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Patrick : Parti de rien, je suis revenu de tout...

Publié le samedi 22 mars 2003 | http://prison.rezo.net/patrick-parti-de-rien-je-suis/

le 11 mars et quelques

Parti de rien, je suis revenu de tout ; militant sans syndicat et sans représentation j’ai appris que maints engagements n’engagent à rien sinon à se refiler des onctuosités du côté du nombril parce que, à défaut d’existe dans un ailleurs, il est réconfortant de s’élever au-dessus de l’animal en se dotant d’une prétendue parole.

Faut l’avouer, je nourris à l’égard des mouvements en faveur des détenus la même appréhension présumée qu’une femme ressent à l’approche d’un accouchement : la chose pourra être douloureuse et, en prime, les vergetures vont se pointer comme des stigmates de rappel. De plus, je me méfie des associations d’anciens taulards ; trop d’écrits ont ponctué la description de situations comme autant d’imaginaires expiatoires voire de fantasmes vendeurs. De fait, la narration objective ne provient pas toujours de là où on lui prête le crédit de l’expérience. Bref, j’avais votre adresse depuis plusieurs mois et j’hésitais à vous écrire, comme on hésite toujours à correspondre avec son chien par crainte de passer pour un velléitaire de la communication ou un barjot, c’est pareil.

J’ignore comment vous avez eu mon nom mais cela a aucune importance. Sachez que depuis belle lurette j’ai cessé de parler des taulard et des institutions tutélaires d’un point de vue strictement passionnel. L’événementiel se vide de sens dès lors qu’on l’incorpore dans un tout avec l’espoir qu’il s’enrobera des atours de la vérité ; la réalité est plus complexe et il est aisé de temps dans les travers qui consistent à reconstituer un tout à partir d’un seul fait ; ces litotes intellectuelles ne font pas que nous berner, elles disqualifient ce qui pourrait apporter de la signification aux faits sociaux et, donc, constituer des outils utiles pour faire avancer les choses. Ainsi, pour illustrer le propos, il est d’avis général que la cohabitation cellulaire soit abolie au profit d’un encellulement individuel. Outre le fait que cette considération a toujours ponctué les discours des tenants du système carcéral et les aspirations des hygiénistes des siècles précédents, cet encellulement individuel a des effets dévastateurs sur ceux qui, déjà privés de relations sociales, ont en outre des habitudes culturelles ancrées dans la seule grégarité (les manouches en font partie, notamment). Freud disait que les lieux sont révélateurs des structures. Pour se convaincre des effets dévastateurs d’un encellulement uniquement individuel, il suffit d’aller en centrale pour voir le nombre important de types totalement brisés par la solitude, des types devenus incapables de concevoir un monde où « l’autre » existe. Tout ceci pour vous dire combien je me méfie des avis radicaux que l’on trouve trop souvent dans les mouvements en faveur des détenus, quand bien même des ex-détenus les animent.

Il n’est pas dans mon attention, ici, d’entamer un long soliloque à propos de la vie en prison ; d’autres se chargeront de le faire bien mieux que moi. Si effectivement j’ai produit un certain nombre d’écrits sur la prison, si je suis un épicurien de la relation épistolaire, outre des moments d’expression in vivo, je me cantonne dorénavant à l’examen sociologique. Ainsi, je prépare un doctorat en sociologie sur le travail pénal et suis à la recherche de tout document afférent à ce sujet.

Je note également que vous avez créé un site Internet pour lequel je vous rapporterai quelques commentaires dès que mon épouse m’en transmettra le contenu. Il reste bien des choses positives en la matière ; créateur de sites pendant mes loisirs ce domaine m’intéresse beaucoup.

Enfin, je souhaiterai savoir en quoi vous vous distinguez de l’OIP, ce mouvement devenu si institutionnalisé que je finis par croire que les permanents doivent nécessairement avoir un casier judiciaire vierge et subi une psychothérapie sans soutien.

A bientôt, peut-être.

Patrick