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9 La pratique juridique des règles des Nations Unies

Publié le mercredi 12 novembre 2003 | http://prison.rezo.net/9-la-pratique-juridique-des-regles/

Introduction
1. Le présent ouvrage est fondé sur les droits de l’homme et sur les règles requises pour leur application telles qu’elles sont exposées dans l’ensemble des documents des Nations unies.
L’ONU a, depuis sa création, cherché à promouvoir un traitement humain des détenus. La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948, prohibe dans son article 5 la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cette déclaration a été complétée depuis lors par plusieurs conventions, pactes ou résolutions internationaux, parmi lesquels l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (RMT) adoptées en 1955 qui sont consacrées aux conditions de vie et au traitement des détenus. Ces RMT n’avaient pas, au moment de leur adoption, vocation à devenir un traité ou une convention internationale. On peut les considérer comme des textes détaillés complémentaires de conventions internationales à portée plus générale. Les RMT ont été complétées à leur tour par d’autres documents des Nations unies qui ont redéfini ou précisé les conditions de vie en détention et le traitement pénitentiaire, établissant de nouvelles règles ou droits en faveur des détenus. On peut notamment citer :
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de 1966, (en particulier la partie III) ; La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 ; L’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement de 1988 ; Les Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus de 1990. Certains organismes professionnels internationaux ont pour leur part établi des codes de déontologie dont certaines règles régissent leur exercice professionnel en prison.

Portée et champ d’application des RMT
2. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est d’une particulière importance. Non content d’interdire la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 7), il prescrit que toute personne privée de sa liberté doit être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ” (article 10.1). Le comité qui a rédigé l’article 10 a spécifié que, bien qu’il ne contienne pas de référence directe à l’Ensemble de règles, les RMT doivent être appliquées par les Etats signataires du Pacte. Le Comité des droits de l’homme, chargé de la mise en œuvre de la Convention, se réfère quant à lui en permanence aux RMT quand il s’agit d’interpréter l’article 10.

3. Au travers du présent ouvrage, Penal Reform International entend signifier qu’une pratique pénitentiaire est acceptable dès lors qu’elle s’inspire des documents des Nations unies traitant de la prison, en particulier des RMT. Pratique de la prison ne se réduit pas à un simple commentaire de ces documents : l’ouvrage esquisse, dans le cadre des RMT - qui constituent le corpus de droit international le plus systématique et le plus détaillé en matière de prison - ce qui peut être considéré comme une bonne pratique pénitentiaire dans les dernières années du XXe siècle. Les experts qui ont contribué à la rédaction de ce livre sont unanimes pour reconnaître que, dans certains domaines, les règles minima contenues dans les RMT de 1955 sont devenues aujourd’hui obsolètes et que, plus généralement, des règles ne sont jamais que provisoires. Enfin, l’ouvrage propose quelques pistes qui permettent à la plupart des pays de mettre en pratique ces règles, nonobstant d’insuffisants moyens financiers.

4. Pratique de la prison met aussi en exergue certaines règles spécifiques que la communauté internationale a été unanime à reconnaître et à valider. Les RMT sont par essence flexibles, ce qui leur confère une incontestable force normative. Les gouvernements et autres organismes et institutions qui entendent souscrire aux RMT et aux documents internationaux s’y rapportant ou s’en rapprochant ne pourront dénier par la suite que certaines de ces règles ne leur sont pas applicables.

5. Les quatre-vingt-quatorze règles originales qui constituent les RMT n’ont jamais été amendées. Elles ont été approuvées par le Conseil économique et social des Nations unies en 1957 et complétées vingt ans plus tard par une règle 95 qui étend leur champ aux personnes arrêtées ou incarcérées sans avoir été inculpées. Elles couvrent donc l’ensemble des lieux de détention et ne sont pas réservées à la prison au sens strict du terme. Depuis leur adoption en 1955, les RMT ont été confirmées, directement et indirectement, par d’autres accords internationaux et régionaux. Elles constituent la base de la politique pénale d’un certain nombre de pays qui les ont intégrées dans leur code pénal, dans leur jurisprudence ou dans leur réglementation pénitentiaire. L’ambition du présent ouvrage est de recueillir les fruits de la sagesse et de l’expérience accumulées au travers de la mise en pratique des RMT afin d’inspirer et d’en faire profiter l’ensemble des systèmes pénitentiaires de par le monde.

Le statut des RMT
6. Les RMT ont été, au cours des dernières années, complétées par d’autres accords internationaux spécialisés. Ainsi, l’Ensemble de règles minima des Nations unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en 1985, reconnaît la force légale des RMT, sa règle 9.1 stipulant qu’aucune disposition des Règles de Beijing ne doit être interprétée comme excluant l’application de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus adopté par l’ONU et des autres instruments et règles touchant les droits de l’homme reconnus par la communauté internationale (résolution de l’Assemblée générale 40/33 du 29 novembre 1985). En
1990, l’Assemblée générale a accordé encore plus directement son imprimatur aux RMT, à l’occasion de l’adoption des Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus. L’Assemblée générale a notamment reconnu que les RMT adoptées par le premier Congrès pour la prévention du crime et le traitement des délinquants sont de grande valeur et doivent influencer les politiques pénales et la pratique pénitentiaire (résolution de l’Assemblée générale 45/111 du 14 décembre 1990).

7. Les RMT ont encore été reconnues par des instances judiciaires internationales. Dans l’énoncé de ses premiers jugements (par exemple l’affaire de la Grèce), la Cour européenne des droits de l’homme s’est référée directement aux RMT dans son interprétation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des Principes fondamentaux, qui interdit la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les règles pénitentiaires européennes se sont ensuite affinées, à partir en particulier des RMT des Nations unies. Des tribunaux nationaux, dans des pays aussi divers que la Suisse, l’Afrique du Sud et les Etats-Unis d’Amérique, ont eux aussi appliqué les RMT à maintes reprises. Un tribunal des Etats-Unis l’expliquait en 1980, lors de l’affaire de Lareau contre Manson (507 F Supp 1177) : la surpopulation des prisons est en contradiction avec les “ règles élémentaires de décence ” [...] Elle est à ce titre incompatible avec l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus adoptées par le Conseil économique et social des Nations unies (qui) font partie intégrante de l’ensemble de principes internationaux en matière de droits de l’homme, lesquels prescrivent à toutes les nations des règles de conduite décente et humaine.

8. Du fait de cette reconnaissance, les RMT ont acquis un statut particulier parmi les accords internationaux relatifs à la justice pénale. Elles sont devenues indispensables dans l’interprétation des conventions internationales pour les droits de l’homme et doivent être reconnues comme étant partie intégrante des lois internationales sur les droits de l’homme.

L’interprétation des RMT
9. La reconnaissance générale à laquelle on vient de faire allusion ne signifie pas pour autant que chaque règle, prise individuellement, a acquis une force légale. Les RMT excluent d’elles-mêmes ce type d’interprétation. Redisons-le [1], les observations préliminaires contenues dans la règle 1-4 sont des déclarations d’intention valant pour l’ensemble des RMT.

Règle 1 Les règles suivantes n’ont pas pour objet de décrire en détail un système pénitentiaire modèle. Elles ne visent qu’à établir, en s’inspirant des conceptions généralement admises de nos jours et des éléments essentiels des systèmes contemporains les plus adéquats, les principes et les règles d’une bonne organisation pénitentiaire et de la pratique du traitement des détenus.

Règle 2 Il est évident que toutes les règles ne peuvent pas être appliquées en tout lieu et en tous temps, étant donné la grande variété de conditions juridiques, sociales, économiques et géographiques que l’on rencontre dans le monde. Elles devraient cependant servir à stimuler l’effort constant visant à leur application, en ayant à l’esprit le fait qu’elles représentent, dans leur ensemble, les conditions minima qui sont admises par les Nations unies.

Règle 3 D’autre part, ces règles se rapportent à des domaines dans lesquels la pensée est en évolution constante. Elles ne tendent pas à exclure la possibilité d’expériences et de pratiques, pourvu que celles-ci soient en accord avec les principes et les objectifs qui se dégagent du texte de l’Ensemble de règles. Dans cet esprit, l’administration pénitentiaire centrale sera toujours fondée à autoriser des exceptions aux règles.

Règle 4 (1)La première partie de l’Ensemble de règles traite des règles concernant l’administration générale des établissements pénitentiaires et est applicable à toutes les catégories de détenus, criminels ou civils, prévenus ou condamnés, y compris les détenus faisant l’objet d’une mesure de sûreté ou d’une mesure rééducative ordonnée par le juge.

Règle 4 (2) La deuxième partie contient des règles qui ne sont applicables qu’aux catégories de détenus visés par chaque section. Toutefois, les règles de la section A, applicables aux détenus condamnés, seront également applicables aux catégories de détenus visés dans les sections B, C et D, pourvu qu’elles ne soient pas contradictoires avec les règles qui les régissent et qu’elles soient profitables à ces détenus.

(Afin d’expliquer la règle 4, précisons que les RMT débutent par une introduction ’ les observations préliminaires ’ qui en décrit brièvement les objectifs et la structure. L’Ensemble de règles est ainsi constitué des observations préliminaires (règles 1 à 5), de la première partie, consacrée aux règles d’application générale, et de la deuxième partie, qui détaille les règles applicables aux catégories spéciales de détenus A, B, C et D)

10. Les restrictions contenues dans les observations préliminaires demandent à recevoir trois types de précisions :
a. Les observations préliminaires en recèlent elles-mêmes quelques-unes. Ainsi, la règle 3 autorise des expériences à condition que celles-ci soient en accord avec les principes et les objectifs qui se dégagent du texte de l’Ensemble des règles. De même, quand la règle 2 prévoit une adaptation possible des règles, compte tenu de la variété de “ conditions ” existant dans le monde, elle énumère ces conditions, reconnaissant ainsi, au moins implicitement, que le nombre de ces conditions est limité et que les différences d’application doivent être la conséquence explicite de telle ou telle condition.
b. L’organisation de l’Ensemble des RMT permet de discerner les règles constituant des directives générales de celles uniquement consacrées par l’usage, que celles-ci soient de portée générale ou particulière. La règle 6 (1) représente un bon exemple d’une règle constituant un principe général : elle souligne la nécessité d’appliquer les règles impartialement et dispose qu’il ne doit pas être fait de différence de traitement basée sur un préjugé, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. La force de ce principe général doit être maintenue quand il est procédé aux expériences qu’évoquent les observations préliminaires. En d’autres termes, des expériences qui seraient discriminatoires selon les termes de la règle 6 (1)sont proscrite par les RMT.
Les règles qui contiennent des prescriptions fortes mais ne concernant que des catégories particulières de détenus ont été analysées dans les chapitres précédents. On insistera ici sur leur formulation. La règle 31, par exemple, prévoit que certaines sanctions sont “ complètement défendues ”, indiquant par là que l’interdiction est absolue et ne constitue pas une restriction de la nature de celles retenues dans les observations préliminaires.
c. Les restrictions contenues dans les observations préliminaires des RMT perdent de leur pertinence quand une règle particulière a été renforcée par d’autres dispositions, qu’elles soient nationales ou internationales . Il y a dans ce livre un certain nombre d’illustrations d’accords internationaux venus conforter ou développer les RMT. On peut évoquer par exemple les soins accordés aux détenus [2]. De même, quand un code pénal national s’inspire des RMT, ils se renforcent mutuellement et les restrictions des observations préliminaires n’ont plus de justification. ainsi, la règle 10 des RMT [3] prévoit que les locaux destinés au logement des détenus pendant la nuit doivent répondre aux exigences de l’hygiène, en particulier en ce qui concerne la surface minimum. Il est évident que de telles exigences varieront suivant les conditions géographiques (climatiques) et, à un moindre degré peut-être, suivant les conditions sociales du pays. La conséquence pratique est que les normes de surface minimum seront différentes d’un pays à l’autre, à la condition impérative que les besoins globaux de santé des détenus n’en seront pas affectés, l’objectif fondamental de la règle 10 n’autorisant pas le type de restrictions désignées dans les règles 1 à 3. En outre, lorsque les règles nationales (d’espace minimum au sol en mètres carrés dans cet exemple) sont fixées, elles doivent être appliquées impartialement, compte tenu de l’exigence d’impartialité posée dans la règle 6.

Le cas particulier des mineurs
11. Depuis que les RMT ont été adoptées en 1955, divers autres accords internationaux sont intervenus concernant la détention des mineurs. Le plus important de ceux-ci est l’Ensemble de règles minima des Nations unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing, résolution de l’Assemblée générale 40/33), les Principes directeurs des Nations unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad, résolution de l’Assemblée générale 45/112), et les règles des Nations unies pour la protection des mineurs privés de liberté (résolution de l’Assemblée générale 45/113). Les mesures spéciales de traitement des mineurs en détention auraient pu constituer un chapitre à part de ce livre. On se contentera de quelques indications. La dernière des observations préliminaires (règle 5 des RMT) stipule que les RMT, bien que ne visant pas à réglementer les établissements pour mineurs, sont néanmoins applicables à de tels établissements. Elle fait également remarquer qu’en principe les mineurs ne devraient pas être incarcérés :

Règle 5 (1) Ces règles n’ont pas pour dessein de déterminer l’organisation des établissements pour jeunes délinquants (établissements Borstal, instituts de rééducation, etc.). Cependant, d’une façon générale, la première partie de l’Ensemble de règles peut être considérée comme applicable également à ces établissements.

Règle 5 (2) La catégorie des jeunes détenus doit comprendre en tout cas les mineurs qui relèvent des juridictions pour enfants. En règle générale, ces jeunes délinquants ne devraient pas être condamnés à des peines de prison.

[1] Cf. supra, chapitre I , § 3

[2] Cf. supra chapitre IV

[3] Cf. supra, chapitre III, § 13