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2 III Le malaise pénitentiaire marocain

Publié le lundi 8 décembre 2003 | http://prison.rezo.net/2-iii-le-malaise-penitentiaire/

Le fonctionnement du système de la justice pénale au Maroc n’obéit pas à une conception intégrée et cohérente. L’observation du comportement de ses différents acteurs trahit une absence quasi totale de coordination entre eux pour la réalisation d’un quelconque objectif commun, en l’occurrence : la réinsertion sociale des détenus. En effet, un certain nombre de contradictions, voire d’antinomies peut être observé entre les options de chaque rouage des quatre acteurs principaux de la vie publique, qui conçoivent chacun selon "sa manière" la justice pénale. Les trois pouvoirs de l’Etat et l’Opinion Publique ne regardent pas le phénomène criminel sous le même angle ou avec les mêmes lunettes. Chacun ayant son propre prisme déformant. Très en avant sur les autres, l’administration opte pour la solution sociale, dont elle n’a pas les moyens, et que le corps social rejette pourtant, faute d’avoir été utilement et suffisamment sensibilisé ! La justice pénale, pour sa part, assume la mission que lui assignent les textes en vigueur et continue d’envoyer en prison petits et grands criminels, sans se soucier de savoir si l’Administration Pénitentiaire a les moyens de les recevoir, de les loger, de les nourrir et de s’en occuper convenablement. Le Pouvoir législatif enfin, ne se décide pas encore à emboîter le pas à l’administration en matière d’innovation et de changement, ce qui laisse la politique de cette dernière dénuée de tout fondement juridique. Ces facteurs négatifs de la politique pénale peuvent être scindés pour les besoins de l’analyse en deux séries. La première série de facteurs qu’on peut qualifier d’externes ou exogènes, se situe en dehors de la sphère des compétences de l’administration. Elle ne peut pas faire grand chose pour les modifier en l’absence d’une véritable volonté politique. La deuxième série concerne les contradictions internes de l’administration pénitentiaire, qu’elle a engendrées ou qu’elle subit, dont une insuffisance au niveau de sa politique en matière d’organisation et de gestion administrative.

1-Facteurs négatifs extra-pénitentiaires
Ces facteurs sont de trois ordres et touchent trois sphères d’intérêt différentes. Tout d’abord, la législation en matière post-pénale n’est pas, adaptée à l’objectif de re-socialisation ; Ensuite, l’action du juge pénal ne procède pas des mêmes préoccupations qui animent l’action pénitentiaire. Enfin, l’opinion publique n’est pas encore partie prenante du débat sur le projet post-pénal.

a-Dysfonctions d’origine législative
Deux critiques peuvent être formulées au passif de la législation en matière pénitentiaire et pénale. D’une part, la législation pénitentiaire date d’une époque révolue qui n’a plus rien à voir avec les réalités et les circonstances du Maroc actuel. D’autre part, certaines dispositions de la loi pénale ne sont pas de nature à permettre une quelconque réinsertion sociale des détenus libérés.

A - L’Anachronisme des textes
L’essentiel de la législation pénitentiaire du Maroc date du début de ce siècle et de la période du protectorat. Les deux Dahirs qui régissent la matière carcérale datent respectivement de 1915 et 1930. C’est à dire de la guerre mondiale de 1914- 1918 pour le premier et de la crise économique mondiale pour le second ! De tels événements ne sont pas de nature à inspirer favorablement la réflexion juridique. Ils n’ont pas manqué de l’influencer. Le premier texte a été axé essentiellement sur l’aspect "Sécuritaire" de la question. Le deuxième exprimait des soucis d’ordre économique, par l’austérité du régime de l’emprisonnement "en commun" qu’il établissait. Ces deux législations contribuaient à renforcer la présence et le pouvoir coloniaux, par l’intimidation individuelle et collective et par le traitement différencié des détenus, en fonction de leur origine, qu’ils institutionnalisaient. Ces deux Dahirs concrétisaient par leurs dispositions les aspirations racistes des colons et asservissaient les nationaux à la colonisation agricole et industrielle. La ségrégation raciale qu’ils imposaient, ne se limitait pas aux seuls délinquants, elle était étendue au personnel des prisons, et les "autochtones" ou "indigènes" n’étaient recrutés qu’en tant qu’auxiliaires des agents français de la métropole ou des trois départements de l’Algérie Française. Ayant à créer un système pénitentiaire, "ex-nihilo" ou presque, l’autorité coloniale a manqué d’inspiration et fait preuve de peu sinon de pas d’imagination. Elle aurait pu s’inspirer du modèle dont la France venait elle-même de se doter [1]. Mais, la "Résidence" préféra adapter le modèle abandonné avec les défauts, les insuffisances et les contradictions qui ont conduit à son abandon en métropole. La "France coloniale" a causé beaucoup de torts à nos institutions qui avaient certes leurs défauts, mais qui répondaient en grande partie à nos besoins en conformité avec les valeurs admises par notre culture et en fonction de notre particularisme géographique, historique et religieux. Au lieu de balayer d’un trait treize siècles d’histoire de la nation Marocaine arabe et musulmane, elle aurait pu réformer ces institutions pour les rendre compatibles avec les impératifs de modernisation du pays, dont elle se servait pour légitimer sa présence et ses actes, sans rompre avec les principes généraux qui régissent la société arabo-musulmane. Elle pouvait aussi appliquer au Maroc le modèle qui était le sien au moment des faits. Elle aurait pu faire beaucoup de choses ! Mais, depuis 1956, nous aurions pu faire plus et mieux. En plus de quarante années d’indépendance, le Droit Pénitentiaire Marocain n’a pas bougé d’un iota. La colonisation peut avoir "bon dos". On peut lui imputer tous les maux dont souffrent nos institutions, mais on ne peut pas le faire indéfiniment. Si en matière économique ou géopolitique, la rupture avec l’ancienne métropole s’avère très difficile, sans pour autant être impossible, en matière de souveraineté interne il en va tout autrement. La refonte de la législation pénale est particulièrement aisée, pour peu que l’on en ait la volonté. Nous l’avons entreprise dès le lendemain de l’indépendance en ce qui concerne le code pénal et celui de la procédure pénale. Tout l’appareil de la justice a été réorganisé, revu et corrigé pour répondre aux besoins du pays, à l’exception du domaine pénitentiaire et post pénal. Des pays voisins qui possédaient une législation analogue l’ont reléguée au musée des curiosités historiques et se sont dotés de textes répondant à leur réalité socioculturelle retrouvée, tandis que les nôtres sont toujours en vigueur, contrairement à ce que des chercheurs mal informés ont affirmé dans leurs écrits. Il est temps aujourd’hui de changer cette situation. Les impératifs de crise, de guerre ou de sécurité du Protectorat qui ont dicté l’esprit de ces deux textes ont aujourd’hui disparu. Rien ne justifie plus que des textes "fabriqués" au Quai d’ORSAY [2] promulgués à Evian-Les-Bains et contre-signés "URBAIN BLANC", continuassent à régir les prisons du Maroc indépendant, souverain et réunifié. Dans un autre ordre d’idées, ces deux textes sont loin de cerner toute la complexité de la matière pénitentiaire. Ils passent sous silence, une grande part de la matière qu’ils sont censés organiser et réglementer. L’occasion a été donnée pour constater combien ils sont incomplets et inopérants. A titre d’exemple en 1969, lorsqu’une forte secousse tellurique a secoué l’ensemble du territoire national, les responsables des établissements pénitentiaires se trouvaient devant le dilemme suivant : Faut-il faire ouvrir les cellules pour laisser aux détenus une chance d’échapper au cataclysme imminent et enfreindre ainsi la loi pénale qui punit la complicité d’évasion ou bien les laisser périr sous les décombres et répondre du délit de "non-assistance à personne en danger de mort", prévu et puni par la même loi ? Le même raisonnement peut être tenu en ce qui concerne l’incendie ou les autres catastrophes naturelles. Il faut admettre que la situation de ces responsables était très délicate et leur choix très difficile. Si pour une fois la providence a tranché le problème (aucune perte humaine), celui-ci reste posé avec une grande acuité ainsi qu’un grand nombre de situations non prévues par la législation actuellement en vigueur. Pour combler le vide constaté, quelque 3 500 à 4 000 notes et circulaires tentent d’apporter des solutions aux problèmes au fur et à mesure de leur constatation. Le grand nombre de ces circulaires constitue une limite de taille à toute connaissance de l’état de la réglementation pénitentiaire. De plus, ces notes et circulaires s’annulent, s’interpénètrent, se complètent ou se contredisent au point de constituer un véritable puzzle d’où de nouvelles instructions pour les interpréter qui gonflent la spirale des notes et circulaires. Vu la valeur juridique incertaine des circulaires et leur portée, limitées en Droit, il est inconcevable d’en faire un système de législation. Il devient urgent et nécessaire d’adopter le projet de code pénitentiaire qui constatera dans un cadre rigide les droits et obligations des parties en présence.

B - Les problèmes de réinsertion et le casier judiciaire
La situation du détenu libéré est, pour le moins que l’on puisse dire très critique. Son reclassement social passe nécessairement par sa stabilité matérielle qu’il ne peut réaliser que par l’obtention d’un emploi. En prison, il a appris un métier, s’est perfectionné ou a acquis l’habitude du labeur. Au dehors, le vide et l’oisiveté le guettent. S’il cherche du travail, il lui est difficile d’en trouver, sinon impossible. Les employeurs du secteur privé ont leurs critères "d’embauche". Les antécédents judiciaires n’en font pas partie ! De plus en plus, ces employeurs demandent aux candidats à l’emploi de montrer "patte blanche" par la fourniture de documents attestant leur bonne conduite et leur absence d’antécédents. Légalement, ils n’ont pas le droit d’exiger la production d’un extrait du casier judiciaire ; mais, si le candidat se montre réticent, sa réaction sera interprétée comme l’aveu d’un passé douteux, et l’emploi ira à un autre qui n’a "rien à cacher". Si aucune loi n’autorise l’employeur privé d’exiger un tel document, aucune disposition non plus ne l’oblige à prendre pour employé un individu dont il doute déjà de la sincérité ! L’Etat refuse de croire en l’amendement des détenus libérés ou de leur tendre la "main". Le statut général de la fonction publique dispose que "nul ne peut être nommé à un emploi public s’il n’est de bonne moralité" [3]. Or, la moralité s’apprécie dans le cas de l’espèce par la production d’un extrait du casier judiciaire vierge. Il y a là une contradiction flagrante entre le discours tenu par l’institution pénale sur elle-même, sur sa vocation sociale et le but de réinsertion des détenus qu’elle poursuit d’une part et l’obstacle à cette réinsertion que constitue le casier judiciaire. D’un côté, l’Etat investit des sommes considérables dans la rééducation des détenus, et lorsque l’effort a porté et qu’un ex-détenu manifeste sa prédisposition à s’amender, à se racheter et à gagner honnêtement sa vie par le produit de son travail, la société, soutenue par sa plus haute expression qu’est la loi, le rejette et le condamne à la récidive. Nombreux sont les détenus qui ont cru en leur chance de changer le cours de leur existence grâce à la formation acquise ou aux études entreprises en prison. Le détenu qui a poursuivi des études en prison, croit réellement en sa chance d’échapper définitivement au monde de la criminalité et de la violence. Il est respecté en prison, admiré par ses codétenus et ses gardiens. La Direction de l’établissement l’exhibe en tant que preuve vivante et tangible de "l’effort de rééducation qu’elle fournit" et des résultats qu’on peut obtenir. Enfin l’administration l’utilise pour "embellir" ses rapports de fin d’exercice et appuyer ses demandes de crédit au Gouvernement. Lui, il se sent devenir, petit à petit, étranger dans l’univers carcéral. Il estime que sa place n’est pas dans ce "cloaque" infect qu’est la prison. Il multiplie les démarches et les demandes de grâce que la Direction soutient favorablement. Et en attendant le grand jour, il rêve de ce que sera sa vie après "la prison". Dans ce rêve, il y a d’abord le travail qui lui permettra d’avoir des ressources et des "papiers" en règle ! Il y a le foyer avec la femme qui l’attendra le soir pour lui faire oublier les fatigues du labeur dans un climat de tendresse. Il y a aussi les gens du quartier, pleins d’admiration, qui le salueront à son passage. Finies les interpellations suivies d’interrogatoires poussés dans les locaux de la police judiciaire, le tribunal, la prison... ! Plus tard, lorsque les moyens le permettront des enfants viendront égayer le foyer. Il a appris en prison les principes du planning familial. Aussi, les naissances seront espacées, afin de ménager la santé de l’épouse et de pouvoir donner à la progéniture une éducation décente ! Et le rêve continue... Un soir, à la veille d’une fête, il entend le surveillant de service, relayé en écho par le prévôt, marteler les syllabes détachées de son nom. Il est conduit au greffe de l’établissement où, en peu de mots, on le félicite. Dans sa "grande magnanimité", l’administration, "compte tenu des recommandations de l’établissement" a pu lui obtenir une grâce royale. "Chacun" ici a fait "quelque chose" pour lui. "Il ne doit pas l’oublier". En un mot, il est "libéré". Le "rêve" commence enfin à se réaliser. On lui remet ses effets et son maigre pécule. Le Directeur, autorité suprême de la prison, le reçoit. Solennellement, il lui fait un discours où la morale avoisine la fierté et les bons vœux de réussite. Le grand personnage daigne même lui serrer la main en guise d’adieu. Sous l’effet de l’émotion des larmes de joie coulent sur ses joues, il croit en sa chance. La désillusion sera rapide. L’accès à la Fonction Publique lui est interdit en raison de son casier judiciaire et le marché privé saturé de juristes. Son manque total d’expérience ne plaide pas en sa faveur. Il ne peut pas non plus exercer une profession libérale pour cause d’antécédents judiciaires. Plus il tente de sortir de son passé, plus les "institutions" l’y replongent. Il a beau avoir purgé sa peine et payer sa dette envers la société, celle-ci s’obstine à réclamer un "supplément", un surplus de peine ! On ne finit pas de payer sa dette à la société. Il ne s’agit pas d’une hypothèse d’école ou d’une construction de l’esprit. L’homme qui a vécu cette histoire, et qui la vit toujours est aujourd’hui écrivain public clandestin sur une place publique de Rabat. Un écrivain public diplômé de l’enseignement supérieur qui passe ses journées en quête de clients analphabètes pour leur rédiger ou leur lire une lettre ou une réclamation aux autorités, traqué par les agents de Police ou toléré selon l’humeur de ceux-ci ou les instructions de leurs chefs. Cet homme se bat désespérément pour obtenir sa réhabilitation. Il pourrait devenir juge, avocat ou cadre supérieur si son casier judiciaire disparaissait. Combien de temps tiendra t-il encore avant de sombrer dans la récidive ? Et combien sont-ils dans la même situation ? L’Administration Pénitentiaire, sous la Direction de M. Mustapha ALAOUI, avait entrepris des démarches auprès des Administrations Publiques pour les inciter à recruter les ex-détenus qui leur seront recommandés par ses soins, pour avoir donné des gages suffisants de redressement et de réadaptation sociale. Elle a, elle-même, tenté l’expérience en réservant quelques postes budgétaires d’emplois occasionnels, aux anciens détenus, afin de leur permettre de gagner honnêtement de quoi subsister pendant quelques mois en attendant leur insertion définitive dans la société par l’obtention d’un emploi stable. Mais, les circonstances ont changé et l’expérience abandonnée. Aucune des administrations contactées n’a répondu favorablement à l’appel. Vestige d’une autre époque, où la peine n’avait d’autre fin que la souffrance du condamné, le casier judiciaire constitue un obstacle infranchissable et une entrave incontournable à la réinsertion sociale des condamnés. A quoi sert-il alors de rééduquer des détenus, de leur dispenser des cours, leur assurer une formation ou une qualification professionnelle ou leur apprendre un métier, pour leur imposer en fin de compte une fin de non recevoir et un refus systématique pour toute démarche qu’ils entreprennent en vue de leur réintégration sociale ? A quel jeu se livre l’institution pénale en faisant miroiter devant les yeux des détenus le mirage d’une vie honnête et sans problèmes, sachant qu’ils n’ont aucune chance d’être admis à nouveau parmi les gens "de bonne moralité ?” Comme nous l’avons démontré dans les précédents développements, toutes les personnes réputées honnêtes, ne le sont pas forcément. Plusieurs grands criminels ont des casiers judiciaires vierges, et sont considérés comme des gens honnêtes aux yeux de la loi. Paradoxalement, des victimes d’erreurs judiciaires ont perdu le combat de prouver leur innocence et se retrouvent avec un casier chargé. Dans ces conditions, la bonne moralité devient synonyme de non - condamnation. Une aberration de plus dans la logique de la loi pénale qui ne sanctionne pas ceux qui ont réussi leur crime, et punit deux fois ceux qui y ont échoué. Le casier judiciaire est certes, un instrument utile et très efficace pour la justice pénale. C’est indéniable. Cependant, dans sa forme actuelle ou plutôt par l’usage qui en est fait, il constitue une véritable dysfonction du système pénal global, et traduit la rupture entre le discours politique et la réalité juridique. Conçu comme instrument entre les mains de la justice, qui permet au juge de connaître les antécédents criminels d’un justiciable, le casier judiciaire, contribue efficacement à la connaissance de l’accusé et à l’individualisation de la peine. Il permet d’adapter les dispositions légales aux "justes mesures de l’individu" et rend aisé le repérage des criminels dangereux, récidivistes et autres criminels par habitude. L’existence du casier judiciaire n’est pas antinomique avec l’action post pénale ; quoiqu’il la compromette gravement. Il suffirait de lui apporter quelques aménagements pour concilier les impératifs de justice pénale et ceux du reclassement social. On pourrait, par exemple prévoir une procédure de réhabilitation rapide, voire même automatique, pour les détenus qui montreraient des gages suffisants d’amendement et de réadaptation. Ou bien en limiter l’accès au juge pénal ou à l’autorité administrative dans des cas limitativement fixés par la loi. D’ici là, les dispositions légales continueront d’entraver l’action sociale post-pénale.

b-La justice pénale et l’encombrement des prisons
La majorité des problèmes de l’Administration Pénitentiaire vient du surpeuplement des prisons. Cette situation que nous avons exposée au chapitre relatif à l’intendance pénitentiaire, est due à une attitude des juges qui consiste, d’une part, au recours excessif à la détention provisoire et d’autre part à une sur-utilisation des peines privatives de liberté de très courte durée.

A - L’excès de détention préventive
Les manuels de Droit enseignent qu’en matière pénale, toute personne soupçonnée d’infraction est présumée innocente jusqu’à ce qu’un jugement définitif la déclare coupable des faits qui lui sont reprochés. Ce principe couramment connu sous l’appellation de "présomption d’innocence", constitue une garantie judiciaire de la liberté individuelle. La détention préventive qui consiste à mettre en prison une personne suspectée et poursuivie en justice dans l’attente de son jugement, est une exception à ce principe qui est la règle générale. Cependant, dans l’état actuel de la pratique judiciaire, l’exception a tendance à être érigée en règle et vice versa. Pour n’importe quel délit, aussi minime soit-il, le suspect est envoyé en prison dans l’attente d’être jugé. L’ampleur du phénomène est loin d’être négligeable. L’examen des statistiques pénitentiaires officielles, nous apporte une information appréciable sur son étendue. Durant la décennie objet de l’observation, le nombre des détenus non encore définitivement condamnés, représentait en moyenne 45 % de la population pénale totale. Tous ces individus se trouvent en prison par anticipation. Ils purgent déjà une peine à laquelle aucun juge ne les a encore condamnés ! Très souvent, ils sont prévenus de délits mineurs, ce qui explique dans une large mesure le taux élevé des acquittements et des condamnations à l’amende qui représentent 20 % des motifs de sortie de prison. La détention préventive peut avoir une influence sur le déroulement du procès pénal. Ainsi, pour deux délits de même gravité, le prévenu qui se présenterait à l’audience en état de liberté a plus de chances de repartir libre, tandis que celui qui comparait en état d’arrestation a toutes les chances de retourner en prison ou du moins d’être condamné à la peine subie ! La conviction intime du juge de siège se trouve dans le dernier cas confortée par celle du magistrat du parquet ou d’instruction qui a décidé de l’incarcération. En matière délictuelle, l’appel interjeté par l’inculpé qui comparait librement, suspend l’exécution du jugement rendu en 1ère instance, alors que celui du détenu prévenu n’a aucun effet sur l’exécution de la sentence, à moins qu’une décision du juge de deuxième degré ne vienne le remettre en liberté provisoire. En matière criminelle, l’accusé qui se présente librement à l’audience ne subit sa peine qu’après avoir épuisé tous ses droits de recours tandis que l’accusé détenu est assuré de la subir immédiatement. Pour faire échec à ce qu’ils considèrent comme un abus de Droit, certains magistrats du Ministère Public ont l’habitude de faire réincarcérer les accusés mis en liberté provisoire la veille de leur procès. Ainsi, ils sont assurés qu’en cas de condamnation ils n’échapperont pas à la peine par des recours dilatoires. La détention préventive est, comme nous venons de le voir, très discriminatoire au niveau des ses conséquences. Elle est aussi très sélective. En effet, les hommes y sont plus soumis que les femmes, les chômeurs plus que les actifs et les récidivistes plus que les primaires, ce qui semble normal pour cette dernière catégorie ! Le fait de posséder un casier judiciaire vierge peut plaider en faveur d’une comparution à l’audience en état de liberté [4], même lorsque le délit revêt un certain degré de gravité, par contre, le délinquant en état de récidive est assuré de subir une période "préliminaire" de détention préventive, même pour un petit délit. On a également remarqué que les grands magistrats du Ministère Public ordonnent moins souvent des mesures de détention préventive que leurs collègues qui débutent dans la fonction. Il arrive fréquemment que certains prévenus passent des années en prison en cette qualité pour se voir en fin de compte acquitter ou admettre au bénéfice du doute. Les erreurs judiciaires les plus célèbres ont été commises au détriment de prévenus, qui, du fait de leur détention, se trouvaient dans l’impossibilité d’apporter la moindre preuve de leur innocence, alors que s’ils étaient restés en liberté, ils auraient vite fait de détruire les charges de l’accusation et prouvé leur innocence. Certes, il y a les cas où, la détention préventive devient une nécessité impérieuse visant à protéger le prévenu lui-même de la vindicte sociale, de garantir le bon déroulement de l’enquête en l’empêchant de fuir ou de détruire des preuves ou enfin, dans l’intérêt du maintien de l’ordre public. Cependant, il faudrait que la menace soit réelle et immédiate pour permettre de disposer de la liberté d’un individu. Entre la présomption d’innocence qui garantit la liberté de tout individu et l’abus de "prévention", il existe une frontière qu’il convient de redéfinir et qui ne doit jamais être franchie, une fois redéfinie. Le problème de la détention préventive a toujours suscité les passions et animé les débats entre ses partisans et ses détracteurs. Certains Etats se sont fait un point d’honneur de la contenir dans des limites draconiennes, notamment par l’imposition de délais maxima au-delà desquels le prévenu est remis en liberté provisoire de plein Droit ou encore par la responsabilisation des juges accusateurs, notamment par le biais de l’indemnisation des prévenus qui sont relaxés après une période de détention préventive abusive. En France, où le phénomène de la détention préventive n’atteint pourtant pas les mêmes proportions qu’au Maroc, en ce qui concerne notamment, le nombre élevé des relaxes et non-lieu après une période de détention, un projet de réforme de l’instruction élaboré par le Ministère de la Justice tend à réduire les cas de détention préventive et prévoit entre autres mesures le retrait du pouvoir d’incarcérer aux juges d’instruction au profit d’un "tribunal de mise en détention" à créer, et qui ne comprendrait aucun magistrat instructeur. Le même projet prévoit l’écartement des jeunes magistrats, qui n’auraient pas accompli un minimum de sept ans de services en cette qualité des fonctions de juge d’instruction [5]. Dans les pays de tradition anglo-saxonne, les pouvoirs des juges accusateurs, sont très réduits et les chances et possibilités d’éviter la détention préventive plus nombreuses (caution par ex.). Au Maroc, les détenus prévenus ou appelants forment la majorité des personnes incarcérées. Et pourtant, les rédacteurs du texte du code de procédure pénale n’ont pas manqué de souligner le caractère exceptionnel que doit revêtir le recours à une telle mesure, elle-même exceptionnelle, et la gravité de ses conséquences [6]. Le caractère exceptionnel de la détention préventive est dicté par l’adhésion au principe universel de la présomption d’innocence qui constitue une frontière entre l’Etat de Droit et l’Etat inquisiteur du moyen âge. L’incarcération d’un père de famille, prive cette famille de son soutien, souvent unique. La femme se trouve brusquement confrontée aux charges du foyer et aux dépenses occasionnées par l’emprisonnement de l’époux. L’absence de l’autorité parentale, et son ternissement par l’incarcération de son détenteur, peuvent avoir des effets néfastes et irréversibles sur le comportement ultérieur des enfants. L’individu incarcéré, n’est plus lui-même à sa sortie de prison. Même lorsqu’il est acquitté ou absous et lavé en conséquence de tout soupçon, l’environnement social lui reste hostile et demeure sceptique à son égard. Lui-même est marqué à jamais par les quelques jours, mois ou années passées dans le monde carcéral que nous avons décrit très superficiellement plus haut. Il a côtoyé des parias, fréquenté des êtres pervers et s’est lié d’amitié avec des criminels. Il s’en trouve à jamais marqué par le sceau indélébile de la prison, et comme nous l’avons démontré ci-dessus, la prison corrompt, avilit et pervertit ! Le prévenu acquitté ou relaxé à l’audience ne peut prétendre à aucune sorte de dédommagement. Il devrait, à notre avis, être mis en mesure d’exiger de la Puissance publique la réparation du préjudice que ses services lui ont causé. La durée de la détention préventive doit être assortie d’un délai maximum, au-delà duquel l’affaire doit être jugée en l’état, faute de quoi le prévenu devra être mis
en liberté. Nous estimons cent fois préférable d’acquitter un coupable que de maintenir un innocent en détention.

B - L’abus des peines de courte durée.
On constate une tendance générale des juges à prononcer des peines de courte durée. Cette tendance s’inscrit dans une optique dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est à l’opposé de celle poursuivie par l’Administration Pénitentiaire. Cette dernière axe sa politique et son action sur la rééducation des détenus en prévision de leur réinsertion sociale. Une telle action ne peut être envisageable dans un laps de temps réduit. Les courtes peines ne permettent pas de connaître assez l’individu pour décider du traitement à lui appliquer. Ainsi, les juges se limitent à l’aspect répressif des peines, alors que l’administration voudrait que son "projet social" soit pris en considération. Les petits condamnés encombrent inutilement les prisons. Il s’agit souvent d’auteurs de petits délits, multirécidivistes, sur qui l’emprisonnement n’a aucun effet, sinon négatif, surtout lorsqu’il est de courte durée. Sur 12.073 condamnés recensés au 31décembre 1984, 2.954 subissaient une peine inférieure à 6 mois, soit le quart des condamnés ! Pour cette catégorie de détenus, il est impossible d’envisager un quelconque programme de rééducation ou de réforme. Ils passent leur temps en prison dans l’oisiveté et le désœuvrement. D’ailleurs, l’expérience a démontré, que ce soit au Maroc ou ailleurs, que les courtes peines sont fâcheusement criminogènes. Elles s’avèrent néfastes et inopportunes. Elles constituent un véritable "bouillon de culture" ou "fermente" une récidive de l’ordre de 70 %. Cette catégorie de prisonniers parasite les prisons inutilement et constitue une pure perte pour le trésor public. Si on débarrassait les prisons de leurs parasites que sont les petits condamnés ainsi que les contraints par corps ou diminuerait du même coup l’effectif pénal de plus de 1/3, soit 4,250 individus. La surcharge globale sera également diminuée de 25 %. L’enjeu mérite que les responsables de la justice pénale y réfléchissent, surtout si on l’envisage sur une échelle plus grande qui inclurait une révision à la baisse des modalités de décision et d’usage de la détention préventive. Enfin, l’action judiciaire compromet la politique de réinsertion sociale par les mesures d’interdiction de séjour que les tribunaux prononcent à l’encontre des délinquants, et qui sont exécutées après la mise en liberté. Cette mesure consiste à interdire à un individu condamné de se rendre dans une localité ou une province. Généralement, il s’agit de son lieu de résidence habituelle avant l’arrestation. Elle constitue une véritable coupure entre l’homme et son milieu, une césure entre lui et son environnement naturel. Elle est un facteur d’échec de la politique pénitentiaire, dans la mesure ou elle éloigne l’individu de sa famille et de ses amis, auprès de qui il aurait pu trouver toute l’aide et la compréhension nécessaires pour son reclassement, et qui auraient pu l’épauler efficacement pour dénicher et détenir un travail qui lui permettra de se réinsérer. On constate en définitive que la justice pénale, à l’instar de la Législation qu’elle applique, ne procède pas des mêmes préoccupations ni ne poursuit les mêmes objectifs que l’institution pénitentiaire.

c-L’opinion publique et les détenus.
L’opinion publique brille par son absence du débat sur les problèmes pénitentiaires. A force d’être marginalisée et non-associée au problème de la délinquance, elle a fini par "s’en laver les mains". D’une manière sporadique, elle est mobilisée par les médias à l’occasion d’un événement ou d’une innovation, plutôt par l’événement sensationnel qui la fait frissonner de terreur, vibrer d’émotion ou trembler de peur, devant l’audace ou la bestialité d’un criminel. De temps en temps, les supports médiatiques rapportent des crimes dont l’horreur, et parfois la gratuité sont révoltantes. Alors, elle s’agite, tout le monde formule des avis, fait des critiques ou imagine des solutions. Cette agitation dure le temps de la procédure d’enquête et de jugement, jamais au-delà. Une fois jugé, le criminel fond dans la masse des condamnés, banalisé sous un numéro d’écrou et standardisé par le port du costume pénal. Toute la complexité de son acte criminel, de ses circonstances et de ses motivations se trouve relatée en quelques mots, rédigés dans un style télégraphique qui ignore la nuance et la gradation, tracés au crayon à bille sur une feuille blanche que le temps ternit à plus ou moins brève échéance : le dossier pénal. L’opinion se détourne de lui, et de son cas, et, du haut de son dédain, l’ignore complètement. Il a cessé d’être intéressant et il n’excite plus sa curiosité. Et pourtant, c’est lorsqu’il est placé en prison, après sa condamnation qu’un criminel devrait intéresser le corps social qu’il est appelé à rejoindre à plus ou moins brève
échéance. Le grand public s’intéresse aux spectacles. Sur ce plan, le criminel a plus d’atouts que le détenu. L’enquête que nous avons menée à cet effet et les interviews que nous avons effectuées convergent vers cette constatation. 52 % des personnes interrogées se souviennent de plus de cinq grands crimes commis durant les trois dernières années. 9 % se souviennent d’avoir suivi le procès en son temps. 2 % seulement ont une idée de la peine prononcée ! Personne n’a une idée sur la situation pénale actuelle de ces criminels. L’institution pénale et son excroissance pénitentiaire ont une image très ternie auprès de l’opinion publique qui croit fermement, à raison d’ailleurs, que les criminels sont rarement pris (70 %) et punis (72 %), et qui pense que la prison, plutôt que d’améliorer les détenus (13 %) avilit ses pensionnaires par le mauvais traitement (65 %). Cependant, le public croit en la nécessité des prisons au même titre que l’hôpital ou l’école (46 %) et que l’existence des prisons est rassurante pour les braves gens (54 %), au point qu’il faudrait en construire une par ville (47 %) ou même par commune (12 %). La prison a aussi ses ennemis qui y voient plutôt un mal (42%), mais un mal nécessaire (35 %). Le rôle de la prison est mal perçu par le public en général, et même par une grande partie de "l’intelligentsia". En effet, 57 % des étudiants questionnés croient que l’Administration Pénitentiaire est une Direction du Ministère de l’Intérieur. 2% seulement connaissent le nom du Directeur actuel. 38 % n’ont pas hésité à répondre que la peine de mort a été abolie au Maroc ! Le citoyen moyen ne s’intéresse pas aux questions relatives à la détention, à moins d’en être concerné à un titre ou a un autre. Il estime que "si ces gens sont arrivés là, c’est qu’ils le méritent", "Ils l’on bien cherchée, la prison". Les chercheurs ne réservent pas un intérêt particulier aux prisons ou à leurs occupants. A ce jour, un seul ouvrage sur les prisons Marocaines a été publié. Avec tout le respect dû à l’auteur, ce dernier s’est laissé orienter par une information "biseautée" et l’ouvrage reflète l’image que donne l’Administration Pénitentiaire d’elle-même : à savoir l’image d’une institution parfaite aux techniques opérantes et aux mécanismes bien rodés. Trois étudiants de l’E.N.A.P dont deux du cycle supérieur ont tenté d’apporter quelques éclairage sur l’institution carcérale. Les hommes politiques ne parlent des prisons que lorsqu’ils les utilisent pour argumenter leur discours. De mémoire de citoyen marocain, jamais un Ministre ou un homme politique n’a inauguré une prison. De tels édifices se construisent sans tapage et entrent en service presque clandestinement. Même lorsqu’il y a eu une petite cérémonie, elle n’est jamais relatée dans la presse. Cela peut avoir un mauvais effet. Il est difficile d’imaginer un candidat à la députation faire campagne pour les prisons ou les prisonniers, à moins d’un désir de se singulariser et de se ridiculiser. Au Parlement, la question n’est abordée que lors de la discussion des dotations budgétaires du Ministère de la Justice, à l’occasion de l’examen, par la chambre, de la loi des Finances. Seuls deux députés de l’opposition ont réclamé cette année la construction de prisons supplémentaires et l’agrandissement de celles en service. On, a pu remarquer le sourire de leurs collègues de la majorité à la Télévision. Un député, auquel nous avons demandé son avis sur l’opportunité de la création d’une sorte d’agence d’emploi qui serait chargée de procurer du travail aux détenus libérés nous a surpris en nous répondant que si un tel projet venait à être déposé devant la chambre des représentants, il s’y opposerait de toutes ses forces, devrait-il même pour cela se désolidariser avec son groupe. Il devait ajouter, devant notre étonnement, qu’il serait plus utile pour la société de procurer du travail d’abord pour ceux qui n’ont jamais transgressé la loi. Toujours selon, cet "homme politique" une telle initiative constituerait un appel au crime et un encouragement aux délinquants. Le discours change complètement lorsque ont aborde le problème des détenus d’opinion. Les passions se déchaînent et chacun y va avec ses avis et arguments. Il s’agit cependant d’une minorité qui ne doit pas occulter la masse imposante des droits-communs. La société admet difficilement toute probabilité d’amendement des délinquants. Elle refuse de leur tendre la main ou de faciliter leur réinsertion. Le détenu vit sa libération comme on vit un cauchemar. C’est en recouvrant sa liberté qu’il subit la partie la plus dure de sa peine. Si en prison, il n’était pas libre de ses mouvements, s’il y était surveillé, épié, réprimandé, battu et violé, il n’était pas rejeté. Il se sentait appartenir à un groupe, hétérogène et hétéroclite certes, mais conscient de la communauté de son existence. S’il n’était pas uni "pour" quelque chose, il était uni "contre" quelque chose à savoir l’ordre pénitentiaire. Par contre, une fois libéré, l’ex-détenu subit le mépris de ses concitoyens. On le fuit, on l’évite et on le montre du doigt. Ses anciens amis ne le "reconnaissent" plus, et même ceux qui daignent encore lui dire bonjour ou acceptent de serrer sa main tendue, plus par pitié que par autre chose, ne tiennent pas à se montrer en sa compagnie en public. Ainsi isolé, il se rabat malgré lui sur l’anti-société que constituent les délinquants. Il ne lui est resté que la porte de la prison ouverte et son chemin : la récidive. Et lorsqu’un délinquant repenti rechute, il le fait de manière plus dangereuse, plus violente et plus astucieuse. La société a semé en lui la haine, elle récoltera la violence ! Il y a un siècle le professeur LACASSAGNE, paraphrasant un juriste célèbre, lançait sa phrase Lapidaire : "Toute société a les délinquants qu’elle mérite". L’administration chargée des prisons assume une grande responsabilité dans l’orientation faussée de l’opinion publique. Mais, elle n’a pas que cela à se reprocher ou à déplorer. D’autres problèmes qui lui sont internes ou endogènes perturbent son action et pèsent sur ses résultats de manière négative.

2-Facteurs négatifs internes
La politique pénitentiaire ne souffre pas que de son environnement juridique, législatif ou social. Elle présente d’autres carences d’ordre interne ou endogène. En premier lieu, la centralisation de l’Administration Pénitentiaire doublée d’une concentration de tous les échelons décisionnels sans aucune délégation de pouvoirs aux services extérieurs a engendré un réflexe bureaucratique qui a tendance à s’accentuer et à "scléroser" le système tout entier. En second lieu, l’insuffisance des moyens humains et matériels, n’est pas de nature à lui permettre la réalisation de ses objectifs.

a-La centralisation - concentration de l’Administration Pénitentiaire.
L’Administration Pénitentiaire est fortement centralisée. Tous les pouvoirs y sont concentrés au niveau central. Toutes les décisions, ayant un minimum d’importance ou même parfois routinières, sont prises à l’échelon central. La "Direction Générale" intervient dans les plus petits détails de la marche du service. Dans cette situation, l’initiative des cadres des services extérieurs n’a pas droit de cité. Le rôle des responsables de ces services est réduit à celui de rouages inertes dans une machine commandée de l’extérieur. Ils exécutent les ordres et les décisions venus "d’en haut". Ils constituent dans le meilleur des cas des rouages de transmission qui acheminent vers la base l’impulsion reçue du sommet. Ils doivent appliquer scrupuleusement et sous peine de sanctions très sévères les instructions du "service central". L’administration centrale édicte le règlement intérieur des prisons, décide des modalités d’hébergement et de nourriture des détenus, assure le ravitaillement et passe les marchés locaux de fourniture. Les responsables des services extérieurs doivent demander son autorisation avant de prendre la moindre décision. Chaque service extérieur a, en moyenne, 4 à 6 communications téléphoniques par jour avec les différents services centraux, soit pour obtenir une autorisation soit pour recevoir des "instructions". L’avis du Service Central est sollicité à tous propos. Ainsi, à titre d’exemple et au risque de nous répéter, si un détenu tombe subitement malade, le Directeur de la prison est légalement tenu de le faire hospitaliser si son état de santé le nécessite, comme il est tenu de lui procurer les médications nécessaires. Pour le faire, il doit solliciter l’autorisation du Service Central par écrit et, s’il y a urgence ou gravité, une autorisation téléphonique pourrait être sollicitée à condition d’être confirmée ultérieurement par écrit. La conséquence en est que les détenus sont rarement soignés avec la célérité voulue. Lorsque l’autorisation d’achat de médicaments arrive enfin, le patient n’en a très souvent plus besoin. Il est soit libéré, soit transféré ou même décédé à moins que sa famille ne se soit substituée à la Puissance Publique entre temps, et fourni les remèdes nécessaires. Cette pratique qui était utilisée sous le protectorat durant la guerre, pour des raisons de rationnement et à cause des pénuries multiples, a survécu jusqu’à ce jour par conservatisme bureaucratique. Elle ne pourrait avoir d’autre signification que de rappeler aux "chefs d’établissement" qu’ils dépendent d’une "autorité" centrale ; cette autorité s’avère être souvent un agent subalterne qui se plaît dans sa situation de "petit chef", et qui donne ses "instructions" avec arrogance et d’un air volontairement supérieur. Caractéristique de l’Administration sous développée en général, la centralisation exprime plus un manque de confiance dans la compétence des services extérieurs qu’un désir du pouvoir absolu. Plus cette confiance est faible, plus la centralisation est accentuée et a tendance à orienter et conditionner l’action des services extérieurs. Certes, elle permet dans certains cas de rationaliser et d’uniformiser l’action de ces services, mais son excès tue l’esprit d’initiative et les facultés créatives et innovatrices de leurs responsables. Les responsables locaux, habitués à "tirer le parapluie" du service central, développent des réflexes de reproduction du système à leur échelon, s’érigeant en autorité centrale qui concentre tous les pouvoirs au niveau de leur prison. Aux relations d’échange entre base et sommet, se substituent des relations autorité/obéissance qui excluent toute initiative venant de la base. Tel un cercle vicieux, l’absence d’initiative engendre une dépendance du service central, dont l’emprise empêche l’initiative de se développer. Le décret de 1976, relatif à l’organisation et aux attributions du Ministère de la Justice, a prévu une sorte de déconcentration de l’Administration Pénitentiaire, notamment par la création d’un échelon régional intermédiaire. Malgré l’adoption en 1978 d’un texte qui en détermine le nombre, les compétences et l’implantation, à ce jour, aucune des trois Directions Régionales n’a vu le jour. Cette situation pourrait trouver son explication dans des considérations autres que financières et en dehors de la pénurie de cadres compétents ou valables. En effet, la centralisation concentrée a engendré une bureaucratie farouchement conservatrice qui pourrait ne pas voir d’un bon œil ses compétences rétrécir au profit d’un échelon intermédiaire qui s’érigerait en écran entre elle et son domaine traditionnel d’autorité et qu’elle devra traiter en égal. Une telle perspective n’enthousiasme pas les administrateurs centraux. Elle susciterait plutôt de leur part une résistance au changement qui serait à l’origine de la réalisation du projet de déconcentration.

b-L’insuffisance des moyens humains :
L’évolution quantitative de la population pénale que nous avons analysée dans les chapitres précédents, n’a pas été accompagnée d’une évolution proportionnelle des effectifs du personnel. Certes, ces effectifs ont connu une progression considérable surtout depuis 1973. Mais ils demeurent insuffisants pour permettre un encadrement valable de la population pénale. En effet, la proportion actuelle des agents affectés à la surveillance par rapport au nombre des détenus est très faible. Ils représentent 4% de l’effectif pénal. Autrement dit, chaque groupe de 4 agents est affecté à la surveillance d’un groupe de 100 détenus, 24 heures sur 24 et tous les jours de l’année. Si on tient compte des congés hebdomadaires, des fêtes légales, du congé administratif et des absences pour raisons de santé, cette proportion descend à 3 %, autrement dit, trois agents pour surveiller pendant 24 heures 100 détenus, soit un seul agent pendant 8 heures par jour. A titre de comparaison, il existe en Suède, 80 agents pour cent détenus (spécialistes compromis), au Japon 35 agents pour cent détenus et en France 25 agents pour cent détenus [7]. Cette insuffisance en nombre a pour conséquence immédiate le suremploi des agents qui se voient contraints d’accomplir des prestations de 14 heures de garde nocturne tous les 3 jours. Ce problème est aggravé par une autre insuffisance, qui a trait à la formation et à la qualification des agents. Les surveillants sont recrutés à un niveau culturel très bas. Jusqu’en 1974, le niveau exigé pour leur recrutement était fixé au certificat d’études primaires. Depuis cette date qui a vu paraître le nouveau statut du personnel, le niveau exigé est celui de la 3ème année du collège. Si on tient compte de la baisse constante du niveau de l’enseignement en général. On peut dire que le niveau réel de recrutement a été maintenu sinon abaissé. Les effectifs ainsi recrutés sont affectés aux établissements sans formation préalable. Dans le meilleur des cas, ils ont suivi un mini stage d’initiation de quelques semaines, où ils ont appris à manier une arme et à marcher au pas cadencé. Comme nous l’avons signalé plus haut, cette formation, déjà précaire n’a plus eu lieu depuis neuf ans. La rééducation des détenus suppose d’une part l’existence d’un personnel compétent et spécialisé pour l’entreprendre et, d’autre part la motivation de ce personnel pour l’encourager à mieux s’acquitter de sa tâche. En ce qui concerne la qualification, nous avons vu dans quelles circonstances les agents de l’Administration Pénitentiaire sont formés, et nous avons examiné l’aspect superficiel et très insuffisant de cette formation. On ne peut logiquement exiger des surveillants de fournir ce qu’ils n’ont pas reçu. La mauvaise formation donne les mauvais agents et l’absence de qualification aboutit à l’incompétence. L’élite est peu tentée par la profession pénitentiaire qui n’exerce sur elle aucun attrait. Il ne faut donc pas s’étonner que, surtout pour certains emplois, les fonctionnaires sont recrutés dans la catégorie des recalés du secondaire ou de ceux qui ne peuvent pas faire valoir des aptitudes particulières. Si déjà le niveau d’instruction de ces agents laisse à désir et que la formation est dérisoire, il ne faut pas s’attendre à des miracles en matière de résultats. En ce qui concerne la motivation et l’intéressement des agents, l’Administration Pénitentiaire n’offre à son personnel aucune compensation matérielle pour les encourager à mieux accomplir leur mission. L’agent pénitentiaire qui risque sa vie à longueur de journée, et il est arrivé que des agents périssent assassinés dans l’exercice de leur fonction [8], ne bénéficie pas d’un système indemnitaire en fonction des sujétions et des exigences d’une profession singulièrement ingrate. Pour toute récompense afférente à leur fonction particulièrement dangereuse, l’administration leur sert une indemnité de risque de 840 dh par an, soit 70 dirhams par mois, alors que pour des professions beaucoup moins dangereuses les agents classés à l’échelle n°2 perçoivent des primes variants entre 2.500 et 4.000 dirhams par an, ce qui constitue des avantages sociaux ou en nature. On peut donc dire que ce n’est point l’appât du gain qui pourrait inciter à embrasser la carrière pénitentiaire. On pourrait même, et sans grand risque d’erreur, avancer l’idée que ce sont ceux qui n’ont pas pu trouver mieux qui se rabattent sur de telles fonctions. Il ne sera plus étonnant dès lors de constater le niveau intellectuel généralement bas des agents subalternes. Les quelques éléments valables, nourrissent souvent deux ambitions. Celle de gravir au plus vite les échelons de la hiérarchie et d’arriver aux postes de commandement ou celle d’utiliser leur passage dans l’administration comme tremplin pour améliorer leur niveau culturel et acquérir une formation administrative qui leur servira dans une autre carrière mieux rémunérée et plus intéressante. L’Administration Pénitentiaire est appelée, si elle veut réellement se lancer dans l’exécution de son ambitieux projet de rééducation et réinsertion sociale des détenus, à améliorer la qualité de son personnel par une formation valable et approfondie, sans hésiter, s’il le faut, à faire appel à l’assistance et à la coopération techniques de pays amis qui sont avancés dans ce domaine. L’une des recommandations principales du " Rapport Eriksson " précité, concerne la formation qui continue d’être le talon d’Achille du système. Rien n’est fait pour lui donner la consistance et l’importance requises. Nous suggérons la réouverture du centre de formation professionnelle de l’Administration Pénitentiaire ou bien la création au sein de l’Institut National des Etudes Judiciaires (I.N.E.J.) d’une section pénitentiaire, destinée à la formation des cadres. Cette dernière alternative nous paraît plus rationnelle, car une telle section pourra ainsi bénéficier de l’expérience acquise par l’institut en matière de formation ainsi que d’un personnel hautement qualifié dans le domaine judiciaire. D’autre part, en matière d’assistance et de coopération technique le cadre institutionnel et la renommée de l’I.N.E.J. font que cet organisme est plus indiqué pour entreprendre des actions dans ce sens, en égard aux relations qu’il entretient avec des organismes semblables intégrés dans différents pays. Du point de vue socio administratif, cette perspective permettra d’unifier les optiques de Formation qui convergeront vers une justice intégrée verticalement au lieu de diverger comme c’est le cas actuellement. En effet, les juges et les responsables pénitentiaires ne sont pas imprégnés des mêmes idées en matière répressive, ce qui aboutit à des situations contradictoires et opposées selon qu’on se place du point de vue judiciaire ou pénitentiaire. Nous suggérons également que certains dispositions du statut du personnel de l’Administration Pénitentiaire soient enfin mises en application ; car jusqu’à présent aucune formation spéciale n’est assurée au profit des responsables des établissements pénitentiaires, ce qui aggrave leur dépendance du service central en matière d’initiative dans la prise de décision. Cette formation doit être au moins égale à celle d’administrateur adjoint. A ce titre, l’Administration Pénitentiaire peut faire appel à l’Ecole Nationale d’Administration Publique pour le recrutement de cette catégorie de fonctionnaire parmi les lauréats du cycle normal, dont le programme, qui sera au besoin complété par des missions d’études, des séminaires et des conférences, correspond aux exigences de la fonction de Directeur de prison en matière de connaissance théorique. Il faudra également institutionnaliser le contingentement des différentes catégories du personnel de l’Administration Pénitentiaire proportionnellement au nombre des détenus. A cet effet, les conclusions de la commission des réformes du Ministère de la Justice adoptées en 1976 par la commission interministérielle du plan, constituent une base de travail valable pour la réalisation de ce contingentement, mais il faudra penser au personnel éducateur qui peut être recruté parmi les licenciés en sociologie et psychologie et qui recevra une formation adéquate et d’un niveau élevé. Cependant, si la résolution des problèmes d’organisation administrative, de recrutement ou de formation du personnel est nécessaire. Elle demeure insuffisante, car, l’hébergement décent de tous les détenus pose des problèmes autrement plus délicats.

3-L’insuffisance des locaux de détention
La plupart des établissements pénitentiaires datent du début du protectorat. Souvent, il s’agissait de bâtiment préexistant qui ont été aménagées et reconvertis en prisons après avoir été caserne, casbah, poudrière ou simple écurie. Elles ont d’ailleurs gardé leur appellation originale à travers le temps. A l’heure actuelle, plusieurs d’entre elle sont insalubres et leur état de dégradation très avancé. En 1971, feu TORSTEN ERICKSSON, expert des Nations-Unies, fait état dans son rapport établi à l’intention du gouvernement marocain, de l’état de délabrement dans lequel se trouvent certains établissements et plus particulièrement celles de Rabat et de Casablanca. En effet, ces deux établissements qui hébergent à eux seuls près de 20% de la population pénale totale, sont dans un état de délabrement lamentable. Ils datent tous les deux d’une époque révolue. Leur architecture ne répond pas aux conditions d’hygiène, notamment en ce qui concerne l’aération et l’éclairage nécessaire. L’ancienne prison civile de Safi, par exemple, a été ébranlée et sérieusement endommagée par le séisme qui a frappé le Maroc en 1969. Tous les murs de la détention se sont lézardés de fissures béantes qui s’élargissent et annoncent son effondrement imminent . La moitié de cet établissement a été désaffectée par précaution. La partie désaffectée comporte des locaux de détention, les douches, la buanderie, les cellules de punition et l’infirmerie. Ainsi, cet établissement était réduit à 3 ou 4 salles (réfectoire et salle de classe inclus) où s’entassent quelques centaines de détenus sans aucun équipement collectif. Le nombre réduit des locaux ne permettant pas la séparation des différentes catégories pénales, d’où des risques de promiscuité, de perversion et de contagion, il n’a été désaffecté qu’en 1984, soit quinze ans plus tard. D’autres établissements présentent des conditions analogues de vétusté, d’exiguïté et d’insalubrité et doivent être désaffectés le plutôt possible. Cette situation critique résulte d’une lente dégradation des locaux laissés par le protectorat, plus particulièrement dans l’ex-zone sud, locaux dont l’état nécessitait déjà en 1956 leur réaménagement ou leur désaffectation définitive comme ça a été le cas en Algérie et en Tunisie. D’autre part, la progression des effectifs est constante depuis le début des années 60. Sa régularité permettait de prévoir le développement ultérieur des effectifs et de planifier en conséquence à long terme ou du moins à moyen terme pour les héberger. La planification en fonction de ce critère n’a fait son apparition qu’en 1973, à l’occasion de la préparation du plan de développement économique et social 1973-1977. Les projets qui y ont été retenus auraient permis d’atténuer la crise d’hébergement s’ils avaient bénéficié de l’efficacité et de la rapidité de réalisation nécessaires. Ils auraient dû bénéficier des mesures de révision de ce plan intervenues en 1974, et les responsables auraient pu profiter de l’effet de la manne apportée par la flambée du prix des phosphates pour en activer la réalisation dans les meilleurs délais. L’Administration Pénitentiaire a préféré insérer de nouveaux projets lors de cette révision. Les calendriers initiaux ont donc été maintenus et avec l’effondrement du prix de la tonne de phosphates et les retombées de la crise économique mondiale, ces projets ont été gravement compromis. A ce jour, un seul est entré en service à Safi, et encore, il n’est pas encore totalement achevé. La capacité de ces projets qui était jugée suffisante à l’époque de leur prévision ne l’est plus aujourd’hui. Elle le sera moins demain. Il en résulte que même si ces projets, bénéficiant de circonstances exceptionnelles aboutissent du jour au lendemain, ils connaîtront une pression démographique de l’ordre de 150 à 200 %, le jour même où il entreront en service. L’Administration Pénitentiaire n’a pas cessé depuis 1972 d’attirer l’attention du Gouvernement sur la gravité de la situation et sue les conséquences qui en résultent, notamment ses répercussions sue l’état de santé des détenus qui sont ainsi exposés à tous les risques que font encourir les concentrations humaines dans des espaces réduits, particulièrement des épidémies et les risques de contagion ainsi que celles qui pourraient rejaillir sur la sécurité et l’efficacité de l’institution. Les besoins de l’Administration Pénitentiaire sont chiffrés actuellement en matière de construction à 482.500.000 dirhams répartis comme suit :
1 Achèvement des Projets en cours d’exécution : 85.500.000,00
2 Réalisation de deux pénitenciers agricoles : 20.000.000 ,00
3 Construction de 12 Prisons civiles : 72.000.000,00
4 Construction de 122 maisons d’arrêt : 305.000.000,00
TOTAL : 482.500.000, 00 [9]
L’hébergement des détenus constitue l’une des difficultés que doit surmonter l’Administration Pénitentiaire pour pouvoir s’acquitter de sa tâche. A ce jour, aucune solution n’apparaît encore à l’horizon pour ce délicat problème. Sous d’autres cieux, des solutions ont été imaginées, envisagées et même mises en pratique. Ainsi, dans plusieurs pays qui ont une structure étatique décentralisée, d’autres collectivités publiques ont pris le relais de l’Etat central. Tel est le cas des Etats Fédérés qui gèrent leurs prisons dépendant du gouvernement local. On a même vu des Etats unitaires associer les élus à la gestion des Affaires pénitentiaires et de ce fait, un système de prisons locales coexiste dans plusieurs pays avec le système centralisé de l’Etat ; Aux Etats-Unis, terre de l’initiative privée, des prisons privées disposant d’un personnel qualifié et des moyens sophistiqués apporte son concours rémunéré à l’Etat en la matière. En France, où le problème d’hébergement se pose dans des termes qui avoisinent ceux de la situation des prisons marocaines, la privatisation des prisons a été sérieusement envisagée comme solution réalisable. Longtemps à l’ordre du jour, elle a été écartée, plus pour des raisons politiques et électorales que pratiques ou même juridiques. Car en dépit de ce qui a été dit ou écrit, le projet de loi "CHALANDON" ne prévoyait pas de confier la totalité de la mission pénitentiaire au privé [10]. Le volet du décompte de peine ou celui des sanctions devaient être confiés à des cadres de l’Etat. Malgré le retrait du projet, il a porté des fruits. En effet, dès le début 1987, le Ministre de la Justice obtenait la construction de 5.000 places au cours de l’année 1987, 15.000 autres devaient être construites selon le même rythme [11]. Au Maroc, la solution ne semble pas devoir venir du secteur privé qui n’a pas encore l’envergure financière pour une telle entreprise. En ces années de vaches maigres, l’Etat ne peut pas non plus entreprendre la réalisation des projets de construction, de l’Administration Pénitentiaire dans un avenir prévisible. Nous avons vu ci-dessus qu’ils ont été évalués à 50 milliards de centimes en 1973, soit plus du triple aujourd’hui. Le coût de toutes ces constructions dépasse ce qu’il est possible ou raisonnable de prélever sur le revenu national, déjà éprouvé par la dette extérieure et la guerre imposée au pays dans nos provinces sahariennes, et il serait démagogique, voire utopique de vouloir accorder à l’équipement pénitentiaire la même priorité que les besoins vitaux de la nation tels que la santé, l’éducation ou la défense nationale. Pendant que nous rédigions ces lignes, l’effectif pénal a sûrement augmenté de quelques centaines d’individus, et dépasserait à l’heure actuelle les 31.000 individus, ce qui aggrave plus encore les difficultés d’hébergement. Dans ces conditions, il devient urgent de trouver une solution pour contenir tout ce monde. Nous avons pensé au cadre local. L’une des solutions qu’on pourrait envisager en effet, est celle qui consisterait à associer les collectivités locales à la gestion de leur délinquance. Ainsi les élus pourraient prendre en charge une partie de la population pénale dans les petites maisons d’arrêt dont la construction et la sécurité seraient beaucoup moins coûteuses que celles des grandes prisons, fourniraient des emplois au niveau des communes concernées. La Direction de tels établissements pourrait être confiée à des cadres pénitentiaires et les relations avec l’Administration Pénitentiaire seront définies dans des accords bilatéraux. Tant que les prisons sont surpeuplées, aucun programme de réforme ou de réinsertion des détenus ne pourra être sérieusement envisagé.

[1] A partir de la 2° moitié du 19° siècle, la France s’était lancée dans un vaste programme de construction de prisons cellulaires. En 1911, l’A.P. a été rattachée au Ministère de la Justice.

[2] Siège du Ministère des Affaires Etrangères Français à Paris, dont relevait la gestion des affaires marocaines.

[3] Dahir n° 1.58.008 du 4 chaâbane 1377 (24.02.1958) portant statut général de la Fonction Publique - article 21 - alinéa 2- B.O n° 2372 du 11.04.1958 - page 631 - F.D. : imprimerie Officielle ’ RABAT

[4] Procédure de la "citation directe".

[5] LE MONDE du 6 octobre 1987

[6] Projet de code de procédure pénale-Ministère de la Justice- 1958/59 - Note de présentation

[7] Projet de budget de l’Administration Pénitentiaire pour l’année 1977 - Note de présentation.

[8] Le 23 décembre 1987, Un jeune gardien a été froidement assassiné par deux détenus dont il avait la garde à la Maison Centrale de Kenitra ’ journal L’OPINION ’ édition du 25 décembre 1987

[9] Source : Projet de Budget de l’Administration Pénitentiaire 1977 ’ Note de présentation

[10] S. STEIN - « Prisons Privées - Mode d’emploi » in L’EXPRESS ’ 10 au 16 OCTOBRE 1986

[11] Le Provençal ’ 25/9/86