Publié le mercredi 5 novembre 2003 | http://prison.rezo.net/l-art-en-prison-eternel-clandestin/ L’ART EN PRISON Y a-t-il présomption d’innocence pour l’artiste ? L’intervention culturelle en prison se heurte à une double mise en examen : celle d’une partie de l’administration pénitentiaire et des surveillants, peu enclins à laisser des germes de subversion se développer chez les détenus ; celle des militants des droits des détenus qui y voient au mieux une occupation, au pire une caution du système pénitentiaire... Les bonnes volontés sont pourtant affichées, "d’en haut". Depuis 1985, les ministères de la Justice et de la Culture ont signé un protocole pour cadrer l’intervention culturelle en prison. Mais en ce domaine, les bonnes volontés n’ont jamais été suffisantes, sans l’assentiment de tous les échelons administratifs - surtout à l’intérieur des établissements. Et, du côté des artistes intervenants, elles peuvent se révéler redoutables, lorsqu’elles se contentent "d’activités" gestionnaires d’un calme relatif. Car il s’agit là d’un art de l’urgence. La prison n’autorise pas l’absence d’exigence et d’ambition artistiques ; elle remet profondément en question la démarche de ceux qui s’y frottent. De Jean-Christophe Poisson à Christine Dejoux, d’Anne Toussaint à Maxime Apostolo, tous les artistes effectuant un travail en profondeur dans le milieu carcéral le disent à leur manière. L’art y est, peut-être plus que partout ailleurs, porteur de lien - non d’une réinsertion en forme de coulage dans le moule professionnel, mais d’une relation humaine dans un lieu où sa reconstruction est essentielle. Les écueils du terrain Entre les dispositions ministérielles et la réalité du terrain, il existe évidemment quelques marges, voire quelques fossés. Les services pénitentiaires d’insertion et de probation qui gèrent les interventions culturelles doivent composer avec les associations socioculturelles qui se sont créées dans les établissements pour gérer la location des téléviseurs et qui disposent d’un pouvoir considérable, sans être obligatoirement représentatives des personnes incarcérées. Il leur faut aussi dialoguer avec les chefs d’établissement, les juges d’application des peines, les enseignants - qui longtemps ont été les seuls intervenants culturels. La stratégie affirmée du service culturel de l’administration pénitentiaire est de faire rentrer les interventions culturelles dans des cadres officiels, pour affirmer leur légitimité dans les établissements - et assurer une rémunération correcte aux intervenants. Pour cela, elles s’appuient sur des opérateurs culturels "officiels", (CDN, scènes nationales) et des intervenants proposés par les DRAC. L’exemple volontiers cité étant le travail du TNS à la Maison d’arrêt de Strasbourg. Cette officialisation des procédures d’intervention offre un cadre "rassurant" pour la pérennité des actions artistiques : la signature d’une convention met un atelier à l’abri des caprices du gré à gré... Mais elle ne va pas sans quelques frictions, lorsque certains artistes ou compagnies habitués des interventions en milieu carcéral ne sont, par exemple, pas agréés par les DRAC. Elle pose également la question des critères d’évaluation : on ne peut pas juger une action en milieu carcéral, ses prolongements et la qualité du lien créé sur la vision d’une "production" artistique. État des lieux Qu’en est-il, aujourd’hui, de l’offre culturelle dans les prisons ? Selon l’administration pénitentiaire, les maisons d’arrêt - au moins en province - sont relativement bien pourvues. Les collectivités territoriales ont une assez bonne perception d’un public incarcéré pour des durées courtes et susceptible de réintégrer rapidement la ville et le département. Elles bénéficient, en outre, de la proximité d’équipements culturels. La situation est plus délicate pour les centres de détention ou centrales, accueillant des détenus pour des peines moyennes ou longues, et éloignés des centres villes. La législation prévoit la présence obligatoire d’une bibliothèque, d’une salle de projection et d’une salle de représentation. L’organisation d’ateliers est, dixit le protocole ministériel, "fortement privilégiée". De fait, nombre d’artistes se sont impliqués en profondeur dans des actions avec, et non pour, les détenus. La réalisatrice Anne Toussaint avec le film Sans elles, les metteurs en scène Gérard Lorcy, Mohamed Rouabhi, Jean-Christophe Poisson, les écrivains (Marc Villard), musiciens (Nicolas Frize) : la liste est longue de ceux investis dans un travail en profondeur. Car c’est là un autre écueil, auquel les deux ministères se disent sensibles : que la prison devienne le réceptacle des bonnes intentions, ou, pire, le fonds de commerce de certains artistes. L’univers carcéral n’autorise pas le manque d’exigence. Le lieu prison est tellement symbolique et générateur de fantasmes qu’il suscite parfois des aventures hasardeuses. Il s’agit aussi de faire comprendre aux chefs et au personnel des établissements pénitentiaires qu’un atelier n’est pas seulement un instrument de maintien du calme. Face à des chefs d’établissement ou des personnels réticents, les administrations préfèrent garder un "profil bas" : mieux vaut attendre que d’imposer des actions qui se passeraient mal et dont les détenus paieraient le prix. Quelles actions pour quels détenus ? Les intentions des deux ministères sont clairement affichées : faire bénéficier à tous de l’offre culturelle, en brisant les hiérarchies habituelles et non-dites des prisons - l’ostracisme qui frappe, par exemple, les délinquants sexuels. Car la sociologie des prisons n’a rien à voir avec l’image que s’en fait le grand public. La délinquance "classique" y est quasi-minoritaire, et les condamnés pour crimes de sang extrêmement peu nombreux. Toxicomanes, étrangers en situation irrégulière, délinquants sexuels et malades mentaux représentent actuellement un pourcentage important de la population carcérale. Sur le terrain, les propositions d’ateliers ne touchent qu’une minorité : il est impossible par exemple aux détenus qui travaillent de les suivre ! L’accès à ces propositions peut aussi faire l’objet d’un filtrage, dans certains établissements où l’on préfère ne pas mélanger les types de délinquance. Enfin, toute demande en prison doit être faite par écrit. Ce qui exclut d’emblée toute une frange de population illettrée ! À cela s’ajoute la perception de l’intervenant, vu comme un représentant de "l’autre côté", voire de la hiérarchie de l’établissement... Autant dire que le chantier est vaste. De là à affirmer comme Patrick Marest, que toute action est vouée à l’inutilité, il y a un pas que Cassandre ne franchit pas. Nous avons voulu, en exposant les expériences des uns et des autres, ouvrir un champ de réflexion sur un travail qui nous semble essentiel. Valérie de Saint-Do Les dispositions officielles Ces crédits sont gérés de manière déconcentrée par les DRAC et les Directions régionales des services pénitentiaires (DRSP). Ils recouvrent l’ensemble des "animations". L’objectif des deux ministères est de décliner ce protocole à l’échelon régional, et d’encourager la signature de conventions entre les DRAC et les DRSP sur une programmation culturelle dans les établissements. Les deux-tiers des régions ont signé ces conventions. En 1999, l’Administration pénitentiaire a créé les Services pénitentiaires d’insertion et de probation, qui ont la charge -entre autres- de piloter les actions culturelles, pour les quelque 55000 personnes incarcérées et pour les 80000 personnes faisant l’objet d’un suivi judiciaire en milieu ouvert. Ces services ont des antennes dans chaque établissement et sont chargés de l’organisation, du suivi et de l’évaluation des actions, en accord avec les chefs d’établissement. Cassandre http://www.lespetitsruisseaux.com/cassan Source : http://www.lespetitsruisseaux.com/cassan/n39/art.html |