Publié le lundi 27 mai 2002 | http://prison.rezo.net/observations-sur-l-evolution-de-la/ Monsieur Saïd André REMLI BAN PUBLIC Madame, En réponse à votre courrier daté du 15 janvier courant, dont je vous remercie, je peux vous donner mes impressions sur ce que j’ai pu observer ces derniers mois concernant l’évolution de la réalité carcérale. En tout premier lieu, la loi sur la présomption d’innocence, votée en juin 2000 et mise en place en janvier 2001. Elle prévoyait notamment la création des juridictions chargées d’étudier les demandes de libérations conditionnelles (JRLC et JNLC). Avant cette date, les Commissions d’Application des Peines (CAP) étaient chargées d’étudier les demandes des détenus condamnés à des " peines à temps ". Le cas des perpétuités étant confié aux bons soins du garde des sceaux. D’autant plus que la population pénale a changé. Le monde carcéral est devenu l’antichambre du monde psychiatrique. Je croise de plus en plus de cas qui relèvent plus du monde psychiatrique que du monde carcéral. Les médias en font plus ou moins mention en ce moment en interviewant les personnels pénitentiaires sur cette réalité. S’il est vrai que les personnels pénitentiaires se retrouvent dans des situations de plus en plus dangereuses, pour leur intégrité physique notamment, il en est de même pour les détenus qui doivent gérer leur temps de détention en étant constamment sur le qui-vive. La politique carcérale, pour ce que j’en connais à Saint-Maur, semble vouloir évoluer positivement. Changement des mentalités qui s’effectue très lentement mais qui laisse supposer des réformes sur le fond. Pour exemple, le choix de féminiser les personnels pénitentiaires. Plusieurs surveillantes travaillent à présent à Saint-Maur et, de ce fait, les rapports entre les personnels pénitentiaires et les détenus évoluent. Malgré tout, quelques projets sont en cours d’étude pour que la Culture prenne une place plus importante au sein de l’univers concentrationnaire. Il ne reste qu’à espérer que ces essais soient transformés, ce dont je doute quelque peu...Que la population pénale puisse avoir accès à la Culture est, à mon sens la meilleure chose qui soit pour elle. Cet accès à la Culture peut représenter pour les détenus une porte ouverte sur un univers différent de celui qu’ils ont toujours connu et qui pourrait les " réconcilier " avec le reste de la société. D’autres repères que ceux qui les ont menés dans cette situation, la possibilité d’élever ces éléments de leurs personnalités propres à leur faire découvrir que, quelque soit leur faute, il leur reste un choix d’avenir possible. Après m’être relu, tout ceci me semble un peu utopique à présent, mais les états d’âme ne devant jamais gérer notre quotidien, je maintiens qu’il faut pouvoir continuer sur cette lancée et s’attaquer aux manques à combler. Ce qui me mine le plus sans doute est de constater que cette réalité carcérale qui perdure dans les prisons de France depuis plusieurs décennies est si mal décrite par les anciens détenus et leurs proches. Je ne tiens même pas à évoquer l’OIP...Autant que possible, j’essaie de ne pas rater les émissions consacrées au problème pénitentiaire. A chaque fois, au vu de la pauvreté des éléments d’information fournis au grand public, je préfère zapper vers d’autres programmes que de subir ces fausses vérités, cet éclairage navrant sur cet univers criminel dont tous semblent vouloir respecter une sorte de description politiquement correcte. Que les langues de bois prennent chair et se délient enfin. Que les associations nées après le décès " accidentel " d’un parent ou d’un ami détenu se joignent à d’autres associations créées pour dénoncer les aberrations de ce système, ainsi qu’a celles œuvrant à la réinsertion des sortants de prison. Qu’il y ait enfin une certaine cohésion entre ces différentes associations ; que toutes comprennent une bonne fois pour toutes que la division ne peut qu’affaiblir ceux qui sont censés se diriger vers un même but. Que les détenus comprennent enfin qu’il est inutile de perdre leur temps et leur énergie à se plaindre s’ils refusent d’agir par eux-mêmes. Qui va le mieux défendre mon droit à la vie si ce n’est moi-même ? Les détenus sont fatigués par les conditions de détention qui leurs sont infligées depuis tant années ? et alors... ? Ne sont-ils pas assurés du gîte et du couvert ? N’ont-ils pas la possibilité de se faire entendre par voie de procédures notamment ? N’ont-ils pas les moyens, au travers de la radio et de la télé de relativiser pleinement leur situation ? Toute cette énergie dépensée à pleurer sur leur sort ne pourrait-elle pas être mieux employée ? Pourquoi laisser à d’autres le soin de se battre et essayer de demander des comptes aux décideurs, à ceux qui, sous le couvert d’une certaine respectabilité et sous le fallacieux prétexte de vouloir protéger la société des éventuels futurs méfaits de la population pénale, ont pondu un système de destruction massive de tout ou partie d’une population qui est, je le rappelle, partie intégrante de notre société. Alors toute cette rhétorique, tous ces effets d’annonce sur ce qu’il serait souhaitable de mettre en place pour changer cette réalité me laissent peu d’espoirs sur le probable devenir du monde carcéral et de ceux qui le peuplent. Et pourtant, il faut continuer à avancer... Personnellement, j’ai eu la chance de rencontrer parfois des gens intéressants ; que ce soit au niveau des personnes détenues dans les établissements dans lesquels j’ai transité, ou au niveau des personnels pénitentiaires. Parfois également au niveau des intervenants extérieurs. Ils ne sont pas très nombreux il est vrai, mais ils existent. Certains m’ont fait part de leurs idées, des choix dont il serait peut-être utile de tenir compte, si l’on veut réellement obtenir des changements sur le fond. Je ne suis pas sûr d’avoir su répondre à vos attentes par la rédaction de ce courrier. Je reste donc à votre disposition si vous pensez que je puisse vous être du moindre secours. Soyez assurés, madame la secrétaire ainsi que les membres de Ban Public, de ma détermination à œuvrer autant que je le pourrai, selon mes moyens, pour que la situation qui sévit depuis si longtemps dans les prisons ait quelques chances d’évoluer.
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