Publié le jeudi 8 mai 2003 | http://prison.rezo.net/un-regard-qui-traverse-les-murs/ En un peu plus de vingt ans d’activités politiques, il m’est souvent arrivé d’être saisi par des détenu(e)s qui m’écrivaient sous leur numéro d’écrou. Ce type de lettre était souvent classé sans suite dans le premier service qui assurait mon secrétariat, sans doute au nom du sacro-saint principe de séparation des pouvoirs, alibi souvent mis en avant dans ces circonstances. Je pense en fait que le monde carcéral a longtemps été tabou et que les détenu(e)s ont en conséquence subi une forme de relégation sociale au rang de non-citoyen(ne). Fort heureusement, la perception de la prison a changé en vingt ans et une impulsion décisive a semble-t-il été donnée à ce mouvement lors des dernières années, notamment autour du formidable travail mené par les parlementaires qui ont conduit les travaux de la Commission d’enquête « La France face à ses prisons »en juin 2000. Au-delà des aspects matériels, du constat affrayant de la surpopulation carcérale et des règles de vie indigne qui en découlent, au-delà du scandale de la vétusté d’un grand nombre d’établissements, ce qui me semble essentiel, c’est le regard porté sur les hommes et les femmes détenu(e)s, et finalement sur le sens de la peine. Car c’est la question qui doit être au cœur de toute réflexion politique et il est urgent d’y répondre : à quoi sert la prison ? A punir bien sûr, et de ce point de vue est-il utile de rappeler combien la privation de liberté est lourde, très lourde en elle-même, pour tous ceux qui ont à la connaître ! Mais si l’enfermement vient au terme d’un processus, toute l’organisation du monde carcéral devrait être ouverte sur l’avenir, sur la mission essentielle qui doit permettre à ceux qui ont payé par l’emprisonnement de ne pas subir une forme de double peine par l’exclusion à la sortie. Si l’on observe la prison par ce prisme, combien de questions, combien de lettres, combiens d’appels au secours de détenu(e)s trouvent leur force dans une vision sociale, c’est-à-dire simplement humaine. Le père qui ne supporte plus de ne pas voir son fils ; la permission refusée sans que le(la) détenu(e) n’en comprenne la raison ; la liberté conditionnelle impossible… Toutes ces situations qui sont le quotidien des associations investies dans le monde carcéral produisent souvent cette exclusion des détenu(e)s qui anticipe celle de leur sortie de prison. C’est ce regard nouveau qu’il faut porter sur la prison, un regard qui traverse les murs pour appréhender les hommes. Alors la prison pourra avoir un sens dans une société civilisée, car elle en sera plus une fin, elle deviendra la condition du renouveau. Bernard Roman
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