Publié le dimanche 6 avril 2003 | http://prison.rezo.net/petit-manuel-a-l-usage-des-jeunes/ Leçon 1 Nous le constatons très souvent, la déliquescence des mœurs accompagne notre fin de siècle. Trop de jeunes amoureux se fréquentent dans l’onomatopée et les superlatifs. Fréquemment, hélas, ces unions ne durent que le temps d’une courte saison. Pourquoi ? Parce que tout va trop vite et que les amoureux ne prennent plus le temps de se parler convenablement et de franchir patiemment les étapes préludant l’établissement d’une famille unie et durable. C’est à nous, éducateurs de bonne extraction, qu’il revient la difficile mais belle tâche d’aider ces jeunes gens à apprendre les élégantes et bonne manières qui feront des unions futures de magnifiques moments d ‘émerveillement. Le présent guide ne se veut pas être seulement un manuel de ce qu’il convient de dire ou de faire dans certaines situations ; il a aussi une vocation correctrice et contient un lexique de ce qu’il est préférable d’éviter de dire. Des exemples concrets alliés avec des situations réelles vous aideront tout au long de ce difficile parcours de la vie. Leçon n°1 : la première sortie au bal Tout d’abord, vous devez impérativement écarter les espaces confinés appelés populairement « boîtes de nuit ». on n’y danse pas, on y tressaute, on s’y agite sans retenue dans des sortes de mouvements primitifs, incohérents et du plus inconvenant effet. Pour peu que vous connaissiez l’embonpoint ou quelques rondeurs, les masses graisseuses en agitation provoquent des déplacements fort disgracieux. De surcroît, les sons y sont tant criards que vous vous verrez contraint d’hurler pour parvenir à conserver avec votre partenaire ce qui, vous en conviendrez, n’invite pas à la courtoisie de rigueur lors d’une première sortie de laquelle vous fondez tant d’espérances. Vous pouvez en vérifier l’incongruité par cet exemple pratique. Dites en hurlant : « Mon amie, désirez-vous un rafraîchissement ? ». Il vous sera très certainement répondu : « Pardon ? Que dites-vous ? ». Après plusieurs tentatives, l’égarement vous gagnera et peut-être vous laisserez-vous aller à un : « T’es sourde et en plus t’es moche. Tu fais chier. Je me casse ». et ainsi la rupture sera consommée avant même de savoir si votre compagne aurait pu être celle que vous attendiez tant. Pour cette première sortie sans chaperon, choisissez de préférence un petit bal de campagne. Vous y allierez l’exotisme à la poésie rurale et bénéficierez du regard admiratif de ces jeunes campagnardes aux joues rougeoyantes en compagnie desquels vous humerez les bonnes odeurs de la terre de France. Soignez votre tenue. Elle portera sûrement une légère robe à fleurs multicolores, réhaussée de discrets passements pastels que soulignera un petit chapeau printanier ; une tenue à al foie soignée et aux apparences sagement décontractées du meilleur effet. Pour vous, à défaut de votre smoking habituel, un complet dans les tons lumineux avec, évidemment, un nœud papillon légèrement chamarré. En dépit de vos ardeurs bien compréhensibles de cavalier émérite, évitez de vous lancer aussitôt arrivé sur la piste de danse. Prenez le temps d’observer les manières des danseurs déjà en place. Il se pourrait que vous découvriez des pas de danse peu pratiquée dans les salons que vous fréquentez habituellement. C’est notamment le cas de la Bidouchka [1]. Exploitez vos talents d’observateur en apprenant cette danse puis lancez-vous. Si d’aventure il arrive que votre imitation dépasse votre compréhension et que par mégarde vous marchiez sur les souliers d’un danseur, empressez-vous de formuler des excuses comme : « pardonnez-nous, mon garçon, nous ne sommes pas encore bien familiarisés avec cette nouveauté ». Accompagnez ce propos d’un léger sourire bienveillant. Il se peut toutefois que l’écrasement malencontreux du pied ait suscité quelques douleurs et blessé en plus l’amour propre de la victime. Si vous décelez un regard belliqueux, n’oubliez pas que vous devez protéger votre cavalière et, surtout, montrez-lui qu’en des circonstances périlleuses vous savez affronter le danger. A cette situation, vous pouvez dire : « je vous dédommagerai pour ces souliers bon marché » ou bien « je vous accompagne chez le rebouteux de votre village et vous offre les soins » ou encore « Ah, ah, j’apprécie beaucoup votre virilité primesautière ». Tout en énonçant ces pertinences, placez-vous entre le rustaud et votre amie ; elle vous sera infiniment reconnaissance de se savoir bien protégée et vouera pour vous une considération fort bénéfique. Vous devez toutefois envisager l’hypothèse où votre potentiel adversaire est également accompagné par une vachère au teint rubicond. Il est même possible qu’il s’imagine en devoir de montrer sa force primaire afin d’en imposer à sa femelle. N’ayez crainte, l’essentiel consiste à ce que votre cavalière reste attachée à vous quoi qu’il se passe ensuite. Imaginez alors la paysanne lancer : « Bébert, casse-lui la gueule à ce pédé ». Il vous reste deux hypothèses. Soit vous vous confondez en plates excuses et opérez une sortie peu glorieuse. En ce cas, votre amie exprimera sa déception et vous la perdrez à tout coup. Soit vous rétorquez par « Mademoiselle, votre Robert court un grave péril, il lui serait plus opportun de renoncer ». Le Bébert en question, évidemment, ne s’en laissera pas compter et vous sautera méchamment au col. A supposer que vous n’ayez pas eu la chance de lire mon traité intitulé « les 101 façons de vaincre votre adversaire » (24 euros sur simple demande), vous serez en mauvaise posture et très certainement subirez-vous quelques dommages corporels. N’en soyez pas fâché ; en cette occasion unique vous pourrez vérifier si votre charmante amie a réellement reçu une bonne éducation. Si tel est le cas, elle saura vous administrer les premiers soins grâce à la trousse médicale qu’il ne faut jamais oublier d’emporter dès qu’on s’aventure hors des sites urbains. Peut-être que son efficacité sera redoublée si elle a suivi assidûment le feuilleton télévisuel « Urgences » tandis que sa sœur cadette opérait des gammes sur le piano familial. Plus encore, vous découvrirez avec bonheur une jeune fille positivement curieuse si elle vous dit : « N’ayez crainte, mon ami, mère m’a abonné au magazine « SOS catastrophes » et je prends des cours de secourisme par correspondance. D’ailleurs, aux prochaines vacances, j’envisage d’aller soigner les nègres avec « infirmières sans frontière ». Une fois les premiers soins administrés, sur le chemin du retour, pensez à lancer quelques petites plaintes discrètes. Votre tourterelle s’en émouvra, vous plaindra et se fera consolatrice. Vous aurez attaché son affection durablement et de cette sorte pourrez nourrir de grands espoirs d’avenir commun. Il demeure cependant l’hypothèse où votre cavalière se révèle incapable de vous secourir, se met à hurler comme une harpie ou, plus courtoisement, s’évanouit. Si cette mésaventure se produit, n’hésitez pas, enfuyez-vous seul sans délai ; elle ne mérite pas votre attention ni vos sacrifices. Enfin, il subsiste le peu probable cas de figure, tandis que vous gisez sur le sol, pétri de douleur en vous tenant les parties génitales, où votre amie vous toise et dise : « pauvre mec, il a raison Bébert, t’es un pédé ». Si vous deviez connaître cette affligeante situation, restez positif et pensez que si vous aviez acheté mon livre : « Comment reconnaître quelqu’un de bonne famille » (30 euros), cela ne vous serait jamais arrivé. Pour conclure, retenez bien cette première leçon. Quand bien même vous êtes un danseur émérite, n’hésitez pas à marcher sur le pied d’un autre. Quelle qu’en soit la conséquence, cela vous fera une première expérience très instructive que vous ne manquerez pas de transmettre plus tard à vos petits enfants. Au besoin, vous l’enjoliverez quelque peu afin qu’ils reconnaissent en vous le téméraire grand père qui plaît tant à nos chers petits. Bucéphale [1] la Bidouchka est une danse exclusivement provinciale. Venue d’Angleterre au début du siècle et transmise par le célèbre groupe folklorique « The bœufs atteless », elle traversa la Manche et se pratique toujours dans nombre de nos profondes campagnes |