Publié le jeudi 3 juin 2004 | http://prison.rezo.net/2004-02-jeudi-5-fevrier/ jeudi, 5 février 2004 Je lis mon courrier toute la matinée, et le relis en mangeant le plat digne des grands restaurants gastronomiques que l’on me sert ce midi dans une barquette en plastique. Je m’assied face à ma table, et coche ce que je désire commander. Je sors la feuille de cantine rouge, dédié à l’achat de nourriture. Des pâtes, du thon, des raviolis ( je déteste ça mais au moins je ne mangerais pas tout d’un coup ), des fruits, des canettes de sodas, des cigarettes, du tabac à rouler et des feuilles pour éviter les pannes de cigarettes, étant donné que je ne peux pas en commander tous les jours, des biscuits, de la farine, du lait, des œufs et du chocolat. Puis, place à la feuille bleu, pour l’achat de matériel. Un toto ( grosse résistance servant à chauffer l’eau pour préparer des pâtes, du café.. ). Un couteau et un miroir petite taille ( pour me permetre de mieux voir les détenus à qui je m’adresse lorsque je parle à la fenêtre ). Il est déjà 16h00, la journée ne s’est jamais déroulé si rapidement, quel plaisir que de recevoir du courrier, je ne sais pas si dehors, ils se rendent compte comme c’est plaisant. On m’appelle à la fenêtre, je crois reconnaître la voix enrouée de Kalidou. « Le pauvre.. Et à cause de moi. J’entends d’ici les autres détenus rire, ils s’imaginent déjà de quelle manière ils vont l’accueillir en promenade. Moi, ça ne me fais pas rire. Mais la prison, c’est ça, chacun pour sa gueule, provoquer et se réjouir du malheur d’autrui. Et c’est moi qui suis sencé le ‘victimer’... Si en promenade je fais le héros et que je le défends, c’est mort, je n’aurai plus aucune crédibilité. De plus, si je fais équipe avec lui, à deux contre quarante, ça risque d’être chaud. Je n’ai qu’une solution, le frapper en faisant attention de ne pas trop l’abimer. Je roule mon blouson pour le transformer en coussin, renifle l’odeur qu’il accumule de jours en jours et regarde Arté : un reportage réalisé en Afrique. Cinq lions dévorant une biche sans défense. L’œillet bascule, un surveillant que je n’avais jamais vu auparavant entre. « Il attends que j’enfile mon blouson. Je lève les bras pour qu’il puisse me palper afin de vérifier que je n’ai rien qui puisse faire office d’arme sur moi et me demande d’attendre dans le couloir. Là, je sers la main aux autres détenus qui attendent, sauf Walid qui me regarde de haut en bas, Carl qui me regarde en levant les yeux, tant il est petit et les violeurs qui regardent le sol. Cédric sort de sa cellule. Il fait ma taille, chatain, yeux clairs et le visage pleins de boutons. Il fait bien son âge, dix sept ans et je trouve qu’il ressemble à ces jeunes qui passent leur temps à réparer leurs mobylettes dans le garage de leurs grands pavillons. Cédric observe tout le monde, je remarque ses mains trembler, mais je ne lui adresse pas la parole. Je me dis juste « retourne dans ta cellule ! change d’avis ! ». Les portes s’ouvrent une-à-une le long de notre chemin pour atteindre la promenade. Nous arrivons dans cette grande cour. J’observe les miradors, les surveillants nous guettent, mais je sais d’avance que quoi qu’il puisse se passer, ils ne bougeront pas. Les violeurs se sont mis au fond de la cour, pour ne pas être au milieu de la mélée qui se prépare. Je m’avance vers Cédric. Tout le monde me regarde et se prépare à sauter dans le tas, en attendant qu’un premier coup parte. Certains font craquer les os de leurs mains. L’intimidation est une arme très utilisée en prison. Je suis en face de lui, je lis dans ses yeux qu’il est mort de peur. Je ne le frapperais pas, c’est sur. Je prends un ton de racaille : « Il enlève son pull et ses baskets sans broncher, je fais l’échange et lui dis de partir maintenant. Il part en marchant lentement. Je vais vers Kalidou, et marche avec lui dans la promenade en faisant comme s’il ne s’était rien passé. Je ne veux pas parler de ce que je viens de faire. Ramdam, un détenu avec qui je n’ai pas spécialement d’affinités viens vers nous. « Mais, n’écoutant pas ce que je lui ai dis, il va vers Cedric et échange son jean par son survetement déchiré. Les surveillants sifflent la fin de la promenade. Comme à chaques promenades, par simple insolence les détenus font exprès de mettre 15 minutes avant de tous sortir. C’est si amusant de voir les surveillants à l’entrée de la promenade sans oser y pénétrer. Je ne sais pas s’ils ont l’ordre de ne pas mettre un pied dans la promenade ou bien si c’est eux qui préfèrent ne pas s’y aventurer, mais d’un côté je les comprends, une mélée est si vite formée. Nous remontons dans nos cellules, je suis heureux que Cedric n’ai pas reçu de coups. Je ne suis pas spécialement un grand pacifiste, mais j’ai vécu l’expérience du bizutage trop récemment. |