Publié le vendredi 12 décembre 2003 | http://prison.rezo.net/2003-synthese-des-recommandations/ Synthèse des recommandations du rapport Terra - 11/12/2003 Synthèse du rapport et liste des recommandations 1. Méthode de travail La mission qui m’a été confiée, le 23 janvier dernier, par le garde des Sceaux, ministre de la Justice et le ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes Handicapées porte sur la prévention du suicide dans les établissements pénitentiaires. Ses objectifs sont de faire un bilan des actions engagées et de proposer un programme complet de prévention. Grâce à la collaboration des services concernés, j’ai examiné en détail l’organisation actuelle de la prévention du suicide au travers d’auditions, de l’examen d’un vaste ensemble de documents, comprenant les textes réglementaires, et par la visite de 17 établissements pénitentiaires. Ces visites organisées selon le parcours du détenu ont permis de nombreuses rencontres avec les personnels pénitentiaires, sanitaires, les bénévoles et les personnes détenues. Je me suis également documenté sur les expériences des pays qui conduisent une politique de prévention du suicide pour les personnes détenues. Le rapport contient 17 recommandations concrètes pour améliorer la prévention du suicide, notamment pour mieux détecter les personnes en crise suicidaire et pour mieux les protéger. Six facteurs généraux de réussite d’un programme de prévention sont identifiés. L’application de certaines recommandations pourrait être effective dès janvier 2004. La synthèse regroupe les recommandations sous forme de 7 priorités. 2. Les constats La mission a permis de constater l’engagement continu et de longue date l’Administration pénitentiaire pour prévenir le suicide. Cette dernière est dotée d’un système de recueil précis des suicides complété par une Commission centrale de suivi des conduites suicidaires qui a pour mission de les analyser et d’améliorer la prévention. Groupes de travail, missions et inspections se sont succédés ces dernières années avec pour résultat un ensemble de textes réglementaires. Cette volonté se retrouve dans les établissements sous forme d’actions, plus ou moins systématiques, et d’expériences pilote. Des bilans réguliers de ces actions sont entrepris. Cependant l’absence d’infléchissement du nombre des suicides a conduit, ces dernières années, à une accélération du rythme de production des recommandations. Le ministère de la Santé s’est vu associé de plus en plus à cette politique de prévention du suicide pour les personnes détenues. Les Programmes régionaux de prévention du suicide puis la Stratégie nationale d’action face au suicide depuis 2000 ont permis la construction d’un partenariat dont l’équilibre n’est pas encore trouvé. La Direction générale de la santé a permis l’élaboration de recommandations pour l’intervention de crise suicidaire par la Fédération française de psychiatrie en octobre 2000. Une formation de formateurs est organisée à grande échelle qui inclut progressivement les professionnels exerçant en établissement pénitentiaire. Les institutions et les acteurs pouvant agir pour prévenir le suicide sont trèsnombreux à tous les niveaux : national, régional et local. La cohérence et la synchronisation de leurs contributions respectives sont à rechercher. Des lacunes existent pour évaluer le risque de suicide et surtout pour détecter une crise suicidaire La prévention du suicide dans les établissements visités montre des lacunes qui sont en accord avec les documents examinés. Ces lacunes expliquent en grande partie l’absence de diminution du suicide. La grille proposée de la circulaire « santé/justice » du 26 avril 2002, renseignée par les personnels pénitentiaires, est peu utilisée et est rarement un outil de prévention partagé avec les personnels sanitaires. L’identification des facteurs de risque de suicide est insuffisante, en particulier, pour la recherche des antécédents personnels de tentative de suicide et les troubles psychiques dont la dépression. Le repérage des personnes en détresse est très insuffisant pour prévenir le suicide car il ne présente aucun caractère systématique. L’exploration attentive de l’idéation, de l’intentionnalité et de la programmation suicidaires n’est faite que lorsque la personne en parle spontanément. Ainsi, seulement un quart des personnes décédées par suicide avaient été repérées comme suicidaires. Le degré de l’urgence suicidaire n’est pas évalué selon un langage commun. La « chaîne des arrivants » est une organisation favorable à la prévention du suicide. La mise en place de quartiers arrivant est un réel progrès sauf lorsque le flux des incarcérations empêche leur fonctionnement normal. Les visites ont montré à côté de modes de coopération exemplaires des dysfonctionnements qui font que les intervenants n’arrivent pas être ensemble, simultanément et successivement, pour gérer et prévenir ce risque. Les informations pertinentes peuvent être disséminées alors que leur synthèse conduirait à une appréciation toute autre de la situation que Le traitement des troubles psychiques et de la dépression est très inégal L’engagement de toutes les équipes de psychiatrie pour traiter les troubles La surveillance spéciale ne peut à elle seule réduire le nombre de suicides Le risque de placer une personne détenue en crise suicidaire au quartier disciplinaire n’est pas maîtrisé Le placement de personnes détenues au quartier disciplinaire ne fait pas l’objet d’une réflexion suffisante sur l’existence ou non d’une crise suicidaire sous-jacente. La mise en prévention au quartier disciplinaire constitue une menace supplémentaire qui peut accélérer l’évolution suicidaire. L’intuition des intervenants n’est pas complétée par une évaluation systématique Globalement le suicide est une préoccupation importante des établissements pénitentiaires et sa survenue est toujours un drame pour les familles, les professionnels et les bénévoles. Sa prévention n’intègre pas encore tous les aspects essentiels qui caractérisent la gestion d’un risque. En particulier, la détection des facteurs de risque et le dépistage d’une crise suicidaire ne sont pas systématiques. Les mesures de protection de surveillance et les actions de soins ne sont pas assez articulées autour de concepts et de pratiques partagés. 3. Les priorités Première priorité L’objectif national que je propose est une réduction de 20% en 5 ans du nombre de suicide des personnes détenues (Recommandation 1) Deuxième priorité A terme, il est nécessaire de former l’ensemble des intervenants pour disposer d’un langage et de critères d’évaluation partagés. La formation doit permettre d’acquérir les compétences pour l’intervention de crise suicidaire. Elle n’est, ni un soin, ni une psychothérapie, mais simplement un ensemble d’attitudes face à une détresse psychologique pour laquelle le suicide devient progressivement une solution puis la seule solution (idées, voire menaces, puis intention et enfin programmation...). La formation nationale mise en place par la Direction générale de la santé (DGS) et les Direction régionales de l’action sanitaire et sociale (DRASS) doit permettre de former, d’ici fin 2005, 2000 professionnels et bénévoles intervenant auprès des personnes détenues (Recommandation 2) Parmi les 120 formateurs nationaux disponibles en janvier 2004, il y aura trois enseignants de l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP) et au moins trois médecins, chefs des Services médico psychologiques régionaux (SMPR). L’inclusion de ce contenu dans les formations initiales dont l’ENAP, les facultés de médecine et de psychologie, ainsi que les instituts de formation de soins infirmiers est un processus en cours qui est à généraliser. Je propose un projet de document pour évaluer le potentiel suicidaire de la personne de la garde à vue à la détention afin d’éviter au mieux la perte d’informations essentielles. Ce document viendrait se substituer à celui annexé à la circulaire du 26 avril 2002 serait la base du système documentaire pour la prévention du suicide (Recommandation 5). La formation qui insiste sur les facteurs de risque du suicide devrait permette un meilleur dépistage et un meilleur traitement de la dépression (Recommandation 3) et des autres troubles psychiques grâce à l’action des médecins généralistes et des psychiatres travaillant dans les Unités de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) et les SMPR (Recommandation 13). Je recommande aussi qu’une politique d’amélioration continue des soins, déjà engagée dans quelques établissements, soit généralisée à l’ensemble des UCSA et SMPR (Recommandation 14). Troisième priorité Si une sanction est prononcée, celle-ci doit être exécutée lorsqu’un équilibre émotionnel est retrouvé. Quatrième priorité La surveillance spéciale est à compléter de plans d’intervention gradués selon l’urgence suicidaire. La participation de la personne à sa propre protection est à privilégier par rapport aux mesures passives. Un référent pénitentiaire et un référent sanitaire sont à désigner comme garants du processus de protection. La limitation de l’accès aux moyens du suicide est à poursuivre avec la suppression des potences de télévision et la réduction des points permettant l’arrimage d’un lien (Recommandation 9). Je propose également l’aménagement de cellules sécuritaires et l’étude de leur disposition afin qu’il soit possible d’exercer une surveillance dans certains cas (Recommandation 10). Cinquième priorité D’autre part, ce sont toutes les actions pour prévenir les dysfonctionnements qui peuvent susciter des souffrances inutiles, de la méfiance, de la dévalorisation, de la colère et à terme du désespoir (Recommandation 8). Les possibilités de détection des personnes suicidaires sont dépendantes du climat qui règne en détention et des relations instaurées avec les professionnels et les bénévoles. Sixième priorité Cette postvention inclut la façon dont on annonce le décès, dont on en parle et dont les médias le relatent. Je rappelle les recommandations que les médias suivent dans d’autres pays et les rôles qu’ils peuvent jouer pour prévenir le suicide (Recommandation 16). Septième priorité Je propose d’étendre cette possibilité d’analyse à l’ensemble des décès par suicide qui surviennent en France, notamment en milieu hospitalier et médico-social. Un système d’analyse, analogue de celui des coroners dans d’autres pays, favoriserait le « retour d’expérience » nécessaire à l’amélioration continue de la prévention EN CONCLUSION Le rapport contient 17 recommandations dont certaines peuvent avoir une 4. Les 17 recommandations A. Un objectif national B. La formation à l’intervention de crise Afin de favoriser le repérage et la prise en charge précoce d’une crise suicidaire, il est nécessaire d’envisager aussi cette formation pour les professionnels qui interviennent en amont de l’écrou, lors de la garde à vue et lorsque la personne est déférée au Parquet. Le périmètre des personnes à former inclut les intervenants de la téléphonie sociale qui devrait bénéficier à plus de personnes détenues. La formation de codétenus doit être expérimentée dans des sites pilote selon l’exemple d’autres pays (détenus confidents) pour évaluer l’opportunité d’une extension plus large. C. Améliorer le dépistage et le traitement de la dépression Le repérage des symptômes, le diagnostic et le traitement de la dépression doivent être des objectifs prioritaires des UCSA et des SMPR. Les médecins généralistes ont, comme les psychiatres, un rôle déterminant à jouer. Le taux de personnes en surveillance spéciale, pour risque de suicide et recevant un traitement antidépresseur, est un indicateur à suivre. Dès maintenant, la formation à l’intervention de crise, évoquée plus haut, met l’accent sur la dépression comme facteur de risque de suicide et sur le repérage et le traitement de ce trouble. Elle devrait contribuer à atteindre cet objectif rapidement. D. Les personnes détenues en crise suicidaire ne doivent pas être La mise en prévention au quartier disciplinaire représente une menace qui peut précipiter le geste. Elle doit être évitée, sauf quand aucune autre mesure ne peut mettre fin au trouble, tel que le prévoit le Code de procédure pénale. La recherche d’alternatives au quartier disciplinaire est E. Un système documentaire partagé est à mettre en place pour Ce document devrait être ouvert lors de la garde à vue, et suivre la personne déférée puis écrouée. L’objectif est de diminuer le risque de perdre une information importante et de suivre de façon continue l’état d’esprit de la personne. Une proposition de document est faite. Il est important de considérer qu’il ne s’agit pas de partager toute l’information mais d’aboutir collectivement à la meilleure évaluation pour apporter collectivement la meilleure protection. F. La surveillance spéciale pour risque de suicide doit être complétée dans tous les cas d’actions de protection et de soins où le détenu est un acteur de sa protection. La participation active de la personne est essentielle pour trouver les causes de sa souffrance, trouver les solutions qui peuvent diminuer sa détresse et lui donner le goût de se protéger. Chaque personne considérée comme à risque élevé de suicide et/ou en crise suicidaire doit bénéficier d’un plan spécifique. Si la personne est à risque, mais n’est pas en crise suicidaire, prévenir consiste à agir sur les déterminants de la souffrance, pour lesquels une action est possible, afin d’éviter une évolution vers une idéation suicidaire. Ce sont, essentiellement : La personne en crise suicidaire doit bénéficier d’une intervention dont la nature et le délai sont adaptés au degré de l’urgence (idées, intention, programmation du scénario). L’évaluation de l’urgence selon une progression en 9 points permet à l’intervenant de première ligne de faire son évaluation et la transmettre. Cet intervenant peut arriver à désamorcer la crise en instaurant une relation de confiance et, le cas échéant, il oriente la personne vers un autre intervenant. Les mesures passives de protection, c’est-à-dire sans la participation de la personne, ou les mesures imposées, sont des solutions de dernier recours. Elles peuvent être perçues comme un manque de confiance et comme blessantes et inutiles. De ce fait, elles sont à réserver lorsque les différentes interventions ont été un échec et que rien ne semble dissuader la personne. G. La prévention est une œuvre collective où chacun peut et doit jouer des rôles différenciés Plus le degré d’urgence est élevé, plus les actions sont préétablies et accomplies par les personnes présentes. En cas de crise suicidaire, il est important qu’une personne soit désignée comme référent de l’ensemble du processus d’évaluation et de protection. Ce professionnel doit s’assurer de la coordination des différentes actions et de la fiabilité collective. L’objectif est de prévenir les ruptures (matin/après-midi, jour/nuit, semaine/week-end, sanitaire/pénitentiaire) dans la continuité et la cohérence des actions. Il doit avoir une entrevue chaque jour avec la personne en crise. Le dispositif mis en place ne peut être arrêté sans l’aval de ce professionnel référent. Un double référencement, pénitentiaire et sanitaire, serait un mode d’organisation à expérimenter. Chaque établissement doit être doté d’une commission de prévention du suicide. Le cas échéant, cette fonction est intégrée dans une commission existante. Les participants représentent les différents processus de prévention mis en œuvre autour de la trajectoire de la personne détenue. La mise en place des plans de prévention et de protection, ainsi que leur arrêt, est validé par cette commission. La participation du professionnel référent évoqué ci-dessus est indispensable. H. Mettre en place un cadre de détention qui préserve la dignité du Un aspect essentiel de tout plan de prévention réside donc dans l’établissement d’un climat propice aux confidences des détenus sur leur souffrance. Une telle atmosphère impose de réduire au maximum le stress et l’anxiété des personnes détenues, notamment grâce à de bonnes relations entre les détenus et le personnel pénitentiaire, à des conditions de vies décentes, à l’assurance de ne pas être brutalisé, au maintien de liens familiaux ainsi qu’à des activités constructives et valorisantes. Le rôle des visiteurs des prisons et de l’ensemble des bénévoles est essentiel pour rappeler la valeur des personnes incarcérées. L’instauration d’un tel climat de confiance représente une véritable gageure que les services pénitentiaires s’efforcent de relever. En son absence, le risque est de ne pas pouvoir mettre en évidence les personnes qui vont mal au sein d’une population carcérale tendue et agitée. De nombreux pays conduisent des actions pour déceler l’existence de brimades et pour conduire, si nécessaire, des actions pour les réduire. Un questionnaire avec des réponses anonymes est un moyen d’évaluation utilisé par ces pays. Des actions similaires, déjà réalisées à l’initiative d’établissements français pour connaître les difficultés éprouvées par les détenus, sont à encourager. I. Réduire l’accès aux moyens de suicide J Augmenter les possibilités de surveillance La vidéosurveillance qui ne peut lui être substituée est un moyen complémentaire à étudier. K. La période après suicide : les actions de postvention Les points sur lesquels une attention particulière est à porter sont : L. Des groupes d’analyse de la morbidité et de la mortalité sont à mettre en place dans les établissements de santé psychiatriques. M. Améliorer le traitement des troubles psychiques Les personnes détenues doivent pouvoir accéder aux mêmes formes de soins que la population générale. Les personnes, manifestement en détresse et qui ne formulent pas de demande de soins expresse correspondant à leur état de santé, doivent bénéficier de visites des professionnels de santé dans les lieux de détention. Les personnes détenues comme la population générale doivent pouvoir bénéficier de soins psychiatriques sans consentement sous forme d’hospitalisation à la demande d’un tiers. N. Introduire une dynamique d’amélioration continue des soins Les cellules qualité des hôpitaux de rattachement représentent un support naturel pour cet accompagnement qui peut être encouragé par les DRASS, les ARH et l’ANAES. Cet effort est déjà conduit avec détermination dans plusieurs régions. La deuxième version du manuel d’accréditation devrait intégrer la prévention du suicide dans les risques à prévenir pour les établissements de psychiatrie. O. Développer la promotion de la santé physique et mentale La formation des détenus aux premiers gestes de secours en cas de détresse vitale est une action qui valorise les détenus. La formation de détenus à l’intervention de crise suicidaire procède de ce même principe et accroît le potentiel de prévention au sein de l’établissement. Ce recours est important pour les détenus qui ont développé une méfiance à l’égard des professionnels. P. Le rôle des médias Il a été démontré que la façon de rapporter un suicide pouvait influencer le nombre de suicides et de tentatives de suicides. L’influence négative est décrite comme « l’effet Werther » en fonction des facteurs suivants : Les médias peuvent jouer un rôle en positif en : Q. Améliorer l’analyse des décès par suicides au niveau des établissements et de la Commission centrale de suivi des actes Actuellement l’Administration pénitentiaires tente de porter un regard courageux sur l’ensemble des décès par suicide avec la Commission centrale de suivi des actes suicidaires. Le ministère de la Santé doit se joindre activement à cette analyse pour apporter un éclairage sur l’adéquation des soins avec les troubles psychiques de la personne. Cette action est essentielle pour comprendre ce qui a pu se passer et entrevoir les pistes d’amélioration. Un classement des décès par suicide selon leur caractère plus ou moins évitable est à utiliser : Cette analyse est la seule capable de démontrer que les variations du suicide sont attribuables aux efforts conduits.
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