Publié le vendredi 31 octobre 2003 | http://prison.rezo.net/pour-que-la-prison-devienne-l/ Ban public est une association areligieuse, apolitique et adogmatique fondée à l’hiver 1999, dont l’objectif premier était la collecte, l’organisation et la publication d’informations sur la prison. Cet objectif s’est matérialisé par la création sur Internet du premier portail consacré au monde carcéral : www.prison.eu.org. Ce site, unique et totalement indépendant compte 4000 articles en consultation libre et gratuite, une lettre d’information hebdo, et accueille quotidiennement une moyenne de 500 internautes. Volonté d’informer, besoin de témoigner Ce portail répondait - et répond toujours - à la vacuité d’information pluraliste et accessible au plus grand nombre sur les thématiques de la détention. L’institution a du mal à s’ouvrir en dehors des axes décidés par ses services de communication ; les associations n’ont souvent pas les moyens (humains, logistiques, financiers) de faire remonter l’info et de la valoriser en la publiant, et sont parfois-même peu enclines à en faire profiter d’autres que leurs membres ; les travaux de chercheurs restent souvent cantonnés aux cercles universitaires... Seules les publications sporadiques d’ouvrages (témoignages, essais) ou de rapports parlementaires font contrepoint à la masse toujours plus spectaculaire des chroniques judiciaires se gargarisant de faits-divers, et excitant à la vengeance. Pour ces raisons, il n’existait pas de lieu physique ou virtuel qui offre ces informations aux usagers que nous sommes tous, prisonniers ou justiciables. Or, si la prison ne passionne guère - et pour cette raison même -, elle est un objet de fantasme agrégeant des idées reçues, des réalités complexes, des situations fort différentes... produisant au final un véritable écran de fumée qui polarise les opinions, tarie la réflexion et étouffe la parole. C’est entre autre ce que découvre toute personne qui entre un jour en détention. C’est aussi la raison pour laquelle, prison.eu.org se veut aussi l’écho du besoin de dire, de témoigner de ce qui se passe à l’intérieur - vraiment. Cette nécessité est symétrique de l’omerta qui pèse sur la prison : silence de l’AP qui est peu encline à la transparence, et ne rend que péniblement des comptes - à commencer à son ministère de tutelle - ; absence de lieu de parole pour celles et ceux qui sont passés entre ses murs, ou sont encore enfermés. Le portail s’est donc organisé autour de thématiques touchant aussi bien au « dehors » (textes réglementaires, droit comparé, analyse de fond, chiffre-clés, etc. ) que le « dedans » (témoignages, santé, travail, glossaire, etc.) en privilégiant l’information pratique à destination des personnes incarcérées et de leurs familles, des relais associatifs, et au-delà, de la presse et du grand public - dont nous savons que les uns comme les autres ont pris l’habitude de consulter régulièrement nos rubriques. Ethique et parole directe A travers son site, BP tente donc de concilier deux dimensions : une mission d’information, et son pendant naturel, la sensibilisation, afin de faire évoluer tout un chacun dans sa perception du monde carcéral. Le site se veut donc un outil d’aide à la compréhension et à la réflexion. En tant que tel il est ouvert à des opinions différentes - voire opposées -, qui reflètent assez bien la diversité des sensibilités des membres de Ban public, et au-delà de ceux et celles qui souhaitent apporter leur contribution sur le portail prison.eu.org. La garantie de cette information pluraliste est un mode de fonctionnement transparent : les instances de Ban Public sont ouvertes à tous et toutes, les réunions sont publiques, les comptes et statuts, publiés sur le site, le bureau, le conseil d’administration etc., sont renouvelés régulièrement, et privilégient l’intégration des personnes incarcérées et des ancien(ne)s prisonnier(e)s. Si une volonté de rigueur dans le travail, d’authenticité dans l’esprit, et de pérennisation du mode de fonctionnement est indispensable, toute personne qui souhaite réellement apporter sa contribution, même modeste, est la bienvenue, pourvue qu’elle respecte les quelques principes qui fondent notre action : ainsi personne n’a de compte à rendre sur son engagement politique, confessionnel, ou sur son passé - on ne demande pas à un ancien(e) prisonnier(e) la nature de son délit (libre à lui ou elle de l’évoquer ou non). Seules les qualités humaines, l’éthique personnelle et la sincérité de son engagement sont recherchées chez un(e) adhérent(e). Inversement, il existe quelques points rédhibitoires : ne pas être absolument opposé à la peine de mort ainsi qu’à toute forme de torture - même blanche ; ne pas respecter la parole des prisonnier(e)s ; avoir une attitude discriminatoire - quelle qu’elle soit ; vouloir faire « carrière » dans l’association - BP n’est pas un outil de gratification personnelle ou de pouvoir. Le développement du site lui-même est soumis aux mêmes règles : utilisation d’outils de développement et de mise en ligne libres (c’est à dire gratuits), et permettant à n’importe qui sachant utiliser un traitement texte de publier. Ce dernier point est à l’origine du développement rapide du site, malgré un nombre restreint de « rédacteurs » c’est à dire de personnes qui, depuis leur lieu de travail (pendant la pause !) ou de chez eux, mettent des articles en ligne. Ainsi tout membre qui a la possibilité de se connecter à Internet peut immédiatement avoir une action efficace et visible sur le site. A la rencontre du corps social Ban public est, on l’a dit, l’une des rares associations travaillant sur la prison qui compte en son sein des prisonnier(e)s ou des ancien(ne)s prisonnier(e)s. L’actuel président de BP est d’ailleurs un ancien « longue peine ». Loin de l’effet vitrine, c’est l’expression de notre volonté que le/la prisonnier(e) soit au centre des débats dont il est l’un des principaux acteurs, et surtout que personne ne s’approprie sa parole. Car encore une fois, les premiers usagers de l’institution judiciaire sont les grands absents des discours savants ou non qui touchent à la prison. L’idée n’est guère populaire dans un contexte ou le prisonnier est plus que jamais une abstraction : cet être (humain ?) qui concentre dans son délit réel ou supposé toutes nos angoissent, nos peurs - à commencer par celle de nous-même. Or, dès que l’on oublie le fantasme, on découvre, un(e) ami(e), un(e) voisin(e), un(e) lambda avec qui on partage une réflexion chez le boulanger, etc. Une manifestation organisée avec les 13 et 14 avril 2002 Place de la Bastille [1] , nous a permis de vérifier que l’opinion publique était infiniment plus ouverte au débat raisonné sur la prison qu’on veut nous le faire croire... pourvu que la rencontre et le dialogue se substituent à la galerie d’image de monstres que police, justice ou presse lui agitent quotidiennement devant ses yeux terrorisés. Les passants étaient invités à rencontrer des anciens prisonnier(e)s et des familles (femmes de parloir, parents endeuillés, amis inquiets), et à engager le dialogue dans des parloirs reconstitués. Outre l’intérêt réel et permanent suscité par cette opération (qui s’est traduit par un nombre croissant de consultations du site, d’abonnements à la lettre de diffusion, et d’adhésions), nombreux sont ceux et celles qui on découvert une réalité insoupçonnée : des personnes brisées ou révoltées pour qui la société n’est plus qu’abstraction, incompréhension ou douleur ; l’effet de contagion du crime d’un homme ou d’une femme sur ses proches - des familles que l’on traite comme des parias ; la destruction minutieuse et systématique d’enfants qui grandissent avec au cœur des déchirures dont on n’a pas fini de mesurer les ravages. Des enfants auxquels, à n’en point douter, il sera difficile d’expliquer le fondement et la légitimité d’un état, de faire adhérer à un quelconque pacte social, ou instiller le respect de la moindre institution... pour le plus grand malheur de notre société. Des familles précarisées, stigmatisées auxquelles on refuse le nom de victimes A travers notre site, et par les courriers de plus en pus nombreux que nous recevons, nous avons pris une mesure de plus en plus aiguë de la désespérance de ces familles isolées, précarisées, rejetées par le corps social, stigmatisées par l’institution judiciaire qui ne trouve par exemple que rarement bon de les avertir du transfert d’un(e) proche, que certaine ne peuvent pourtant voir qu’au prix d’un périple de plusieurs centaines de km, et qui après plusieurs heures d’un voyage coûteux et angoissé, apprennent aux portes de la prison que la personne qu’elles sont venues visiter n’est plus là - sans plus autre information. Et que dire des familles qui perdent un proche en détention ? Là encore, les situations sont souvent diverses mais presque toujours inhumaines - surtout lorsque le décès est suspect -, c’est à dire lorsque la cause de la mort est un suicide, à plus forte raison lorsqu’il est douteux... Lorsqu’on connaît le sort qui est réservé aux familles de victimes, la désinvolture froide avec laquelle elles sont prises en charge, est-il possible d’imaginer le traitement réservé à une mère, un fils, une sœur qui vient de perdre un être cher dans des circonstances tragiques en détention. Nulle place pour la compassion, rarement pour le respect. Ces familles n’ont même pas le droit de se dire victime, puisque leur proche était un(e) criminelle... Des Observatoires pour évaluer la détention, et réintroduire le droit en prison Ce droit à se dire victime est un des buts indirects poursuivis par l’Observatoire des suicides et des morts suspectes. Créé en 2002, l’Observatoire à pour objet de répertorier prison par prison tous les cas de suicides ou de morts suspectes. L’idée est de dépasser ce constat déjà brutal d’environ 120 morts par an - sept fois plus que dehors -, qui a l’avantage de déguiser la réalité : on ne meurt pas dans les même proportions, ni dans les mêmes circonstances dans toutes les prisons françaises. Dès lors, il convient de revoir l’argument classique du désespoirs et l’interroger à la lumière de faits précis. Au-delà du décompte macabre, l’Observatoire est un outils pour interpeller l’AP sur des cas concrets et lui demander des comptes, quels que soit les motifs réels ou supposés du décès. Car l’AP a pour mission de veiller à l’intégrité des personnes qu’elle a sous garde, et le suicide n’est pas une fatalité. C’est aussi un moyen d’enquête, un moyen pour les familles que la mort de leur proche ne soit pas expédiée en catimini, trouve une explication qui leur permette d’entamer leur travail de deuil, et donne lieu à une enquête systématique. Charge ensuite à la justice de poursuivre, le cas échéant. A la suite de l’Observatoire de suicides et des morts suspectes, Ban public a mis en place un Observatoire des pratiques culturelles et un Observatoire du travail et de l’éducation en détention (en construction). Là encore, il s’agit d’évaluer précisément les pratiques actuelles de manière à dépasser l’occupationnel, de se donner les moyens de réintroduire le droit et le respect en détention, et l’ambition d’une reconstruction de l’individu, la définition d’un projet personnel ancré dans une société à (ré)apprendre. Une société qui s’en trouverait à son tour et à coup sûr transformée. Devant l’échec du système tant au niveau des prisonniers, de leurs proches, des victimes que de la société dans son ensemble, nous souhaitons contribuer à ouvrir les débats qui s’imposent afin que la prison devienne l’affaire de tous. Qu‘enfin des réformes concrètes et nécessaires voient le jour. Car à quoi sert d’avoir aboli la peine de mort pour y substituer une logique de vengeance et de destruction, qui cantonne à jamais l’individu à la dimension de sa faute ? [1] Manifestation organisée avec le soutien d’Info Sans Frontières et avec l’Envolée, l’AFLIDD (Association des Familles en Lutte contre l’Insécurité et les Décès en Détention), la ligue des droits du prisonnier (Familles en détresse), du Collectif des Familles de Grasse |