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Marchetti Anne-Marie - Perpétuités, le temps infini des longues peines

Publié le mercredi 23 janvier 2002 | http://prison.rezo.net/marchetti-anne-marie-perpetuites/

Edition Plon, Paris, collection " Terre humaine", 2001, 22 euros (149 FF).

Anne-Marie Marchetti, chercheuse et sociologue
Avec ces quelques 500 pages consacrées aux "Longues peines", fruit d’une patiente enquête de plusieurs années, Anne-Marie Marchetti, sociologue et chercheuse, nous propose une réflexion parfaitement documentée, bien utile en une période où l’actualité nous promet à quelques mois d’intervalle, une révision de la loi pénitentiaire, et la célébration de l’abolition de la peine de mort, dont on sait l’allongement des peines qu’elle a induit.

C’est en 1993, en travaillant sur la pauvreté en prison, qu’Anne-Marie Marchetti constate combien les dysfonctionnements en prison, l’indignité peuvent s’étaler sur de nombreuses années et s’intéresse tout particulièrement à ces "perpets", en plein débat de la loi Méhaignerie, concernant la perpétuité réelle ; ces longues peines dont elle dit (1) : "Il s’agit clairement de peines d’élimination sociale qui ne disent pas leur nom (... ) L’état rassure une population en sacrifiant quelques boucs émissaires(... ) d’autant qu’une bonne partie du quotidien carcéral ne traduit en rien les deux objectifs que l’on assigne à la prison : protection de la société et amendement du détenu. Elle a en réalité plus à voir avec la punition gratuite". Lorsque l’on sait qu’au-delà de quinze ans, un détenu perd toute possibilité d’évoluer, et que les libérations conditionnelles sont de moins en moins accordées, on voit à quel point ces " perpets " viennent interroger le contenu de la politique carcérale.

Difficile de synthétiser la totalité de ces 500 pages : de nombreux détenus ont été entendus, ainsi que ceux qui les côtoient (enseignants, médecins, travailleurs sociaux), les documents sont nombreux, les références systématiques. Au final c’est une vaste réflexion sur le sens ou plutôt le non-sens de la "perpétuité" de façon générale, le fonctionnement carcéral quotidien impliqué ; aucun aspect du sujet n’est éludé, et la multiplicité des angles de réflexion avant tout privilégiée.

C’est le grand intérêt de l’ouvrage : un travail de chercheuse, une enquête, des données historiques judicieusement rappelées, mais c’est aussi une mise en perspective par les différentes personnes interviewées.

Les carnets de bord qui reviennent régulièrement donne un peu de " chair " à la pensée, l’auteur y parle de ses découragements, de ces sentiments, de ce qui l’a conduite à travailler en prison, elle se met en colère, fonctionne à l’empathie parfois, créant une vraie proximité et avec le lecteur, et avec les détenus qu’elle interviewe.

Cela "trame" l’ouvrage dans son ensemble d’un effet dynamique salutaire : le livre refermé, c’est bien toute la question de l’utilité de la prison qui est posée, et chacun se sent concerné.

De ces longues peines, elle passe en revue les différentes manières pour chacun de tenir ou de dériver : les échappatoires, la spiritualité, l’énergie focalisée quotidiennement sur la seule révision d’un procès, le suicide, la haine de certains de ces détenus qui reste une façon de programmer sa vie, là où tout rapport au temps, compte tenu de la longueur de la condamnation, est devenu impossible.

Mais loin d’être une seule énumération statistique, l’ouvrage donne le plus souvent la parole aux détenus, l’auteur analyse, pointe et remet en perspective les incohérences de l’Administration pénitentiaire notamment lorsqu’il est question d’intimité : Tolérance zéro dans telle prison, liberté relative dans telle autre, la sexualité est officiellement interdite en prison, mais les yeux se ferment sur la circulation de K7 vidéo pornos, en ce qu’elles peuvent " servir " de défouloir efficace, du moins l’imagine-t-on, les expériences homosexuelles non consenties.

Incohérence soulignée encore dés que l’on évoque la question du temps : pour des longues peines, la difficulté est intrinsèque à la notion de perpétuité. Déserteurs du présent, par la force des choses, ils ne peuvent anticiper un quelconque avenir : difficile dès lors, d’accéder à quelque chose de constructif par rapport à leur condamnation, qu’ils vont ressentir comme une injustice d’exclusions répétées, difficile d’imaginer, surtout, un "sens" à leur peine.

Le quotidien carcéral leur propose un "turn over" permanent dans les formulations et les ateliers suivis, aggravé par la pratique des transferts et les disparités d’une prison à une autre, de sorte que la mise en place de "projet" et d’activités collectives" demandées de façon abstraite dans les dossiers de libérations conditionnelles, se trouve sans cesse compromis. D’autre part, ces mêmes formations peuvent faire l’objet d’une négociation du prisonnier lui-même, en vue d’une commutation de peine éventuelle : perversion de fonctionnement qui explique combien la prison a ses codes, ses boucs émissaires à l’intérieur même de l’enfermement.

Beaucoup des intervenants extérieurs interviewés parlent, souvent et en dépit des difficultés pour faire fonctionner leurs ateliers de cette dynamique désirante indispensable, qui crée du lien : le dehors, sous la forme d’un apprentissage, d’un savoir-faire, quel qu’il soit, peut constituer ce miroir à petites envies juste suffisant pour déclencher quelque chose, à partir de quoi le détenu pourra tenter une reconstruction.

Autant de pistes urgentes à favoriser, à travailler.

A lire dans la rubrique Reportages, l’interview de Anne-Marie Marchetti