Publié le mercredi 1er octobre 2003 | http://prison.rezo.net/commentaire-de-l-arret-said-remli/ Commentaire de l’arrêt Saïd REMLI rendu par le Conseil d’Etat contre une mesure d’isolement (30 juillet 2003) Enfin une nouvelle qui va soulager un peu les détenus et leurs familles et proches. Le Conseil d’Etat a reconnu aux détenus le droit de contester une mesure d’isolement devant les juridictions administratives. Cette reconnaissance a eu lieu le 30 juillet 2003 dans l’affaire Saïd Remli. Le Conseil d’ Etat a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris rendu, dans cette même affaire, le 5 novembre 2002. Jusqu’à cet arrêt tous les détenus qui avaient tenté de faire valoir ce droit avaient vu leur recours rejetés par les tribunaux administratifs au nom du critère sacré de la justice administrative : mesure d’ordre intérieur. Cela signifie qu’il s’agit des mesures prises par différentes autorités administratives qui sont considérées comme ne présentant pas une gravité importante. Pour cela elles « ne font pas grief » pour qu’elles puissent être déférées devant le juge administratif. L’isolement faisait partie des mesures d’ordre intérieur. Comme en faisaient partie toutes les décisions disciplinaires jusqu’à l’arrêt Marie rendu par le Conseil d’Etat le 17 février 1995. Cet arrêt, rappelons ’le, a fait jurisprudence en matière disciplinaire en reconnaissant pour la première fois le droit de recours contre les décision de mise en cellule de discipline (autrement dit, le mitard). Ainsi, l’arrêt Remli fera à son tour jurisprudence, puisqu’il met fin à une autre jurisprudence bien établie : le rejet des recours contre les décision de mise en isolement ainsi que de leur prolongation. Voire entre autres exemples de la jurisprudence précédente en cette matière : TA Paris 23 mars 1995, Menenger ; CE 28 févr., 1996, Fauqueux ; TA Limoges 30 avril 1998, Morales ; TA Toulouse 11 août 1998, Yvert (TA : Tribunal administratif, CE : Conseil d’Etat). Motif de ces rejets : l’isolement ne constitue pas une « mesure aggravant les conditions de détention ». Elle ne fait donc pas partie des décisions « faisant grief » pour pouvoir saisir la justice administrative. Le conseil d’Etat a donc fini par reconnaître, dans l’arrêt Saïd Remli, que l’isolement constitue une mesure entraînant d’ « importants effets sur les conditions de détention » et que, par conséquent, une telle décision peut faire l’objet d’un recours pour « excès de pouvoir » devant le juge administratif. Pour apprécier sa gravité, le Conseil d’Etat a tenu compte de deux critères (dégagés par les articles D 283-1, D 238-2et D 375 du code de procédure pénale qui réglementent l’isolement) : la nature de cette mesure (elle prive la personne de l’accès aux activités sportives, culturelles, d’enseignement, de formation et de travail proposées de manière collective » et sa durée (trois mois renouvelables). La suite de son raisonnement est : puisqu’il s’agit d’une décision faisant grief, une des conséquences pour l’autorité est de la motiver suffisamment. C’est à dire de manière circonstanciée et non de manière stéréotypée, comme c’est l’habitude. Et c’est pour ce dernier motif que le Conseil d’Etat a condamné cette mesure d’isolement : elle n’était pas « suffisamment motivée ». Par conséquent le directeur de la prison de Bois d’Arcy (à l’origine de la mesure litigieuse) a commis un excès de pouvoir. Décision de sagesse enfin trouvée ? la haute juridiction administrative française a-t-elle tendu l’oreille à la doctrine française, qui devenait de plus en plus critique en soulignant le caractère grave de la mesure d’isolement, et aux interpellations des instances du Conseil de l’Europe chargées d’assurer le respect des droits de l’homme, dont les critiques sont encore plus graves : l’isolement est un traitement potentiellement inhumain ou dégradant tant pour la Cour européenne des droits de l’homme que pour le CPT (Comité pour la prévention de la torture). Quoi qu’il en soit la raison de ce « revirement jurisprudentiel », celui-ci est bien venu pour tous ceux qui sont à l’isolement, et pour certains depuis longtemps. Car malgré la limite de trois mois pour la décision initiale de l’isolement, le fait que son renouvellement est autorisé sans fixer une durée maximale, cela conduit dans certains cas à des isolements de longue, très longue, durée, sans savoir bien pourquoi. Souvent la motivation de la décision initiale et de son renouvellement est stéréotypée. Les responsables d’une telle décision ne prennent pas la peine d’examiner si une telle mesure est toujours justifiée. Les détenus peuvent dorénavant contester une décision d’isolement et de sa prolongation pour « excès de pouvoir » si les motifs invoqués ne sont pas légaux ou pas suffisamment précisés dans un cas donné. Il reste à voir les effets concrets de ce nouveau droit de recours : limitera-t-il le nombre des personnes isolées et la durée de l’isolement ? limitera-t-il les effets sur la vie quotidienne en détention ? Tout en sachant que la meilleure garantie contre l’isolement, mesure potentiellement nuisible tant pour la santé physique que pour la santé psychique, est sa suppression pure et simple. P.S. « Référé-liberté » Annexe 1. Néanmoins, lors de la visite, la délégation du CPT a constaté d’importantes déficiences s’agissant de la mise en œuvre, dans la pratique, des recommandations antérieures du CPT et des instructions ministérielles. Le CPT a de sérieuses réserves en ce qui concerne la situation de nombre de détenus placés à l’isolement pour des motifs administratifs que sa délégation a rencontrés lors de la visite ; ses réserves tiennent tant à la durée de l’isolement (parfois pendant des années d’affilée) qu’au régime éminemment restrictif auquel de tels détenus sont soumis (absence totale d’activités structurées et d’activités en commun). 112. Les conditions matérielles de détention des individus placés en isolement sur décision administrative étaient globalement acceptables. Toutefois, les cellules hébergeant ces détenus à la maison d’arrêt de Paris-La Santé n’avaient qu’un accès limité à la lumière naturelle. De surcroît, dans les quatre établissements visités, les aires d’exercice - qui étaient souvent utilisées également par des détenus soumis à l’isolement disciplinaire - était peu accueillantes. 113. Aux termes des instructions ministérielles, “les éléments essentiels du régime ordinaire de détention doivent, dans la mesure du possible et en tenant compte des contraintes matérielles, être préservés au quartier d’isolement” (point 4.1). De plus, les instructions prévoient notamment que les “visites ne souffrent aucune limitation” (point 4.2.2) et que “la préservation d’un régime ordinaire suppose que la plupart des activités connaissent aussi une organisation spécifique au quartier d’isolement, permettant parfois des petits regroupements de détenus isolés”, qu’“il appartient au chef d’établissement d’apprécier l’opportunité de ces regroupements” et qu’“il est souhaitable de ne pas décourager les modules d’enseignement individuel ou encore l’organisation d’enseignement à distance” (point 4.2.6). Les instructions exigent de surcroît une supervision accrue des détenus et précisent que “pour prévenir un trop grand isolement social, le maintien des contacts et des échanges entre le personnel et les détenus isolés est essentiel” (point 4.4.2). Les informations recueillies par la délégation donnent à penser qu’à quelques exceptions près (par exemple en ce qui concerne les contacts avec le monde extérieur), la grande majorité des exigences susmentionnées n’étaient pas respectées. Par exemple, il n’y a qu’à la maison d’arrêt de Lyon-Saint Paul que les détenus faisant l’objet d’un isolement sur décision administrative étaient autorisés à être ensemble, bien que de façon limitée (à savoir, pendant l’exercice en plein air et dans la salle de remise en forme). Le CPT recommande de prendre sans délai des mesures pour donner pleinement effet aux instructions du Ministre de la Justice en date du 14 décembre 1998 concernant l’isolement administratif - notamment ses points 4.2.6, 4.2.7 et 4.4.2. 114. Le CPT a par ailleurs des réserves quant à l’efficacité des garanties procédurales entourant l’isolement administratif. Il ressort des dossiers examinés que celui-ci est parfois utilisé comme alternative à une mesure d’isolement disciplinaire ou pour prolonger celle-ci (par exemple, dans un cas, la mesure a été mise en œuvre pour “détérioration grave d’un bien appartenant à l’établissement mettant en danger la sécurité de l’établissement”) et que les motifs invoqués pour mettre un détenu à l’isolement étaient souvent stéréotypés (“pour préserver l’ordre de l’établissement”, “pour prévenir un risque d’évasion”). La délégation a trouvé, dans un cas, qu’un détenu était placé à l’isolement depuis 1997 “en vertu des faits ayant conduit à sa condamnation”. En résumé, il semblerait que les instructions ministérielles, à savoir que “la mise à l’isolement par mesure de précaution ou de sécurité doit procéder de raisons sérieuses et d’éléments objectifs concordants permettant de redouter des incidents graves de la part du détenu concerné, ou dirigés contre lui”, ne soient pas toujours totalement respectées (cf. point 1.4.2). Le CPT recommande aux autorités françaises de procéder à une révision, au cas par cas, du respect des exigences des instructions de 1998 relatives à l’isolement administratif. 115. Enfin, le CPT croit comprendre que la question de l’étendue des voies de recours et de leur nature n’a pas encore été réglée (cf. paragraphe 146 du rapport relatif à la visite de 1991). En pratique, cela signifie qu’à l’heure actuelle, de tels détenus ne disposent d’aucune possibilité réelle pour contester une décision de placement à l’isolement ou de renouvellement de la mesure devant une autorité indépendante. Le CPT recommande que les garanties reconnues aux détenus à l’égard desquels des mesures d’isolement administratifs sont décidées, soient renforcées en vue de leur aménager une voie de recours efficace auprès d’une autorité indépendante, de préférence un juge. Tel est d’ailleurs l’esprit de différentes propositions actuellement soumises aux autorités françaises (par exemple, dans le rapport Canivet et dans le rapport de la Commission d’enquête du Sénat). |