Publié le vendredi 4 juin 2004 | http://prison.rezo.net/2004-02-mercredi-25-fevrier/ mercredi, 25 février 2004 Je consomme mon repas en restant sur ma faim puis m’habille de deux pulls, deux bas de survetements et m’allonge sous mon drap et ma couverture pour essayer de me réchauffer. Malgré la télévision allumée, j’entends les autres crier aux fenêtres. Ce sont des fous, il fait deux degrés et ils se mettent à leur fenêtre, uniquement pour ne pas se sentir seul dans leur cellule. Ils font les caïds, certes, mais ce ne sont que des adolescents, surement affaiblis, tristes loin de leurs familles, et enfermés ici. Cette idée me rassure un peu. Mon voisin, Nasser, avec qui je n’ai jamais réellement eu de longues conversations, m’appelle à la fenêtre. Nasser vient de Trappes, il est ici pour avoir sequestré deux personnes dans une cave. Il m’a raconté qu’il s’amusait à leur bruler les ongles avec un briquet et il leur donnait à manger de la pâtée pour chien. Ses victimes ont passé une semaine dans la cave. Je n’en sais pas plus. Il est incarcéré depuis trois mois ici et fais sa peine tranquillement. Personne ne le provoque, je n’ai jamais compris pourquoi. Quelle chance il a de ne pas avoir à se préoccuper des conflits qu’il peut y avoir. Surement grâce à un certain charisme qu’il dégage... Quoi qu’il en soit, je n’ai pas envie de répondre. Je mets mon blouson sur ma tête pour ne plus l’entendre frapper contre le mur. Il insiste tellement que je décide de me lever, pour répondre. Mes pieds sont tellement gelé que j’en ai mal à chaque pas que je fais. Je me mets devant la fenetre, sors ma tête entre deux barreaux et je réponds en prenant une voix plus grave, comme à chaque fois que je parle à cette fenêtre pour donner un air plus viril. « Je mets ma main vers la droite, le plus loin possible. Je sens le miroir, mais Nasser ne le lache pas. Allongé, je m’observe dans ce miroir. Je n’ai jamais été aussi laid. Mes joues sont creuses, mes yeux rouges et minuscules et ma peau grasse. J’ai toujours été fier d’être un adolescent sans boutons et là, j’aperçois une dizaine de boutons sur mon front. Je regarde la télévision, dans l’espoir que le sommeil m’emporte avant minuit, heure de la coupure d’électricité sur l’étage des mineurs. Lorsque j’aurais une rallonge, il faudra vraiment que je me fasse ami avec le détenu majeur au dessus de moi ! Ce soir, au programme sur Canal plus : « Le pacte des loups ». Lors de la diffusion du film, le surveillant est passé une dizaine de fois regarder à l’œillet. Les surveillants le font pour vérifier si l’on est bien en vie, donc si on dort, ils nous appellent et frappe à la porte pour que l’on bouge. Le film est terminé, je regarde maintenant les clips en attendant l’extinction des feux. Si au moins je pouvais m’endormir plus rapidement, le temps serait moins long ! Je m’endors enfin, la télévision allumée. En plein milieu de la nuit, Nasser tape à mon mur en criant mon nom. Je me réveille en sursaut. Je me lève, je vais boire à mon lavabo et me mets à la fenêtre pour lui répondre : « Je cours vers ma porte et donne un énorme coup de pied dedans. J’hurle tant que je peux pour tenter d’appeler un surveillant. Deux minutes entières d’hurlement et de coups dans la porte. Aucun surveillants ne viennent. Je retourne rapidement à la fenêtre : « Je retourne taper à ma porte en criant « SURVEILLANT !!! C’EST IMPORTANT VENEZ ». Hélas, les surveillants sont habitués aux cris nocturnes, et ne bougent que très rarement car c’est généralement les menaces des autres détenus qui font taire l’excité qui empêche les autres de dormir. Dix minutes que j’appelle, et aucun surveillant ne vient. D’autres détenus, reveillé par mes coups dans la porte m’ont demandé des explications. Certains se sont recouchés et d’autres m’ont aidé à attirer l’attention des surveillants. Je profite de ce renfort pour retourner parler à Nasser. Mais cette fois, il ne répond plus. |