Publié le jeudi 19 février 2004 | http://prison.rezo.net/1997-pas-sages-exposition-d-art/ Pas sages, PAS SAGES Les 17 artistes : Dix-sept artistes exposent dans tous les lieux de la détention et de l’administration. Dix-sept passeurs investissant les murs, les cours intérieures, les ateliers, les cellules et les voies de communication (canal interne de télévision, courrier...). Aller à la rencontre de ceux qui vivent et travaillent en prison, titiller les esprits d’une population statistiquement peu accoutumée à l’art contemporain, voilà le pari risqué de ces peintres, photographes, réalisateurs et plasticiens venant en majorité de la région parisienne. Pari risqué si l’on considère le caractère inédit d’une telle expérience et l’apparente incompatibilité entre ces deux mondes. Imposer, interner, inhiber... La prison opère un éternel mouvement de plis et de replis sur soi, de paroles rentrées et d’actes contrits. Exposer, exprimer, exceller... L’art jaillit de l’intérieur et se structure en images, mots, matières sous le regard d’autrui. Etrange alchimie sociale, révélatrice de tendances qui animent le monde carcéral et celui de l’art contemporain depuis quelques décennies. L’exposition " PAS SAGES " s’inscrit en effet dans ce courant d’art qui consiste à aller voir ailleurs et être vu par les autres. Les artistes investissent la rue, les usines, les entrepôts désaffectés, rompant avec les codes et les cotes du marché officiel, créant des interactions toujours plus complexes avec de nouveaux publics. A Osny, ce public est bien déterminé. L’événement s’adresse essentiellement aux personnels de la prison et aux détenus. Le paradoxe réside dans le fait de les considérer comme n’importe quel public alors que, de fait, l’exposition est " imposée ". Le détenu n’a pas choisi de la visiter, le surveillant non plus ; les oeuvres trônent et occupent l’espace carcéral sans demander l’avis de leurs spectateurs. Comment pouvait-il en être autrement ? Les premières semaines d’installation provoquent de vives réactions. Des oeuvres se retrouvent brusquement décrochées, emmêlées... Certains surveillants vivent l’accrochage des oeuvres comme une agression et réagissent par la violence. Des détenus manifestent aussi verbalement leur mécontentement, plus particulièrement contre la structure de seaux d’Hélène Peytavi (300 seaux de plastique colorés empilés sous les barreaux des détenus). " On nous prend pour des débiles, on n’est pas à la maternelle " clame haut et fort cet homme en service de nettoyage. Des réactions face à l’art contemporain bien proches de celles rencontrées à l’extérieur. Si l’exposition est imposée à son public, le lieu s’impose aussi à l’exposition. La prison consiste en un rouage de procédures, de mouvements contrôlés, d’horaires à respecter, le tout dans une atmosphère de méfiance et de souci permanent de sécurité. Se promener dans les couloirs, s’attarder devant des images, voilà une attitude qui entre en contradiction avec le fonctionnement de la maison d’arrêt. Un surveillant écrit qu’il n’a pas le temps, pendant son service, de " flâner devant les oeuvres et de s’arrêter quelques minutes pour apprécier le travail des artistes ". Les détenu(e)s n’ont guère le loisir de regarder et reprochent de ne pas pouvoir accéder à l’ensemble des oeuvres. La vision de l’exposition est mimétique du lieu : partielle et fragmentée. L’un des enjeux de PAS SAGES consiste à donner du jeu au système, à déclencher l’appel du dehors dans ce dedans perpétuel, à apporter quelque chose d’autre - qui n’est peut-être que l’Altérité elle-même - dans cet univers clos où les discussions tournent en rond et les regards s’aveuglent. Un détenu écrit : " L’exposition va décorer les murs, ce qui fera oublier le stress de la cellule. Elle nous fera connaître un peu mieux la peinture et ainsi on saura ce que dit la toile. Elle nous permettra d’oublier le sujet de nos conversations justice. " L’art n’est pas une fin en soi, c’est un moyen de subvertir le système en créant des espaces virtuels dans la toile inflexible du règlement. Il s’agit avant tout d’interroger des mécaniques carcérales, des comportements stéréotypés et des préjugés afin que les acteurs en prenne conscience. A ce jeu, l’art accomplit pleinement son rôle de révélateur. La participation des détenus à quelques uns des dix-sept projets, leur implication dans la rédaction du fanzine de l’exposition Ortie-culture, les rencontres organisées avec les artistes et des personnalités extérieures... L’exposition est l’occasion d’une série d’actions qui n’ont pas la prétention d’améliorer le quotidien souvent difficile du détenu ou de changer la prison en tant que telle (vaste utopie bien éloignée des possibilités réelles), mais de dresser ici et là de petits chantiers, foyers d’initiatives dans l’océan des attentes administratives, des autorisations refusées, de l’inertie propre au milieu pénitentiaire et des énergies gaspillées. Si l’exposition contribue à modifier l’image de la prison et à rétablir en partie la communication entre notre société et le ghetto qu’elle suscite, elle aura fait son oeuvre. Inédit, cet événement ne constitue pourtant pas une initiative isolée mais participe d’un mouvement plus large d’actions culturelles en milieu pénitentiaire encouragé par le Ministère de la Culture et le Ministère de la Justice. La plupart du temps ces actions sont coordonnées par les services socio-éducatifs des établissements pénitentiaires et gérées par une association socioculturelle créée au sein de l’établissement. La mission du service socio-éducatif est le suivi individuel du détenu afin de le préparer à la sortie. L’enseignement et la formation relèvent aussi de ce dispositif de réinsertion. Mais si ces derniers semblent justifiés, la culture est souvent considérée comme un loisir déplacé dans un milieu dont la préoccupation reste la surveillance et la punition. Thierry Dumanoir, attaché culturel à la Direction de l’Administration Pénitentiaire au Ministère de la Justice, émet des doutes sur l’efficacité de ces associations internes en matière d’action culturelle. Il considère que ce secteur doit être pris en charge par des opérateurs culturels qualifiés dans ce type de gestion et d’organisation. Ces réflexions révèlent un paysage socioculturel assez fragmenté, dépendant des politiques locales des établissements eux-mêmes et de leurs services. On retrouve cependant certaines constantes dans les activités proposées : le théâtre, l’écriture, l’exploitation du canal vidéo interne... Autant d’initiatives qui suscitent l’expression des détenus et la création collective. C’est de cette intelligence de groupe que peut naître un véritable projet d’apprentissage à la vie sociale. Elle vient à l’encontre de la première règle pénitentiaire, l’isolement, et de la fonction vindicative de l’appareil judiciaire. On ne peut réfléchir à une politique culturelle globale en milieu pénitentiaire sans redéfinir le contrat social dans son ensemble. On ne peut penser le dedans sans le dehors. Là réside toute la difficulté. Source : Regards |