Ban Public
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Observations sur l’évolution de la réalité carcérale

Monsieur Saïd André REMLI
Prison centrale
36255 Saint-Maur

BAN PUBLIC

Madame,

En réponse à votre courrier daté du 15 janvier courant, dont je vous remercie, je peux vous donner mes impressions sur ce que j’ai pu observer ces derniers mois concernant l’évolution de la réalité carcérale.

En tout premier lieu, la loi sur la présomption d’innocence, votée en juin 2000 et mise en place en janvier 2001. Elle prévoyait notamment la création des juridictions chargées d’étudier les demandes de libérations conditionnelles (JRLC et JNLC). Avant cette date, les Commissions d’Application des Peines (CAP) étaient chargées d’étudier les demandes des détenus condamnés à des " peines à temps ". Le cas des perpétuités étant confié aux bons soins du garde des sceaux.
Depuis le 1er janvier 2001, les JRLC (Juridictions Régionales de la Libération Conditionnelle) examinent donc les demandes présentées par les longues peines. A Saint-Maur, un seul condamné à perpétuité a été élargi, après 18 ans d’emprisonnement. Il s’agissait d’un cas politique et d’une décision politique. Plusieurs dossiers ont été déposés devant cette juridiction dont j’ai pu observer la pertinence des éléments proposés comme projets de réinsertion. Nonobstant la qualité de ces éléments, la JRLC a, de façon constante et systématique refusé de tenir compte des possibilités réelles de réinsertion que présentaient ces détenus longues peines. Je ne parle pas de mon cas personnel.
Depuis cette même date, la JNLC ( Juridiction Nationale de la Libération Conditionnelle ) a entériné, de façon constante et systématique, toutes les décisions prises par les JRLC.
Ce qui peut laisser supposer que cette loi sur la présomption d’innocence, et plus particulièrement la mise en place des juridictions chargées de l’examen des demandes de libérations conditionnelles n’est en réalité, une fois encore, qu’un effet d’annonce.
Ce qui bien sûr inquiète fortement la population pénale concernée ; soit celle des longues peines. Ce qui m’inquiète personnellement, c’est qu’avant cette fameuse loi les longues peines ne nourrissaient aucun espoir exagéré de voir leur situation évoluer. Les politiques leur ont laissé croire qu’il existait désormais pour eux un avenir possible. Cet espoir explose à présent et je m’interroge sur la suite des évènements. Le temps pour tous d’ingérer pleinement ces nouvelles données et la colère qui s’en suivra ne pourra pas s’éteindre avec des promesses dont tous savent maintenant qu’elles ne seront jamais tenues. Je m’inquiète vraiment sur ce probable devenir du monde carcéral et sur ce qu’il va générer à court et long terme...

D’autant plus que la population pénale a changé. Le monde carcéral est devenu l’antichambre du monde psychiatrique. Je croise de plus en plus de cas qui relèvent plus du monde psychiatrique que du monde carcéral. Les médias en font plus ou moins mention en ce moment en interviewant les personnels pénitentiaires sur cette réalité. S’il est vrai que les personnels pénitentiaires se retrouvent dans des situations de plus en plus dangereuses, pour leur intégrité physique notamment, il en est de même pour les détenus qui doivent gérer leur temps de détention en étant constamment sur le qui-vive.
Une explosion de colère qui éclaterait dans un tel contexte laisserait des morts sur le carreau, il ne faut pas en douter une seconde. Et bien entendu, les détenus seront désignés comme étant les seuls coupables.

La politique carcérale, pour ce que j’en connais à Saint-Maur, semble vouloir évoluer positivement. Changement des mentalités qui s’effectue très lentement mais qui laisse supposer des réformes sur le fond. Pour exemple, le choix de féminiser les personnels pénitentiaires. Plusieurs surveillantes travaillent à présent à Saint-Maur et, de ce fait, les rapports entre les personnels pénitentiaires et les détenus évoluent.
Par contre, les moyens censés être mis en place pour préparer les détenus à leur sortie sont inexistants. Pour exemple, trois CIP ( Conseillers d’Insertion et de Probation ) en fonction à Saint-Maur pour près de trois cent détenus.

Malgré tout, quelques projets sont en cours d’étude pour que la Culture prenne une place plus importante au sein de l’univers concentrationnaire. Il ne reste qu’à espérer que ces essais soient transformés, ce dont je doute quelque peu...Que la population pénale puisse avoir accès à la Culture est, à mon sens la meilleure chose qui soit pour elle. Cet accès à la Culture peut représenter pour les détenus une porte ouverte sur un univers différent de celui qu’ils ont toujours connu et qui pourrait les " réconcilier " avec le reste de la société. D’autres repères que ceux qui les ont menés dans cette situation, la possibilité d’élever ces éléments de leurs personnalités propres à leur faire découvrir que, quelque soit leur faute, il leur reste un choix d’avenir possible.

Après m’être relu, tout ceci me semble un peu utopique à présent, mais les états d’âme ne devant jamais gérer notre quotidien, je maintiens qu’il faut pouvoir continuer sur cette lancée et s’attaquer aux manques à combler.
Le travail effectué par Ban Public participe pleinement à ce qu’il est souhaitable de mettre en place pour que la réalité carcérale puisse réellement évoluer vers un mieux. L’erreur serait de penser que seuls les pouvoirs publics sauront faire évoluer cette situation. D’une part, je ne crois pas qu’ils le veuillent réellement. Il suffit de connaître les mesures de déshumanisation des personnes détenues préconisées par le docteur Chein dans les années 80 pour comprendre que les aberrations du système carcéral que nous connaissons ne sont pas le fait d’évènements accidentels, mais bien une volonté de destruction de l’individu. Un choix politique qui, si on s’en réfère au dictionnaire, prend pour nom le crime de génocide.

Ce qui me mine le plus sans doute est de constater que cette réalité carcérale qui perdure dans les prisons de France depuis plusieurs décennies est si mal décrite par les anciens détenus et leurs proches. Je ne tiens même pas à évoquer l’OIP...Autant que possible, j’essaie de ne pas rater les émissions consacrées au problème pénitentiaire. A chaque fois, au vu de la pauvreté des éléments d’information fournis au grand public, je préfère zapper vers d’autres programmes que de subir ces fausses vérités, cet éclairage navrant sur cet univers criminel dont tous semblent vouloir respecter une sorte de description politiquement correcte. Que les langues de bois prennent chair et se délient enfin. Que les associations nées après le décès " accidentel " d’un parent ou d’un ami détenu se joignent à d’autres associations créées pour dénoncer les aberrations de ce système, ainsi qu’a celles œuvrant à la réinsertion des sortants de prison. Qu’il y ait enfin une certaine cohésion entre ces différentes associations ; que toutes comprennent une bonne fois pour toutes que la division ne peut qu’affaiblir ceux qui sont censés se diriger vers un même but.

Que les détenus comprennent enfin qu’il est inutile de perdre leur temps et leur énergie à se plaindre s’ils refusent d’agir par eux-mêmes. Qui va le mieux défendre mon droit à la vie si ce n’est moi-même ? Les détenus sont fatigués par les conditions de détention qui leurs sont infligées depuis tant années ? et alors... ? Ne sont-ils pas assurés du gîte et du couvert ? N’ont-ils pas la possibilité de se faire entendre par voie de procédures notamment ? N’ont-ils pas les moyens, au travers de la radio et de la télé de relativiser pleinement leur situation ? Toute cette énergie dépensée à pleurer sur leur sort ne pourrait-elle pas être mieux employée ? Pourquoi laisser à d’autres le soin de se battre et essayer de demander des comptes aux décideurs, à ceux qui, sous le couvert d’une certaine respectabilité et sous le fallacieux prétexte de vouloir protéger la société des éventuels futurs méfaits de la population pénale, ont pondu un système de destruction massive de tout ou partie d’une population qui est, je le rappelle, partie intégrante de notre société.

Alors toute cette rhétorique, tous ces effets d’annonce sur ce qu’il serait souhaitable de mettre en place pour changer cette réalité me laissent peu d’espoirs sur le probable devenir du monde carcéral et de ceux qui le peuplent. Et pourtant, il faut continuer à avancer...

Personnellement, j’ai eu la chance de rencontrer parfois des gens intéressants ; que ce soit au niveau des personnes détenues dans les établissements dans lesquels j’ai transité, ou au niveau des personnels pénitentiaires. Parfois également au niveau des intervenants extérieurs. Ils ne sont pas très nombreux il est vrai, mais ils existent. Certains m’ont fait part de leurs idées, des choix dont il serait peut-être utile de tenir compte, si l’on veut réellement obtenir des changements sur le fond.
J’ai même eu le plaisir et la surprise de découvrir, dans le cadre des différents contacts que j’ai cru devoir prendre pour le CARD, que de nombreux éléments de la société civile s’intéressaient vraiment à ces problèmes. Pour exemple, Monsieur Bernard Roman, président de la Commission des lois à l’Assemblée Nationale. Il sera chargé de l’examen de ce qui avait été nommé " la grande loi pénitentiaire " et qui s’appelle à présent " le projet de loi pénitentiaire ". Changement de nom qui en dit long sur la volonté des décideurs de faire évoluer cette situation.
Triste constat s’il en est, mais ô combien révélateur d’une réalité si mal décriée car tout aussi mal décrite.

Je ne suis pas sûr d’avoir su répondre à vos attentes par la rédaction de ce courrier. Je reste donc à votre disposition si vous pensez que je puisse vous être du moindre secours.

Soyez assurés, madame la secrétaire ainsi que les membres de Ban Public, de ma détermination à œuvrer autant que je le pourrai, selon mes moyens, pour que la situation qui sévit depuis si longtemps dans les prisons ait quelques chances d’évoluer.
Soyez assurés de mon soutien, si vous pensez qu’il puisse vous être du moindre secours.