditions de détention. M. Ivan Zakine, membre du CPT (Comité européen pour la prévention de la torture) a ainsi cité devant la Commission d’enquête les conclusions des rapports établis à l’époque :
« Le rapport publié en janvier 1993 indiquait - j’en parle d’autant plus à mon aise que je ne faisais pas alors partie du Comité - que « les conditions de détention observées aux maisons d’arrêt de Marseille-Baumettes et de Nice laissaient fortement à désirer. Ces deux établissements étaient sérieusement surpeuplés, dotés de programmes d’activités très insuffisants. De plus, les conditions sanitaires et d’hygiène, de l’avis du CPT... » [le Comité européen] « ...ainsi que les conditions de détention déplorables dans les bâtiments A et B de la maison d’arrêt de Marseille-Baumettes équivalaient à un traitement inhumain et dégradant. Le degré élevé du surpeuplement à la maison d’arrêt de Nice a conduit le CPT à la même conclusion. » La deuxième visite du CPT en France a été relatée dans le rapport de 1996, publié le 14 mai 1998 : « Il appert de ce qui précède que les conditions de détention dans plusieurs parties de la maison d’arrêt de Paris La Santé laissaient grandement à désirer. Dans les divisions B, C et D, celles-ci pourraient être qualifiées d’inhumaines et de dégradantes. »
La surpopulation pénale est donc à l’origine d’un traitement infligé aux détenus qui peut être considéré, à juste titre, comme inhumain et dégradant ; elle n’est bien évidemment pas non plus étrangère à la survenance de plus en plus fréquente d’actes d’auto-agressions (automutilations, tentatives de suicides ou suicides), d’agressions entre détenus, de phénomènes de racket ou d’actes de violence envers les surveillants.
Il faut rappeler, pour conclure, que ces conditions de détention rendues particulièrement pénibles et désocialisantes du fait de la surpopulation sont imposées à des personnes qui, soit sont prévenues et bénéficient à ce titre de la présomption d’innocence, soit condamnées à de très courtes peines et destinées à retourner très rapidement à l’extérieur.
Le paradoxe est latent et paraît à bien des égards choquant. Il est vrai que la gestion des condamnés à de longues peines relève d’une autre logique et exige, on le verra, une véritable réflexion sur le sens de la peine. Il n’en reste pas moins que ce sont les prévenus et les condamnés aux courtes peines qui subissent les conditions de détention les plus rigoureuses et les plus pénibles.
c) Une surpopulation qui rend difficile le travail du personnel de surveillance.
Les visites effectuées dans les maisons d’arrêt connaissant une surpopulation carcérale ont toutes permis de constater à quel point ces conditions de détention étaient pesantes pour le personnel, et notamment le personnel de surveillance. Quel que soit le dévouement des personnes rencontrées, l’observation d’un taux d’absentéisme plus élevé dans ces établissements traduit véritablement le malaise des surveillants, réduits à un rôle de gestion des incidents dans un climat de travail tendu au détriment de leur mission d’observation et de surveillance. Le surveillant se sent ainsi dépossédé de toutes les missions gratifiantes au profit d’une mission exclusive de porte-clefs.
M. Jean-Marc Chauvet, directeur régional des services pénitentiaires d’Ile de France, observe ainsi :
« Si la surpopulation est déjà un problème en elle-même, compte tenu du surcroît de travail qu’elle occasionne, ses effets induits sur la crédibilité et l’autorité de l’institution sont encore plus destructeurs. En effet, l’impératif de gestion se fait encore plus prégnant, car, outre le manque de places en cellule, c’est bien souvent l’ensemble des services qui dysfonctionne. Cette situation conduit l’administration à temporiser, à compenser. Les contacts avec la population pénale, l’observation, sont réduits, voire inexistants, laissant le champ libre aux leaders négatifs. On ne sait plus ce qui se passe, on gère des flux, on « fait tourner » selon l’expression souvent employée. Que peut faire le surveillant lorsqu’il entre dans une cellule où il se retrouve face à trois détenus ? La moindre remarque ne peut qu’entraîner une réaction ironique ou violente, car il n’est pas question pour le détenu de perdre la face. »
Il en résulte une démission de l’administration pénitentiaire face à sa mission d’observation, de surveillance et de réinsertion. A la question de savoir pourquoi les détenus préféraient souvent des prisons vétustes et surpeuplées telles que les prisons de Lyon plutôt qu’un établissement neuf pouvant à peu près assurer un encellulement individuel, le même directeur régional répondait devant la commission d’enquête :
« Au sujet de la question de la surpopulation, il se peut que les détenus considèrent, entre autres éléments objectifs, qu’être incarcéré à Villefranche 2 pose certains problèmes pour les visites des familles. Mais surtout la surpopulation, par ses effets déstructurants, conduit à l’abandon de la prison par l’administration. La prison surpeuplée n’appartient plus à l’administration, mais aux détenus. Le reportage du magazine « Envoyé spécial » sur les prisons de Lyon l’a bien souligné. Ceux qui vivent, à l’extérieur, de trafics ou autres reproduisent ce mode de fonctionnement en prison. Dès lors, leur proposer un système - Villefranche - où l’administration est plus présente ne les intéresse pas du tout. S’y ajoute le fait que le personnel débordé est peut-être plus tolérant - c’est du moins ce que l’on dit pour un établissement comme la Santé. L’administration est moins pesante, moins présente, le détenu se trouve mieux, mais jouons-nous notre rôle ? Je ne le crois pas ; nous sommes complètement en dehors. »
A ces conditions de détention désocialisantes s’ajoute une inadaptation du parc pénitentiaire, alors même que la population pénale connaît de profondes mutations.