Publié le dimanche 9 mai 2004 | http://prison.rezo.net/la-sante-des-detenus-en-sursis/ La libération de Loïk Le Floch-Prigent a relancé la question de l’application de la loi permettant la suspension de la peine pour raisons médicales. De nombreuses associations attirent l’attention sur une situation sanitaire catastrophique en milieu carcéral. Le 8 Avril, Loïk Le Floch-Prigent est libéré pour raisons médicales. Il rejoint ainsi les deux autres principaux protagonistes de l’affaire Elf - Alfred Sirven et André Tarallo - sortis de prison pour les même raisons. Cette libération écoeure Jean-Christophe Soisson, membre de l’association Ban Public et metteur en scène de théâtre au centre de détention de Melun. « L’application de la loi Kouchner sur le droit de la santé a tendance à ne s’appliquer qu’aux personnes qui ont les moyens de se payer des équipes d’avocats assez puissants pour pouvoir mobiliser ce genre de droit ».Valérie Laurent-Pavlovsky, de la mission « Prison » de l’association Act Up, dresse le même diagnostic : « c’est une justice à double vitesse et qui n’est pas équitable avec tous les citoyens ». Depuis Mars 2002, un détenu peut voir sa peine suspendue s’il souffre d’une « pathologie engageant le pronostic vital « ou si son « état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention ». François Bès, de l’Observatoire International des Prisons, explique les disfonctionnements de la loi. La suspension de la peine s’ordonne à partir de deux expertises médicales distinctes. Or les experts médicaux indépendants « méconnaissent parfois les conditions de vie de prison », alors qu’on leur demande précisément de juger si l’état de santé du détenu est compatible avec le régime de détention. Par ailleurs, les structures médicales à l’extérieur susceptibles d’accueillir les prisonniers manquent. Certains responsables d’hôpitaux craignent d’héberger des détenus, même menottés. Un prisonnier à Fresnes, dont la peine a été suspendue pour raisons médicales, est actuellement encore en prison, n’ayant trouvé aucune structure pour l’accueillir. 83 prisonniers ont bénéficié de la loi depuis son entrée en vigueur. Valérie Laurent-Pavlovsky, de l’association Act Up, précise que « sur ces 83 prisonniers, beaucoup d’entre eux sont décédés dans les mois qui ont suivi leur libération ». Selon Jean-Christophe Soisson ces suspensions de peine pour raisons médicales permettraient de baisser le taux de mortalité dans les prisons. En 2003, selon les statistiques recueillies par Act Up, 63 personnes ont vu leur peine suspendue pour raisons médicales, 52 personnes ont vu leur demande rejetée. Des chiffres jugés insuffisants par de nombreuses associations au regard de la situation sanitaire catastrophique dans les prisons. « Les Ministères de la Justice et de la Santé sont incapables de dire combien de prisonniers sont malades » alerte François Bès. « Très peu d’études épidémiologiques sont menées » A Fleury-Merogis, par exemple, aucune consultation du VIH n’a été faite depuis un an. Or, « le taux de prévalence en prison est 10 fois supérieur en milieu carcéral » souligne Valérie. « C’est la détention qui est généralement incompatible avec l’état de santé des personnes » martèle Jean-François Soisson. « Le sens de la peine qui consiste en fait à priver de la liberté, se double d’une façon totalement empirique, par abandon, par négligence, d’un châtiment physique corporel ». Travaillant dans le milieu carcéral, ce sont les bouches édentées qui le frappe le plus. « Dans l’analyse des rêves quand on vous arrache une dent, c’est symbole de mort ». Il raconte l’histoire d’un prisonnier arrivé avec une entorse, sorti amputé. Le milieu carcéral manque tragiquement de personnel médical. Selon Jean-François Soisson, à la prison de Fleury-Merogis, il y a deux infirmières et un médecin de garde la nuit pour une population qui dépasse les 2000 détenus. « On ne peut pas se permettre d’être malade en prison. C’est la mort » martèle Valérie d’Act Up. « La surpopulation est une réelle catastrophe, surtout quand on considère le manque de médecins et de spécialistes ». Et la situation semble devoir encore se dégrader dans les années à venir. Le Ministère de la Justice a promis de construire de nouvelles prisons. « Ce n’est pas nouveau qu’on essaye de nous vendre cette solution. La seule garantie sanitaire serait de fermer les vieilles prisons » estime François Bès. Dénonçant une politique du « tout répressif », il déplore par ailleurs qu’une circulaire en 2003 ait réduit l’application de la loi Kouchner en invoquant « les risques de trouble à l’ordre public ». Une mesure qui semble complétée par une autre, celle d’aménager 350 000 cellules médicalisées dans les nouvelles prisons. Lucile Marbeau ©Digipresse 2004 Ecoutez la version audio : |