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II. A. 3) Le rôle de l’encadrement à redéfinir.

Publié le vendredi 17 janvier 2003 | http://prison.rezo.net/ii-a-3-le-role-de-l-encadrement-a/

On peut souligner d’emblée que les membres de la commission ont été frappés par la qualité de certains des directeurs d’établissement rencontrés au cours des visites. Lors de son audition devant la commission. Jacques Lerouge notait également : « J’ai travaillé dans trente-sept établissements pénitentiaires, j’ai trente-cinq ans de recul. J’ai donc connu à leur début une grosse partie des personnels d’encadrement de l’administration pénitentiaire. La chance de cette administration, c’est d’avoir en son sein une poignée de femmes et d’hommes passionnés par leur travail. Sinon, il y a belle lurette que tout aurait explosé. »

L’accueil des parlementaires dans les établissements pénitentiaires a révélé une grande attente de la part des directeurs d’établissement, désireux de faire connaître leur métier et de rompre un isolement souvent pesant, compte tenu de leurs responsabilités :
« Se demander quelle est la journée d’un directeur de prison, n’est pas la bonne question, car nous vivons au rythme de la prison 24 heures sur 24.
Ce qui me frappe, après 20 ans de carrière, c’est de voir à quel point les personnels, les détenus, les autorités extérieures - et même nos familles - identifient le directeur à la prison elle-même. Nous vivons depuis quelque temps en dehors des murs, mais tellement près que finalement cela n’a rien changé. Peut-être est-ce une nécessité.

Il n’y a pas de rupture entre notre vie professionnelle et notre vie privée. L’institution est pesante et nous le ressentons ainsi. Avant hier encore, un surveillant m’a téléphoné à mon domicile à 23 heures pour me parler de ses problèmes familiaux et de son divorce.

Le directeur de prison peut être comparé à un commandant de navire : non seulement il ordonne l’exécution des tâches et fait appliquer la réglementation, mais il doit être présent à chaque coup dur, car on se tournera vers lui et il est le responsable. C’est ce qui fait la difficulté, mais aussi l’intérêt du métier. C’est sur le directeur que va peser l’entière responsabilité d’une décision ou d’une erreur.

Au quotidien, un directeur de prison est entouré d’adjoints, de personnel d’encadrement qui vont se charger de toute une partie du travail. Le personnel est de mieux en mieux recruté, formé et plus performant, ce qui nous facilite la tâche. Néanmoins, cette responsabilité quotidienne est lourde, car nous ne connaissons jamais de rupture avec l’institution - combien de fois avons-nous été rappelés pendant nos congés ! » (M. Pierre Raffin, membre du syndicat national FO des personnels de direction)
L’image du commandant de navire a souvent été utilisée lors des visites pour illustrer la fonction de directeur d’établissement ; elle traduit à la fois les responsabilités assignées au directeur ainsi que la solitude dans laquelle ils les exercent.
Les responsabilités sont d’abord liées à la mission de garde assignée aux établissements pénitentiaires ; l’article D.265 du code de procédure pénale précise à cet effet que le chef d’établissement doit veiller à une stricte application des instructions relatives au maintien de l’ordre et de la sécurité ; « A ce titre, il est disciplinairement responsable des incidents ou des évasions imputables à sa négligence ou à l’inobservation des règlements, indépendamment des procédures disciplinaires susceptibles d’être engagées contre d’autres membres du personnel. »

La sécurité est donc la première des préoccupations des directeurs ; concrètement, le rôle du chef d’établissement est d’abord une fonction de contrôle et de vérification afin de s’assurer que les textes et les consignes sont bien appliqués. Mais la fonction ne saurait se limiter au contrôle ; le directeur a également un rôle d’animation d’équipe, comme l’a souligné M. Jean-Louis Daumas, directeur du centre de détention de Caen : « Mais il nous incombe surtout une fonction d’animation. A mon sens, le directeur d’une prison est quelqu’un qui doit avoir une grande capacité à animer et à laisser vivre professionnellement les personnels en leur donnant une réelle autonomie, quelle que soit la taille de l’établissement car cette mission peut s’exercer selon des modalités très différentes. »

L’équilibre entre le contrôle et l’animation est difficile à établir ; la personnalité du directeur, comme ont pu le montrer les rencontres effectuées dans les établissements, paraît déterminante à cet égard : le climat d’une détention repose en effet beaucoup sur ses méthodes de travail, sa faculté à répartir sa charge de travail entre la gestion du personnel et l’écoute des détenus. Le système actuel est en effet très hiérarchisé et beaucoup de questions liées au quotidien de la détention ne semblent pouvoir être réglées que par le directeur. C’est au directeur qu’il revient en définitive de fixer les normes de la détention, les règles de discipline et leur marge de tolérance. Il en résulte - cela a déjà été dit - une grande diversité dans la gestion des établissements, qui s’appuie sur l’absence d’une norme de gestion claire et incontestable. Ce qui est permis, toléré dans un établissement par un directeur ne le sera pas dans un autre ; la consommation de drogue ou les relations intimes au parloir sont à cet égard des exemples frappants de la marge de man_uvre du directeur. Il ne s’agit pas, en disant cela, d’affirmer que des directeurs autorisent ouvertement la consommation de drogue ou les relations sexuelles ; il s’agit simplement de constater que certains directeurs font de la répression de ces comportements une priorité et d’autres non.

Plus généralement, « la prison reflète la personnalité de son patron. Si vous faites quelque chose une année et que le patron change, dans la plupart des cas tout est à refaire. » (M. Jacques Lerouge)
La diversité des modes de gestion peut être très perturbante pour les surveillants comme pour les détenus ; elle est d’autant plus accentuée qu’il existe un fort turn-over des personnels de direction. La stabilisation des équipes dirigeantes devrait pourtant être une priorité, afin de pouvoir apporter un minimum de continuité dans la gestion des équipes et le partenariat avec les intervenants extérieurs.

Les responsabilités qui s’attachent à la fonction du directeur sont donc impressionnantes et ont de plus tendance à s’alourdir au détriment des relations que le chef d’établissement doit entretenir avec les détenus, ce que les directeurs reçus par la commission ont déploré : « J’ai le sentiment qu’assurant les fonctions de sous-directrice, je disposais de plus de temps à consacrer à la détention qu’aujourd’hui en qualité de chef d’établissement. Je le vis comme une frustration compte tenu d’un emploi du temps de plus en plus encombré par des tracas administratifs, des réunions ou des problèmes, parfois éloignés de la vie quotidienne en détention. » (Mme Valérie Decroix, directrice de la centrale d’Ensisheim)

Il serait néanmoins erroné de présenter le directeur comme tout puissant dans son établissement. La gestion au quotidien d’un établissement est le résultat de compromis entre demandes du personnel surveillant, les revendications des détenus et la puissance tutélaire de la direction régionale.
« La profession subit aujourd’hui tellement de pressions qu’elle s’autocensure.
Nous faisons un métier dans lequel le prosélytisme syndical de la base est relativement fort et écouté. La CGT, FO et l’UFAP sont des syndicats forts et souvent le directeur est seul. Il doit faire machine arrière face aux intérêts politiques qui nous sont imposés. Notre crédibilité en est souvent affectée. » (M. Michel Beuzon, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire FO des personnels de direction)

Lors des visites d’établissements, beaucoup de directeurs se sont plaints de la toute puissance des syndicats dans leur établissement et de leur résistance à tout changement dans l’organisation du travail.
De même, les relations des directeurs avec leur hiérarchie régionale ne sont pas toujours faciles, comme l’a exposé M. Jean-Louis Daumas : « Les relations avec la hiérarchie régionale vont du pire au meilleur. Je dois dire que j’ai surtout connu le pire, c’est-à-dire un contrôle pesant, tatillon, par des personnes qui furent souvent de bons chefs d’établissements, mais qui n’ont absolument pas les qualités requises pour être des « managers » régionaux, c’est-à-dire des personnes qui mettent en _uvre des politiques publiques à un échelon déconcentré régional. J’ai rarement connu le meilleur et souvent le pire, sous forme de pressions, par exemple, lorsque l’on est confronté à l’événement. C’est peu le cas actuellement à Caen, mais j’y ai été confronté lorsque j’ai dirigé une maison d’arrêt urbaine terrible, celle de Loos-lèz-Lille :le pire est le rôle éminemment réactif de l’échelon régional dès lors que le drame se produit en prison. On presse alors l’établissement pour se dédouaner auprès de l’administration centrale. J’en garde un assez mauvais souvenir. »

L’administration pénitentiaire semble consciente de ces difficultés, même si sa directrice, en affirmant devant la commission d’enquête qu’elle manquait de directeurs de qualité, n’a pas contribué à redonner confiance en soi à la profession.

L’administration a ainsi mis en place une réflexion sur la prospective du métier de chef d’établissement et sur l’organisation des équipes de direction, avec notamment la création d’une fonction systématique de gestion des ressources humaines ; elle lance également une expérience de « coaching » des chefs d’établissement par un tiers pour remédier à leur isolement.

L’administration a, dans le même mouvement, cherché à améliorer la condition des chefs de service pénitentiaire : ce corps de catégorie B, créé en 1993, occupe des fonctions d’encadrement en détention, consistant à diriger l’équipe des premiers surveillants et surveillants, des fonctions de chef de détention, dans lesquelles ils se voient confier la responsabilité de l’activité, stricto sensu, des fonctions d’adjoint au chef d’établissement et des fonctions de chefs d’établissement dans les petits établissements de moins de 200 places.
Malgré ces responsabilités importantes, il existe un décalage entre les moyens accordés aux directeurs d’établissement et ceux accordés aux chefs de service pénitentiaire dans l’accomplissement de leurs missions :
« Les chefs de service pénitentiaire de première classe et les chefs de service en général - auparavant surveillants-chefs et chefs de maisons d’arrêt - constituent l’une des catégories les plus dévalorisées. Ces chefs de service, issus du personnel de surveillance, dirigent des établissements pénitentiaires. Un chef de service de première classe peut diriger un établissement comptant un maximum de deux cents places, ce qui peut signifier trois cent cinquante ou quatre cents détenus. Il le dirige avec des moyens largement inférieurs à ceux d’un personnel de direction qui est entouré d’un staff, comprenant un économe, un greffier, un ou plusieurs adjoints.
Le chef de service pénitentiaire a les mêmes responsabilités qu’un directeur et un déroulement de carrière qui est celui d’un fonctionnaire de catégorie B, ce qui ne correspond pas du tout aux responsabilités exercées. C’est la catégorie sur laquelle il faudrait faire porter les efforts car la majorité des établissements pénitentiaires sont dirigés par des chefs de service pénitentiaire issus du personnel de surveillance. » (M. Désiré Derensy, membre de l’Union générale des syndicats pénitentiaires CGT)

La première mesure a été de renforcer les effectifs d’encadrement dans les petits établissements ; l’évaluation des besoins a fait état, pour créer dans chaque établissement une équipe de direction composée de deux personnels, d’un manque d’effectifs évalués à trente agents. Vingt emplois ont été pourvus par la loi de finances pour 2000 ; dix seront demandés pour le projet de loi de finances 2001.

Une réforme du statut de chef de service pénitentiaire est également en cours afin de mieux prendre en considération le rôle d’encadrement essentiel qu’ils jouent dans les établissements pénitentiaires. Passant par une revalorisation du traitement, le coût de la réforme est estimé à 27,6 millions de francs, avec une provision d’un million de francs inscrite en loi de finances pour 2000.
Au-delà de ces réformes ponctuelles, il conviendrait de procéder à une réflexion plus générale sur le métier de directeur d’établissement et sur les modalités de gestion des établissements pénitentiaires. Le rapport remis par la commission présidée par M. Guy Canivet au garde des sceaux soulevait la question d’une responsabilisation accrue des directeurs d’établissement en contrepartie d’un développement des procédures de contrôle.

Les directeurs ont, on vient de le voir, un rôle fondamental d’impulsion et de mobilisation dans leur établissement. Il leur revient de réfléchir au développement d’une gestion plus collective de la détention reposant sur une implication accrue du personnel surveillant :
« On a d’ailleurs fait croire aux surveillants que le métier qu’ils allaient faire n’est pas celui qu’ils font, en leur parlant d’observation, de participation au traitement des détenus, etc. C’est pourquoi nous disons qu’un changement est nécessaire. Il faut une équipe de travail constituée d’un travailleur social et d’un gradé qui encadre une équipe de surveillants qui sera en charge d’une partie de la détention. Pourquoi, dans les établissements qui sont ouverts, où les détenus peuvent librement se déplacer, avoir un surveillant à chaque étage ? Il vaudrait mieux mettre en place une équipe qui étudie si tel détenu peut passer à la phase supérieure, et qui puisse intervenir ensemble quand un problème surgit. Il y a souvent des accidents, parce que le surveillant intervient seul. Le fait de travailler en équipe, non seulement d’étudier un dossier mais aussi d’échanger des informations, serait un progrès considérable. Pour préparer les commissions d’application des peines, on demande l’avis du gradé qui recueille des fiches, remplies ou non, forme son opinion et propose tel ou tel pour la réduction de peine. Le service social fait la même chose de son côté. Le chef d’établissement propose et le juge décide. Si les quatre intervenants ont des avis divergents, le gradé va trancher de façon subjective selon ses propres critères, sans qu’aucune discussion n’ait été possible.

Il est indispensable de travailler en équipe dans les établissements pénitentiaires. Il faut valoriser le travail des personnels de surveillance et non pas que ces personnels soient uniquement là pour faire de l’hôtellerie et régler les incidents. Il faut prendre l’avis de l’équipe de surveillants et qu’elle soit informée des suites. Si un rapport disciplinaire a été dressé, il faut lui indiquer ce qu’il est advenu et pourquoi.
A quoi peut servir aujourd’hui qu’un surveillant siège au sein de la commission d’application des peines ? Il n’est qu’un alibi. Il ne connaît pas tous les détenus, et l’avis qu’il peut avoir, en fonction du dossier, n’est pas un avis fondé. Il vaudrait mieux disposer de l’avis de l’équipe de surveillants, rapporté par le gradé. En appliquant cette manière de travailler, les choses pourraient se passer complètement différemment. Les surveillants se sentiraient sécurisés et interviendraient dans leur travail. Pourquoi ne pas tenir une réunion de trente minutes, chaque jour, pour faire le point ? Dans la situation actuelle, on pourrait remplacer le surveillant par un robot. » (M. Désiré Derensy, membre de l’union générale des syndicats pénitentiaires CGT)
De telles méthodes de travail sont déjà mises en place dans certains établissements ; le projet d’exécution des peines, avec le suivi des détenus par une équipe surveillante constitue un début de responsabilisation de l’ensemble des intervenants en prison. Cette réflexion doit s’accompagner d’une réflexion plus large sur la communication de l’information entre les différents niveaux d’administration et sur la gestion globale.