Publié le samedi 20 septembre 2003 | http://prison.rezo.net/le-temps-du-prisonnier/ Information – PRISON-JUSTICE n° 82 – septembre 1997 LE TEMPS DU PRISONNIER Alors qu’il était incarcéré à la Maison d’arrêt de T., Stéphane suivait un cours de dessin d’art. Il eut l’idée de traduire en peinture son expérience de la détention et, en particulier, la manière dont il vivait “ le temps carcéral ”. Il est certes bien regrettable de ne pouvoir offrir aux lecteurs de la revue qu’une reproduction en noir et blanc d’une œuvre où les couleurs sont particulièrement parlantes. Le commentaire que nous en faisons rendra bien imparfaitement l’éloquence de ce discours en images. Le registre de gauche est très sombre. Sur le fond d’un bleu-nuit presque noir se détachent les feuilles arrachées d’un éphéméride. Toutes portent le même chiffre, un 1. En prison, tous les jours sont semblables, les dates n’ont aucune importance, le temps ne passe pas. Le détenu tourne dans sa cellule comme un fauve enchaîné dans sa cage. Il est seul, désespérément seul. Toute communication avec l’extérieur lui est interdite (symbole du téléphone au fil coupé). Les heures et les jours ont perdu tout ce qui, dehors, les rythmait, les travaux et les rencontres, les incidents et les joyeuses surprises et jusqu’aux appels jugés naguère peut-être intempestifs. Cependant, dans les ténèbres monotones de la vie carcérale, Stéphane a figuré une zone d’un jaune tout ensoleillé avec des notes chaudes, rouges et orangées : le parloir où sa femme, accompagnée de leur petite fille, vient le visiter. Songeant à cette heure lumineuse, la seule de la semaine, il en vient presque à oublier les barreaux : l’un d’entre eux s’est brisé. Cependant, le temps s’écoule, interminable. La montre qui le mesure – objet bien peu utile ! – toute déformée et comme fondue, tombe en déliquescence tandis que la terre, indifférente, continue à tourner. Le registre de droite traduit le rêve de liberté, trouée bleu clair sur laquelle se détache, très blanche, la silhouette de la statue de Bartoldi. La ville aussi est toute blanche mais pourquoi est-elle déserte ? La seule présence humaine est celle du libéré en chemise jaune d’or, cramponné à une poutre d’un violet ardent. La poutre ne repose sur aucun support et le libéré paraît sur le point de lâcher prise. Le rêve de liberté est devenu cauchemar. Stéphane est sorti de prison un beau matin. Affectueuse et fidèle, sa femme l’attendait avec leur fille. Elle avait prévu des vacances qu’ils ont passées paisiblement. Dès son retour en ville, il s’est donné la mort : le cauchemar était devenu réalité et la peinture de Stéphane allait se lire désormais comme la chronique d’une mort annoncée. |