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"Le numéro sortant" de Hafed Benotman
Théatre

Publié le dimanche 24 novembre 2002 | http://prison.rezo.net/le-numero-sortant-de-hafed/

On ne prive pas un homme de sa liberté.
On l’enferme avec et libre à lui de la prostituer ou de la maintenir debout,
ce que j’appelle :
LA LIBERTE DE DIRE NON !

PERSONNAGES :
Monsieur Georges Le surveillant-chef
Madame Elise La Directrice
Monsieur Philippe Le Secrétaire
Victor Lacroix N° Ecrou 1441
Hugo Brocard N° Ecrou 1632

LA SCENE
Un Labyrinthe de panneaux blanc qui continue en fond de scène sur une toile peinte en trompe l’œil.
A droite, la première pièce du labyrinthe est ouverte au public : une cellule.
Séparée par un couloir, la porte de la cellule est face à celle d’un bureau : la direction.
Au fond du couloir, au centre de la scène : la douche. Elle est face au public.
Le labyrinthe commence au niveau des mollets puis va de plus en plus haut.

L’HISTOIRE
Dans le bureau de la directrice, une lumière triste et suant. Elise y travaille, derrière son bureau, face à la porte. Derrière la vitre une ombre d’homme travaille aussi, on croirait presque à l’ombre d’Elise. L’ombre disparaît tandis que l’on entend le bruit lourd et ferme d’un pas qui se déplace dans le dédale de la prison. L’homme débouche sur le couloir. C’est un géant en uniforme de surveillant-chef. Un trousseau de clefs à sa ceinture et une barre de fer à la main. Il se dirige vers le bureau d’Elise, des clefs violentes ouvrent des serrures de fer. Il frappe à la porte et entre. Son regard se porte directement vers la vitre.

Monsieur le surveillant-chef
Madame la directrice ?

 Madame la directrice
Tu peux mettre le madame dans ta poche, il n’est pas là. Nous sommes seuls.

 Georges
(avec une joie sauvage) L’oiseau rare est arrivé. A quelle heure il revient, ton secrétaire ?

 Elise
Il est au greffe, pour les formalités d’un mariage entre détenus... Il en a bien pour une heure. Alors, comment est-il ?

 Georges
Un vrai gant ! (il rit) Tout ce qu’il nous fallait et mieux encore. J’ai amené son dossier, écoute. (il tourne les pages) Prénom Hugo, nom Brocard et numéro d’écrou mille six cent trente deux...

 Elise
Abrège !

 Georges
Il est tombé pour vol à la roulotte et tiens toi bien, il a dénoncé son complice. Ils sont ensemble.

 Elise
Et son complice ?

 Georges
Jeunot, mais assez méchant pour un poisson. De toutes façons, il a de la famille, avec lui ; on ne peut pas.

 Elise
Ils ont pris quoi dans la voiture ?

 Georges
Des conneries, auto-radio... la routine quoi !

 Elise
Je vois. C’est une affaire qui va chercher dans les trois mois fermes. Ah, ces mômes, enfin...

 Georges
Pile, le temps qu’il nous faut. Y’a encore un truc de notre coté, un atout maître. Catto, le complice de brocard, a commencé à raconter partout que son pote est un mouchard. Tu comprends Elise ?

 Elise
Oui. Toutes les raisons de le mettre à l’isolement, il faut le protéger de la violence de ses co-détenus ce petit.

 Georges
C’est notre boulot d’y veiller. En plus, il est primaire. Il s’en souviendra de sa première prison !

 Elise
Il va falloir faire très attention, très !

 Georges
Du coté de Brocard, pas de problème ! C’est une petite frappe vulgaire. J’en ai maté d’autres, des tas qu’avait sa taille, c’est tout en gueule ! Cette histoire devient amusante...

 Elise
Ne riez pas trop, monsieur le surveillant-chef ! Il y a quand même de gros risques, un pas de côté et... C’est nous qui changeons de rôles. Tu t’imagines détenu Georges ?

 Georges
Si c’est avec toi, dans la même cellule, je veux bien faire perpète ma petite Elise.

 Elise
On se lasse vite, tu sais ?

 Georges
Je n’aime pas t’entendre parler comme ça, tu me fais peur et je n’aime pas avoir peur.

 Elise
(vers la vitre) L’autre nouille ne va plus tarder. Pas de problème en détention ?

 Georges
Si, au mitard. Cavalleti veut porter plainte, j’ai eu la main un peu lourde sur sa p’tite figure.

 Elise
Fais attention ! Il a un avocat et un bon. Un jeune qui a encore la foi, qui y croit encore... Et pour Brocard ?

 Georges
Un avocat d’office. Le vrai paumé que je te dis, pas de famille, plus d’amis ; normal puisqu’il les balance, rien ! Pas même un chien pour le reconnaître. Le raté de naissance quoi.

 Elise
Impeccable. Bon, tu le mets en cellule avec qui tu sais... Lacroix.

 Georges
Quand tu dis son nom, tu fais une de ces têtes. Avoue qu’il te fout la trouille ce mec ?

 Elise
Pas à toi peut-être ? C’est pourtant toi qui m’a dit qu’il était mauvais. C’est marrant, c’est rare de dire de quelqu’un qu’il est franchement mauvais.

 Georges
Hé, on ne peut pas dire que c’est un tendre ! Même s’il se fait sa prison comme une pierre. Pas un mot plus haut que l’autre, y’a que les yeux ; foutu regard qu’il a le salaud.

 Elise
Un salaud d’un million de francs, ce n’est pas un salaud mais une mine d’or.

 Georges
Sans nous, son fric c’est du pipi de chat ! A quoi ça lui sert d’avoir un magot quand on sait où il va ?

 Elise
A nous acheter Georges, à nous acheter.

 Georges
Des fois, t’es délicate comme un cactus. Enfin, l’important c’est de palper la lumière ; l’argent ! La conscience s’arrange de tout sauf de la misère. Au fait, tu t’est occupé de moi pour le quartier des isolés ?

 Elise
Tu vas faire des heures supplémentaires, je t’ai donné le plus de jours et de nuits possible, tu vas être maître à bord.

 Georges
Je ne sais pas nager.

 Elise
Une chose Georges ? Tu ne touches plus à un seul de nos pensionnaires. A partir d’aujourd’hui je ne veux aucune problème, aucun. D’accord ?

 Georges
Et Cavalleti ?

 Elise
Il va sortir de sa cellule disciplinaire de suite. Je crois même que sa bonne conduite lui vaudra une quinzaine de jours de grâce.

 Georges
Comme quoi ; le malheur des uns fait le bonheur des autres.

 Elise
Va falloir que tu y ailles. Georges, méfie toi de Lacroix. Si tu sens que quelque chose ne va pas comme on veut, on arrête tout, tout.

 Georges
Ne te fais pas de soucis ma Chérie. Il est dangereux mais correct. Tu peux me croire, voilà douze ans que je fais le maton, je connais mes clients et ce qu’y à dans leur petite cervelle. Et puis quand même ! S’il joue le mariole avec moi y comprendra pourquoi les autres m’ont surnommé : le serpent.

 Elise
C’est une mangouste, Georges, une véritable mangouste !

 Georges
Hum, ouais, je ferais gaffe. (il rit) Bon, je vais faire les présentations. (il joue) Monsieur Brocard j’ai l’honneur de vous présenter Monsieur Lacroix, soyez sages.

L’ombre du secrétaire passe derrière la vitre.

(bas) Celui là, il ne dit jamais rien, il écoute. C’est l’ennemi numéro un des p’tits secrets. Prends garde à lui. (il la regarde) Je t’aime.

 Elise
Si c’est vrai, sors moi de ce bureau où je meure à petit feu. Vivement la fin de tout ça !

 Georges
Je me sauves. (il ouvre la porte) Bien, madame la directrice. Au revoir madame la directrice.

 Elise
Et faites du bon travail, monsieur le surveillant-chef !

La porte se referme sur Georges. Elise regarde l’ombre du secrétaire, celle ci semble lui rendre son regard. Le bureau plonge dans le noir.
Le couloir est pris dans la lumière. Georges s’arrête devant la porte du couloir. Contre le mur un boîtier où il parle, sa voix éclate comme dans un mégaphone.

 Monsieur le surveillant-chef
Brocard ! (silence) Brocard ? ... Brocard !

 Voix de Hugo Brocard
Oui ?

 Monsieur le surveillant-chef
Alors, on répond quant on veut ?

 Voix de Hugo Brocard
Non. J’avais pas vu... le machin

 Monsieur le surveillant-chef
Bon bon. Prépare ton paquetage. Tu déménages des arrivants. J’arrive.

Il ouvre la porte donnant sur le couloir en faisant jouer le plus violemment possible l’intimidation des clefs.

Alors, pas encore prêt ?

 Hugo Brocard
(seule sa tête est visible dans le couloir) J’emmène tout ?

 Monsieur le surveillant-chef
Tout ce qu’on t’a donné à la fouille. Seau, balayette et ; tout quoi ! Première fois que tu dégringole au trou ?

 Hugo Brocard
(il sort en tirant ses affaires) J’suis primaire. J’emmène les draps aussi ?

 Monsieur le surveillant-chef
Tout ! (silence) Un paquetage, ça se fait vite, à plat tu étales ta couverture et tu fous tout ton barda dedans et hop ! A l’épaule. Pour le matelas, tu feras un voyage.

 Hugo Brocard
(il met toutes ses affaires dans une couverture dont il noue les coins et le met à son épaule.) J’vais où ?

 Monsieur le surveillant-chef
Tu verras bien. Ca y est ? Ton numéro d’écrou ?

 Hugo Brocard
Heu...

 Monsieur le surveillant-chef
Faudra l’apprendre par cœur, ok ? On suit l’guide.

De son pas puissant, Georges se dirige dans le fond du couloir. Brocard le suit à pas précipités. Ils montent trois marches et Georges cherche la bonne clef pour ouvrir la porte.

 Hugo Brocard
On m’a dit que les arrivants restaient quinze jours au rez-de-chaussée ?

 Monsieur le surveillant-chef
Pour toi ça va plus vite !

 Hugo Brocard
Pourquoi ?

 Monsieur le surveillant-chef
(tout en ouvrant la porte) Pourquoi ? (silence) Pour que ton petit pote Catto ne te balafre pas la gueule avec une fourchette !

 Hugo Brocard
(dans une tentative de rire) C’est la meilleure ! C’est lui qui me dénonce et c’est moi qui doit avoir peur ; elle est bien bonne celle là !

 Monsieur le surveillant-chef
C’est ça, c’est ça... Tu racont’ras ta vie aux gamins de ta rue, moi, j’m’en fous !

 Hugo Brocard
(la voix nouée) C’est ma cellule ?

 Monsieur le surveillant-chef
(effaçant) C’est tout de même pas le moyen-âge ! Ici, c’est la douche, allez entre.

 Hugo Brocard
Avec mon ballot ?

 Monsieur le surveillant-chef
Laisse là, par terre ! (ils entrent) Tu te déshabilles !

 Hugo Brocard
Entièrement ?

 Monsieur le surveillant-chef
Tu peux garder ton slip. Allez allez.

 Hugo Brocard
(tout en se dévêtissant) Je pose mes affaires où ?

 Monsieur le surveillant-chef
Donne ! (il lui arrache des mains) La plante des pieds, lève, ok ! L’autre, ok ! Le slip... Ben, tu l’baisses. Allez dépêche toi. Aux genoux, allez. Tu t’habitueras va ! Tourne toi... C’est bon. Tu peux te rhabiller. (il lui jette ses affaires) C’est pas la peine de me regarder de travers ! Des culs, j’en ai vu de toutes sortes, t’es pas l’premier. On continu la visite !

Ils reprennent le couloir vers l’avant scène. Tout en marchant.

Et oui, Brocard, t’aurais du réfléchir avant. Maintenant c’est trop tard, t’es dedans !

 Hugo Brocard
J’m’en fous !

 Monsieur le surveillant-chef
Les p’tits comme toi ils changent vite d’avis. Une semaine et hop, ça commence à pleurer. Tu verras !

 Hugo Brocard
Qu’est-ce que ça peut bien vous faire ?

 Monsieur le surveillant-chef
Moi ? Rien. Mais le gars avec qui tu vas être...

 Hugo Brocard
Je peux pas être seul en cellule ?

 Monsieur le surveillant-chef
Bah, t’aurais le cafard et tut te foutrais en l’air que ça m’ferait d’la peine !

 Hugo Brocard
Et alors ? Vous avez le droit à un chiffre de perte ! (ricanant) Ca vous ferait plaisir, pas vrai ?

 Monsieur le surveillant-chef
Des guignols comme toi ça nourrit les magistrats, ça rentre et ça sort jusqu’au jour où ça tue une vieille ! Mais tant que tu fais l’con ; t’es le bifteck quotidien et moi, j’suis là pour te faire durer un maximum d’années ! T’es qu’une boite de conserve qui sort d’l’usine ! Pigé ? Qu’est-ce que tu crois ? Que c’est les gros requins qui font marcher la machine ? Que dalle ! C’est toi et les petits zouaves dans ton genre qui nous assurent la paye. En plus, tu viens pas tout seul, t’amènes tes propres potes ! Pour les flics, les juges et les matons, tu sais ce que t’es ? Du pain béni ! D’la nourriture !

 Hugo Brocard
J’préfère c’que je suis qu’être une salope de maton !

 Monsieur le surveillant-chef
(d’une main il attrape la mâchoire de brocard et le colle contre la paroi) Tu veux des coups ? T’aimerais que je t’arrange un petit peu, histoire de te faire oublier que t’es qu’une petite merde ? C’est ça ? Tu veux avoir sur ta p’tite gueule de quoi frimer d’vant les autres, le genre moi j’en ai pris comme un homme ? (il le pousse devant lui avec violence) Allez, avance, caïd !

 Hugo Brocard
Vous, vous n’avez pas le droit de me toucher ! J’écrirais au directeur !

 Monsieur le surveillant-chef
C’est une directrice ! C’est plus sentimentale, une femme. Elle te donnera une tétine pour te consoler, écris lui ! (méprisant) Avance 1632 !

Ils arrivent devant la cellule. Georges l’ouvre et fait une révérence à Brocard.

La treize ? Ca vous va jeune homme ? Vous n’êtes pas superstitieux j’espère ? (dur) Entre !

Il pousse Brocard dans la cellule et ferme la porte. Puis, il se dirige vers la porte de la cour. Contre un boîtier qui amplifie sa voix.

 Monsieur le surveillant-chef
Lacroix ! Promenade terminée ! Fouille.

Il ouvre la porte de la cour. Lacroix sort dans le couloir. Lacroix se place le long du mur et lève les bras.

 Victor Lacroix
Faites votre travail chef.

 Monsieur le surveillant-chef
(tout en le palpant) C’est vis à vis des collègues, règlement règlement ! C’est bon.

 Victor Lacroix
Courage, monsieur Georges, courage.

 Georges
J’ai une bonne nouvelle. Il est là !

 Victor Lacroix
Je sais. C’est bien !

 Georges
C’est tout ce que ça te fais ?

 Victor Lacroix
Oui. (silence) Vous m’ouvrez la porte, chef ?

Ils vont jusqu’à la porte de la cellule treize. Georges ouvre la serrure.

Merci chef. Mes hommages à madame la directrice.

 Georges
Je...

 Victor Lacroix
(froid) Ce n’est pas la peine d’entrer avec moi.

Il tire la porte et entre. Le couloir s’éteint tandis que s’éclaire la cellule. Dans le dos de Lacroix, les verrous claquent.
Hugo est assis sur le lit du bas. Au fond de la cellule face à la porte, une fenêtre à barreaux. Dessous, un lavabo et des toilettes. Les deux hommes se fixent.

 Hugo
Je viens d’arriver. (silence) Tu veux une cigarette ? J’en ai roulé quelques unes... Avec mon tabac bien sûr. (il se racle la gorge) Je peux ranger mes affaires où ?

Le silence dur. Victor ne bouge pas.

 Victor
Nulle part !

 Hugo
(à demi levé) Ho ! J’ai pas l’intention de me laisser marcher sur les pieds !

Victor lui tourne le dos et appuie sur le boîtier interphone. Sa voix est normale contrairement à celle qui lui répond.

 Victor Lacroix
Chef ?... Chef !

 Voix du surveillant-chef
Oui ? Qu’est-ce qu’il y a ?

 Victor Lacroix
Y’a un mec dans ma cellule, j’en veux pas ! J’veux rester seul.

 Voix du surveillant-chef
Je viendrais quand le sang coulera sous la porte.

 Victor
(tout sourire à Hugo) Chut ! Maintenant qu’il croit que l’on est pas bien ensemble, il ne fera pas mumuse à nous écouter par l’interphone.

 Hugo
J’avais compris, j’ai joué le jeu.

Victor se dirige vers les toilettes et sans aucune pudeur s’y assoit après s’être déculotté. Hugo évite de regarder.

 Victor
Sois pas gêné. Une fois à la santé, y’a un P.D.G. qui devait tirer deux mois fermes, l’était pas habitué. On a attendu trois jours, après on l’a mit de force sur le trône il l’a fait en pleurant mais il l’a fait ! Et nous on a pu respirer un peu...

Il se relève et se reculotte.

Quand j’en aurais envie, faudra pas qu’tu sois gêné, ça m’constipe ! Tu t’appelais comment avant d’être numéroté ?

 Hugo
Hugo. Hugo Brocard, je suis tombé pour braquage... Une bijouterie ! On m’a dénoncé. Mon meilleur ami, un pote de longtemps pourtant, le fumier... Si je le tiens, je l’étrangle ! C’est pour ça qui m’on isolés. (silence) Enfin, comme y’a pas d’preuve, j’compte m’arracher à la barre. Ils m’acquitteront ?

 Victor
J’espère pour toi. T’es braqueur, c’est bien ! J’ai eu peur qu’ils m’aient mis un pointeur.

 Hugo
Un pointeur ?

 Victor
Un violeur quoi.

 Hugo
Ah oui !... J’suis primaire tu sais ?

 Victor
Ca prouve que t’as été plus malin que les autres. Tu as besoin de trucs ? (il fait le tour de la cellule avec sa main) Tu t’installes, tu te sers comme tu veux. En clopes, en bouffes etc... Te gênes surtout pas, ok ? Quand y’a de la cantine celui qu’a de quoi commande, on s’arrange comme on peut, d’accord ?

 Hugo
Ca marche. (il se lève et va sur le lit du haut) Et mon matelas ?

 Victor
Tu vas aller le chercher, en attendant tu peux piquer un roupillon sur le mien. La garde à vue et le dépôt plus l’arrivée ici ça crève un homme. Dors mec ! plus tu pionces, moins tu fais de prison !

 Hugo
Merci.

Victor fouille dans un placard et sort deux plateau de fer. Une voix éclate.

 Voix du surveillant-chef
Premier étage, premier étage ! Préparez vous à recevoir votre repas en tenue correcte ! Les détenus qui désirent de la soupe sont priés de mettre un bol sur leur plateau !

 Hugo
C’est comment ici ?

 Victor
(il récite) Réveil à sept heures, petit déj’ à la demie, promenade à huit, cellule à neuf heure, repas à onze et demie les jours pairs, repas chauds. A midi les jours impairs, repas froids... (il rit) Ils changent de sens un jour sur deux, quand ça commence par nous c’est chaud. (il re-récite) Promenade de dix-sept à dix-huit, repas du soir, dodo, branlette et rêves érotiques ou financiers... Le tout multipliez par trois cent soixante cinq jours. Tu verras bien pour le reste, coup de couteau et tout le bataclan...

 Hugo
Coup de couteau ?

 Victor
Cinéma si tu préfère, la séance du samedi...

 Hugo
Ca fait longtemps que t’es là ?

 Victor
(sur ses doigts) Quatre ans ! J’ai fait cassation sur huit ans.

 Hugo
Huit ans ? Qu’est-ce que t’as fait pour prendre huit ans ?

 Victor
Et bien...

La porte s’ouvre brusquement et le couloir s’éclaire. Georges pousse devant lui un chariot sur lequel : deux marmites. Sous le chariot, un matelas de mousse. Hugo et Victor s’approchent avec leurs plateaux.

 Monsieur le surveillant-chef
Miam-maim, par ici la bonne soupe ! (il les sert)

 Victor
Encore de la saloperie, chef ?

 Hugo
C’est pas de la nourriture, c’est du cleps !

 Monsieur le surveillant-chef
Fallait rester dehors ! Amenez vos gamelles. Brocard, prenez le mat’las sous la roulante ! J’suis gentil d’vous l’avoir amené ? (Hugo prends le matelas) Et un neuf !

 Hugo
De la mousse ? C’est maigre...

 Monsieur le surveillant-chef
C’est mieux qu’un cercueil, non ? Pour un mouchard, c’est du luxe, pas vrai ?

 Hugo
Je...

 Victor
(à Hugo) Laisse mourir ! Il veut te faire porter le chapeau. (à Georges) Et alors ? C’est grâce aux mouchards que vous vous faites du galon ? Eux au moins, ils s’agenouillent pour leur Liberté tandis qu’vous...

 Monsieur le surveillant-chef
Faites gaffe, Lacroix !

 Victor
Qu’est-ce que vous croyez ? Qu’j’allais me mettre de votre coté contre les balances ? A choisir, j’préfère les donneurs.

 Monsieur le surveillant-chef
Continue, cherche-moi, continue !

 Victor
Quand tu veux, où tu veux, même au mitard !

 Monsieur le surveillant-chef
J’vais vous coller un rapport Lacroix !

 Victor
Tu peux gratter du papier cul, va, tu peux !

 Monsieur le surveillant-chef
Si vous continuez à avoir la tête dur comme ça, ce n’est pas demain qu’elle vous verra votre pauvre mère.

Il claque la porte.

 Victor
(il envoie valser son plateau dans la fenêtre) Fumier !

 Hugo
(à genoux, il ramasse) Quel porc ce maton ! On va partager mon repas si tu veux...

 Victor
C’est quoi cette histoire de mouchard ? Hein, c’est quoi qu’il a dit ?

 Hugo
Je sais pas moi, c’est l’autre qui doit dire des trucs sur moi, par derrière bien sûr !

 Victor
J’ai des amis en étages, j’vais aller aux rencarts ; si !

 Hugo
Si quoi ?

 Victor
Si tu m’as bonni un pipeau, faudra qu’tu fasses vinaigre à changer de carrée !

 Hugo
Et si j’ai pas...

 Victor
T’auras des excuses. Et ton copain ; un accident !

 Hugo
Tu... tu peux faire ça ?

 Victor
Tu verras bien.

Silence. Victor tourne en rond. Hugo va s’asseoir pitoyable.

 Hugo
Heu, pourquoi il t’a parlé de ta... mère ?

 Victor
T’occupes !

 Hugo
T’as pris ma défense, alors tu peux me le dire, si je peux t’aider...

 Victor
C’est pas pour toi qu’j’suis monté au cri, pas pour toi mais contre lui ! Tu m’dois rien, et puis même... Tu peux rien faire.

 Hugo
Dis toujours ?

 Victor
J’ai fais une demande au ministère pour aller voir ma mère à l’hôpital. J’avais des chances d’être extrait par les matons et d’y aller avec eux. C’est sûrement grillé maintenant, le gros Georges va se faire une joie de me la faire sauter cette faveur. Tant pis, le ministère avait pourtant donné un avis favorable.

 Hugo
Elle a quoi, ta mère ?

 Victor
(glacial) Un cancer généralisé, elle va mourir !

 Hugo
Pardon...

 Victor
C’est pas ta faute ! la seule liberté qu’il me reste en taule, c’est celle de dire non ! Elle coûte cher, mais c’est à moi de la payer et à moi seul !

 Hugo
Tout ça, à cause de l’autre !

 Victor
Quel autre ?

 Hugo
Catto ! Celui qui me fait passer pour une salope.

 Victor
Je me rembourserais de ma mère sur lui.

 Hugo
Je peux te serrer la main ? Ami ?

 Victor
On verra après...

 Voix du surveillant-chef
Premier étage, premier étage ! Extinction des feux dans cinq minutes !

 Hugo
Je ne sais même pas ton prénom ?

 Victor
Victor ou Ben’, au choix. Allez on va dormir.

Ils s’allongent après s’être déshabillés.

 Hugo
Bonne nuit.

 Victor
Fais toi la douce.

 Hugo
A demain.

 Victor
Sans faute, j’s’rais là ! (silence) Le premier levé sort la poubelle et prends l’café ?

 Hugo
J’le f’rais.

La lumière s’éteint. Dans le noir on entends le pas du surveillant-chef.

 Victor
Hugo

 Hugo
Oui ?

 Victor
J’ai le sommeil très lourd.

 Hugo
Et alors...

 Victor
Y’a des livres, si tu veux, des pornographiques.

 Hugo
Non, non merci, heu non...

La cellule s’éclaire le temps d’une étincelle.

 Victor
Voilà les rondes des matuches qui commencent !

 Hugo
J’ai une petite amie...

 Victor
C’est mieux qu’une minette en papier.

 Hugo
Elle s’appelle Odile. Je l’aime.

 Victor
Et elle ?

 Hugo
Je crois que oui. Elle m’a pas encore écrit. Et toi, t’as une fille ?

 Victor
Presque...

 Hugo
Ah bon ?

 Victor
La haine !

Un long silence. On entend s’ouvrir la porte. Une barre de fer cogne sur les barreaux. La cellule s’éclaire. Georges refait sonner les barreaux, les deux autres sortent du lit. Un livre est au sol. Georges le pousse du pied.

 Monsieur le surveillant-chef
C’est cette littérature qui vous filent des gueules comme ça ! Devriez pas abuser des bienfaits de notre hôtel.

 Hugo
Vos réflexions...

 Monsieur le surveillant-chef
Vous savez pas que c’est interdit la grâce matinée ? Vous avez raté l’train du p’tit déjeuner.

 Victor
Vous avez pas oublié notre cellule des fois ?

 Monsieur le surveillant-chef
J’oublie jamais rien Lacroix, jamais ! (à Hugo) Vous, pas de promenade aujourd’hui. Madame la directrice veut vous voir. Habillé correctement, boutonné ! Rejoignez-moi dans le couloir.

Georges sort. Paniqué Hugo s’habille, le couloir est allumé, la porte ouverte. Georges se promène dans le couloir.

 Hugo
Qu’est-ce qu’elle me veut ?

 Victor
Cette nuit, j’ai passé un message, quand tu dormais. (il rit) Te fais pas de mourron, c’est une surprise. Quoiqu’elle te dise soit très très étonné.

 Hugo
C’est pour...

 Monsieur le surveillant-chef
(du couloir) Brocard ! (il rentre dans la cellule) Prêt ? Alors en piste !

Ils sortent. La cellule plonge dans le noir. Il longe le couloir et sortent par la porte, puis reviennent par celle de la cour. Le bureau de madame la directrice s’allume.

GEORGES FRAPPE... ET OUVRE.

 Monsieur le surveillant-chef
Bonjour madame, le détenu Hugo Brocard...

 Madame la directrice
Faites le entrer. Merci. Vous pouvez disposer.

Hugo entre, Georges sort et referme la porte derrière lui. L’’ombre du secrétaire apparaît.

 Hugo Brocard
Bonjour Madame...

 Madame la directrice
Asseyez vous. (elle feuillette un dossier) Vous n’êtes pas encore jugé ?

 Hugo Brocard
Non madame.

 Madame la directrice
Vous espérez sortir le plus vite possible ?

 Hugo Brocard
(hésitant) Oui madame.

 Madame la directrice
Parfait, j’en étais sûr. Donc, pour votre bien et pour la bonne marche de cet établissement, vous allez me dire le nom de l’individu qui a crevé l’œil de votre complice Jonathan Catto ? N’est-ce pas ?

 Hugo Brocard
L’œil ? J’en sais rien, rien du tout. Je vous jure que, je n’étais même pas au courant !

 Madame la directrice
Bien ! (silence) Je vous demanderais de me faire signe en entendant le nom du coupable, juste de me faire signe, d’accord ? Bon. Mazur ?... Landrieux ?... Debez ?... Cavalleti ?... (silence) Alors aucun ? Bon, comme vous voudrez, je joindrai une petite note à votre dossier. Vous m’étonnez, Brocard, ça ne vous ressemble pas de faire la fine bouche dégoûtée devant la délation. C’est votre compagnon de cellule qui vous donne des cours d’éducation délinquante ?

 Hugo Brocard
(boudeur) Non...

 Madame la directrice
Un bon conseil, Brocard. Méfiez vous de Lacroix. C’est un professionnel du crime... ne rêvez pas trop ! De vous à lui, tout un monde vous sépare. Il ne vous fera jamais confiance, jamais. Votre complice Catto, ce n’est pas pour vous faire plaisir qu’il l’a fait borgne, mais pour ses principes de sauvages ! Alors ? Debez ?... Ou Landrieux ?... Cavalleti ?...

 Hugo Brocard
(il crie) J’en sais rien et je veux pas savoir ! Ca veut dire quoi de priver un homme de sa liberté, parfaitement... Vous condamnez à une peine privative de liberté et vous accompagné cette sanction d’un chantage à la Liberté ! C’est un non sens, c’est... c’est débile votre système ?

 Madame la directrice
Votre maître peut-être fier de son disciple. (silence) En tout cas, le mot : Débile, vous vaudra un petit séjour en cellule disciplinaire, disons huit jours. Un peu de cachot et vous aurez gagné vos diplômes de mentalité criminelle. (le téléphone sonne, elle décroche) Allô ? Oui, il est dans mon bureau, parfait. Bien je vais le lui dire... (elle raccroche) Lorsque vous aurez purgé votre peine vous serez extrait pour votre procès.

Georges frappe et entre.

Vous pouvez disposer !

NOIR

La cellule - treize ’ est éclairée d’une lumière lunaire qui vient de la fenêtre. La porte de la cellule s’ouvre dans le secret. Georges entre sans bruit.

 Victor
Ce n’est pas une heure pour réveiller les braves détenus. (il s’assoit sur son lit, seul ses jambes sont visibles) Enfin, c’est tout de même gentil de venir me faire la causette.

 Georges
J’aimerai être ailleurs Lacroix, tu peux me croire. Si on me surprend ici, de nuit en plus...

 Victor
Vous pourrez toujours dire qu’on avait un rendez-vous amoureux ! (sec) Les nouvelles ?

 Georges
Il ne jure que par toi, surtout depuis qu’il a de quoi fumer, et les livres.

 Victor
Il va croiser Catto en sortant du mitard, et au procès il va bien voir pour l’œil.

 Georges
Pas de risques. Cavalleti a fait un vrai lavage de cerveau à Catto. Il ira au procès avec un pansement sur la tronche.

 Victor
Catto est au parfum, du travail qui se fait sur Hugo ?

 Georges
Négatif, rien, il sait rien. Juste que ça va porter tord à son pote. C’est tout ce qu’il veut, le malheur de Hugo, y voit rien d’autre, quand a lui parler, il préfère qu’on l’accroche au plafond par les joyeuses ! Te dire qu’il l’a mauvaise.

 Victor
Et elle ?

 Georges
Au poil. Rien à redire.

 Victor
Qu’elle fasse attention à le rester.

 Georges
Si elle a tenue la route un an, y’a pas de raison. Non, de son côté y’a rien à craindre. Tu vois, moi je veux sortir de cette uniforme qui me fait dégueuler, toi du trou et elle de son bureau... On était tous fait pour se rencontrer.

Victor
Mon recours en grâce ? 

 Georges
Comptes plutôt sur les cinquante briques que tu vas nous donner !

 Victor
Je m’attendais à une augmentation.

 Georges
(naïf) pourquoi, c’était moins ?

 Victor
Non ! Puisque c’était pile mes prévisions.

 Georges
Tu vois, (avec force) j’ai aucun scrupule avec un scorpion comme toi ! C’est ça ou rien ?

 Victor
La liberté ne se marchande pas ! J’ai horreur des brocantes. On finit ! Maintenant dégagez !

Georges s’en va aussi doucement qu’il est venu. Victor se remet dans son lit. La lune cède, avec lenteur, sa place au soleil.
Dans le couloir, Hugo Brocard se dirige vers la Treize, la voix du surveillant-chef l’accompagne.

 Voix du surveillant-chef
Brocard retour palais. Attendez devant votre cellule.

Tandis que Hugo frappe à la porte de la cellule le surveillant-chef débouche sur le couloir.

 Hugo
Victor

 Monsieur le surveillant-chef
Tu peux pas attendre pour lui parler ? C’est nous autres, de la pénitentiaire, qui causons à travers les portes. C’est la fête pour toi ?

 Hugo
(sans rancune) Je sors demain, j’ai pris du sursis, rien que du sursis et mon temps de préventive !

 Monsieur le surveillant-chef
(il ouvre la cellule) Tu reviendras !

La cellule. Victor fait des pompes (tractions sur les bras). Il a un col de chemise coupé dans le poing. Il s’en sert de mouchoir.

 Hugo
J’m’arrache demain !

 Victor
J’suis content pour toi. (crispé) Vingt neuf, trente, trente et un...

 Hugo
Tu en fais combien ?

 Victor
Huit ans ! (il s’arrête) C’est bon pour aujourd’hui, j’ai ma dose. Alors ?

 Hugo
Et bien, pour moi, c’est fini. (gêné) J’devrai pas être content quand toi...

 Victor
Chacun son temps ! Tu as fait ton mois et tu as été au bout, comme les autres. C’est aussi dur pour moi de faire huit ans que pour toi un mois. La taule c’est un seul jour plus ou moins élastique. (il le fixe) Sors et te fais pas du sentiment ! Regarde moi, j’pète la forme.

 Hugo
C’est quoi qu’tu tripotes ?

 Victor
Oh rien, mon grigri, un col de chemise. Tu vas te saouler avec ton Odile ?...

 Hugo
Premièrement, je prends un bain brûlant...

 Victor
Avec une roteuse et une blonde nature !

 Hugo
Elle est brune ! Demain soir je vais danser toute la nuit avec elle...

 Voix du surveillant-chef
Lacroix

 Victor
Oui.

 Voix du surveillant-chef
Votre demande de sortie accompagnée est rejetée !

 Hugo
Désolé.

 Victor
Ca va aller, on fera avec... Pas de problème, ça va.

Silence, Victor se met torse nu et très vite fait quelques pompes. Essoufflé. Il montre un tatouage sur son épaule.

Tu vois ce tatouage ?

 Hugo
Il est beau.

 Victor
C’est le poing de l révolte et de la force. J’ai qu’à le regarder pour assumer les coups durs. Si je flanche, j’aurais honte de le porter, tu comprends ?

 Hugo
Et sur tes poignets, c’est quoi qui est écrit ?

 Victor
Là, silence. Et là, solitude.

 Hugo
Tu sais tatouer ?

 Victor
Oui, pourquoi ? Tu en veux un ?

 Hugo
Ca fait mal ?

 Victor
Ca pique un peu, c’est tout. Mais réfléchit bien à ce que tu veux, si c’est pour regretter après c’est vraiment pas la peine.

 Hugo
Je voudrais le poing, là, le poing de la révolte.

 Victor
Prépare toi à souffrir, tu t’assieds, j’m’écoute du reste !

Victor lui passe le taroubet, ces gestes sont rapides. Il farfouille dans le placard.

Pour trouver les aiguilles là dedans, les voilà. Monsieur est prêt ? Parfait.

Il prend un rasoir et un coton qu’il imbibe d’eau de cologne. Il s’assit face à l’épaule dénudée de Hugo. Ce dernier est de profil face à la porte, le public ne voit pas l’épaule à tatouer.

Un coup d’eau d’cologne, n coup d’rasoir, c’est pour éviter l’infraction. Prêt ?

 Hugo
Paré !

 Victor
Je te fais mal ? Tu le dis... si je te fais mal ? Je dois aller un peu profond, jusqu’au sang. Comme ça tu te souviendras de ce qu’il veut dire. La viande ça a plus de mémoire que le cerveau.

 Hugo
Pourquoi me regardes-tu comme ça ?

 Victor
Ca n’est pas toi que j’regarde, c’est ta liberté. Tu commences à avoir la bonne odeur de la vie. Tu vois, quand je te regarde j’ai, un peu, l’impression de sortir aussi. Tu pus déjà la ville !

 Hugo
J’comprends aie !

 Victor
J’ai fais exprès. (silence et sans lever le nez) Hugo ? Je peux te demander un service ? N’hésite pas ; oui ou non ?

 Hugo
Oui. Aie ! Piano vas y mollo...

 Victor
Quand tu seras dehors, laisse passer quelques jours et, va voir ma mère.

 Hugo
Je me doutais que c’était ça ton service. D’accord. (ils se regardent dans les yeux) Tu ne me crois pas, t’as pas confiance ?

 Victor
(très doux) Dehors, on est pris par un sacré tourbillon de vie et on oublie vite, sans même le vouloir.

 Hugo
Moi, je le ferai. (amer) Je sais que les mecs qui font des promesses à ceux qui restent ne les tiennent jamais ou rarement. Mais, moi je le ferai. (silence) Victor ?

 Victor
Oui ? (dans un souffle) Quoi ?

 Hugo
Si je ne t’avais pas connu, moi aussi j’aurai promis sans tenir. Parce que je n’aurais pas su l’importance de ces choses là. Maintenant c’est différent.

 Victor
Le pouce est terminé, regarde.

 Hugo
Qu’est-ce que je dois lui dire à ta mère ?

 Victor
Le plus dur c’est les ongles, dessiner un ongle...

 Hugo
Alors ?

 Victor
Tu vas la voir et, et tu lui dis simplement, tu lui dit : Bonjour maman.

 Hugo
Mais j’suis pas son fils ?

 Victor
Elle est dans l’cirage, dans l’coltard ! Elle ne verra rien, tu n’as qu’à mettre ta main dans la sienne, c’est tout !

 Hugo
Tu m’fais mal tu m’fais mal !

 Victor
Toi aussi tu m’fais mal ! (presque bouche à bouche) Tu veux bien rendre un service, mais pas un vrai ! C’est qui un service ? Un mandat poste ? Une carte postale de gonzesse à poil ? Dis c’est quoi ? Elle est à combien ton humanité ?

 Hugo
C’est top dur, trop dur... Je saurai pas.

 Victor
Et dire que je voulais te faire travailler avec moi, te présenter à des hommes !

 Hugo
Faut que je te dise, je... je ne suis pas tombé pour hold-up, j’ai piqué dans une bagnole, des conneries.

 Victor
Tu ne m’apprends rien. Je le sais déjà, depuis le début. Les matons ne mettent jamais deux braqueurs ensemble, les peines d’Assises se mélangent pas, surtout si l’un deux à tenter une évasion.

 Hugo
Tu savais et t’as rien dit ? Tu m’as laissé raconter du baratin alors que tu savais ? La bijouterie, le fric que je t’ai dit avoir dehors, tout et tu m’as pas mouché ?

 Victor
Et pourquoi, je t’aurais fait fermer ta gueule ? pour t’humilier ? non, c’est pas mon pain, l’humiliation j’en bouffe tous les jours, j’ai pas à en faire manger aux autres. J’ai rien dit parce que tes mensonges te permettaient de tenir le coup et ça ? Ca personne n’a le droit de le briser, ce qui tient un homme debout c’est sacré, même le mensonge ! Tu vois Hugo, les jeunes qui chutent racontent toujours les mêmes salades, les filles qu’ils n’ont pas eu, celle qu’ils n’auront jamais, les gros coups qu’ils n’ont pas fait et le cran qu’ils n’ont pas. Mais toi, j’ai cru que tu deviendrais quelque chose, je sais pas... J’te sentais bien. (silence) Ton poing est presque fini, j’espère que tu apprendras à le mériter...

 Hugo
Je suis con, hein ?

 Victor
T’es jeune c’est tout, y’a pas d’remède, t’es jeune !

 Hugo
Et ta cavalle a foiré ? (avec le courage du voisin) Attends une permission ! T’irais voir ta mère toi même et tu pourrais même te mettre en cavale ?

 Victor
J’ai trente ans ! Et à trente ans on fait le mur ! Les permissions, il faut les laisser aux vieux qui ne peuvent plus s’évader à la sportive. (las) Tu vois, t’as tout à apprendre.

 Hugo
Alors ils t’ont mis un rigolo comme moi, pour te casser le moral avec ses trente jours à la noix ! Avec ses blablas et ses espoirs de sortie. Alors que toi, toi ? T’es isolé pour tentative d’évasion ?

 Victor
Oui, j’ai demandé à un ami qu’étais ici de me mettre une affaire sur le dos, pour être extrait chez les flics, de là on devait se la faire à la PJ. (il se lève) Les flics sont venus le chercher, et y a été seul. Comme ils l’ont pas cru, il a tenté sa chance et pan-pan. Mort !

 Hugo
Dur !

 Victor
Mourir comme ça, c’est comme crever en faisant l’amour. Non, c’est moins dur que la honte d’être impuissant. (il regarde l’épaule de Hugo) Bon, va falloir faire un second passage. Celui là fera un peu plus mal.

 Hugo
J’aimerai bien qu’on se revoit dehors, si c’est possible ?

 Victor
C’est pas demain la vieille ! Pas de sitôt qu’on va se revoir.

 Hugo
Encore quatre ans.

 Victor
Y’a eu cassation de posée, donc re-procès. Mon ami, en a pris vingt dans sa petite valise. Alors que c’est moi qui est tiré. Au procès, ça va se savoir !

 Hugo
Sauve toi !

 Victor
(à la fenêtre) Trois murs d’enceintes, les miradors, personne pour m’attendre avec une voiture, c’est plus de l’évasion c’est du suicide !

 Hugo
Moi, moi j’viendrai t’chercher, moi.

 Victor
C’est un boulot de pro d’assurer un mic mac pareil, t’as pas cette dimension, pas encore...

 Hugo
Je...

 Victor
Atterrit Toto, atterrit ! Savoir ce que l’on vaut c’est bien, vouloir faire dix fois plus, c’est bête, bête et dangereux. (il rit) Bon, on se la fait cette deuxième couches ?

Silence. Ils se réinstallent. Victor pique.

C’est vrais qu’ça fait plus mal !

 Victor
C’est normal, on repasse sur les trous à vifs. (silence) Hugo ?

 Hugo
Oui ?

 Victor
Y’a une autre solution.

Victor pique de plus en plus fort. Par l’aiguille il possède Hugo, il le pénètre littéralement. Son pouvoir est immense, sa main serre le bras de Hugo  : C’est le « PACTE ».

 Hugo
Laquelle ? (dans un souffle d’abandon) Dis la s’il te plait, dis la !

 Victor
(rapide et tendu) Demain, c’est moi qui sort à ta place ! C’est ma mère qui m’y a fait penser, on se ressemble vraiment tu sais, tu sais ? (Hugo acquiesce) Si je sors à ta place, toi...

 Hugo
Moi ? (vaincu) Moi ?

 Victor
Tu risque six mois fermes pour complicité, six moi, longs, sans remise de peine. En plus, t’auras le droit à quarante cinq jours de mitard.

 Hugo
(il ricane) Je connais. Ca va être dur, sans toi et tes petits messages, surtout que tu me faisais fumer.

 Victor
Quand les hommes, y’en a ici, pas beaucoup, mais y’a, quand ils sauront, crois moi, ils te pendront en charge à cent pour cent. Je ferais passer le mot. (souriant) y’en aura des yoyos pour la treize !

 Hugo
Et si ça foire ?

 Victor
Tu te taperas quand même six mois de rab.

 Hugo
Et si c’est le gros Georges demain matin ?

 Victor
Celui là, je le tiens au bas ventre.

 Hugo
Il me prenait pour un minable ? Il va voir !

 Victor
Maintenant Hugo, maintenant c’est toi et ton miroir.

 Hugo
Demain, c’est toi le numéro sortant !

 La voix du surveillant-chef
Premier étage, premier étage ! Préparez vous à recevoir votre repas en tenue correcte ! Les détenus qui désirent de la soupe sont priés de mettre un bol sur leur plateau !

Victor tourne entre ses doigts le col. On entend un bruit. Les deux hommes lèvent la tête.

 Hugo
C’est quoi au dessus de nous ? C’est rare d’entendre du bruit.

 Victor
(un regard brûlant) En haut, y’a les travestis et au même étage au fond... Les cellules des condamnés à mort.

Durant le noir, le rire de Victor éclate.

Dans le bureau de madame la directrice. En même temps que s’allume le bureau, Georges entre et referme la porte. Ils regardent tout deux la vitre.

 Georges
Ton secrétaire a démissionné ? Je croyais qu’il se plaisait ici.

 Elise
On s’en moque de celui là ! Alors, et Lacroix ?

 Georges
Comme sur des roulettes, je l’ai conduit au greffe et il est passé comme beurre au soleil. Gonflé l’animal, je suais comme une bête et lui, il avait son foutu sourire.

 Elise
Et l’argent, l’argent ?

 Georges
Que la moitié pour l’instant, le reste après. Ca nous fait douze millions cinq chacun. (silence) Tu as la piqure ? Bon, je vais chercher l’agneau. Tu sais ce que tu as à faire ?

 Elise
Oui. Va, j’ai hâte qu’on en finisse.

 Georges
Bientôt la belle vie pour nous chérie !

 Elise
Va !... Georges ?

 Georges
Oui ?

 Elise
Je t’aime.

 Georges
(il lui sourit) On va gagner.

Georges sort, Elise attend un peu puis compose un numéro de téléphone. Son discours est amoureux et discret.

 Elise
Philippe ?
C’est Elise.
Tout marche à merveille, mon chéri.
Tu as fait un excellent travail sur le dossier.
Hein ?
Georges est un ours !
Non, ta démission ne lui a rien fait, pas le moindre soupçon.
C’est ça, il te sous-estime.
L’argent ?
Oui, il me dira, on n’a pas tout.
Je te laisse, ils arrivent.
Je t’aime et toi ?
Oh... Je raccroche.

La porte s’ouvre, Georges de côté laisse passer Hugo.

 Georges
Bonjour Madame, le détenu Lacroix.

 Elise
Entrez.

 Hugo
(riant) Je sais, je sais, six mois et quarante cinq jours de mitard !

 Georges
(il lui met une claque et l’assoit de force) Ecrase et ouvre tes oreilles, pauvre type !

 Hugo
(il rit de plus belle) Vous pouvez m’insulter, me frapper, ça ne le fera pas revenir !

 Elise
Je vous ai fait venir Monsieur Lacroix...

 Hugo
Brocard, c’est Brocard, Hugo Brocard que je m’appelle.

 Georges
(regiflant Hugo) Continuez Madame la directrice

 Elise
Monsieur Lacroix, je vous ai fait venir pour... Je suis au regret de vous annoncer le rejet de votre recours en grâce. Monsieur le président de la république n’a pas signé. (silence) Ayez du courage !

 Hugo
C’est quoi ce charabia ?

 Elise
Vous rejoindrez dès ce soir votre cellule ancienne, au deuxième étage.

 Hugo
(tremblant) C’est une plaisanterie , madame ?

 Georges
Je l’emmène ?

 Hugo
(hurlant) Laissez moi !

 Elise
Je suis désolée, conduisez vous dignement.

 Georges
Pense à Dieu, Andouille !

 Hugo
Je suis Hugo, Hugo Brocard...

 Elise
Vous devez souffrir d’un dédoublement de personnalité, monsieur Lacroix, c’est bien compréhensible.

 Georges
Mais il est trop tard pour l’article 64, la folie va pas t’éviter le cercueil. Non, il faut se faire une raison. (il le gifle) Doucement, doucement les nerfs !

 Hugo
Laissez moi vous expliquer, je vous en prie.

 Elise
(humaine) Je vous écoute ?

 Hugo
Vous le savez bien que je ne suis pas Lacroix ? (suppliant) Vous aussi monsieur le surveillant-chef ? Alors pourquoi, pourquoi tout ça ?

 Elise
Vous n’êtes pas Victor Lacroix ?

 Hugo
Non, Je suis Hugo. (à Georges) Hugo le petit crétin, le minable !

 Elise
Alors si vous n’êtes pas Lacroix, où est La-croix ?

 Hugo
(presque fou) Envolé ! Oups ! parti avec mon pécule, mes papiers, mon nom ! (il rit) Il est bien Lacroix, il s’est évadé. C’est beau une évasion. IL EST SORTI A MA PLACE !

 Elise
Et vous, vous deviez rester à sa place à lui ? C’est ce que vous désiriez ?

 Georges
Et ben, t’as réussi.

 Hugo
Oui, maintenant je vais au mitard ?

 Elise
Non ! au deuxième...

 Georges
Au fond du couloir.

 Hugo
(tétu) Je veux pas ya ller !

 Elise
(elle ouvre un dossier) Voyons, voyons. C’est bien votre photo là ? Regardez ce dossier, c’est bien votre photo ? N’est-ce pas ?

 Hugo
(de larmes et d’espoir) Vous avez mon dossier ! (il rit) Vous allez bien voir ! (à Georges) Elle a mon dossier !

 Elise
Lisez le nom sous votre photographie.

 Hugo
Pas besoin, les yeux fermés. C’est Brocard, Hugo Brocard !

 Georges
(I lui plonge le nez dans les feuilles) Lis !

 Hugo
Si vous voulez... (épouvanté) La-croix !

 Elise
Victor Lacroix !

 Hugo
Vous voulez me piéger, vous voulez que je dénonce ?

 Elise
Vous avez bien le tatouage d’un poing tranché sur l’épaule droite ?

 Hugo
Voui, c’est Victor qui me l’a fait...

 Elise
Vous mesurez bien un mètre soixante quinze et vos yeux sont marrons, marron très foncés et vos cheveux, noirs ?

 Hugo
Oui, comme lui, c’est pour ça...

 Elise
Vous avez bien commis un vol qualifié ? Une attaque à main armée ?

 Hugo
Heu hey, moi c’est un vol dans une voiture, une radio. (il rit) Et des bonbons... (à Georges) Oui, y’avait des bonbons !

 Elise
(implacable) Et vous avez de sang froid abbattu un homme qui vous connaissait, vous et votre complice ?

 Hugo
C’est l’histoire à Lacroix, m’en fous et contrefous moi !

 Elise
Et cet homme s’est avéré par la suite être votre propre père !

 Georges
C’est bien triste tout ça. Hé oui, pauvre pomme !

 Hugo
Je ne sais pas où il est, je sais pas ! Mais, mais il doit me contacter, je vous le dirais, vous pourrez le reprendre, vous le reprendrez.

 Georges
Lacroix avait raison : un mouchard ça reste un mouchard !

 Hugo
Alors, c’est un coup... un coup monté ?

 Georges
Ca va me faire plaisir d’imaginer ta vilaine petite tête de crapule roulée dans la boue.

 Hugo
Au-secours, je veux un avocat. J’écrirai au procureur !

 Georges
Demain je ramasse le courrier, tu me donneras ta lettre que je te la poste.

Hugo se met à hurler. Georges le ceinture. Elise fait le tour du bureau.

Vite Elise, la piqure !

 Elise
Ramène le en cellule, le visage caché. Si vous croisez du monde, dis que sa grâce est refusée. Et qu’on lui foute la paix !

 Hugo
Vous m’aurez pas comme ça... pas la tête... J’suis innocent. (il ouvre grand les yeux) Non, Maman...

 Georges
La vache il a fait !

Noir. Durant cette scène, Hugo peut s’échapper en courant dans le labyrinthe. Comme sur des créneaux, Georges et Elise le poursuivront en apparaissant en divers endroits. Puis Georges venant de la porte cour et Elise de l’autre, ils le pendront.

Les panneaux de la douche s’ouvrent, en hauteur un salon et un téléphone. Elise lit un journal. Le téléphone sonne. La voix de Lacroix amplifiée résonnera sur tout le théatre. Elise décroche.

 Lacroix
Madame la directrice

 Elise
Vous vous trompez, je ne suis plus directrice de la Maison d’arrêt de...

 Lacroix
Allons madame, vous ne me reconnaissez pas ? (silence) Hugo, Hugo Brocard.

 Elise
Vous ? Vous êtes fou de me téléphoner chez moi ?

 Lacroix
Fou ? Oui, un peu. Merci pour tout, vous avez fait un admirable travail.

 Elise
C’est vous le cerveau...

 Lacroix
J’ai été énormément ému à la lecture de mon suicide. Je ne me savais pas capable de me pendre.

 Elise
On a fait de notre mieux et on a réussi, s’il ne s’était pas pendu, tout tombait à l’eau. (elle rit) l’imbécile a vraiment cru qu’on l’exécuterait à votre place.

 Lacroix
Et, notre ami, monsieur Georges, comment va-t-il ?

 Elise
Nous nous sommes séparés !

 Lacroix
Quel dommage ! Un couple si parfait. Et votre ancien secrétaire ?

 Elise
Bien ! (silence) Que voulez vous ? (énervée) Alors, que voulez vous dire ? Nous avons respectés le marché.

 Lacroix
Tout oui. Sauf une clause, madame, votre secrétaire.

 Elise
Qu’est-ce que ça peut vous faire ? En quoi cela vous concerne-t-il ?

 Lacroix
J’aime tout savoir madame, tout !

Elise
Ecoutez Victor, vous êtes un génie, ne gâchez pas tout...

 Lacroix
Madame ? il est grand temps que le crime fasse justice.

 Elise
Je ne comprends pas, qu’est-ce que vous voulez dire ?
Je ne comprends pas ! Allô ? Lacroix ? La-croix !

Dans son dos Georges apparaît, il tient une arme.
Noir. Un coup de feu suivit des sirènes de police.
Un autre coup de feu.

RIDEAU

 
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