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B04 L’instruction

Publié le samedi 7 mai 2005 | http://prison.rezo.net/b04-l-instruction/

L’instruction ou l’information est la phase de la procédure pendant laquelle l’enquête judiciaire va être réalisée. Le juge d’instruction qui la mène est censé réunir les éléments à charge et à décharge concernant le détenu mis en examen. En réalité, la défense se trouve une fois encore en position d’infériorité au cours de l’enquête.

La mise en place du traitement en temps réel

A partir du milieu des années 1980, on observe une baisse régulière du nombre absolu d’affaires soumises l’instruction sur fond de stagnation des affaires poursuivies [...] Cette baisse est accompagnée entre 1985 et 1994 d’une hausse en chiffres absolus des affaires poursuivies en comparution immédiate. Dans l’ensemble des affaires poursuivies par les parquets, ces procédures représentent une partie croissante pendant la même période. [...] Cette hausse participe de la mise en place du traitement en temps réel dans la plupart des parquets des juridictions de taille importante. Mais, au-delà de l’objectif de traitement rapide des affaires, le couple instruction avec mandat de dépôt / comparution immédiate reste la façon d’opérer une forme de présélection des personnes les plus susceptibles d’êtres condamnées à de l’emprisonnement ferme.

Commission nationale de suivi de la détention provisoire, Rapport au garde des Sceaux sur la détention provisoire, mai 2003

93 Qu’est ce qu’une information judiciaire (ou instruction) ?
L’information est une phase pendant laquelle le juge chargé de l’instruction enquête afin d’établir l’existence d’une infraction, d’en déterminer la qualification (nature juridique de l’infraction) et d’en identifier tous les auteurs et complices. L’information est dirigée par le juge d’instruction, sous le contrôle du procureur de la République. L’instruction est obligatoire en matière criminelle et pour certains délits (dont ceux commis par un mineur). Dans les faits, le procureur doit y recourir lorsque l’affaire est complexe ou lorsque son auteur n’est pas identifié.
Articles 79 du Code de procédure pénale, 5 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante

94 Qui décide de l’ouverture d’une information judiciaire ?
L’information est ouverte à la demande du procureur de la République après une enquête préliminaire menée par les services de police ou de gendarmerie. La défense se trouve dès lors dans une position d’infériorité puisqu’elle n’a pu exercer aucune influence, ni même exprimer aucune opinion sur la valeur des indices et des témoignages considérés par l’accusation comme des charges. L’information est confiée à un juge d’instruction désigné par le président du tribunal de grande instance. Ce magistrat n’a donc pas l’initiative de la procédure. En requérant l’ouverture de l’information, le procureur énonce une première qualification des faits en précisant le ou les articles du nouveau Code pénal qui les répriment. C’est donc à cet instant qu’un acte sera considéré comme un crime ou un délit, même si cette qualification peut être modifiée au cours de la procédure. Le juge d’instruction reçoit un dossier déjà constitué dans lequel apparaissent souvent des présomptions de culpabilité visant une ou plusieurs personnes. Ce dossier exercera une influence prépondérante et durable sur la suite de la procédure et jusqu’à l’audience. En outre, un particulier peut déclencher une information en déposant une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction.
Articles 80 et suivants du Code de procédure pénale

95 Qu’est-ce qu’une mise en examen ?
Il s’agit d’une mise en cause officielle du suspect, qui se voit imputer l’infraction. Le juge d’instruction l’informe des faits pour lesquels il le met en examen et de leur qualification. La mise en examen ne peut intervenir que s’il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable une participation à l’infraction. A défaut, elle est susceptible d’être annulée, si la demande d’annulation est faite dans les six mois de la notification. La mise en examen ne peut être décidée qu’après l’audition de la personne en présence de son avocat.
Articles 62, 80-1, 116, 173-1 et suivants du Code de procédure pénale

96 Comment le juge dirige-t-il l’instruction ?
En théorie, le juge d’instruction est strictement impartial ; son objectif est « la manifestation de la vérité ». Il doit instruire le dossier à charge et à décharge, c’est-à-dire que ses investigations peuvent avoir pour but de démontrer que la personne poursuivie est innocente. La pratique est toute autre. Très souvent, le juge d’instruction conduit l’information en concertation permanente avec le procureur, de sorte que la séparation de leurs rôles est un leurre. L’accusation pèse de tout son poids sur le déroulement de l’information, alors que la défense ne dispose que de moyens limités.
Article 81 du Code de procédure pénale

Le système inquisitoire

Héritier de l’Inquisition, ce modèle a été appliqué strictement en URSS ainsi qu’en France jusqu’en 1897, année où la loi a permis la présence de l’avocat lors de la phase d’instruction. Dans ce modèle théorique, l’Etat concentre la fonction de l’enquête entre les mains d’un fonctionnaire, qui lui est entièrement soumis. L’enquête est secrète et non contradictoire, la défense n’ayant quasiment aucun pouvoir. L’enquête cherche à obtenir des aveux de l’accusé, qui ont une importance prédominante par rapport aux autres formes de preuves. Aujourd’hui, le système inquisitoire n’est pas appliqué strictement, chaque pays ayant progressivement introduit des droits à la défense qui les rapprochent du système accusatoire. La France, qui a gardé un système d’inspiration inquisitoire en y insufflant progressivement plus d’accusatoire, a choisi de confier l’enquête soit à l’accusation (le procureur dans le cadre de l’enquête préliminaire), soit à un juge indépendant pour les affaires plus complexes (le juge d’instruction). Celui-ci peut procéder « à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité ». La défense, qui a accès au dossier, n’a aucun pouvoir d’enquête propre mais elle peut demander au juge certaines investigations, qu’il peut toujours refuser. A l’issue de l’instruction, le juge décide seul de renvoyer ou non la personne devant un tribunal. En confiant l’enquête à un juge indépendant, chargé d’instruire « à charge et à décharge », le système français a pour but de préserver l’égalité des citoyens face à la Justice. Il fait ainsi le pari que l’instruction sera aussi bien menée selon qu’on est puissant ou misérable.

Cécile Prieur, Le Monde, 26 mars 1999

97 Quels sont les actes que le juge d’instruction peut accomplir ?
Le juge d’instruction peut accomplir tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il peut ainsi faire procéder à des perquisitions (recherches d’indices dans au domicile d’une personne), à des expertises, entendre des personnes, ordonner des écoutes téléphoniques. En cas de crime, une enquête de personnalité devra être effectuée : elle permet de recueillir un grand nombre de renseignements sur la vie du mis en examen. Elle est facultative en matière correctionnelle. Le magistrat exécute lui-même certains de ces actes mais en confie d’autres à des officiers de police judiciaire pour qu’ils les accomplissent en son nom (commission rogatoire). Les expertises sont effectuées par des techniciens inscrits sur la liste des experts.
Articles 94, 100, 102, 114 et 156 du Code de procédure pénale

98 Comment se déroule un interrogatoire devant le juge d’instruction ?
Le juge d’instruction doit aviser l’avocat des interrogatoires à venir au plus tard cinq jours ouvrables avant leur date. Ce court délai ne permet pas toujours au défenseur d’en informer la personne détenue et de lui rendre visite. Le juge d’instruction n’est pas tenu de faire connaître à l’avance le contenu de l’interrogatoire ni du fait qu’il s’agira (ou non) d’une confrontation. Le juge ne communique pas la liste des questions qu’il envisage de poser. Les interrogatoires sont conduits par le juge de manière directive et ne permettent pas à la personne interrogée de s’exprimer en toute liberté. D’une part, le détenu ne peut pas obliger le juge à prendre en considération tel ou tel aspect de l’affaire auquel celui-ci ne veut pas s’intéresser. D’autre part, les propos du détenu dans le cadre de l’interrogatoire ne sont que partiellement pris en compte ; ses réponses aux questions étant dictées par le juge au greffier. Or, seuls les propos consignés dans le procès-verbal ont une véritable existence juridique. En toute hypothèse, le détenu doit impérativement relire avec la plus grande attention le procès-verbal constatant ses déclarations, et le cas échéant, le faire rectifier. Il ne peut être contraint de le signer. Le procès-verbal ne sera pas nul pour autant, sauf si le refus de signature n’y est pas mentionné. La loi prévoit que le juge d’instruction peut utiliser un système de vidéoconférence pour l’interrogatoire ou l’audition d’une personne détenue.
Articles 106, 114 et 121 du Code de procédure pénale, chambre criminelle de la Cour de cassation, 5 mars 1985

99 L’avocat du détenu peut-il intervenir au cours de l’interrogatoire ?
Les avocats peuvent poser directement des questions aux personnes entendues en leur présence, et aussi présenter de brèves observations. Le juge d’instruction peut néanmoins les interrompre ou s’opposer à ce que certaines questions soient posées, s’il considère qu’elles nuisent « au bon déroulement de l’information ». Un début de débat contradictoire pourra donc s’instaurer, à condition que l’avocat ait réellement préparé l’interrogatoire.
Article 120 du Code de procédure pénale

100 Comment préparer un interrogatoire ?
Deux conditions doivent être remplies pour améliorer la préparation des interrogatoires. Le détenu doit tout d’abord bien connaître le contenu des déclarations qu’il a faites à la police. Cela ne pourra être le cas qu’avec l’aide d’un avocat disposant d’une copie des pièces du dossier. En second lieu, la personne interrogée doit savoir qu’elle peut à tout moment modifier ses déclarations ; elle devra alors être prête à expliquer les raisons des contradictions, modifications ou même nuances que contiendront ses nouvelles déclarations. Si les difficultés matérielles n’ont pas permis au détenu de relire ses déclarations ou de prendre connaissance de celles des personnes impliquées ou appelées à témoigner, il peut demander un report de son interrogatoire. Il peut s’agir par exemple d’un retard dans la délivrance des copies de pièces demandées par l’avocat ou bien de l’attente de la décision du bureau d’aide juridictionnelle. En cas de rejet du report de la part du juge, le détenu a la possibilité de refuser de répondre aux questions, à la condition expresse d’avoir pris soin de réitérer et motiver sa demande au moment de l’interrogatoire.

Le système accusatoire

Ce modèle est pratiqué dans les pays anglo-saxons, et a été adopté, en 1989, par l’Italie. Dans ces pays, le pouvoir d’enquête est confié, non pas aux juges, mais à la police qui agit sur le contrôle du procureur. Lors de l’enquête, le juge n’intervient que pour accorder ou refuser à la police le droit d’effectuer des investigations attentatoires aux libertés (perquisitions, saisies, écoutes téléphoniques....). Dès que la police retient une personne contre son gré, elle doit l’informer immédiatement de son droit à l’assistance d’un avocat. Les avocats peuvent donc intervenir dès le stade de l’enquête policière, tant pour défendre leurs clients que pour mener, parallèlement à la police, leurs propres investigations. A l’issue de l’enquête policière, le procureur ne peut faire comparaître un accusé devant un tribunal qu’après avoir justifié devant un juge du sérieux des charges qu’il a rassemblées. Le juge décide alors, après avoir entendu la partie poursuivante et la défense, s’il y a lieu ou non d’organiser un procès. Lors de l’audience, l’accusation et la défense plaident à armes égales, le juge tranchant au regard des débats. Le système accusatoire, qui offre en théorie beaucoup de garanties à la défense, n’est pas exempt de critiques. Il nécessite en effet un système d’aide juridique efficace, afin que les plus démunis puissent bénéficier d’une défense de qualité au même titre que les plus riches qui peuvent s’accorder le recours de cabinets d’avocats. Il est, d’autre part, perverti par le système du « plea bargaining » ou « pattiggamento » en Italie, qui consiste, pour les accusés, à accepter de plaider coupable contre l’assurance d’obtenir une peine réduite. L’existence de ces accords, qui interviennent dans 80% à 95% des procédures aux Etats-Unis, empiètent sur les droits de la défense. Lors du procès, le débat sur la culpabilité est en effet totalement occulté, le juge n’ayant plus qu’à se prononcer sur le niveau de la peine.

Cécile Prieur, Le Monde, 26 mars 1999

101 Qu’est-ce qu’une confrontation ?
La confrontation est l’audition commune du mis en examen avec une ou plusieurs autres personnes (partie civile, témoins, autres mis en examen) en vue de comparer leurs points de vue. En général, le juge d’instruction ne reste pas neutre et intervient activement dans le déroulement de l’entretien. Il interroge le mis en examen sur les contradictions apparaissant entre les différentes versions et cherche souvent à provoquer des réponses pouvant démontrer sa culpabilité. L’avocat peut poser aussi des questions pendant la confrontation.
Article 114 du Code de procédure pénale

102 Qu’est-ce qu’une expertise ?
Une expertise est une opération réalisée par un spécialiste en vue d’éclairer le juge et les parties sur une question technique. Il peut s’agir d’une expertise balistique afin de déterminer par exemple l’arme qui a été utilisée, d’une expertise toxicologique pour connaître les substances qui ont été ingérées par la victime, d’une expertise graphologique, psychiatrique, etc. C’est le juge d’instruction qui décide du recours à l’expertise et désigne l’expert qui y procédera dans un délai imparti, qui peut exceptionnellement être prolongé. Au cours de l’expertise, la personne poursuivie peut demander au juge que certaines recherches soient réalisées ou que certaines personnes nommément désignées soient entendues.
Articles 159 et 161 du Code de procédure pénale

103 Comment est réalisée une expertise psychiatrique ?
En matière psychiatrique, l’expert peut poser les questions nécessaires à l’accomplissement de sa mission au mis en examen. Les médecins et psychologues experts peuvent poser des questions en l’absence du juge et de l’avocat. Dans son rapport d’expertise, le psychiatre doit décrire les opérations qu’il a effectuées et exposer ses conclusions. Il doit déterminer si la personne mise en examen présente des troubles psychiatriques, évaluer son état de dangerosité, son degré de responsabilité et son accessibilité à une sanction pénale. Les conclusions rendues par les experts psychiatriques ont un impact important sur les magistrats et les jurés.
Articles 164, 165 et 166 du Code de procédure pénale

« Un procès uniquement destiné aux médias et aux victimes »

Le ministre de la Justice Dominique Perben a proposé lundi à Lyon que des procès soient organisés même quand les accusés sont qualifiés d’irresponsables par les psychiatres, afin de « ne pas escamoter l’acte criminel » ni « oublier les victimes ». Le garde des Sceaux a expliqué qu’il ne voulait plus « que la justice s’arrête », c’est-à-dire qu’un suspect obtienne un non-lieu, « dès lors qu’un expert a établi l’existence de troubles mentaux chez (cet) individu auteur présumé de crimes ou délits ». Il propose l’organisation d’un procès au cours duquel le malade serait déclaré auteur des faits mais ne serait pas sanctionné. Pour M.Perben, ce n’est pas parce que « la sanction pénale n’a pas de sens dans le cas des malades mentaux » qu’il faut « escamoter l’acte criminel ou oublier la victime ». Actuellement, le code pénal prévoit qu’un individu dont le discernement était « aboli » au moment des faits « n’est pas pénalement responsable ». Il peut bénéficier d’un non-lieu prononcé par le juge d’instruction et est placé d’office dans une unité de soins dont il ne pourra sortir que sur avis médical. [...] Le Dr Michel Dubec, psychiatre régulièrement désigné comme expert, s’interroge sur l’utilité d’un « procès uniquement destiné aux médias et aux victimes ». « S’il n’y a pas de sanction, le procès ne sert à rien, on dénature la fonction judiciaire », estime-t-il. Le psychiatre estime que les propositions du ministre de la Justice n’auront qu’un effet à la marge puisque, selon lui, « moins de 0,5% des dossiers pénaux se terminent par un non-lieu pour irresponsabilité » et « les cas de récidive sont quasi-inexistants ».

Cécile Baraille, AFP, M.Perben souhaite que même les accusés malades mentaux soient jugés, 15 décembre 2003

104 Peut-on contester les conclusions d’une expertise ?
Après le dépôt du rapport d’expertise, le juge d’instruction fixe un délai aux parties pour présenter des observations ou demander soit un complément d’expertise, soit une contre-expertise. Ce délai ne peut être inférieur à 15 jours, ou au mois s’agissant d’une expertise comptable ou financière. La demande doit être formulée par écrit et déposée au greffe du juge d’instruction. Elle peut également être déposée par le détenu sous forme d’une déclaration au greffe de l’établissement pénitentiaire. En pratique, le détenu doit généralement signaler au surveillant d’étage qu’il entend déposer une demande, afin d’être convoqué par le greffe de la prison pour signer le document. Pendant le délai fixé par le juge, l’avocat peut consulter le dossier. Le rapport d’expertise sera intégralement adressé à l’avocat qui le demande
Articles 81 et 167 du Code de procédure pénale

105 Peut-on demander au juge d’instruction d’effectuer certaines investigations ou accomplir certains actes ?
Le détenu et son avocat peut demander au juge de procéder à tous les actes qui lui paraissent nécessaires à la manifestation de la vérité. Les demandes d’actes doivent être formulées par écrit et déposées au greffe du juge d’instruction. Elles peuvent être effectuées par le détenu lui-même, sous forme de déclarations auprès du greffe de la prison. Les demandes doivent être motivées et porter sur des actes déterminés. Elles peuvent être accompagnées d’une requête tendant à ce que les éventuels transports sur les lieux et auditions se déroulent en présence de l’avocat. Cette dernière disposition très utile obéit aux mêmes règles que les demandes d’actes elles-mêmes, ce qui signifie que le juge n’est pas tenu de la mettre en œuvre.
Articles 81, 82-1, 82-2 du Code de procédure pénale

106 Peut-on faire appel du refus du juge d’instruction d’accomplir l’acte demandé ?
Le juge d’instruction n’est pas tenu de procéder aux actes sollicités. Il doit cependant informer le mis en examen de son refus par une ordonnance motivée, prise au plus tard dans le délai d’un mois à compter de la réception de la demande. Si le magistrat n’a pas statué dans le délai d’un mois, le requérant peut saisir le président de la chambre de l’instruction par une déclaration d’appel faite au greffe du tribunal par l’avocat ou auprès du chef d’établissement pénitentiaire par le détenu. Que le juge d’instruction ait refusé expressément de procéder à l’acte ou qu’il n’ait pas statué dans ce délai, le président de la chambre de l’instruction décide par une ordonnance s’il y a lieu ou non de saisir la chambre de l’instruction. Cette ordonnance ne peut pas faire l’objet d’un recours.
Articles 81, 186-1, 502 et 503 du Code de procédure pénale

Les « dommages collatéraux » des chevaliers blancs

Les juges d’instruction sont très populaires et très valorisés dans les médias dont ils sont parfois, il est vrai, les informateurs directs ou indirects. Leur intervention immédiate et très lisible les a transformés en chevaliers blancs. Dans une minorité d’affaires, leur apport reste important. Ces chevaliers blancs ont été en partie désarmés par la loi du 15 juin 2000 qui les a largement dépossédés du pouvoir d’incarcération provisoire. Ce n’est pas la personne qu juge d’instruction qui est mise en cause, mais la procédure elle-même qui, en confondant la qualité du juge et les pouvoirs d’investigation sur une même personne, porte atteinte à la présomption d’innocence. Il ne s’agit pas ici de simples « dommages collatéraux » nécessaires à la recherche de la vérité, mais de conséquences inévitables de la procédure d’instruction. Ces juges sont également peu contrôlés et, lorsqu’une chambre de l’instruction veut le faire comme la loi l’y invite, il se trouve des groupes de juges d’instruction qu ise rebellent contre ce pouvoir impensable.

Hubert Dalle et Daniel Soulez-Larivière, Notre justice, le livre vérité de la justice française. Robert Lafont, 2002

107 Peut-on demander un changement de juge d’instruction ?
Lorsqu’il est manifeste qu’un juge d’instruction ne présente pas l’indépendance ou l’impartialité nécessaires, il peut être dessaisi par décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation. La requête « en suspicion légitime » doit être motivée et signée par le détenu lui-même. Elle doit être communiquée aux parties civiles, au procureur de la République et aux autres personnes mises en examen. L’avocat doit impérativement être associé à la démarche. En effet, en cas d’échec, elle risque d’avoir des conséquences fâcheuses sur la conduite de l’instruction par le juge. Le dessaisissement d’un juge d’instruction se produit très rarement.
Articles 6 de la convention européenne des droits de l’homme et 662 du Code de procédure pénale

108 Quelle est la durée de l’instruction ?
L’instruction ne doit pas excéder un délai raisonnable, apprécié en fonction de la complexité de l’enquête. Il n’y a cependant pas de durée précise fixée par le Code de procédure pénale. Le juge d’instruction ne peut plus poursuivre l’information au-delà de deux ans sans rendre une ordonnance motivée justifiant le dépassement du délai. Les raisons admises sont : la gravité des faits, la complexité des investigations ou l’exercice des droits de la défense. Cette ordonnance est obligatoirement communiquée au président de la chambre de l’instruction qui peut saisir cette juridiction afin que celle-ci vérifie le bien-fondé de la prolongation. La chambre de l’instruction pourra éventuellement « prendre en main » l’information, ordonner les actes qu’elle estime utiles, et le cas échéant mettre fin à l’instruction par une décision de renvoi devant la juridiction de jugement ou par une décision de non-lieu.
Articles 6§1 de la convention européenne des droits de l’homme, 116, 175-1 et 175-2, 201, 202, 204 et 207 du Code de procédure pénale

109 Le détenu peut-il demander que l’instruction soit clôturée ?
La personne poursuivie peut demander au juge d’instruction de clôturer l’information, à l’expiration d’un délai d’un an en matière correctionnelle et de 18 mois en matière criminelle. Le juge peut établir un calendrier prévisionnel au début de l’information s’il estime que l’instruction peut durer moins longtemps. Le détenu pourra demander la clôture de l’information à l’issue du délai ainsi fixé. La demande pourra également être formulée lorsque aucun acte d’instruction n’a été accompli par le juge pendant un délai de quatre mois. Si le juge accepte de clore l’instruction, il se prononce sur la suite à donner au dossier : renvoi devant la juridiction de jugement ou non-lieu. A l’inverse, s’il ne fait pas droit à la demande, il doit rendre une ordonnance motivée que la personne poursuivie peut soumettre à l’appréciation du président de la chambre de l’instruction. Une nouvelle demande pourra également être présentée au juge d’instruction à l’expiration d’un délai de six mois.
Articles 116 et 175-1 du Code de procédure pénale

« J’ai attendu le verdict des juges durant neuf cent quatre-vingt jours »

Durant plus de deux ans et demi, soit neuf cent quatre vingt jours, j’ai attendu le verdict des juges, après une enquête qui s’est profondément enlisée et n’a pratiquement rien apporté de nouveau, si ce n’est du trouble et des souffrances supplémentaires pour nous. J’ai été victime de leur insupportable lenteur. [...] Que c’est pénible d’attendre neuf cent quatre-vingt jours, en ayant le sentiment d’avoir été traité comme un simple numéro de dossier et sans avoir pu établir un seul dialogue de cœur avec ceux qui sont responsables de l’enquête, et qui devront me juger en quelques heures. [...] Lorsque la justice vous tombe brutalement dessus, que vous ayez commis des fautes punissables par la loi ou non, vous devez rester à sa disposition, vous vivez psychologiquement comme un otage. Vous avez la tentation journalière de baisser les bras. Une épée de Damoclès placée perpétuellement sur votre tête. Et on va vous laisser longtemps « mijoter », sans nouvelles ! On va vous surveiller, fouiller dans le secret de votre vie, vous suspecter, sans aucune sensibilité ni prévenance. [...] Pourquoi une telle lenteur ? Je n’ai jamais eu de réponse. [...] J’aimerais dire sans esprit de rancune, et avec gravité, qu’il faut moins que cela à une personne mise en examen pour décider de ne plus vivre et de se suicider.

Philippe Auzenet, Quand la justice nous casse. Ed. Le Sarment, 2001

110 Qu’est-ce qu’une nullité de procédure ?
Le non-respect (la violation) d’un texte par le juge d’instruction, par un officier de police judiciaire, etc., expose l’acte en cause à une annulation. Pour entraîner l’annulation de l’acte, la violation doit concerner une formalité importante qui ait causé un dommage à la partie qui l’évoque. La chambre de l’instruction et la Cour de cassation se contentent très souvent dans les faits d’observe que les intérêts du requérant (s’il s’agit le plus souvent des droits de la défense) n’ont pas été lésés, même dans le cas d’une irrégularité flagrante. La chambre de l’instruction annule néanmoins automatiquement (sans qu’aucune partie n’ait besoin de le demander) certains actes irréguliers. Ainsi, l’annulation de la décision de nomination d’un magistrat à certaines fonctions pourra entraîner l’annulation de tous les actes qu’il a pris. Il peut s’agir également de la violation de certaines formalités applicables aux saisies, aux perquisitions et aux expertises. Le régime des nullités est particulièrement complexe, ce qui oblige les avocats (précaution qu’il faut exiger d’eux) à se montrer particulièrement vigilants, d’autant plus que la jurisprudence de la Cour de cassation est incertaine en la matière. Les actes nuls sont retirés du dossier et classés au greffe de la Cour d’appel. Il ne pourra plus y être fait référence.
Article 173 du Code de procédure pénale

111 Comment présenter une requête en nullité ?
Les requêtes en nullité doivent être motivées et déclarées au greffe de la chambre de l’instruction. Les détenus peuvent les déposer auprès du greffe de la prison. Une copie doit être adressée au juge d’instruction qui transmet le dossier de la procédure au président de la chambre de l’instruction. Celui-ci doit, dans un délai de huit jours après réception du dossier, décider si la requête tombe sous le coup de l’une des causes d’irrecevabilité prévues par la loi. Dans ce cas, la requête ne sera pas examinée. La requête en nullité est irrecevable :
- si elle n’a pas été correctement déclarée ;
- si elle n’est pas motivée ;
- si l’une des parties a déjà invoqué devant la chambre de l’instruction une nullité à l’encontre de la procédure (même si le motif avancé était différent), à moins que le détenu n’ait pas pu avoir connaissance du contenu de ce précédent contentieux ;
- si elle vise des ordonnances susceptibles d’appel ;
- si le délai de vingt jours qui précède la clôture de l’instruction est dépassé ;
- si la nullité demandée concerne l’interrogatoire de première comparution ou les actes antérieurs et n’a pas été invoquée dans les six mois de la notification de la mise en examen. Il peut s’agir des actes accomplis pendant l’enquête préliminaire, la garde à vue, ou des réquisitions du procureur de la République. Plus largement, la personne mise en examen est tenue d’invoquer les nullités des actes d’instruction dans les six mois suivant chacun de ses interrogatoires.
Articles 173, 173-1 nouveau, 174 et 175 du Code de procédure pénale

112 Un recours est-il possible face à une décision d’irrecevabilité ?
La décision sur la recevabilité n’est pas susceptible de recours. Si le président de la chambre de l’instruction n’a pas invoqué dans le délai de huit jours l’une des six causes d’irrecevabilité, les motifs de nullité présentés sont alors examinés par la chambre de l’instruction qui dispose de deux mois à compter de la transmission du dossier pour statuer.
Articles 173 et 194 du Code de procédure pénale

113 Quel est le rôle de la chambre de l’instruction ?
La chambre de l’instruction est chargée de contrôler le déroulement de l’information, fonction qu’elle remplit en plus de son rôle de juridiction d’appel de certaines des ordonnances du juge d’instruction. Elle vérifie les actes d’information qu’elle peut être amenée à compléter ou à corriger. La chambre se réunit à huis clos en présence du procureur et des avocats des parties. Elle décide si elle souhaite faire comparaître le détenu, sauf en matière de détention provisoire (auquel cas le détenu comparaît obligatoirement s’il en a fait la demande au moment de saisir la chambre). Les parties peuvent présenter des mémoires, qui doivent être déposés au greffe de la chambre au plus tard la veille de l’audience. Il faut savoir que la chambre de l’instruction est une juridiction traitant beaucoup d’affaires souvent d’une manière superficielle. Le travail de fond doit être accompli auprès du juge d’instruction. C’est lui qu’il faut convaincre, parce qu’il a la meilleure connaissance du dossier et que la chambre de l’instruction ne se prononce que rarement contre ses décisions.
Articles 185 et suivants, 198 et 199 du Code de procédure pénale

114 Qu’est-ce qu’un supplément d’information ?
Le supplément d’information est une mesure par laquelle la chambre de l’instruction ordonne les actes d’investigation qu’elle juge utiles. Ceux-ci sont confiés à l’un de ses membres ou à un juge d’instruction qu’elle délègue. La chambre de l’instruction dans sa formation habituelle est compétente pour statuer sur la détention provisoire et pour décider du moment où le supplément d’information prend fin.
Articles 205 et 208 du Code de procédure pénale, chambre criminelle de la Cour de cassation, 20 juin 1985

115 Quelles sont les formalités préalables à la clôture de l’instruction ?
Lorsque le juge d’instruction estime que l’information est terminée, il en avise les parties ainsi que leurs avocats et leur donne un délai de vingt jours pour formuler d’éventuelles demandes. Les demandes éventuelles peuvent porter sur de nouvelles investigations, auditions, confrontations, productions de pièces, examens psychologiques et expertises. D’autre part, le détenu peut introduire une requête en annulation contre les actes considérés comme irréguliers. Le juge n’est pas tenu de faire droit aux demandes, même si elles ont été déposées dans le délai de vingt jours.
Articles 81, 82-1, 156, 173 et 175 du Code de procédure pénale

116 Que se passe-t-il à l’expiration du délai de 20 jours ?
Lorsque le délai de vingt jours expire, le juge d’instruction prend une « ordonnance de règlement » qui a pour effet de clôturer l’information. Il peut s’agir d’une ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement ou d’un non-lieu. Le détenu ne peut pas faire appel de la décision du juge d’instruction de le renvoyer devant le tribunal correctionnel. En revanche, les ordonnances dites de mise en accusation prises par le juge d’instruction (qui ont pour effet de renvoyer l’accusé devant la cour d’assises), peuvent faire l’objet d’un appel. La déclaration d’appel doit être faite au greffe du tribunal de grande instance ou par le détenu, auprès du greffe de la prison. La chambre d’instruction doit statuer dans les quatre mois de l’ordonnance, faute de quoi le détenu est remis en liberté.
Articles 179, 181 et 186-2 du Code de procédure pénale

117 Quels sont les effets d’une ordonnance de règlement ?
L’ordonnance de renvoi en matière correctionnelle et l’ordonnance de mise an accusation en matière criminelle ont pour effet de dessaisir le juge d’instruction, au profit de la juridiction de jugement. L’ordonnance a par ailleurs pour effet de « purifier » la procédure des vices éventuels. Cela signifie qu’à partir de ce moment, ceux-ci ne pourront plus être invoqués. Une ordonnance de non-lieu, qui intervient principalement si les charges sont jugées insuffisantes, ou si la personne est considérée comme ayant été en état de démence au moment des faits, met fin à la détention provisoire et à l’instruction. L’ordonnance de non-lieu permet à la personne de demander l’indemnisation de la détention provisoire. Une autre information ne pourra plus être ouverte contre les mêmes faits, sauf si des charges nouvelles sont découvertes, qui n’auraient pas été soumises à l’examen du juge d’instruction.
Articles 179, 181, 188 et suivants du Code de procédure pénale

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