247 personnes détenues sont décédées en prison en 2002 : 122 à l’issue d’un suicide et 125 à la suite d’une mort naturelle. Depuis le début des années 1990, l’administration pénitentiaire a été confrontée à un doublement du nombre des suicides parmi les personnes détenus. Rapports et circulaires se sont multipliés sur cette question. Initiée par la circulaire du 29 mai 1998, la politique de prévention du suicide en milieu pénitentiaire a été complétée par celle du 26 avril 2002 qui renforce le dispositif existant en matière de formation des personnels, du repérage du risque suicidaire et de soutien aux personnes présentant ce risque. Une commission centrale de suivi des actes suicidaires a été mise en place par l’administration centrale le 21 novembre 2002. Rendues publiques en décembre 2003, les conclusions du Professeur Terra - qui s’est vu confié une mission de réflexion par les ministères de la Justice et de la Santé - font état de nombreux dysfonctionnements. Le psychiatre souligne notamment que « la prévention du suicide n’est pas toujours conçue comme un risque à gérer et à prévenir de façon conjointe par les acteurs pénitentiaires et sanitaires avec des objectifs, une stratégie et des actions partagées ». Son rapport émet un certain nombre de recommandations visant une diminution en cinq ans de 20% du nombre des suicides en prison. Un objectif annoncé de concert, le 10 décembre 20002, par le garde des Sceaux et le ministre de la Santé.
543 Comment s’organise la prévention du suicide auprès des détenus arrivants ?
Pour les chefs d’établissement, la prévention du suicide doit débuter par le fait de porter une attention prioritaire lors de la période d’accueil du détenu arrivant. Les agents du greffe ou de surveillance sont invités à une particulière vigilance afin de repérer les détenus en état de détresse. Ils doivent informer le détenu des différentes phases de la procédure d’accueil. Le placement du détenu au sein d’un quartier d’arrivants ou d’une cellule spécifique dédiée à l’accueil doit permettre de prolonger l’observation de la personne et de prévenir tout risque de suicide. Cependant les quartiers arrivants ne sont pas généralisés au sein des établissements. La personne détenue doit également être reçue par le chef d’établissement le jour de son arrivée ou le lendemain et par le service médical dans les délais les plus brefs. Si le comportement d’un détenu semble justifier une prise en charge médicale d’urgence, l’équipe médicale doit en être alertée par le gradé de permanence, lui-même alerté par un surveillant. Les règles d’hygiène (remise d’une trousse de toilette, douche dans les plus brefs délais, fourniture de sous-vêtements...) doivent être scrupuleusement respectées. Le détenu doit pouvoir bénéficier rapidement du linge apporté par sa famille, même lorsque le permis de visite n’a pas encore pu être obtenu, ainsi que du nécessaire pour correspondre avec ses proches. Une fiche de signalement doit être établie à l’arrivée de chaque détenu et doit aider le personnel à décider des mesures adaptées aux personnes répétées comme suicidaire. Le personnel doit bénéficier d’une formation à cette fin. Cette fiche sera classée au dossier individuel de la personne, transmise à l’UCSA et à l’équipe psychiatrique si l’établissement en dispose et au SPIP.
Articles D.61, D.250-3, D.270, D.272, D.285, D.357, D.359, D.423, D.464 du Code de procédure pénale, circulaire JUSE9840034C du 29 mai 1998 sur la prévention des suicides, circulaire du 26 avril 2002 sur la prévention des suicides dans les établissements pénitentiaires.
544 Comment s’organise la prévention du suicide en cours de détention ?
La vigilance du personnel pénitentiaire est demandée pendant un séjour du détenu au quartier disciplinaire. Il est désormais interdit de placer un détenu nu au mitard, même en lui laissant des sous-vêtements en fibres non-tissées, fût-il suicidaire. Il est également rappelé que la mise en prévention au quartier disciplinaire avant le passage en commission de discipline doit rester exceptionnelle. Dans son rapport, le Professeur Terra recommande de pratiquer un examen psychiatrique pour les personnes présentant un risque suicidaire avant tout placement au quartier disciplinaire et de rechercher des alternatives à ce placement lorsque le risque de suicide est confirmé. Le personnel pénitentiaire doit également être plus attentif pendant la nuit et le week-end. Il lui est rappelé de ne pas négliger la consignation dans les cahiers ou fiches d’observation des éléments d’information collectés au cours de son service. Par ailleurs, un dialogue doit être immédiatement établi avec les auteurs d’actes auto-agressifs (automutilation, tentative de suicide...). Ils doivent rencontrer le directeur ou son délégué, des membres des services médical et socio-éducatif le plus rapidement possible. Enfin, il est nécessaire de permettre aux personnes détenues présentant un risque suicidaire d’avoir accès aux activités de l’établissement. Ainsi, la personne peut se voir proposer un travail, être incitée à suivre une formation, bénéficier d’un enseignement ou participer à des activités. Le personnel peut également décider d’affecter auprès de la personne suicidaire un codétenu. Cette décision doit être prise en fonction des besoins réels de la personne présentant un risque et après sollicitation d’un avis médical. Le détenu doit être choisi avec le plus grand discernement et doit avoir sciemment accepté cette tâche.
Articles D.61, D.250-3, D.270, D.272, D.285, D.357, D.359, D.423, D.464 du Code de procédure pénale, circulaire JUSE9840034C du 29 mai 1998 sur la prévention des suicides, circulaire du 26 avril 2002 sur la prévention des suicides dans les établissements pénitentiaires.
545 En cas de suicide, que doit faire le chef d’établissement à l’égard des codétenus et du personnel de surveillance ou médical ?
En principe, le choc que constitue un suicide pour les codétenus doit être pris en charge. Ils doivent être signalé systématiquement au personnel médical de l’UCSA et aux travailleurs sociaux du SPIP afin qu’un suivi soit engagé. Le chef d’établissement doit également les réunir pour leur fournir des informations. En pratique, il arrive souvent qu’ils soient simplement changés de cellule ou transférés dans une autre prison. A l’intention des personnels qui le souhaitent, le directeur régional des services pénitentiaires doit organiser dans chaque prison où a eu lieu une tentative de suicide ou un suicide une ou plusieurs séances de parole sous la direction d’un psychologue. La première séance doit avoir lieu dans les jours qui suivent l’événement. Tout membre du personnel (pénitentiaire ou médical) doit pouvoir y participer.
Circulaire JUSE9840034C du 29 mai 1998 sur la prévention des suicides, circulaire du 26 avril 2002 sur la prévention des suicides dans les établissements pénitentiaires.
546 Que se passe-t-il en cas de décès d’une personne détenue ?
En cas de suicide, mort violente ou si la cause du décès est inconnue ou suspecte, le chef d’établissement doit se rendre immédiatement sur place et recueillir les renseignements utiles sur le défunt, les circonstances et les mesures prises. Il doit également veiller à faire préserver les lieux où s’est déroulé le suicide. Par ailleurs, un officier de police judiciaire doit également se rendre sans délai sur les lieux et procéder aux premières constatations. Le procureur de la République ou un officier de son choix se rend sur place s’il le juge nécessaire afin de déterminer les circonstances du décès. Il peut alors engager une information pour recherche des causes de la mort. En pratique, tous les décès survenus en détention font l’objet, à la demande des parquets, d’une information pour recherche des causes de la mort et par conséquent d’un rapport d’autopsie.
Articles 74 et D.282 du Code de procédure pénale, circulaire du 26 avril 2002
547 Quelles autorités le chef d’établissement doit-il avertir en cas de décès d’un détenu ?
Le chef d’établissement doit informer le préfet, le procureur de la République, le directeur régional des services pénitentiaires et le ministre de la Justice de tout décès en détention. Si le détenu décédé était prévenu, l’information doit également être adressée au magistrat saisi du dossier de l’information ; s’il était condamné, au juge de l’application des peines. Une déclaration de décès est également faite à l’officier de l’état civil. Le lieu du décès ne doit être indiqué dans l’acte de décès que par la mention de la rue et du numéro de l’immeuble. L’aumônier et le visiteur de prison qui accompagnaient éventuellement le détenu doivent également être avisés du décès.
Articles D.280, D.282 et D.427 du Code de procédure pénale, article 84 du Code civil
548 Comment le chef d’établissement doit-il informer les proches d’un détenu qui vient de décéder ?
En cas de décès d’un détenu, sa proche famille doit en être immédiatement informée : il peut s’agir de famille naturelle comme légitime ; du concubin au même titre que du conjoint. Des parents même éloignés peuvent également être avertis s’ils portaient un intérêt particulier au détenu ou si des circonstances particulières le justifient. A son écrou, le détenu aura désigné les personnes à prévenir dans ce cas. Le chef d’établissement doit avertir personnellement les proches du détenu par le moyen le plus rapide, soit le téléphone, et leur expédier en outre un télégramme pour donner un support écrit à l’information. Il doit relater les faits et proposer, systématiquement, aux proches contactés, une entrevue dans les meilleurs délais,, (si possible le lendemain ou le lundi suivant, en cas de suicide survenu au cours d’un week-end). A défaut d’acceptation immédiate par les proches, le chef d’établissement doit les inviter à reprendre attache avec lui pour convenir d’un rendez-vous ultérieur, en insistant sur l’important d’une rencontre. Dans l’hypothèse où une mesure d’autopsie serait ordonnée, le chef d’établissement doit tenter d’obtenir, en préalable à la rencontre avec les proches, des précisions suffisantes sur le moment auquel elle sera pratiquée. Lors de la rencontre entre les proches et le chef d’établissement, un membre du personnel ou un travailleur social qui connaissait le suicidé doit être présent. Seules les informations vérifiées et sûres peuvent être délivrées à la famille. Elle est notamment informée de l’heure supposée et du mode de suicide, des circonstances de la découverte et, le cas échéant, de ce qui a été fait pour tenter de le sauver. Si le détenu avait fait l’objet d’un placement quartier disciplinaire, le directeur doit en donner les raisons exactes. L’entretien ne peut porter sur des éléments touchant à la vie privée du détenu (traits de personnalité, toxicomanies, pathologies graves...). Par ailleurs, le chef d’établissement doit proposer systématiquement aux proches de rencontrer un médecin psychiatre, un médecin ou un psychologue. Le chef d’établissement doit également proposer aux membres de la famille une visite de la cellule de la personne suicidée. Cette visite ne peut, pour des raisons de sécurité, concerner qu’un nombre limité de proches. Le service d’insertion et de probation peut également être sollicité par la famille et l’aider dans ses éventuelles démarches. En pratique, il arrive que les proches d’un détenu décédé ne parviennent pas à obtenir les explications qu’ils demandent sur les circonstances du décès et que l’annonce de celui-ci leur soit faite en l’absence de toute précaution.
Article D.427 du Code de procédure pénale, circulaire DAP du 12 mai 1981, circulaire du 2- avril 2002
549 Comment les proches d’un détenu décédé peuvent-ils récupérer ses affaires personnelles ?
Les objets et valeurs conservés par l’établissement pénitentiaire après le décès d’un détenu doivent être remis à la personne présentant au chef d’établissement un certificat d’hérédité. Ce certificat est délivré par la mairie de la commune de résidence du défunt ou des héritiers, si la valeur des biens du détenu est inférieure à 5.340 €. Si la mairie refuse de délivrer un certificat d’hérédité, ce qu’elle est en droit de faire, ou si les biens et valeurs excèdent 5.340 €, l’hérédité sera établie par un certificat de notoriété délivré par un notaire ou un juge d’instance. Sur présentation d’un tel document, le chef d’établissement doit remettre les biens du détenu et conserver le document comme justificatif de la remise des effets aux héritiers. Dans le cas où personne n’a réclamé les affaires d’un détenu dans un délai de trois ans après le décès, les objets sont remis à l’administration des domaines et les valeurs au Trésor public. L’administration pénitentiaire n’est dès lors plus responsable des biens au cas où une personne les réclamerait.
Article D.341 du Code de procédure pénale, note DAP du 13 février 1997
550 Qui a la charge des frais d’obsèques d’une personne décédée en prison ?
Les frais d’obsèques sont à la charge de la famille du détenu. Ils ne seront pris en charge par l’administration que dans l’hypothèse où aucune famille ou héritier ne se manifeste. L’inhumation a alors lieu dans la commune du lieu de décès sur la base du tarif le plus économique. Si l’héritier se manifeste ultérieurement, il devra rembourser l’administration des frais qu’elle aura engagés. Les frais de transport de la dépouille du détenu peuvent par contre dans certains cas être assumés par l’administration, dans le cadre de l’aide aux indigents prévue à leur libération. Si le décès a eu lieu dans un établissement pénitentiaire ou hospitalier situé dans le ressort judiciaire dont relève la résidence habituelle du détenu, il n’y a pas de prise en charge de l’administration, sauf à titre exceptionnel quand la situation de la famille est particulièrement critique. Si le décès a eu lieu dans un établissement situé hors du ressort judiciaire dont relève la résidence habituelle, l’administration peut prendre en charge les frais de transport du corps sur la base du tarif le plus économique et à la demande de la famille du défunt. Il faut cependant que la famille et les héritiers du défunt soient sans ressources (ce qui pourra être établi notamment par tout document fiscal) et le patrimoine du défunt insuffisant pour permettre cette prise en charge.
Article D.483 du Code de procédure pénale, note DAP du 3 septembre 1984
551 Peut-on engager une action en responsabilité de l’Etat en cas de suicide d’un détenu ?
Les juridictions administratives françaises ont retenu à plusieurs reprises les responsabilité de l’Etat, à raison de négligences ou de dysfonctionnements ayant créés des conditions propices au suicide d’un détenu. Encore récemment, le juge administratif exigeait que l’administration ait commis une faute lourde - c’est-à-dire une faute d’une gravité évidente, apparaissant comme telle pour n’importe que observateur - pour retenir la responsabilité de l’Etat. Depuis un arrêt du 23 mai 2003, le Conseil d’Etat semble admettre qu’une faute simple doit de nature à engager la responsabilité de l’administration pénitentiaire du fait d’un suicide. Dans de telles affaires, le juge administratif est le plus souvent amené à dire si les antécédent médicaux ou l’expression claire d’une détresse aurait dû amener le personnel pénitentiaire et/ou médical à prendre des dispositions particulières. Plus généralement, il recherche si le fait reproché à l’administration pénitentiaire avait une vocation particulière à provoquer le passage à l’acte suicidaire. Dans l’affirmative, il peut condamner l’Etat à verser des dommages intérêts à la famille du défunt.
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