Dans cette seconde partie de notre cadre théorique, nous nous appuierons sur des études et enquêtes.
A ’ Quelques repères historiques sur la relation activités physiques et prison.
Il faut attendre 1948 et le rapport fait au Conseil Supérieur de l’Administration Pénitentiaire (CSPA) pour voir apparaître des objectifs quant à l’affaiblissement physique des détenus et la volonté d’introduire la pratique du sport dans plusieurs établissements. On ignorait la notion « d’éducation physique ou sportives » et préférait celle de promenade.
En 1954 « l’éducation physique » pour les détenus est pour la première fois mentionnée dans le rapport annuel du CSAP. Les objectifs correspondent aux préoccupations d’hygiène et de réinsertion.
« La nécessité de l’éducation physique pour les détenus n’est pas à démontrer… Remède indispensable au confinement de la vie pénitentiaire, elle doit maintenir le prisonnier dans une forme physique suffisante pour supporter la détention et affronter les difficultés qui l’attendent a sa libération. »
Les APS sont réglementées par les « Instructions Générales sur la Pratiques de l’éducation physique et du sport dans les établissements pénitentiaires » en 1958.
Elles ont été élaborées par l’Administration pénitentiaire en collaboration avec la Direction Générale de la jeunesse et des Sports au Ministère de l’Education Nationale, et par l’introduction en 1959 de deux articles au Code de Procédure Pénale : l’art. D. 362 concernant l’organisation des séances d’EPS dans les établissements et le D. 363 relatif à l’obligation de la pratique pour les moins de 30ans. Et l’article D. 359 prévoit que le règlement intérieur de chaque établissement pénitentiaire doit réserver une partie de l’emploi du temps des détenus à l’exercice d’activités physiques.
Avec la réforme de 1975, les pratiques sportives en milieu carcéral ne sont plus considérées comme récréatives ou occupationnelles mais elles prennent une véritable dimension éducative.
En 1986, un protocole d’accord entre le Ministère de la Justice et le Ministère de la Jeunesse et Sport est signé : « développer les activités en liaison avec les services extérieur du MJS et les association affilié aux différentes fédérations et association agrées Jeunesse et Sport ». Ceci dans un souci d’ouverture sur le monde extérieur.
En 50 ans, le sport comme d’autres pratiques a fait son chemin dans la prison comme il l’a fait dans la société. Le sport permet la mise en place d’un processus de décloisonnement progressif et des possibilités de réinsertion des détenus.
B ’ L’effet de l’enfermement sur le corps et ses représentations.
François Courtine dans « la sportification pénitentiaire » montre que le corps a toujours été l’objet de punition. Quand les APS ont été introduit dans le milieu carcéral dans le milieu du 19ième siècle, l’objectif était de former physiquement les détenus pour constituer une antichambre de l’armée. Dans un espace d’enfermement, le corps est surveillé, enfermé, fouillé, privé sexuellement.
Les détenus français, ont une fragilité tant physique que psychologique. En effet, il existe une négligence de l’hygiène de vie, de soins. L’incarcération a des effets sur la santé, il y a une perte de l’espace et du temps, des identités, de la sexualité, des afférences sensorielles.
Il n’est pas anodin de voir des détenus en dépression et en situation de stress qui s’articule autour de l’anorexie, difficulté d’endormissement, trouble de la mémoire, difficulté de concentration, dévalorisation, perte de l’estime de soi et idée de suicide. L’enfermement du corps entraîne aussi des nuisances telles que la sédentarité, la déconstruction physique (problème dans la marche, perte de l’équilibre, atrophie musculaire…), et problèmes sociaux.
Leur schéma corporel est totalement faussé. Certain peuvent l’intégrer aux dimensions de leur cellule.
V. Vasseur dans son livre [1], fait aussi ce constat. « Les détenus s’ennuient. Très peu de distractions et peu de possibilités de s’y inscrire étant donné le nombre limité de places. Parmi ces distraction l’accès à une vague salle de musculation sans douche et installée dans une cellule. Autres possibilités : jouer au foot sur du ciment. La télévision aussi : ça leur coûte 65 francs la semaine et, bien sûr, tous les détenus ne peuvent pas se le permettre. […] Que peut-on espérer d’une personne déjà fragile psychiquement qui passe plusieurs années entre son lit et la télé dont la seule distraction est de se regarder le nombril, et dont la seule vision se réduit à la saleté de sa cellule, à sortir dans une petite cour où ne pousse pas un brin d’herbe ? Il devient paresseux et assisté. »
Le corps devient objet, monnaie carcérale. Il est souvent atteint dans son intégrité (tentative de suicide, automutilation).
L’entretien du corps devient alors une préoccupation de santé mais aussi un besoin de développement psychologique.
C ’ Les atouts de l’activité physique sur le corps.
Une étude, effectuée par Chantal Minotti et Sophie Garnier, met en avant la relation activités physique, santé et prison : « Les activités physiques et sportives comme pratique de santé en milieu carcéral ». Elles nous expliquent en quoi les activités peuvent aider à une meilleure santé et une meilleure insertion. Les APS ont des effets physiologiques directs tels que la dépense énergétique, l’entretien et le développement du système cardio-respiratoire, la coordination, la psychomotricité, la force…
Et des effets secondaires qui se traduisent par une meilleure estime de soi, une sensation de forme, de bien-être. Le sport en prison va bien au delà d’une urgence hygiéniste ou moralisatrice, elle permet de contrôle le temps et l’espace du prisonnier.
Il s’agit donc de transformer « un rapport négatif au corps » en un « rapport positif » et donner lieu à l’obtention de bénéfices professionnels ou psychiques.
Les APS sont un moyen d’éducation, d’intégration des règles, préserver la santé et le transfert d’habileté dans les apprentissages (endurance, concentration…).
Le rythme de vie pénitentiaire est différent de l’extérieur. Les APS peuvent briser la monotonie quotidienne.
Alors qu’au 20ième siècle, le sport permet d’avoir un rapport au corps particulier. Les activités physiques recouvrent l’apparence, la performance, le plaisir.
Les APS sont un espace de liberté et de possibilité de se réapproprier et maintenir un corps sous l’emprise de l’institution et qui ne leur appartient plus. Il permet aux détenus d’afficher une résistance corporelle et de limiter les déficiences physiques.
Les activités physiques ou sportives adaptées et suivies permettront ainsi de limiter la régression corporelle qui peut devenir un handicap pour une réinsertion, reconstruction physique et corporelle et une amélioration de l’image personnelle. Les détenus peuvent ainsi se détacher de leur identité de reclus et donne une image de personnes saines et performantes. Les activités sportives sont aussi utilisées pour réduire une certaine anxiété, un certain stress qui peut exister dans ce milieu clos et anxiogène. Les APS peuvent devenir un élément culturel, une réouverture sur l’extérieur.
Derrière cette possibilité donnée aux détenus de pratiquer du sport, il existe toujours cette volonté de contrôle social et de mainmise sur les agissements les plus naturels. La mission de réinsertion, avec de la discipline, des valeurs d’ordre, de rigueur et de redressement du corps légitime la pratique d’activités physique et sportive. Elles sont là pour normaliser les comportements des détenus.
Mais la surpopulation et le sous-effectif de moniteur-surveillant (220 moniteurs, soit une moyenne d’à peine plus d’un moniteur par établissement pénitentiaire) rendent difficile la mise en place d’APS en prison ainsi que les activités collectives.