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Synthèse

Publié le dimanche 6 juin 2004 | http://prison.rezo.net/synthese/

Sous-direction des personnes placées sous main de justice
Bureau des politiques sociales et d’insertion
Division sida
Bureau des actions de proximité
Rapport de la mission santé-justice sur la réduction des risques de transmission du VIH et des hépatites virales en milieu carcéral
Décembre 2000
Sylvie STANKOFF Jean DHÉROT

DIRECTION DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

DIRECTION GÉNÉRALE DE LA SANTÉ

COMPOSITION DU GROUPE DE TRAVAIL
RAPPORTEURS
Sylvie Stankoff
Direction de l’administration pénitentiaire
bureau des politiques sociales et d’insertion
Jean Dhérot
Direction générale de la santé - division sida
bureau des actions de proximité
SECRÉTARIAT
Karine Com
Direction générale de la santé - division sida
bureau des actions de proximité
Marie-Cécile Bonnevie
Direction de l’administration pénitentiaire
bureau des politiques sociales et d’insertion
MEMBRES
Isabelle Bianquis
Direction de l’administration pénitentiaire
bureau des relations sociales
Jacqueline Charre
Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins
ex-direction des hôpitaux - Mission EO4
Laurence Cirba
Direction de l’administration pénitentiaire
bureau des études, de la prospective et du budget
Éric Durand
Médecin-chef de l’unité de consultations et de soins ambulatoires de la
maison d’arrêt de Fleury-Mérogis
Julien Emmanuelli
Institut de veille sanitaire - département des maladies infectieuses
Catherine Fac
Médecin à l’unité de consultations et de soins ambulatoires de la maison
d’arrêt de Fresnes
Claude Jouven
Coordonnatrice du centre spécialisé de soins aux toxicomanes de la maison d’arrêt de Fresnes
Nicole Labrosse-Solier
Direction générale de la santé - division sida
chef du bureau des actions de proximité
Véronique Masson-Bessou
Direction de l’administration pénitentiaire
bureau de gestion de la détention
Marianne Métivier
Médecin responsable du service médical du centre de détention d’Uzerche
Hélène Morfini
Direction générale de la santé - bureau SP3
Patrick Motuelle
Directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation du Cher
Isabelle Tortay
Direction des hôpitaux - mission sida
Sylviane Tourette
Direction générale de la santé - bureau SP2
Thierry Troussier
Direction générale de la santé - bureau VS2
Georges Vin
Directeur de la maison d’arrêt de Marseille
Ont également activement participé à cette mission avant d’être appelés à d’autres fonctions :
Murielle Guégan, Odile Sampeur, Olivier Géron Direction de l’administration pénitentiaire
Martine Dumont, Jean-Yves Fatras, Jean-François Rioufol Direction générale de la santé
Michèle Favreau-Brettel, Colette Parpillon Direction des hôpitaux
Olivier Obrecht Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis
La mission remercie l’ensemble des personnes qui ont apporté leur concours à cette réflexion et tout particulièrement M. Jean-François Rioufol pour sa précieuse contribution.

SOMMAIRE
Note de synthèse
Rapport
Table des matières
Annexes

NOTE DE SYNTHÈSE

INTRODUCTION
La lutte contre l’infection par le VIH en milieu pénitentiaire a été une préoccupation constante des pouvoirs publics. À partir de 1985, des actions de prévention, de dépistage et de prise en charge des personnes infectées par ce virus ont été développées dans les établissements pénitentiaires. L’enjeu de santé publique présenté par ce virus a contribué à la mise en oeuvre en 1994 de la réforme de la santé en milieu pénitentiaire.
À la suite de cette réforme, le garde des Sceaux et le secrétaire d’État à la santé ont confié au professeur Gentilini une mission d’étude sur la prise en charge du VIH et de la toxicomanie en milieu pénitentiaire. Certaines recommandations dans le champ de la prévention, du dépistage et de la prise en charge des différentes maladies infectieuses en détention ont fait l’objet d’une mise en oeuvre immédiate. Afin de poursuivre la réflexion dans le domaine de la prévention, le directeur général de la santé et le directeur de l’administration pénitentiaire ont décidé de mettre en place fin 1997 une mission conjointe santé-justice sur la réduction des risques de contamination par le VIH et les hépatites virales (VHB-VHC) en milieu carcéral.
L’objet de la mission était de faire un constat objectif sur l’exposition des personnes détenues aux risques de transmission du VIH et des hépatites virales par voie sanguineou sexuelle (ampleur des comportements à risques, incidence des différents virus), d’apprécier l’effectivité et l’efficacité des moyens de prévention déjà mis en place et de proposer une stratégie de réduction des risques adaptée au contexte carcéral.
Les travaux ont débuté fin 1997. Des études ont été demandées. De nombreuses auditions ont été menées. Des déplacements ont été organisés. À l’appui de ces éléments, le groupe de travail a engagé une réflexion en vue de faire ses propositions et de présenter le présent rapport.

PREMIERE PARTIE
LE CONSTAT SUR L’EXPOSITION DES PERSONNES DÉTENUES AUX RISQUES DE TRANSMISSION DES MALADIES INFECTIEUSES PAR VOIE SEXUELLE ET SANGUINE

I. Les données épidémiologiques et sociosanitaires à prendre en considération
I.1. Les maladies infectieuses en détention

Les prisons sont des lieux à haute prévalence du VIH et des hépatites virales. Une comparaison des données existant en milieu libre et en milieu pénitentiaire permet d’estimer que la prévalence du VIH en milieu pénitentiaire est 3 à 4 fois supérieure à celle constatée en milieu libre et celle du VHC 4 à 5 fois supérieure. Les situations locales sont extrêmement diversifiées. Les régions les plus touchées sont la région ÃŽle-de-France, la région Provence - Alpes - Côte d’Azur et les départements d’outre-mer. Les infections VIH, VHB et VHC touchent très fortement les usagers de drogues par voie intraveineuse. Les prévalences élevées des différents virus dans les établissements pénitentiaires sont à mettre en relation avec la forte proportion d’usagers de drogues par voie intraveineuse (UDVI) incarcérés.

I.2. Les caractéristiques sociosanitaires de la population pénale à l’entrée
en détention
Les personnes détenues cumulent les facteurs de risques. Les difficultés sociales (absence de domicile stable, de régime de sécurité sociale...) sont
fréquentes et les consommations à risque importantes chez les entrants en détention. Parmi les consommations antérieures à l’incarcération, on
relève la fréquence de la consommation de cannabis, l’importance des polyconsommations et la montée en puissance de la consommation de
cocaïne, de crack et de médicaments. En lien avec la précarisation des conditions de vie des usagers, des consommations plus accessibles se sont développées.
Les médicaments constituent une base pour de nombreux consommateurs à laquelle viennent s’ajouter d’autres produits. La pratique de l’injection semble s’être développée au sein de cette population précarisée. Ces nouvelles consommations entraînent des conséquences sur l’état de santé
des intéressés : abcès graves, risques d’accidents en cas d’association à d’autres produits, états de manque sévères et de plus longue durée, irascibilité, fatigue nerveuse, voire apparition ou renforcement de problèmes psychologiques ou psychiatriques.
D’une façon générale, les risques liés aux différents virus ne sont pas parfaitement intégrés par les personnes incarcérées. Les connaissances sur les modes de transmission des virus peuvent être superficielles. Le risque relatif au développement du VHC est également mal identifié. En comparaison avec les comportements sexuels des Français, les risques sexuels pris avant l’incarcération apparaissent importants, notamment chez les usagers de drogues par voie intraveineuse. En ce qui concerne les risques de transmission par voie sanguine, les pratiques de partage des seringues chez les UDVI avant l’incarcération, persistent encore malgré le développement de la politique de réduction des risques.

II. Les comportements à risques et les risques de contamination en détention

II.1. Les modes de transmission des maladies infectieuses sont multiples

L’ensemble des produits fumés, sniffés, injectés ou avalés avant l’incarcération restent consommés dans des proportions moindres pendant l’incarcération.
La prison apparaît de moins en moins comme un lieu de “décroche”, même provisoire, pour les usagers incarcérés. Le produit le plus consommé est le cannabis. On assiste, dans certains établissements pénitentiaires, à une banalisation de ce produit.
Dans la continuité de ce qui se passe à l’extérieur, la prison connaît également une augmentation importante des polyconsommations. Les médicaments, qu’ils soient prescrits ou non prescrits, ont une forte valeur marchande et font l’objet de trafics ou d’échanges. D’une façon générale, on assiste à un transfert de consommation des drogues illicites et rares vers les médicaments. La frontière entre drogues illicites et médicaments psychoactifs tend à disparaître. L’héroïne est présente, mais semble consommée de façon moins régulière. Le crack dont l’approvisionnement est aléatoire apparaît assez peu consommé, à l’exception de quelques sites localisés.
Les modes de consommation s’adaptent à la rareté des seringues. La voie nasale est un mode d’administration fréquemment utilisé. L’injection semble plus marginale. Toutefois, les données quantitatives font apparaître que cette pratique est loin d’être négligeable. Ainsi, selon les études, entre 20 et 43 % des UDVI interrogés déclarent s’être injecté un/ou des produits au cours de leur vie alors qu’ils étaient incarcérés. Quelques-uns déclarent avoir commencé à s’injecter des produits en détention. La fréquence des injections diminue chez les usagers qui poursuivent l’injection en détention. La proportion de gros injecteurs est moindre. Les injections sont souvent réalisées au détriment des conditions élémentaires d’hygiène. Des pratiques de partage du matériel existent. Les seringues sont également réutilisées. En raison du fort tabou existant sur la question des pratiques sexuelles en détention, les risques de transmission des virus par cette voie sont plus difficiles à estimer. En dépit d’un risque important de sous-déclaration, les pratiques sexuelles, qu’elles soient contraintes, consenties ou prétendument consenties apparaissent nombreuses : 8 % de l’échantillon interrogé par l’ORS PACA (n=1212) déclare des rapports hétérosexuels en détention et 1 % des rapports homosexuels. L’utilisation du préservatif est peu fréquente. Le piercing semble assez peu répandu. En revanche, la pratique du tatouage est encore bien présente. Le partage de matériel (rasoirs, brosses à dents) est également un mode de transmission possible des infections, notamment du VHC. Les UDVI cumulent les facteurs de risques (usage de drogues, relations sexuelles non protégées, tatouages).

II.2. Les risques de contamination en détention

Au regard de la prévalence des maladies infectieuses, de l’existence des comportements à risques et des prises de risques effectives en détention, les risques de transmission des maladies infectieuses sont réels et les cas de contamination probables. En revanche, l’influence du contexte carcéral sur les risques de contamination est difficile à évaluer. Surce point, la mission estime que la préoccupation n’est pas tant de savoir si l’incarcération renforce ou diminue les probabilités de contamination par rapport à l’extérieur que de développer une politique de prévention efficace en ce milieu.

DEUXIÈME PARTIE
LES MESURES DE PRÉVENTION VIRALE
MISES EN OEUVRE EN MILIEU CARCÉRAL

I. Les orientations relatives à la prévention des risques infectieux
en milieu carcéral

Une stratégie de prévention spécifique des risques infectieux du VIH, du VHB et du VHC au milieu carcéral a été développée dès 1985. Redéfinie dans le cadre de la circulaire du 5 décembre 1996, elle se décline de la façon suivante :
• Le dépistage des virus du sida et des hépatites qui fait intervenir les consultations de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) et qui repose sur une démarche volontaire des personnes.
• Les mesures prophylactiques : outre les mesures d’hygiène, les personnels, ainsi que les personnes détenues, doivent avoir accès au traitement postexposition en cas d’exposition à un risque de
transmission.
• La prévention des risques de transmission par voie sexuelle par le biais de la mise à disposition de préservatifs avec lubrifiant.
• La prévention des risques de transmission par voie sanguine se fonde sur l’accès à des traitements de substitution dans le cadre d’une prise en charge globale des personnes détenues dépendantes, ainsi que sur la mise à disposition d’eau de Javel pour son intérêt en tant que produit de désinfection du matériel ayant été en contact avec du sang (matériel d’injection, tatouages et piercings).

II. Un bilan mitigé sur la mise en place des orientations relatives à la prévention des risques infectieux en milieu carcéral

II.1. Des actions d’éducation pour la santé en voie de développement

Les actions de sensibilisation sur les différents virus des personnes détenues s’appuient sur la journée mondiale de lutte contre le sida (le 1er décembre de chaque année) et sur des actions d’éducation à la santé.
La population pénale a montré son intérêt à l’égard des manifestations engagées à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida. En outre, les actions d’éducation à la santé ont été l’occasion pour les services d’engager une démarche partenariale interne, mais également avec des partenaires extérieurs à l’établissement. Ces actions ont par ailleurs évolué pour être moins didactiques et plus en phase avec les besoins du public. Elles sont en voie de développement.

II.2. Des actions de formation des personnels pénitentiaires insuffisamment
fréquentes et qui agissent partiellement sur les représentations

D’une façon générale, les personnels participent plus à des formations continues ayant trait à des thèmes globaux qu’à des formations ciblées sur les maladies transmissibles. Les personnels de surveillance sont ceux qui ont le moins recours aux formations ciblées, à la différence des personnels
d’insertion et de probation. Le peu d’adhésion peut s’expliquer par un relâchement de l’intérêt pour le VIH, mais également par la difficulté à faire le lien entre leurs fonctions et le contenu de ces actions, ou par les problématiques auxquelles ces actions renvoient.
Ces formations ont permis d’acquérir des connaissances objectives sur les différents virus mais demeurent superficielles et d’un impact limité sur
les représentations.

II.3. Des mesures de dépistage et de vaccination qui peuvent être renforcées

Dans l’ensemble, les personnes détenues, notamment les UDVI, ont fréquemment fait réaliser le dépistage d’un ou de plusieurs virus au cours de leur vie.
Toutefois, les besoins en dépistage demeurent. Environ la moitié des personnes détenues n’a jamais eu de dépistage du VIH. Le dépistage du VHC est encore moins fréquent. Concernant le VHB, la plupart des personnes détenues n’a pas pratiqué la vaccination ou n’a pas reçu toutes les injections utiles. En outre, certaines personnes dépistées déclarent n’avoir jamais pris connaissance des résultats.
Par le biais des tests salivaires, l’ORS PACA signale qu’une proportion de personnes séropositives, notamment pour le VHC, n’a pas connaissance ou a une connaissance erronée de sa sérologie et échappe ainsi à toute prise en charge.
Le moment de l’accueil, période où se fait la majorité des dépistages, ne semble pas être le moment propice à la diffusion d’information ou à une
sensibilisation sur les différents virus, compte tenu de la fragilité psychologique dans laquelle se trouvent les arrivants.
S’agissant du VHB, il ressort de l’étude de l’ORS PACA, que les conseils médicaux incitant à la vaccination sont peu suivis d’effets.

II.4. Des traitements post-exposition pas toujours identifiés

Des procédures à destination des personnels ont été mises en place, mais semblent peu identifiées par les intéressés.
En ce qui concerne le dispositif de prise en charge des personnes détenues, le faible nombre de procédures mises en oeuvre laisse supposer que les intéressés sont peu sensibilisés à ce dispositif ou bien appréhendent d’y avoir recours, eu égard au caractère répréhensible des actes qui peuvent être à l’origine de la prise de risque.

II.5. Le préservatif : un outil de réduction des risques dont la mise en oeuvre souffre de lacunes

La majorité des établissements pénitentiaires met dans les unités médicales des préservatifs à la disposition des personnes détenues. Cependant, une proportion importante des personnes détenues ignore encore que ces préservatifs sont disponibles et en libre accès. En outre, les lieux d’accès à cet outil sont peu diversifiés et n’assurent pas toujours la discrétion nécessaire.
Les insuffisances rencontrées dans la mise en oeuvre de cette mesure révèlent la difficulté qu’il y a à aborder, au sein de la détention, le thème de la sexualité, tant du côté des personnes détenues fragilisées dans leur identité virile, que du côté des surveillants qui sont pris entre le devoir de faire respecter le règlement et le besoin de laisser une marge d’intimité à la personne détenue.
Le dispositif peut être considéré par certains comme un “leurre”, une “stratégie ambiguë permettant à l’administration de se donner bonne conscience face à un problème qui dérange” (D. Lhuillier).

II.6. Des outils de réduction des risques sanguins insuffisants

II.6.1. Un dispositif de prise en charge de la toxicomanie déficient

Les données font apparaître que les traitements de substitution sont peu mis en oeuvre en milieu carcéral. Les études mettent en évidence que de nombreux traitements sont interrompus. La proportion de personnes détenues suivant un traitement est particulièrement faible au regard du nombre d’usagers d’opiacés incarcérés. Quand elle a lieu, la poursuite de ces traitements en détention se caractérise par des pratiques différentes selon les services médicaux.
Ainsi, certains services acceptent la poursuite, à la condition que les personnes détenues disposent, au moment de leur incarcération, de leur ordonnance médicale. Des services remettent en question le protocole engagé en milieu libre ; d’autres privilégient un traitement au détriment de l’autre. Par ailleurs, les traitements sont peu initiés, indépendamment de la nature et de la région d’implantation de l’établissement pénitentiaire.
En fait, le sevrage semble être la principale réponse des services de santé en matière de prise en charge de la toxicomanie. Or, les méthodes de sevrage ne sont pas toujours adaptées aux produits qui circulent en milieu libre et à la consommation simultanée de plusieurs produits. Les traitements utilisés font l’objet de critiques de la part de certains détenus concernés pour les effets secondaires qu’ils occasionnent.
Cette situation contribue à susciter de la défiance de la part des usagers à l’égard du dispositif de prise en charge de la dépendance. Elle peut conduire certaines personnes détenues dépendantes à poursuivre leur consommation. L’ORS PACA fait ainsi un lien entre l’interruption des traitements de substitution et l’injection en détention.

II.6.2. L’eau de Javel principalement utilisée pour son aspect hygiénique

L’eau de Javel apparaît largement accessible dans les établissements pénitentiaires. L’aspect hygiénique de la mesure a été bien perçu, tant par les personnels que par les personnes détenues. Cependant, le produit semble encore insuffisamment utilisé à des fins de décontamination de matériel ayant été en contact avec du sang (matériel d’injection, rasoirs...).
Le respect du protocole de décontamination apparaît également incertain.

TROISIÈME PARTIE
LE DÉVELOPPEMENT D’UNE POLITIQUE DE RÉDUCTION
DES RISQUES ADAPTÉE AU MILIEU CARCÉRAL

Les différentes propositions sont exposées ci-après.

I. Les moyens de prévention en milieu carcéral

I.1. L’amélioration des mesures existantes

I.1.1. Inciter davantage aux dépistages des différents virus et à la
vaccination contre le VHB
• Renouveler l’information et la proposition de dépistage des différents virus et de vaccination contre le VHB un mois après l’entrée en détention.
• Mettre en place une consultation de dépistage et de prévention annuelle pour chaque personne détenue.
• Examiner la mise en place d’une visite médicale de sortie pour les personnes dont la date de sortie est prévisible.
• Réactiver la campagne de vaccination contre l’hépatite B en milieu pénitentiaire.
• Mettre à disposition des services de santé des brochures et des affiches sur le VIH et les hépatites.
• Développer les actions d’information et d’éducation à la santé autour de la vaccination contre le VHB et sur l’infection au VHC.

I.1.2. Faciliter l’accès aux traitements prophylactiques en détention
• Informer les personnels pénitentiaires sur l’existence des traitements post-exposition et sur les délais à respecter.
• Sensibiliser le personnel pénitentiaire d’encadrement aux procédures à appliquer suite à une exposition au sang.
• Porter à la connaissance des personnes détenues l’existence des traitements post-exposition.
• Veiller à ce que la procédure applicable aux personnes détenues soit effectivement définie dans chaque établissement pénitentiaire.

I.1.3. Renforcer l’efficacité de la mise en oeuvre de la mesure eau de Javel
• Sensibiliser les personnels et les personnes détenues sur l’efficacité de l’eau de Javel à 12° chlorométrique à des fins de décontamination du matériel ayant été en contact avec du sang.
• Sensibiliser les personnels sanitaires sur le protocole de décontamination, son importance et la nécessité de diffuser le protocole au sein du
service médical.
• Diffuser plus largement le protocole d’utilisation de l’eau de Javel à des fins de décontamination dans les établissements pénitentiaires.
• Développer les actions d’éducation à la santé autour de l’eau de Javel.

I.1.4. Améliorer l’accessibilité au préservatif avec du lubrifiant
D’une façon générale, la mission considère que la remise systématique de préservatifs à l’entrée, pendant la détention ou à la sortie n’est pas à retenir. Pour élargir cet accès, il est proposé de :
• Mettre en place des distributeurs automatiques de préservatifs avec lubrifiant en divers lieux de la détention en diversifiant les produits délivrés par ces automates.
• Développer, en plus des automates, les lieux de libre accès aux préservatifs avec lubrifiant au-delà du seul service médical.
• Faire figurer les préservatifs avec lubrifiant parmi les produits cantinables.
• Mettre à disposition des femmes détenues les préservatifs féminins “Fémidon”.
• Favoriser l’expression sur la question de la sexualité en détention tant pour les personnels que pour les personnes détenues.
• Clarifier la réglementation sur la question de la sexualité.
• Favoriser une réflexion sur les pratiques professionnelles des surveillants et sur les limites du “tout surveiller”.
• Laisser aux établissements pénitentiaires le choix des modalités pour améliorer l’accessibilité au préservatif.

I.1.5. Développer les traitements de substitution
Les propositions visent à développer l’accès aux traitements de substitution en milieu carcéral, mais aussi à en assurer la réussite. Plusieurs pistes sont dégagées :
• Élargir l’autorisation de mise sur le marché de la méthadone afin de permettre aux médecins hospitaliers des établissements non dotés de SMPR de prescrire un traitement par méthadone.
• Développer les formations des équipes sanitaires sur les traitements de substitution (protocoles, dosages...) et leur intérêt pour les personnes
détenues dépendantes.
• Impulser une réflexion régionale sur les modalités de mise en oeuvre des traitements de substitution.
• Sensibiliser les personnels pénitentiaires, dans le cadre de la formation initiale et/ou de modules de sensibilisation sur sites, à l’intérêt des traitements de substitution dans le cadre des prises en charge des détenus toxicomanes.
• Inscrire la prescription des traitements de substitution dans une prise en charge globale de la personne détenue.

I.1.6. Développer les actions d’éducation à la santé
• Répertorier et valoriser les expériences locales.
• Développer au niveau local les actions de sensibilisation aux différents virus, le dépistage, la vaccination hépatite B et le protocole d’utilisation de l’eau de Javel.
• Promouvoir, auprès des sites, une méthodologie pour développer et évaluer ces actions.

I.2. La question de l’accès au matériel stérile d’injection en détention
Trois pays européens (Suisse, Allemagne, Espagne) ont développé des programmes expérimentaux d’échange de seringues en milieu carcéral. Les
programmes les plus anciens ont été mis en place en Suisse en 1994. Par la suite, six autres expériences ont été lancées.
Ces expériences apparaissent plutôt positives. Les effets pervers qui pouvaient être craints (augmentation de la consommation de drogues, agression des personnels...) n’ont pas été vérifiés. Les objectifs de santé publique semblent au moins partiellement atteints : fréquentation des programmes, diminution du partage de seringues, amélioration de l’état de
santé des participants.
Cependant, il faut souligner que ces expériences ont bénéficié d’un contexte favorable, tant au niveau national qu’au niveau de l’établissement pénitentiaire, et que la méthodologie employée par les évaluateurs ne permet pas d’apprécier, dans l’ensemble des établissements concernés, l’efficacité réelle et l’impact global de ces programmes. On ne connaît pas notamment le taux de fréquentation et l’assiduité à ces programmes ni l’impact réel sur les modes de consommation (absorption, inhalation ou
injection). Des trafics de seringues dont on ignore l’ampleur sont signalés.
Dans le contexte français, la mise en oeuvre d’une telle mesure en milieu pénitentiaire apparaît prématurée.
Les autres mesures de prévention ne sont pas encore totalement acceptées et assimilées. Elles ne sont pas effectives dans tous les établissements
pénitentiaires. À l’heure actuelle, cette mesure nouvelle ne serait pas plus acceptée par les personnes détenues que par les personnels. Cette faible acceptation serait incontestablement de nature à en limiter l’efficacité. Une mise en oeuvre sans consolidation préalable de l’existant apparaît difficile et pas forcément souhaitable.
De plus, l’efficacité de la mesure apparaît incertaine, notamment au regard des risques de constitution de réseaux d’échange de seringues et de reprise de l’injection chez certaines personnes.
Enfin, au regard du cadre juridique actuel qui prohibe tout usage de drogues en milieu libre comme en milieu pénitentiaire, de l’objet même de
la peine et des missions du personnel de surveillance, la pertinence de la mesure est discutée.
Compte tenu de ces éléments et de l’existence d’une alternative fiable pour la décontamination des seringues (eau de Javel), la mission considère, à l’heure actuelle, que les expériences étrangères sont difficilement transposables en France et ne recommande pas l’introduction de la mesure. Elle n’exclut cependant pas que la question soit réexaminée à
moyen terme.

II. Une stratégie de mise en oeuvre

II.1. Afficher une volonté politique forte

II.1.1. Communiquer

L’appropriation des objectifs poursuivis par les professionnels de terrain nécessite une connaissance précise de la situation et des différents enjeux.
À cet égard, le groupe de travail préconise, dans le cadre de la mise en oeuvre des recommandations, une large diffusion des résultats des différentes études réalisées et du présent rapport.
Au-delà de cette communication, il apparaît nécessaire que les paradoxes induits par une approche de prévention réaliste en milieu carcéral soient énoncés et les choix effectués relayés à l’échelon politique.

II.1.2. Suivre les évolutions et les tendances en détention

La forte prévalence du VHC chez les personnes incarcérées, la faible efficacité des mesures mises en place en détention et le relâchement des comportements de prévention, observé en population générale, impliquent une surveillance pérenne des évolutions sur les maladies infectieuses et les comportements à risques en détention. À cet égard, la mission propose de poursuivre les études sur le sujet.

II.2. Accompagner la mise en oeuvre des mesures de prévention

La stratégie de mise en oeuvre proposée repose sur une mobilisation et une implication des services déconcentrés aux différents échelons. Il est proposé d’organiser - tant à l’échelon des DDASS et des DRSP qu’à l’échelon local - des journées de sensibilisation des différents relais et d’accompagner la démarche par des actions de formation.
Au-delà, le groupe de travail estime qu’il est nécessaire d’impulser une dynamique locale dans chaque établissement pénitentiaire sur la base d’objectifs opérationnels clairement définis.
Compte tenu du bilan mitigé effectué sur la mise en place des orientations relatives à la prévention des risques infectieux en milieu carcéral, un effort particulier apparaît nécessaire dans le domaine du suivi et de l’évaluation des mesures.
Enfin, afin de faciliter la mise en oeuvre des mesures de réduction des risques et de surmonter les éventuelles difficultés, le groupe de travail propose de mettre en place sur quelques sites un référent en prévention des risques infectieux en milieu carcéral.

II.3. Inscrire la politique de réduction des risques dans une approche
plus globale

Compte tenu de l’influence du contexte sur l’efficacité des politiques de prévention, il est apparu nécessaire au groupe de travail de souligner quelques évolutions nécessaires pour un meilleur développement de la politique de réduction des risques en détention.
La promiscuité, les conditions d’hygiène souvent insuffisantes et le climat de violence existant en milieu carcéral contribuent à dévaloriser l’image que les personnes incarcérées peuvent avoir d’elles mêmes et à fragiliser les capacités des intéressés à protéger leur intégrité physique ou à prendre en charge leur santé. La mission estime qu’il apparaît déterminant pour la question de la réduction des risques que des progrès soient rapidement enregistrés en matière d’hygiène individuelle et collective, de restauration collective, d’encellulement individuel et d’équipement des cellules.
La mise en place, à titre expérimental, des unités de vie familiales apparaît également comme une évolution majeure. Elle permettra de restaurer les personnes incarcérées dans leur vie affective et, pour les hommes, dans leur identité virile - mais aussi d’aborder de façon radicalement différente - la question de la sexualité dans les établissements.
L’arrivée en détention constitue un moment de vulnérabilité particulier pour les personnes incarcérées.
Plusieurs améliorations dans les conditions d’accueil et de prise en charge sur cette période apparaissent possibles.
Au-delà, il apparaît également indispensable d’améliorer les conditions de prise en charge des personnes toxicomanes à l’intérieur des établissements et de développer les possibilités offertes aux personnes détenues pour investir le temps de la détention.

 
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