Publié le vendredi 16 mai 2003 | http://prison.rezo.net/laurent-jacqua-la-guillotine,3043/ Leçon de révolte A propos du livre de Laurent JACQUA : J’ai eu la chance – immense – de rencontrer Laurent Jacqua. De la rencontre, il ressort un regard, un sourire, et surtout une force immense. Trop facile de parler d’un « homme debout ». C’est au-delà d’une expression aussi banale… Il communique l’énergie de la révolte, et simultanément l’expression de tant de souffrances, glanées dans les mitards et les quartiers d’isolement des prisons de France… et aussi celles de tous les rescapés de ces enfers qu’il a croisés pendant ces années d’enfermement. Une vie qui bascule. Pour aller vite, on dira que tout a commencé quand Laurent Jacqua avait 18 ans… Une banale histoire de légitime défense contre une bande skinheads, et le voilà en prison pour 10 ans. C’est en prison qu’il apprend qu’il est séropositif : la peine de prison devient brutalement une peine de mort. Alors, il ne faudra plus parler à Laurent Jacqua du « sens de la peine » ou de réinsertion… Non, car s’est engagée une lutte pour la vie, tout simplement, avec cet horrible compte à rebours enclenché par le virus. Laurent Jacqua gagne la première manche : une évasion, une belle pour faire la nique à la mort… « J’irais au braquage comme on va en croisade ! » En cavale, entre nécessité et refus de la société, Laurent Jacqua braque. Mais attention, on ne trouve pas une once d’héroïsme dans son récit : les mains tremblent, la sueur perle… Et on a mal avec lui lorsque, situation oblige, il se rend coupable, à ses yeux, d’agissements que sa morale rechigne. Le retour en prison est terrible. La Pénitentiaire ne pardonne pas à ses sujets de lui préférer d’autres cieux, ses sbires se vengent, et tout cela signifie : isolement, transferts à répétition, bastonnades et mille petites mesquineries, qui, si elles ne laissent pas de traces, ont bien un but explicite : détruire. Alors Laurent Jacqua résiste, mais isolé, malade… quelle arme lui reste-t-il ? Son sang contaminé. Evidemment, de tant souffrir, il va flirter avec la folie. Mais il a cette force – non pas surnaturelle ou religieuse, mais humaine – de se révolter encore quand tout semble perdu d’avance. Du sadisme ordinaire à l’extraordinaire barbarie. Il y a pire. Il y a le cynisme de cette Ministre de la Justice, en visite à la Santé, qui rencontrant Laurent Jacqua et qui, à l’exposé de sa situation, n’a qu’un mot à la bouche : « espoir ». Pour un homme condamné à mort par la longueur de sa peine et sa maladie qui le dévore, c’est un peu léger, non ? J’ai un souhait : que ces messieurs – dames de la ‘tentiaire répondent… sur les passages à tabac, sur les humiliations ordinaires auxquelles ils semblent prendre tellement goût, sur toutes ces choses intolérables, surtout lorsqu’on a le toupet d’afficher partout la Déclaration des Droits de l’Homme ! Ces « petits murs de Berlin »… Et il y a ce que Laurent Jacqua appelle, si bien, les « petits murs de Berlin » : ces murs où meurent les évadés, tués de sang-froid par des fonctionnaires, « qui ne font que leur travail »… et dont l’horreur de leur tâche n’apparaîtra aux citoyens épris de sens critique que plus tard. Ça ne vous rappelle rien ? Ces « petits murs de Berlin » séparent deux mondes, dont on me dit que l’un est « libre », comme on disait aux victimes du socialisme (« à visage humain ») que le capitalisme rimait avec liberté. C’est à méditer… A moins que comme on me l’a chuchoté : « les prisons existent pour que ceux qui sont dehors croient être libres. » Alors, tu as raison, Laurent : non, le plus scandaleux, ce n’est pas la libération de Papon, c’est tous ces détenu(e)s qu’on laisse mourir en prison… qu’on fait sciemment mourir derrière les hauts-murs… A bas toutes les prisons ! Gwénola Ricordeau Dernière minute : Laurent Jacqua fait partie des détenus qui ont été transféré de la Centrale de Clairvaux, suite à un début de mutinerie le 18 février. Il est actuellement au Quartier d’Isolement de Fresnes… Combien de temps encore durera sa longue errance de prison – mouroir en quartier – punitif ? |