Publié le samedi 23 août 2003 | http://prison.rezo.net/luxembourg-proposition-de-loi/ No 42.458 Proposition de loi Avis du Conseil d’Etat Par dépêche du 29 février 1996, le Premier Ministre, Ministre d’Etat, a soumis aux délibérations du Conseil d’Etat une proposition de loi portant ajout d’un article 337bis au code pénal relatif à l’évasion de détenu. Aux textes de la proposition de loi, qui a été élaborée par Monsieur le député Laurent Mosar, étaient joints des considérations générales et un commentaire de l’article. L’avis du ministre de la Justice que le Premier Ministre avait annoncé dans sa lettre de saisine du Conseil d’Etat n’est pas parvenu à ce dernier au moment où il émet le présent avis. * La proposition de loi soumise pour avis a pour objet l’incrimination de l’évasion de détenus suivant les modalités plus amplement spécifiées dans un article 337bis à ajouter au code pénal. Partant de la constatation que le droit pénal luxembourgeois actuel ne rend pas punissable dans le chef du détenu le fait de son évasion, la proposition serait, aux termes des considérations générales y contenues, de nature à "servir de mesure de dissuasion à l’égard de certains détenus", seul motif invoqué par ailleurs. Abstraction faite de la répression à l’égard des gardiens responsables (pour faute ou pour un acte intentionnel) et des tiers, trois régimes peuvent être envisagés par rapport au détenu auteur de l’évasion : - le régime de l’impunité absolue ;
Le régime de l’impunité du détenu qui s’évade a été proposé par les auteurs du XIIIe siècle. Introduit sous le Directoire, il fut celui du code pénal français de 1810 et a été repris par notre code pénal du 16 juin 1869 et est demeuré tel quel à l’instar du code pénal belge. Ce régime de l’impunité, surtout en cas d’évasion simple (c.-à-d. non accompagnée de violences ou d’effraction), repose sur l’idée que "le désir de la liberté est si naturel à l’homme que l’on ne saurait rendre coupable celui qui trouvant la porte de sa prison ouverte, en franchit le seuil". Il est à remarquer que tant dans le code pénal français originaire que dans les codes belge et luxembourgeois, les infractions relatives à l’évasion de détenus sont inscrites sous le titre III "Des crimes et délits contre la sécurité publique". En effet, lorsqu’un détenu s’évade parce que les gardiens l’ont laissé s’échapper ou lorsqu’il bénéficie de connivences, l’ordre public est troublé du fait que l’individu en fuite peut commettre de nouvelles infractions conçues exclusivement comme des infractions contre la paix publique, et les négligences ou connivences seront d’autant plus sévèrement punies que l’évadé est réputé dangereux (peines plus sévères lorsque le détenu est incarcéré pour un crime que pour un délit). Le second régime, à l’opposé du premier, punit dans le chef de la personne arrêtée ou détenue tout fait d’évasion quelconque, simple ou qualifié. Tel est notamment le cas en Italie (art. 385 du code pénal). Il s’agit en l’espèce d’un autre fondement qu’on peut donner à l’incrimination de l’évasion dans le chef du détenu : la désobéissance grave aux injonctions judiciaires. Selon qu’on met l’accent sur l’atteinte à l’ordre public ou sur l’offense à la justice, des conséquences différentes quant à l’aménagement des incriminations peuvent être envisagées. Selon la deuxième conception, toute évasion doit être réprimée en principe, même si elle n’est pas accompagnée de violences ou d’effraction puisque en tout état de cause elle constitue une désobéissance à la justice (en Italie, l’évasion simple est punie d’un emprisonnement de 6 mois à 1 an). Il est à remarquer que des régimes à fondement mixte (pour ainsi dire par changement de "titre") demeurent possibles. Ainsi le nouveau code pénal français reprend-il les incriminations relatives à l’évasion de détenus (les articles 434-27 et suivants) sous une section 3 "Des atteintes à l’autorité de la Justice". Force est cependant de constater que la répression de l’évasion ne repose ainsi pas sur l’idée de dissuasion, mais sur un concept plus large, celui du respect des décisions de justice, étant entendu que tant le code pénal français que le code pénal italien renferment, sous l’intitulé général d’infractions contre l’autorité des décisions judiciaires, bien d’autres incriminations que celle de la seule évasion de détenus. Le dernier régime qu’on peut qualifier de mixte, conciliable avec l’idée "générale" de ne pas punir celui qui s’enfuit par une porte (ou fenêtre) ouverte, est encore conciliable avec le double fondement de l’incrimination, à savoir le trouble à l’ordre public et l’offense à la justice et serait celui dans lequel l’évasion simple ne serait pas punissable dans le chef du détenu, mais que l’évasion qualifiée (bris de prison, violences) le serait. Tel fut le régime du code pénal français, tel est encore celui du nouveau code pénal français qui ne réprime l’évasion que si elle s’est accompagnée de circonstances particulières : l’effraction (l’ancien "bris de prison"), la violence, à laquelle le nouveau texte ajoute la corruption. A l’heure actuelle, les articles 332 à 337 de notre code pénal concernent l’évasion des détenus et présentent les caractères suivants : - l’évasion n’est pas punissable dans le chef du détenu qui s’évade, sauf les faits délictueux au moyen desquels le détenu a pu s’évader (violences, dégradations, bris de clôture, détention d’arme…) ; - la loi ne rend punissables que ceux qui auront, soit par négligence, soit par connivence favorisé l’évasion, ce qui vise tant les gardiens que les tiers ; - la loi distingue entre l’évasion simple (art. 332 à 335) et l’évasion qualifiée (y compris la tentative) qui est celle qui se commet à l’aide de violences, de menaces, d’effraction par la fourniture d’instruments (art. 336) ou par la fourniture d’armes (art. 337) ; - les peines sont différentes suivant que le détenu qui se sera évadé aura été poursuivi ou condamné du chef d’un crime ou suivant qu’il aura été détenu pour une autre cause. Quant au contenu de la proposition de loi, le Conseil d’Etat a de sérieux doutes quant à l’efficacité de l’effet dissuasif des peines pouvant être comminées pour une évasion simple qui, en fait, concerneront, - et un examen des cas d’évasion des dernières décennies qui ont défrayé la chronique le démontrerait -, des détenus particulièrement peu sensibles sur ce point. Qui serait assez naïf pour admettre que les motifs des évasions sont à rechercher dans l’absence d’incrimination pénale et que les détenus ne s’évadent pas par peur de l’application d’articles du code pénal ? La proposition de loi donne lieu à critique en ce qui concerne l’évasion qualifiée dont elle reprend les circonstances aggravantes prévues à l’article 336, sans toutefois abroger cet article. Quant aux pénalités, la proposition de loi est le reflet de l’ancien article 245 du code pénal français en ce qu’il fixe l’un des maxima de la peine par référence à la peine en raison de laquelle l’auteur était détenu ou à celle attachée par la loi à l’inculpation qui motivait la détention. Ce système qui s’écarte du droit commun en ce qu’il prévoit un maximum "variable" présente un certain nombre de désavantages : - le maximum est flottant et imprécis et dépend trop des circonstances, pouvant être respectivement celui de la condamnation et celui attaché à l’inculpation et ceci même en cas de condamnation non définitive ;
L’infraction de l’évasion concerne, selon les termes de la proposition, les détenus, catégorie à laquelle sont ajoutés les détenus transférés dans un établissement sanitaire ou hospitalier et à laquelle sont assimilés ceux qui ne réintègrent pas l’établissement pénitentiaire en cas de permission de sortie. Afin de cerner le champ d’application de la nouvelle incrimination et d’en préciser la portée, il convient d’examiner à la fois la notion de détenu et les caractères du lieu duquel le détenu se sera évadé. La notion de détenu employée à l’article 337bis sera identique à celle de l’article 332 al. 2 du code pénal. Elle comprendra tant les personnes condamnées que celles détenues provisoirement, à l’exception respectivement de celles qui subissent l’exécution de la contrainte par corps, et de celles retenues par mesure administrative (art. 15 de la loi concernant l’entrée et le séjour des étrangers). Certaines situations peuvent prêter à discussion, tel le cas de la personne arrêtée en cas de flagrant délit sur ordre du parquet et non encore présentée au juge d’instruction. La notion de prison doit s’étendre non seulement aux établissements pénitentiaires classiques, mais encore aux locaux affectés à la garde des prisonniers : hôpital, voiture cellulaire, local du tribunal. L’auteur insiste cependant sur le fait que le local dont s’agit doit avoir reçu une destination spéciale, celle de recueillir les détenus. Quelle serait dès lors la situation du détenu s’évadant lors d’une simple visite d’un cabinet médical ou d’un tribunal ne disposant pas de local spécial, d’une salle d’audience, etc.? Un autre problème qui mérite une réflexion plus approfondie est celui qui a trait à des personnes qui, bénéficiant d’une mesure d’exécution de faveur, ne réintègrent pas la prison. Ces incidents sont bien souvent uniquement mineurs et presque inévitables en la matière. La proposition tend à ce qu’un détenu, qui a été condamné à une peine de réclusion de par exemple 10 ans et qui, en fin de peine, ne rentre pas pour une raison ou une autre d’un congé pénal ou avec retard, se trouvera nécessairement en infraction entre le moment fixé pour le retour et le retour effectif. Cette personne pourrait de ce fait être condamnée à une peine pouvant atteindre dix années d’emprisonnement, ce qui ne paraît pour le moins pas proportionnel au fait commis. Il s’entend que dans le régime actuel, tous les non-retours ou inobservations d’une mesure d’exécution des conditions posées par une mesure au titre de la loi du 27 juillet 1986 sont sanctionnés disciplinairement. Le Conseil d’Etat s’oppose pour l’ensemble des raisons exposées ci-dessus formellement à la proposition de loi dans la teneur soumise à son avis et ceci à la fois pour des raisons d’opportunité eu égard à l’approche proposée de ce problème réel et pour des raisons juridiques précises. Ainsi délibéré en séance plénière, le 22 décembre 2000. Le Secrétaire général, s. Marc Besch |