Publié le jeudi 13 mars 2003 | http://prison.rezo.net/proposition-de-resolution-de-l/ N o 633 tendant à la création d’une commission d’enquête sur les suicides en milieu pénitentiaire et sur les propositions pour remédier à cette situation. (Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.) PRESENTEE PAR MM. ANDRE GERIN, FRANÇOIS ASENSI, GILBERT BIESSY, ALAIN BOCQUET, PATRICK BRAOUEZEC, JACQUES BRUNHES, Mme MARIE-GEORGE BUFFET, MM. ANDRE CHASSAIGNE, JACQUES DESALLANGRE, FREDERIC DUTOIT, Mme JACQUELINE FRAYSSE, MM. PIERRE GOLDBERG, MAXIME GREMETZ, GEORGES HAGE, Mmes MUGUETTE JACQUAINT, JANINE JAMBU, MM. JEAN-CLAUDE LEFORT, FRANÇOIS LIBERTI, DANIEL PAUL, JEAN-CLAUDE SANDRIER et MICHEL VAXÈS (1), EXPOSE DES MOTIFS MESDAMES, MESSIEURS, En 2001, il y a eu cent quatre suicides dans les prisons françaises. En 2002, ce chiffre est de cent vingt. Depuis de nombreuses années, le nombre élevé de suicides est une constante. Au-delà de la froideur des chiffres, il y a la réalité des vies brisées d’individus et de familles. En avril 2002, deux détenus âgés de dix-sept ans mouraient dans un incendie qu’ils avaient allumé dans le quartier des mineurs de la maison d’arrêt Saint-Paul à Lyon. Le 31 octobre 2002, un homme âgé de trente-trois ans a été retrouvé pendu avec un drap, au quartier disciplinaire de la maison d’arrêt de Tarbes. Le 13 novembre 2002, un détenu s’est aussi pendu dans sa cellule de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. En décembre 2002, deux autres détenus sont morts, dont le suicide du pirate de l’air Stéfano Savorani dans la prison de Lyon. Il semble, de manière établie, que ce dernier avait des problèmes graves d’ordre psychiatrique. Ces quelques exemples dramatiques montrent que le problème concerne tous les établissements pénitentiaires. Des témoignages sont rapportés aux parlementaires. Il s’agit d’un enfant devenu jeune homme, qui a le profil du jeune en échec scolaire, errant de foyer en foyer, abandonné par ses parents biologiques. Il devient délinquant. Au lieu d’être incarcéré dans un centre spécialisé pour mineurs, faute de moyens financiers, il est à nouveau déplacé de foyer en foyer. Plus tard, il est placé dans un centre de rééducation pour délinquants mineurs. Accusé de faits graves qu’il nie, il est transféré dans un quartier pour mineurs. Il écrit à ses parents adoptifs pour expliquer qu’il n’y est pour rien et que cela n’est plus la peine de vivre. Ses parents alertent le juge pour enfants qui informe le directeur de l’établissement pénitentiaire. Rien n’est fait. En juillet 1999, il est retrouvé pendu. Il a dix-sept ans. Une expertise psychiatrique avait conclu à l’existence d’une anxiété profonde entraînant une personnalité fragile nécessitant un suivi médico-psychiatrique et socio-éducatif. Rien n’a été fait. Cela s’est passé en 1999, année au cours de laquelle cent vingt-cinq détenus se sont suicidés. Des médecins, des travailleurs sociaux, le personnel pénitentiaire attirent l’attention depuis plusieurs années sur la situation alarmante concernant les suicides. Des rapports se sont fait le relais de cette question dans le cadre d’études plus larges sur l’état des prisons françaises : c’est par exemple le rapport remis en 2000 par M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, sur l’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires. L’Assemblée nationale a abordé ce problème la même année dans son rapport intitulé : « La France face à ses prisons ». Des constats ont donc déjà été établis. Ainsi, il y a sept fois plus de suicides en milieu pénitentiaire que dans la population générale. Ils se produisent souvent à des moments particuliers : l’entrée et le choc de l’incarcération, certains motifs de l’incarcération comme les crimes touchant des proches, l’arrivée de nouvelles affaires alors que le détenu a bientôt fini de purger une peine, la dégradation sociale importante, l’isolement en quartier disciplinaire… Ces constats ont des liens immédiats avec la vétusté des prisons, avec le manque de personnel, avec le manque de structures pour accueillir les primo arrivants, avec le manque de soins et des suivis psychologiques pour surveiller la santé des détenus, avec la lenteur du traitement des dossiers par la justice, avec le manque d’ateliers de travail pour réinsérer socialement et économiquement, et avec la situation d’indigence de nombreux détenus. Tous ces sujets ont fait l’objet de propositions qui ne se sont pas concrétisées par la loi et dans la réalité. Beaucoup de détenus ont des problèmes psychiatriques. Ils auraient pu être déclarés irresponsables. L’article 122-1, alinéa 2, du code pénal est de moins en moins utilisé. Il semblerait que les psychiatres ne veulent pas accueillir ces personnes du fait de l’inadéquation des structures hospitalières. Ainsi, la prison fait de plus en plus office d’asile. Or, le personnel pénitentiaire n’est pas formé pour accueillir ce type de détenus. Les malades mentaux ou des psychopathes avérés n’ont pas leur place en prison. Ils sont souvent incapables de s’adapter et provoquent parfois le rejet des équipes soignantes. Le rapport parlementaire déjà précité préconise la mise en place d’établissements spécialisés. En ce qui concerne les mineurs, ils ont souvent une personnalité déstructurée, fragile. La prison est particulièrement criminogène pour eux. C’est pourquoi l’esprit éducatif de l’ordonnance de 1945 est toujours aussi pertinent. La détention provisoire doit être évitée au maximum. Des mesures différentes et adaptées doivent être développées. Pour les multirécidivistes, l’existence de centres spécialisés est nécessaire. Pour cela, ils doivent être adaptés et doivent être dotés de travailleurs sociaux et éducatifs en nombre suffisant. La véritable lacune de l’ordonnance de 1945 est la faible mise en application concrète de son aspect éducatif. Les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse ne le permettent pas. En matière de suicides dans les prisons, les jeunes sont particulièrement concernés. Dans le rapport parlementaire, il est écrit page 126 : « Il ne peut être exigé du détenu de respecter à sa sortie les règles de la société si le fonctionnement de l’institution carcérale n’a pas lui-même respecté le détenu en tant que sujet de droit. » Le suicide est souvent l’expression d’une souffrance menant à l’impasse de la mort. Dès 1949, les Nations unies avaient prévu un « Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus ». Etait recommandé en particulier de ne pas incarcérer les détenus aliénés et anormaux mentaux en prison classique. En 1973, le Conseil de l’Europe définissait également ses recommandations en la matière. Le respect de l’individu, les conditions de vie, l’accès aux soins et les troubles mentaux y sont traités. Pour le dernier point, était suggérée une prévention du suicide. De plus, l’administration pénitentiaire devait se doter d’un service de santé (médecin généraliste, médecin psychiatre, dentiste) adapté à la taille de chaque établissement (recommandation R [98]). Il y a lieu de la part de la représentation nationale de dresser le tableau d’une expertise nationale sur les suicides de détenus en France et de proposer des mesures concrètes à court terme et à moyen terme pour arrêter ce processus de non-assistance à personnes en danger. Il y a urgence à agir. En effet, malgré les quelques efforts de ces dernières années avec notamment la présence de personnel soignant à l’intérieur des murs, la prison permet à des détenus jeunes en l’occurrence d’attenter à leur vie malgré la bonne volonté du personnel. Le ministère de la Justice a mis en place une mission sous la responsabilité d’un spécialiste en psychiatrie pour évaluer les actions mises en place jusqu’à maintenant et pour proposer les éléments mettant en oeuvre un programme complet de prévention du suicide. Dans ce contexte, la représentation nationale doit travailler et proposer une politique globale de prévention. Sous le bénéfice des ces observations, Mesdames et Messieurs, il vous est demandé de bien vouloir adopter l’article unique de cette proposition de résolution. PROPOSITION DE RESOLUTION Article unique Il est créé une commission d’enquête parlementaire de trente membres afin d’évaluer la situation des suicides de détenus en milieu pénitentiaire en France, d’établir une cartographie, d’établir les différents paramètres influençant cette situation. Les membres de la commission d’enquête devront proposer des mesures concrètes au gouvernement pour mettre en place une politique globale de prévention du suicide dans les établissements pénitentiaires. N° 633 – Proposition de résolution de M. André Gerin : commission d’enquête sur les suicides en milieu pénitentiaire
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