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La prison et son architecture de la France rurale à celle des grands ensembles

Publié le lundi 20 janvier 2003 | http://prison.rezo.net/la-prison-et-son-architecture-de/

Esquisse l’histoire de la prison et de son architecture amène à s’interroger sur l’instauration et l’évolution de la peine, sur la façon dont une société conçoit la punition de ceux qui ont enfreint ses lois et sur la traduction que les architectes ont faite des besoins de la justice et des prisonniers. L’architecture carcérale d’instruit dans les débats de son temps, qu’ils soient politiques, économiques, philosophiques et bien sûr architecturaux car elle joue un rôle prépondérant dans le processus de l’application de la peine.

La justice criminelle de l’Ancien Régime n’utilise pas la prison en tant que peine. Celle-ci n’est alors qu’un lieu de sûreté pour les accusés en attente de jugement, pour les condamnés avant l’exécution de leur peine (mort, châtiments corporels, bagne) ainsi que pur les dettiers. Ces lieux sont nombreux et disparates (cachots, geôles…). Cependant « tout être criminel, qui troublait l’ordre familial ou public n’était pas à l’abri des instances répressives » , c’est pourquoi, il existe divers lieux d’enfermement. Depuis 1656, les hôpitaux généraux, tel que Bicêtre et la Salpetrière, ont pour rôle d’assister et aider les indigents mais ils possèdent aussi des quartiers de force. Les dépôts de mendicité, créés en 1764, font travailler les mendiants et les vagabonds valides et oisifs. Les prisons d’Etat, dont les plus célèbres sont la bastille et Vincennes, accueillent les personnes ayant porté atteinte au pouvoir et envoyées là par lettre de cachet. Les maisons de force contiennent des détenus qui ont porté atteinte à la discipline familiale ou au respect dû à la morale et à la religion (lettre de petit cachet), ainsi que les personnes condamnées aux galères physiquement incapables d’effectuer cette peine.
Ces établissements présentent des bâtiments vétustes, insalubres (l’air et la lumière n’y circulent pas), où les prisonniers sont mélangés (femmes, hommes, enfants, coupables, suspects, innocents). De par leur diversité, les lieux d’enferment ne présentent donc pas d’architecture spécifique.

De nombreuses réflexions et expérimentations sur la peine d’enferment, en France et à l’étranger, conduisent à la grande rupture que constituera en France la Révolution.

Des lumières…
La morale chrétienne avec l’idée du rachat de la faute par l’amendement contribue à donner à la prison un nouveau rôle, celui de la rédemption du coupable par la peine. Les Quakers américains, opposés à la peine de mort et aux châtiments corporels, voient en la prison la meilleure punition. Cette réflexion donne lieu à la création en Europe de quelques établissements qui deviendront rapidement des modèles tant par leur organisation que par leur architecture. La première prison cellulaire est, semble-t-il, la prison pour jeunes de l’hôpital San Michele, construite à Rome en 1703 par Carlo Fontana à la demande du pape Clément XI, où les détenus dorment dans des cellules séparées mais travaillent en commun dans des ateliers. En 1772, la ville de Gan édifie une maison de force où est appliqué l’isolement cellulaire de nuit avec travail en commun de jour et la classification des détenus. Son plan est un octogone avec huit bâtiments rectangulaires rayonnant autour d’une cour centrale destinée à la surveillance. Par ailleurs le fonctionnement et l’architecture conventuels ont fortement influencé les établissements pénitentiaires.

A travers toute l’Europe, une réflexion plus laïque s’établit dans le même temps, cherchant à réformer le droit et la justice, alimentée par les philosophes de Lumières mais aussi par les travaux de professionnels. Le juriste italien Cesare Beccaria publie en 1764 le « Traité des délits et des peines », où il dénonce la peine de mort et les châtiments corporels et où il donne sa préférence à la prison. En 1777, l’anglais John Howard préconise dans « l’Etat des prisons, des hôpitaux et des maisons de force » le travail, l’éducation religieuse et l’instauration de l’hygiène ainsi que l’isolement cellulaire partiel.
Un disciple d’Howard, le philosophe anglais, Jeremy Bentham publie le Panopticon en 1791. Il y expose un système à la fois architectural et philosophique. L’édifice est composé d’une tour de surveillance et d’un bâtiment circulaire divisé en cellules, tous deux séparés par une cour. Bentham ne le destine pas seulement aux prisons mais à tous les établissements institutionnels (hôpitaux, écoles, asiles…). Il constitue un système de surveillance original, qui permet d’observer les détenus mais aussi les gardiens afin d’éviter les abus. La vie en prison devient de cette façon plus transparente pour la société libre. Bentham souhaite, en outre, l’instauration du travail et de l’éducation religieuse. Comme il l’explique lui-même à l’Assemblée législative, il s’agit de « s’assurer de l’amendement des prisonniers, fixer la santé, la propreté, l’ordre, l’industrie dans ces demeures jusqu’à présent infectées de corruption morale et physique ». Si ce concept n’a pas été traduit à l’identique dans la pierre, il a en revanche particulièrement inspiré les réflexions sur la prison des architectes des XIX et XX siècles.

Si la société doit accorder à l’enfermement une place plus importante dans son système pénal, alors il faut créer des lieux adaptés, où les prisonniers vivraient dans des conditions plus humaines. Il ne s’agit pas plus de punir par le supplice mais de changer l’âme. Les architectes des Lumières souhaitent une architecture parlante, où la fonction du bâtiment se traduit dans son évolution. Les prisonniers doivent par conséquent impressionner et effrayer les hommes libres. Nicolas le doux, dans son projet de prison pour Aix-en-provence de 1776 , illustre parfaitement cette idée. Le bâtiment a encore des allures de forteresse mais son plan et son organisation intérieure correspondent aux préoccupations de l’époque, la classification et l’humanisation.

… à la Révolution et à l’Empire
La Révolution française amène une révision profonde du droit en supprimant l’arbitraire et les inégalités de l’Ancien Régime, ce dont la chute de la Bastille est un symbole représentatif. Le Code pénal de 1791 supprime en grande partie les peines corporelles, instaure la peine privative de liberté pour les délits et les crimes de peu de gravité, maintient la peine de mort et les travaux forcés pour les crimes les plus sérieux. Le Code instaure les maisons d’arrêt pour les prévenus et les maisons de justice pour les accusés, qui formeront en 1811 les prisons départementales. Pour mettre en application ces idées, la Révolution ne procède pas à la construction de prisons mais réutilise les bien nationaux (anciens lieux de détention, abbayes, séminaires…).

Le Premier Empire poursuit ce travail sur le système pénal. Le Code pénal de 1810 étend les châtiments corporels, insiste sur le travail obligatoire, classe et codifie les peines. Concernant les prisons, un décret de 1808 institue les maisons centrales de détention pour les condamnés à la réclusion criminelle, à l’emprisonnement correctionnel de plus d’un an et pour les femmes et les vieillards condamnés aux travaux forcés. Ces maisons centrales s’inspirent de l’organisation des anciens dépôts de mendicité dont elles vont d’ailleurs souvent utiliser les locaux (Rennes, Caen, Poissy…). Elles s’installent également dans des édifices religieux (Clairvaux, Fontevrault…). Pour les adapter à leur nouvelle fonction, on aménage dans ces bâtiments des dortoirs communs, des préaux et des ateliers car les centrales sont très vite organisées en manufactures. Les centrales se développeront surtout pendant la Restauration. Quant aux maisons d’arrêt, leur sort n’évolue pas et la séparation entre prévenus et accusés n’est souvent pas réalisée.

La création d’une architecture pénitentiaire : « Pour élever des prisons, il faut avoir un système dont le programme devient la pensée, et le plan, l’expression » .
Alors que la Révolution et l’Empire s’étaient consacrés aux problèmes juridiques, la Restauration et la Monarchie de Juillet vont réfléchir au système pénitentiaire.

La Société royale pour l’amélioration des prisons, créée en 1819 et présidée par le duc d’Angoulême, accueille en son sein les personnalités les plus éminentes de l’époque, dont certaines ont connu la prison révolutionnaire. Elle est chargée de l’inspection e de la surveillance des prisons et propose des réformes. La plupart de ses membres sont des philanthropes, qui souhaitent exercer leur charité chrétienne au cœur de la prison. Ils prônent son amélioration : une meilleure hygiène, la séparation en quartiers et l’isolement des détenus pendant la nuit, ainsi que la fin de l’arbitraire des geôliers. Parmi eux, l’avocat Charles Lucas publie en 1828 « Du système pénitentiaire en Europe et aux Etats-Unis ». Il souhaite une prison qui permette l’amendement du coupable et cite en exemple la prison américaine d’Auburn dont il préconise le régime.

Louis Pierre Baltard est le premier architecte français à consacrer un ouvrage à l’architecture des prisons, « Architectonographie des prisons, ou parallèle des divers systèmes de distribution dont les prisons son susceptibles » (1829). Il y donne différents plans de prisons françaises et étrangères ainsi que ses propres modèles. Il affirme également l’importance de la classification dans des quartiers distincts et de la salubrité des bâtiments par la circulation de l’air et la lumière.

Le modèle américain et la polémique en France
Au cours des années 1830, la société s’inquiète de l’augmentation de la criminalité et de la récidive que l’on attribue en partie à la prison, considérée comme « l’école du crime ». Il s’agit donc de réformer les prisons départementales, principales visées, car les détenus y restent peu de temps. On reproche aussi à la prison de favoriser les vices et les épidémies. L’Etat souhaite alors une prison plus répressive et intimidante, ce que peut apporter l’usage de la cellule. Le gouvernement français, pour s’aider dans sa réflexion, se tourne vers les expériences étrangères et plus particulièrement américaines. Le ministre de l’Intérieur Montalivet envoie en mission du 10 mai 1831 au 20 février 1832 les magistrats Alexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont, dans le but d’y étudier le système d’emprisonnement. A la suite de ce voyage sera publié en 1833 « le Système pénitentiaire aux Etats-Unis et son application en France », suivi d’un appendice sur les colonies pénales et notes statistiques. En 1836, le magistrat Frédéric Demez et l’architecte Abel Blouet sont envoyés à leur tour aux Etats-Unis afin de relever les plans des prisons visitées par Tocqueville et Beaumont.

A partir de là s’engage la polémique sur le régime des prisons entre les deux grands systèmes américains. Dans le système peensyvalien ou philadelphien, chaque prisonnier est isolé dans une cellule où il vit et travaille. Ce système est notamment mis en place à Pittsburgh dans le Western Penitentiary, construit en 1826 par l’architecte Strickland selon un plan circulaire et à Philadelphie dans le Eastern Penitentiary, appelé aussi Cherry Hill, bâtit par John Haviland en 1829 sur un plan radiant. Les deux édifices s’inspirent du panoramique avec une tour centrale de surveillance et des cellules dotées de cours individuelles.
Dans le système auburnien, les prisonniers vivent en commun, mais en silence, dans les réfectoires, les ateliers, à l’école, à la chapelle, puis passent la nuit dans des cellules individuelles. La prison d’Auburn à New York, construite en 1816-1825, qui a donné son nom au système, est constituée de deux bâtiments de cinq étages aux cellules adossées, séparés des ateliers par des cours. La fameuse prison de Sing-Sing, édifiée en 1828, est elle aussi caractéristique de ce système. De plan linéaire, elle se compose d’un bâtiment avec les ateliers au rez-de-chaussée et les cellules adossées aux étages. Ce système connaîtra les faveurs des états de la côte est, Pennsylvanie exceptée.
Les deux systèmes entre lesquels vont se partager pendant tout le XIXè siècle les pénalistes, les hommes politiques et les architectes, appliquent donc l’isolement cellulaire : seul varie le temps passé en cellule. Le système pennsylvanien a notamment pour les partisans Tocqueville, Beaumont, Demetz, Moreau-Christophe et Blouet. Ce dernier en expose d’ailleurs les mérites « A Philadelphie, les murs sont la punition du crime ; la cellule met le détenu en présence de lui-même, il est forcé d’entendre sa conscience, il veut éloigner ce persécuteur acharné, le travail que ses mains n’avaient peut-être jamais connu s’offre à lui moins redoutable » . Lucas est le grand défenseur, quant à lui, du système auburnien. Le gouvernement porte son choix sur le système pennsylvanien qui lui semble éviter la corruption entre les détenus, encourager la réflexion sur soi-même et donner aux prisonniers de nouvelles habitudes de vie qui faciliteront leur réinsertion.

L’instauration du cellulaire, première tentative
En 1836 le ministre de l’intérieur Gasparin publie une circulaire dans laquelle il préconise l’adoption du régime cellulaire pour les prisons départementales. Elle est complétée par la circulaire de Duchâtel de 1841 « Instruction et programme pour la construction de maisons d’arrêt et de justice. Atlas de plans de prisons cellulaires » qui décrit la façon dont les prisons doivent être conçues. « La cellule est la partie la plus importante de tout projet » car « chaque cellule n’est autre chose qu’une prison particulière », « il est dès lors indispensable que toutes les cellules soient suffisamment éclairées, chauffées, ventilées, et, de plus, assez vastes pour que le prisonnier puisse y rester sans que sa santé ait à en souffrir », enfin il faut que ses dimensions soient suffisantes pour que le détenu puisse y travailler. Autre aspect important, le point central d’inspection qui est « le pivot du système. Sans point central, la surveillance cesse d’être assurée, continue et générale ».
Cependant une certaine liberté est laissée aux architectes chargés des constructions, les plans proposés par Abel Blouet, Hector Horeau et Harou-Romain fils n’étant que des exemples. Ils sont de différentes formes (octogonaux, semi-circulaires, circulaires ou rectangulaires) mais toujours panoptiques. Le choix du système cellulaire donne une place plus importante aux architectes dans le processus pénal. Lucas précise que « le rôle de l’architecte est entièrement changé […] : il faut pour ainsi dire faire passer dans la pierre l’intelligence de la discipline » . Pour les architectes il s’agit de concevoir un édifice qui sépare les prisonniers, où les cellules sont à la fois lieux de vie et de travail, où la surveillance est efficace mais économique, où les promenades sont possibles et où, enfin, les détenus peuvent suivre la messe.
La plupart des édifices réalisés adoptent le plan radial ou radiant, c’est à dire que des corps de bâtiments irradient d’une salle centrale d’où s’effectuent la surveillance et le culte, que tous les détenus peuvent suivre depuis leur porte entre ouverte. Cherry Hill et la prison de Pentonville construite à Londres par Joshua Jebb ont fortement influencé les architectes français. La forme circulaire, quoique l’application idéale du panoptique, a été peu réalisé car, plus difficile à mettre en œuvre, elle limite le nombre des cellules. Le seul exemple connu est la prison d’Autun, édifiée par Berthier en 1854-1856. A cette époque l’architecture reste signifiante quoique de façon discrète. Les maisons centrales ne pouvant, faute de moyens, être transformées selon le système cellulaire, une instruction administrative de 1839 établit un régime intérieur très strict.
En fait les mesures prises par la Monarchie de Juillet ne seront que partiellement appliquées par manque de moyens : construire du cellulaire coûte cher et le personnel de surveillance est insuffisant pour appliquer strictement le règlement. Deux grandes réalisations sont cependant à remarquer. La prison pour jeunes délinquants de la Petite-Roquette est construite à Paris par Hippolyte Lebas entre 1827-1836. Il s’agit de la première grande réalisation panoptique en France, et elle devient un modèle. Conçue pour appliquer le régime auburnien, le bâtiment subit, à partir de 1838, des transformations préaux cellulaires, alvéoles d’isolation de la chapelle) afin de passer au régime pennsylvanien. A l’extérieur la prison, avec ses tours d’angle et son appareil en bossage, a une allure défensive qui permet encore de parler d’architecture signifiante tandis qu’à l’intérieur l’aspect est plus civil. De plan radial, les six corps de bâtiments de trois étages rayonnent à partir d’une tour qui comprend les cuisines, la salle de surveillance et la chapelle. La prison de Mazas, édifiée à Paris par Gilbert et Lecointe entre 1843 et 1850 , adopte elle aussi un plan radiant comprenant six ailes abritant 1260 cellules entre lesquelles cinq promenoirs cellulaires sont disposés. Des systèmes de ventilation et de chauffage sont installés.

Second Empire et IIIè République : de vastes programmes de construction
La volonté du « tout cellulaire » de la monarchie de juillet fut un échec. Le programme ne fut que partiellement réalisé, et il ne réussit pas à résoudre le problème de la délinquance. Au début du Second Empire, la critique se porte sur le manque d’humanité de la prison cellulaire. Le ministre de l’Intérieur Persigny établit une circulaire en 1853 qui recommande aux départements de ne plus construire suivant le système cellulaire. Ce revirement est dû essentiellement à des raisons financières : la population pénitentiaire étant particulièrement nombreuse du fait de la répression un coût considérable. On revient donc à un régime communautaire avec classification des détenus par quartiers séparés. De plus, l’idée de l’amendement du condamné n’est plus au goût du jour. La prison doit avoir de nouveau un rôle d’intimidation. Le Second Empire pense résoudre les problèmes de criminalité en remplaçant les bagnes portuaires métropolitains par la transportation en Guyane et en nouvelle Calédonie (li de 1854), et en multipliant les colonies pénitentiaires agricoles.

La loi de finances de 1856 décharge les départements des frais d’entretien des détenus, ce qui leur permet de mettre en œuvre une politique de construction et de rénovation. En outre, l’édification de prisons cellulaires continue car certains départements ne tiennent pas compte de la circulaire. Les grandes réalisations de l’époque expriment assez bien l’ambiguïté de la situation, car elles adoptent des régimes mixtes (à la fois auburnien et pennsylvanien). La prison de la Santé, construite à Paris par Emile Vaudremer entre 1864 et 1868, contient 1000 places. Elle est considérée à l’époque de sa construction comme un modèle car elle met en œuvre les principes d’aération, de salubrité, de propreté, de lumière, d’espace et de sécurité. Le quartier des prévenus, sous le régime pennsylvanien, adopte un plan radiant avec quatre bâtiments de deux étages partant d’une salle circulaire avec salle de surveillance et chapelle à l’étage, visible des deux quartiers. Le quartier des condamnés, sous le régime auburnien, dispose ses bâtiments autour de deux cours. La construction est dotée d’un système de chauffage par bouche de chaleur, de l’éclairage au gaz, d’un système d’égouts et de bains. La maison d’arrêt de Saint Paul à Lyon construite par Louvier adopte un plan radiant avec six corps de bâtiments entre lesquels se trouvent les promenoirs visibles depuis la salle de surveillance. Il faut remarquer qu’Alfred Normand construit en 1867 la seule maison centrale édifiée au XIXè siècle, la prison des femmes à Rennes.

Généralisation de l’emprisonnement cellulaire
La IIIè République renoue avec la volonté de réforme et la prison revient au centre des préoccupations. Une enquête parlementaire, menée de 1872 à 1875, dénonce une situation catastrophique. La loi de 1875 généralise l’emprisonnement cellulaire dans les prisons départementales : isolement en cellule pour les prévenus et les condamnés à une peine de moins d’un an d’emprisonnement, en contre-partie d’une remise de peine. On laisse aux autres condamnés la possibilité de subir leur peine sous ce régime. Les détenus sont astreints au silence et au port de la cagoule lors de leur déplacement hors de leur cellule. La loi prévoit, de plus, des subventions pour les nouvelles constructions ou appropriations.
L’instruction du ministre de l’Intérieur de Buffet en 1875 donne de grandes orientations architecturales : les prisons doivent être construites hors des centres villes, doivent adopter un « système général de bâtiments rayonnants à plusieurs bras », chaque aile doit être composée de deux étages avec trente cinq cellules au plus par couloir, les dimensions des cellules sont fixées précisément (28m3), et il décrit le système d’alvéoles permettant aux détenus d’assister à la messe. Puis en 1877, les inspecteurs de l’administration pénitentiaire présentent un programme destiné à guider les architectes départementaux chargés des constructions. Ce document technique, extrêmement détaillé, permet d’instituer clairement des conditions matérielles de vie décentes pour les détenus (eau, air, lumière, chaleur), mais aussi d’éviter les projets trop grandioses des architectes.

Entre 1875 et 1910, on procède à la construction et à l’aménagement en régime cellulaire de plus de quatre vingt établissements, qui sont encore la plupart en service. La première guerre mondiale marque l’arrêt de cette politique de construction qui ne sera pas reprise par la suite par manque de moyens. De plus, grâce à des dispositions juridiques (loi de 1885 sur la transportation des récidivistes, loi de 1891 sur le sursis) mais aussi à un contexte économique favorable (baisse du chômage) et au développement de l’école notamment, récidives et délinquance baissent. La prison n’est donc plus au centre des préoccupations si bien que le parc pénitentiaire n’est ni agrandi ni réellement entretenu.

Fresnes, un nouveau modèle architectural
La grande réalisation de cette période est sans doute la prison de Fresnes construite par Henri Poussin entre 1895 et 1898 pour 2000 détenus L’architecte y met en place une nouvelle organisation et une nouvelle rationalisation de l’espace : le plan, dit en pôle téléphonique, est constitué d’une série de blocs cellulaires rectangulaires disposés perpendiculairement à un couloir central. La surveillance n’est plus centrale mais spécifique à chaque bloc, puis générale depuis le couloir. C’est avant tout une prison fonctionnelle, hygiénique et pourvue, aux yeux de certains contemporains, de confort. Les blocs sont constitués de trois étages desservis par des monte-charges et des ascenseurs, tandis que les cellules sont longées par une galerie munie de rails pour apporter les repas. Des salles avec bains sont installées dans chaque division. Les cellules de 30m3 sont bien éclairées, peintes avec une peinture lessivable, pourvues de l’électricité, de l’eau, de bouches de chaleur et d’une ventilation. Les préaux sont cellulaires et la chapelle-école munie d’alvéoles. Cette prison sert de modèle aux prisons construites après elle comme Cambrai et Toulon (années 1920), Tours (années 1930) et les Baumettes à Marseille, édifiée par Gaston Castel en 1935. Le modèle de Fresnes sera particulièrement apprécié aux Etats-Unis.

La nouvelle philosophie de l’Après-Guerre : amendement et reclassement
Des hommes ayant eux-mêmes connu l’enfermement pendant la guerre sont à l’origine d’une nouvelle réflexion sur la prison. Paul Amor constitue en 1944 « la Commission des réformes des institutions pénitentiaires » qui établit en mai 1945 une série de quatorze mesures. On y affirme l’amendement et le reclassement social du condamné comme but de la peine privative de liberté. L’organisation de la détention doit donc se faire autour de l’éducation, de la formation professionnelle et du travail des condamnés. On crée le régime progressif dans certaines maisons centrales. Ces principes ont marqué l’action pénitentiaire jusqu’à nos jours. Malgré la volonté d’améliorer le parc pénitentiaire, les réalisations sont limitées par le manque de moyens et seuls quelques bâtiments sont réaménagés. En 1958, le code de procédure pénale met en place des mesures d’aménagement de la peine afin d’individualiser le traitement des détenus et d’humaniser la détention. Cependant la guerre d’Algérie empêche la mise en pratique de ces décisions et dans un souci de sécurité on revient à des mesures répressives.

Au début des années 1962 se met en place une série de programmes de constructions neuves. Outre la rénovation, le réaménagement et l’agrandissement des établissements existants, on procède entre 1962 et 1973 à la construction de onze établissements, ce qui représente 4900 places. La plupart des chantiers sont confiés à l’architecte Guillaume Gillet (Valenciennes, Muret, Bordeaux, Bonneville, Saint-Etienne, Albi, Fleury-Mérogis et Grenoble). Parmi ces réalisations deux méritent d’être citées. Tout d’abord, le centre de détention de Muret en Haute Garonne, construit en 1966 et qui dispose de 615 places. Une partie des bâtiments sont disposés en pôle téléphonique tandis que le reste constitue l’enceinte. Au centre, un corps de bâtiment circulaire destiné, au rez-de-chaussée à la distribution et à la surveillance, à l’étage à la chapelle, apparaît comme une adaptation du principe du panoptique. Le complexe pénitentiaire de Fleury-mérogis en banlieue parisienne, édifiée entre 1964 et 1968, comprend une maison d’arrêt pour hommes, une maison d’arrêt pour femmes, une maison d’arrêt pour jeunes détenus, l’école d’administration pénitentiaire (ENAP), une caserne de gendarmerie et les logements du personnel. Gillet, comme pour d’autres édifices, reprend le plan radiant avec un bâtiment central polygonal d’où rayonnent cinq blocs de détention eux-mêmes composés de trois ailes de quatre niveaux et un autre bâtiment polygonal abritant les installations techniques et les ateliers entourant l’ensemble. L’édifice, qui compte 3110 places, apparaît rapidement comme démesuré et difficile à gérer.

Les architectes ont participé, dès son origine, à la réflexion sur la prison en concrétisant les idées des réformateurs et en proposant des solutions pratiques au problème de l’enfermement. A défaut de concevoir la prison idéale, chaque époque a ainsi défini une architecture carcérale adaptée à ses besoins, à ses moyens et à ses conceptions de la peine.

Fabienne Doulat
Doctorante en Histoire de l’Art