Cette proposition rejoint la réflexion sur la place de la prison dans la cité et le regard de l’opinion publique sur le délinquant. Il ne peut y avoir réinsertion s’il y a une stigmatisation à perpétuité de l’ancien condamné. La réinsertion implique une démarche responsable du détenu libéré mais exige aussi un devoir de pardon de la part du corps social. C’est dans ce cadre-là que se pose la question de l’inscription des condamnations au casier judiciaire de l’ancien condamné.
« Ensuite se pose le problème du casier judiciaire. L’administration de la République pourrait donner l’exemple en levant l’interdiction d’engager dans les administrations en qualité de fonctionnaires et à tous les postes administratifs des personnes inscrites au casier judiciaire. Si l’administration ne le fait pas, on ne peut attendre des entreprises qu’elles engagent des personnes dotées d’un casier judiciaire.
[...] Sur le second point, je considère que si nous-mêmes, le service public étant la quintessence de la République, après nous être interposés entre une victime et un délinquant, après avoir arbitré leur différend de façon collective, après avoir trouvé au nom de tous, une modalité de réparation pour la victime et pour la personne, si alors nous ne pensons pas possible de faire entrer cette personne dans notre administration, nous sommes fous. Ou bien alors cela signifie que la réparation ne nous intéresse pas. » (M. Nicolas Frize, responsable de la commission prison de la ligue des droits de l’homme)
Il faut effectivement réfléchir aux modalités d’effacement de l’inscription au casier judiciaire. La ministre de la Justice s’est en tout cas déclarée favorable à l’engagement d’une réflexion sur le thème :
« En ce qui concerne le casier judiciaire, des procédures permettent aujourd’hui, y compris pour des personnes qui ont été condamnées à de longues peines - j’ai en tête le cas d’une personne qui a fait l’objet d’une libération conditionnelle à la suite d’une condamnation très grave - de demander par l’intermédiaire de l’avocat la radiation des condamnations du casier judiciaire.
Peut-on assouplir ces procédures ? J’y serais assez favorable si c’était possible. Il faut voir dans quelles conditions. Voir quelqu’un qui a été libéré de prison, traîner son casier toute sa vie durant... Cela fait partie de la réinsertion que de faire en sorte de supprimer ce type de stigmatisation. »
La réhabilitation au Canada :
Le système pénal canadien prévoit une possibilité de réhabilitation pour tout condamné ayant purgé sa peine après un délai de trois ans pour un délit et de cinq ans pour un acte criminel. En 1998, 5 476 réhabilitations ont été accordées, 52 refusées. La réhabilitation consiste à sceller le casier judiciaire qui ne peut plus être révélé, notamment pour l’accès à la fonction publique fédérale. La réhabilitation n’efface pas la condamnation et est révoquée si son bénéficiaire est ultérieurement condamné pour un acte criminel. Les décisions de réhabilitation relèvent de la commission nationale des libérations conditionnelles.
3) Repenser le temps de l’incarcération
Les risques de récidive sont étroitement liés à la manière dont auront été perçues par le détenu la durée de l’incarcération et sa responsabilisation face à l’acte commis. L’incarcération vécue comme un temps mort, une sanction arbitraire et mal comprise ne prépare pas la sortie dans des conditions favorables. Les actions d’insertion, sous la forme de travail pénal ou de formation professionnelle sont déterminantes ; longuement évoquées précédemment, il est inutile d’y revenir.
Plus novatrices, les actions menées pour repenser la durée de l’incarcération méritent d’être développées.
Le projet d’exécution des peines (PEP) mis en place en 1996 se veut une formalisation des étapes qui jalonnent le parcours pénitentiaire du condamné. Ce projet poursuit trois objectifs fondamentaux, qui sont d’impliquer le détenu dans le sens à donner à sa peine, d’améliorer l’individualisation administrative et judiciaire de la peine en proposant un cadre objectif, d’introduire un mode d’observation qui assure une meilleure connaissance du détenu pour accroître la sécurité des établissements et améliorer l’efficacité des actions visant à l’insertion. Il s’apparente donc au système canadien de plan correctionnel déjà évoqué.
Dix sites pilotes ont été retenus : Mauzac, Tarascon, Joux-la-Ville, Loos, Moulins, Melun, Nantes, Muret, Toul et Ducos ; il s’agit à chaque fois de centres de détention, sauf Nantes et Ducos qui sont centres pénitentiaires. Dans le cadre du projet PEP, sont remplis des supports d’observation, sous forme de fiches, cahiers ou notes, renseignés par les surveillants. Ces supports font l’objet de synthèses par les personnels gradés ou le surveillant référent PEP, éventuellement aidé par un psychologue.
La synthèse est intégrée au livret individuel du détenu mais n’a pas à être consultée ou communiquée au condamné.
L’expérience menée dans les dix sites a démontré que le PEP favorisait la prise de conscience de leur responsabilité par les condamnés et se traduisait par un travail de réflexion sur la gravité des faits, une meilleure incitation aux soins et un accroissement des versements opérés au profit des parties civiles.
Le PEP permettrait également un meilleur aménagement du temps de détention. Les parcours d’insertion sont mieux construits et les décisions d’orientation mieux préparées.
Enfin, le PEP favoriserait une meilleure observation de la population pénale, plus objective et de meilleure qualité. Les personnels ont une plus grande connaissance des détenus. L’observation se fait dans la durée. La mise en _uvre du PEP a notamment amélioré la prévention des incidents. Il a permis également d’initier une dynamique de concertation entre surveillants.
Les résultats tout à fait positifs dans les dix sites pilotes retenus plaident pour l’extension du système à l’ensemble des établissements pour peines. Néanmoins, là encore, la réussite du système bute devant l’indigence des moyens mis en _uvre. Au titre de la loi de finances pour 2000, c’est dix emplois qui ont ainsi été créés pour suivre l’expérience des PEP.
La généralisation du projet d’exécution de la peine changerait pourtant radicalement la philosophie de l’incarcération, conçue comme une véritable démarche vers la sortie. L’exemple canadien est, à cet égard, une nouvelle fois probant.
La réflexion sur la durée de l’incarcération doit également se pencher sur une conception dynamique de l’incarcération, définie en termes de paliers successifs, de plus en plus ouverts, jusqu’à la sortie finale.
La mise en place des centres pour peines aménagées (CPA) parait être un début de réponse à cette logique de régime progressif ; les CPA implantés en centre ville, visent à améliorer la prise en charge des courtes et moyennes peines à moins d’un an de la libération. Tournés vers la réinsertion et un retour rapide des personnes en milieu libre, ces établissements offrent un régime basé sur un apprentissage progressif de l’autonomie et une responsabilisation des condamnés, afin d’élaborer un projet de sortie. Ces CPA sont caractérisés par une coopération entre travailleurs sociaux, partenaires extérieurs et équipes surveillantes ; ces dernières exercent une mission comparable à celle existant dans les quartiers mineurs, davantage tournée vers l’animation et le tutorat.
La totalité du programme repose actuellement sur le réaménagement de deux établissements pénitentiaires classiques (Metz-Barrès et Les Baumettes) et la construction, dans un avenir plus ou moins proche, de dix centres.
La progressivité des régimes d’incarcération était un élément essentiel de la réforme « Amor » initiée en 1945 ; l’objectif fut néanmoins abandonné à la suite des événements dramatiques vécus dans le milieu des années 70. L’apaisement du climat pénitentiaire plaide pour une réactivation de la réflexion sur le sujet. Seule la progressivité des régimes de détention, avec la construction d’établissements adéquats est à même de préparer des projets de sortie réussis et de réduire en conséquence les taux de récidive.
C.? Instaurer le numeros clausus
La proposition d’instaurer un numerus clausus fixant un nombre maximum de personnes incarcérées implique une révolution complète de la gestion de l’administration pénitentiaire ; il s’agit de ne plus considérer la capacité des établissements pénitentiaires comme infiniment adaptable et ajustable mais de l’imposer, au contraire, comme une constante invariable.
Cette proposition n’a pas recueilli l’unanimité de la commission, le groupe RPR ayant fait connaître son opposition sur cette question.
Il est vrai qu’elle exige ainsi un bouleversement de la pratique des magistrats, qui devront désormais intégrer, non plus uniquement les considérations sur le crime ou le délit, mais également les données sur les capacités pénitentiaires.
Le taux d’incarcération est actuellement de 84,2 détenus pour 100 000 habitants (en métropole seule) ; il était en 1975 de 50 pour 100 000. Il faut s’interroger sur ce que signifient ces chiffres ; l’inflation carcérale est-elle la traduction de résultats probants en matière de lutte contre la criminalité ? les exemples étrangers démontrent si besoin était que toujours plus de prison ne dissuade pas le criminel : le taux d’incarcération constaté aux États-Unis, de l’ordre de 2 millions de détenus n’a pas ainsi contribué à juguler la violence de la société américaine (rappelons, comme repère, que le taux d’incarcération américain appliqué en France conduirait au chiffre de 400 000 détenus dans les prisons françaises) ; à l’inverse, la baisse sans précédent de la population pénale en Allemagne n’a pas eu pour conséquence une recrudescence de la criminalité.
L’inflation carcérale ne doit plus être envisagée comme une fatalité qui répondrait à une exigence croissante de sécurité ; il faut faire savoir que cette logique exige toujours plus de crédits pour accroître les capacités d’accueil des établissements, sans que son efficacité soit réellement démontrée. Si chacun s’accorde pour dire que la surpopulation carcérale est insupportable, force est de constater la timidité des réflexions pour faire cesser cette dynamique sans fin.
L’administration pénitentiaire se trouve ainsi contrainte de gérer les prisons par les effets des réductions de peine, des mesures de grâce ou d’amnistie. Cette régulation n’est pas satisfaisante dans la mesure où son automaticité nuit à l’individualisation de la peine ; les visites des établissements ont montré que les détenus considéraient désormais ces mesures comme un véritable dû. Cette pratique démontre de plus que l’on n’hésite pas à libérer, lorsque la pression carcérale s’en fait sentir, un nombre important de détenus sans que soient évaluées, à aucun moment, la personnalité du détenu et sa dangerosité (même si restent exclus des mesures de décrets de grâces les auteurs d’actes limitativement énumérés, tels que terrorisme, trafics de stupéfiants, crimes ou délits sur un mineur de moins de quinze ans).
Un renversement de la logique s’impose : la gestion de la population pénale ne saurait se contenter de mesures ponctuelles, apportant un soulagement certes immédiat mais néanmoins temporaire. Il est nécessaire de raisonner en ayant une vision globale et prospective de la population pénale.
Il faut avoir le courage de considérer que la capacité actuelle des établissements pénitentiaires constitue une limite indépassable s’imposant aux autorités judiciaires et pénitentiaires. Il reviendra aux magistrats la responsabilité de gérer cette limite en décidant d’incarcérer tel délinquant et, pour incarcérer ce délinquant, d’en libérer un autre.
Beaucoup, parmi les personnes auditionnées par la commission d’enquête se sont déclarées favorables au numerus clausus ou ont du moins considéré qu’il s’agissait d’une piste de réflexion intéressante.
Le premier président de la cour de cassation, Guy Canivet, répondait à la question du rapporteur sur le numerus clausus :
« Peut-on introduire une nouvelle logique ? Je le crois. Il faudrait confronter localement les impératifs de gestion de l’administration pénitentiaire, les considérations d’ordre public, le niveau de la délinquance, les ressources en matière de peines de substitution et déterminer, en considération de l’ensemble de ces facteurs, les conditions pertinentes de la décision d’emprisonnement. C’est une approche qui n’existe pas mais qui mériterait d’être tentée. »
Monsieur Gilbert Bonnemaison qui préconisait un tel système dans son rapport a renouvelé avec force cette proposition :
« Je vous dirai en préambule ma conviction, forte hier, plus forte encore aujourd’hui, que vider les prisons de leur trop-plein et créer les moyens d’interdire la reproduction de celui-ci par le numerus clausus est le seul moyen de résoudre le problème des prisons. »
La CFDT a également déclaré :
« Notre fédération, depuis sa constitution en 1982, a essayé de mettre en exergue sa volonté de voir se réaliser le numerus clausus pour plusieurs raisons.
En premier lieu, il s’agit de permettre une meilleure maîtrise des flux. » [...]
[...] « En second lieu, si le numerus clausus est inscrit dans nos revendications, c’est parce que nous considérons que les magistrats doivent regarder véritablement la situation telle qu’elle est. »
Monsieur Jean-Louis Daumas, directeur du centre de détention de Caen, énumérant ses réflexions sur la prison, a indiqué :
« La première piste consiste à étudier toutes les voies législatives et réglementaires qui pourraient, dans ce pays, imposer enfin la règle du numerus clausus. »
L’O.I.P. a également insisté sur l’intérêt du numerus clausus :
« Le second élément d’une politique réductionniste tient dans le numerus clausus, c’est-à-dire une intolérance absolue au surencombrement des prisons. [...]
« Pratiquée aux Pays-Bas ou en Finlande, la formule fonctionne très bien. En France, ce système présenterait beaucoup d’avantages dont celui d’instaurer une collaboration entre l’administration pénitentiaire et les magistrats qui, pour l’heure, travaillent séparément et s’ignorent superbement. » [...]
« Dans le cas d’un numerus clausus, des clignotants préviennent lorsqu’on approche de la cote d’alerte d’occupation dans un établissement pénitentiaire. Dès lors, le directeur de la prison informe les magistrats du ressort qui sont ainsi incités à recourir à des dispositifs alternatifs à la détention, notamment au contrôle judiciaire, et qui sont invités à examiner toutes les situations en attente de décisions concernant les détenus incarcérés : les demandes de mise en liberté, les libérations conditionnelles, les détentions provisoires trop longues, etc.
Les magistrats gardent la maîtrise de la mise en détention, mais les directeurs de prison sont en situation d’alerte et surtout de gérants responsables de leur établissement. Plusieurs directeurs de prison sont favorables à ce numerus clausus et tous les instruments de sa gestion existent. »
Monsieur Robert Badinter a émis des réticences en considérant que le principe du numerus clausus irait à l’encontre de la liberté de juger. Il est indéniable que la solution préconisée va à l’encontre de la culture des magistrats, qui ne se sentent pas responsables de la surpopulation et peu concernés par le problème des capacités pénitentiaires. Le réflexe actuel dominant est encore, dans ce contexte, celui de la détention.
Dans le système préconisé, chaque juge de la détention se verrait attribuer un nombre de places de prison dans son arrondissement ; il lui reviendrait alors de gérer ces places en fonction de l’état de ses enquêtes, du nombre d’affaires en cours, de leur évolution, en coopération directe avec l’administration pénitentiaire. Il est utile de rappeler que cette gestion de la population pénale n’est ni plus ni moins l’organisation évaluée et réfléchie d’une pratique fondée actuellement sur les grâces, les amnisties et les réductions de peine.
Le bouleversement qu’implique un tel système est apprécié à sa juste valeur. Il faut néanmoins se persuader qu’en matière de procédure pénale, rien n’est inéluctable : la loi sur la présomption d’innocence a ainsi réussi à faire accepter l’idée qu’une détention provisoire ne pouvait durer indéfiniment en fonction de l’état d’avancement de l’instruction ; que les délais d’audiencement ne devaient plus non plus être l’obstacle toujours brandi pour justifier les délais de la détention, que l’encellulement individuel ne devait plus être un v_u pieux éternellement ressassé pour rester à l’état des bonnes intentions.
Il faut, pour réussir cette réforme, une véritable volonté politique. Mme la garde des sceaux, lors de son audition par la commission d’enquête, a déclaré qu’elle n’était pas favorable au système :
« Je ne pense pas que le numerus clausus, évoqué par Julien Dray, soit une solution. Il faut, à mon sens, avoir un programme suffisamment ambitieux mais cela demande des financements. J’en ai indiqué le chiffre : 13 milliards pour l’encellulement individuel des détenus que nous avons aujourd’hui, sachant que nous allons avoir une baisse mécanique de leur nombre grâce à la réforme de la détention provisoire.
Je ne suis pas favorable au numerus clausus parce que je pense que cela pourrait générer des inégalités extrêmement fortes sur le territoire. Dans certains établissements, parce qu’il y aurait de la place, on mettrait les gens en prison. Puis, dans la région voisine, ce ne serait pas le cas parce qu’il n’y aurait pas de place !
Par ailleurs, cela pourrait générer des bizarreries dans la gestion des établissements.
Enfin, j’estime qu’à partir du moment où la loi est votée par le parlement de la République et que des décisions judiciaires fixent un certain nombre de peines, aller à l’encontre, par une décision administrative, de la loi et de son application par les tribunaux, serait vraiment curieux. Je préfère donc que l’on s’y prenne autrement, mais nous poursuivons le même objectif : celui du sens et de l’individualisation de la peine et, bien entendu, lorsque les gens sont en prison, des conditions de détention dignes. »
La réussite de cette réforme repose bien évidemment sur la conjonction de plusieurs facteurs : la diminution de la détention provisoire, le moindre recours à l’incarcération, avec des dispositions pénales adéquates, notamment pour les étrangers, les détenus dépendants, les cas psychiatriques ou les toxicomanes ; l’utilisation de tout l’éventail des mesures alternatives ; la construction d’établissements pénitentiaires permettant d’accueillir dignement les personnes incarcérées ; et surtout, la réforme de la carte pénitentiaire associée à une refonte de la carte judiciaire.
Madame la garde des sceaux invoque les inégalités que le numerus clausus pourrait induire sur l’ensemble du territoire ; il ne faudrait pas effectivement qu’une telle réforme conduise à des disparités d’incarcération, selon que la région pénitentiaire dispose ou non de places. Il est donc indispensable de mener une réflexion sur la carte pénitentiaire afin que les régions pénitentiaires soient dotées des mêmes capacités d’accueil.
Il paraît, de plus, curieux de repousser une réforme au motif des inégalités qu’elle serait susceptible de créer, quand on connaît les inégalités qui existent actuellement dans les conditions de détention. Il faut savoir entre deux maux choisir le moindre.
Ajoutons qu’une telle réforme permettra de donner à la politique pénale une réelle visibilité en incitant les magistrats et les pouvoirs publics à définir des priorités dans la sanction des crimes et délits. Elle constituerait une puissante incitation à la mise en _uvre des réformes préconisées par ailleurs par le rapport.
C’est donc par un appel à une véritable réflexion sur la réforme du système pénal actuel que se concluent ces cinq mois de commission d’enquête.
La commission a été conduite, tout au long de ce rapport, à formuler un certain nombre de propositions, fruit des observations suscitées par les visites d’établissement et les auditions auxquelles elle a procédé qu’il convient ici de rappeler.