Ban Public
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Etre membre de « Ban Public »

Publié le lundi 19 mai 2003 | http://prison.rezo.net/etre-membre-de-ban-public/

Poissy, le 30 mars 2003

Bonsouère,

Une association sans le sou, pas de permanents dûment estampillés par garantie d’Etat, la belle vie, quoi ! A se demander si vous n’êtes pas communistes ou, pis, des déviants excommuniés de l’international situationniste…

N’allez pas croire que j’ironise. Moi aussi, pendant des années, j’ai versé dans l’associatif : Licra, Mrap, droits de l’homme, « culture prison » et même l’ADFI (Association anti-secte) ; autant d’institutions établies aux orthodoxies parfois étranges desquelles je suis sorti à force de passer pour un singe en représentation (du genre : « association recherche archétype pour décore notre vitrine). A 53 ans, j’ai pris du recul mais comme l’absurde n’a pas d’âge, faut jamais laisser tomber.

Ceci dit, si être membre de « Ban Public » consiste à recevoir vos fiches d’information, je ne suis pas preneur. Par contre, s’il s’agit de contribuer modestement à donner du sens et de la cohérence aux débats suscités par la prison, je ne demande pas mieux que de participer. Il y a belle lurette que j’ai renoncé à croire que l’opposition manichéenne pouvait déboucher sur une praxis efficace. Evoquer la prison en confrontant les antagonistes ou en se bornant à des refus de principe n’a jamais permis de faire avancer aucun système ; l’évolution des mentalités agit d’abord par empathie puis par une certaine capacité à comprendre et à reconnaître « l’autre ». a partir de là, on peut commencer à débattre puis à construire. Pendant trop longtemps nous, détenus, avons eu tendance à opposer le monde libre à celui carcéral, comme s’il s’agissait d’une endroit et d’un envers ; un peu à l’image des syndicats qui radicalisaient le monde du travail entre deux parties oppositionnelles biens distinctes : les travailleurs et les patrons, les exploités et les exploiteurs (comme si entre rien n’existait, comme si il préexistait des générations spontanées). Les uns comme les autres faisaient abstraction de l’ensemble nommé société. Aussi, opposer détenu et surveillant ou contremaître et ouvrier n’a pas de sens et, surtout, a pour effet de renforcer les dualités. Par contre, comme vous l’évoquez, essayer de se doter d’outils de droit, c’est précisément abolir ces dualités et admettre des unicités d’organisation ou de fonctionnement. Accessoirement, c’est également agir sur un terrain où les acteurs peuvent se reconnaître ou, du moins, en admettre la légitimité. Dès lors, tous les espoirs sont permis, les dignités et les intégrités de chacun sont respectées. C’est en définissant un épistémè (au sens où Michel Foucault l’énonce) discursive sur ce qui fait agir le système carcéral que l’on peut avancer efficacement, tout en s’évitant le risque des incohérences, des stérilités, des débats clos. Pour exemple, comment puis-je (dans le cadre de ma thèse de socio sur le travail pénal) aborder la question des salaires des détenus si je me limite au champ carcéral de la surexploitation salariale ? Sur quelles valeurs argumentaire vais-je démontrer mes idées alors que mon épouse avec ses quatre enfants vie avec à peine 1000 euros par mois tandis que, ici, j’en gagne 400 euros et que j’ai bien moins de charges à m’acquitter ? Bref, si on isole les données et les situations, le sujet est difficilement défendable. Mais si on examine les composantes communes, si on les insère dans une dynamique différenciée et analysée, alors là il devient possible de construire un champ argumentaire recevable par chacun. J’ai cité cet exemple pour bien insister sur les nécessaires préalables épistémologiques évoqués plus haut ; il faut être conscient qu’avant tout débat sur l’univers carcéral il importe de l’asseoir sur des fondements solides, communicables et acceptables par chacun.

Merci, grâce à vous, ce soir, je vais souffrir d’aérophagie cervicale.

Amicalement,
Bucephale

PS : Pensez-vous développer votre site ? Si oui, comment ?