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2 Partie 1 Des limites dénoncées aux causes identifiées

L’actualité relative à la question pénitentiaire s’est révélée foisonnante ces deux dernières années. Relancés par le témoignage du docteur Vasseur [1], les débats se sont attachés à dénoncer les conditions détention comme à discuter le sens de la peine et la politique pénale en elle-même. Ce sont notamment les travaux de deux commissions d’enquête parlementaires, ainsi que eux d’un Comité d’Orientation Stratégique réuni par la Chancellerie qui ont, en 2000 et 2001, permis une nouvelle attention quant à ces questions, dans une volonté de réforme et d’améliorations qui aura provoqué l’adoption de quelques textes visant à modifier la situation carcérale.

Toutefois, dans le même temps, les conclusions des deux missions interministérielles d’enquête et d’évaluation de la prise en charge sanitaire des personnes détenues ont souligné les nombreuses limites et les écueils du système actuel de soins en détention, qui apparaissent comme autant d’obstacles à l’exercice effectif des droits fondamentaux de la personne privé de liberté.

Sans chercher à paraphraser Dostoïevski [2], il apparaît en effet que la façon dont est assuré le soin en milieu fermé semble révélatrice de la situation des droits de la personne détenue, même s’il faut certes garder à l’esprit qu’en la matière, le système de soins en détention n’est pas en soi seule cause. De fait, on peut rappeler la particulière précarité dans laquelle se trouve, de façon générale, la population entrant en détention, peu propice au soin comme à l’attention sanitaire ; état médical le plus souvent dégradé, absence globale de sens sanitaire, et donc manque d’hygiène, méconnaissances des modes de transmission des virus ou des risques liés à l’usage des drogues...

Ces caractéristiques ne sauraient cependant expliquer les lacunes relevées, ni les justifier. Au contraire, fortes de ce constat, les administrations concernées devraient, ainsi que l’ensemble des textes les y encourage, développer une pratique de discrimination positive : face à une population précaire à même de rencontrer pour le première fois le soin en détention, et même s’il n’est pas du rôle de la prison de devenir un seul lieu de soin, il paraît justement nécessaire de développer et de renforcer les prises en charge, qu’elles soient préventives ou somatiques. Le soin et l’éducation sanitaire paraissent en effet participer dans une bonne mesure de la démarche de réinsertion des personnes privées de liberté, et l’attention préventive paraît à ce titre prioritaire, étant constaté que la population carcérale cumule souvent les facteurs de risque : les usagers de drogues par voie intraveineuse ( UDVI), particulièrement nombreux en détention, ont en général tendance à une plus grande prise de risque sexuel, en même temps qu’ils partagent souvent les matériels d’injection e pratiquent en plus grande proportion d’autres usages à risque, tels le tatouage ou le piercing.

Car les causes de transmission des virus sont multiples en détention : si l’injection de drogues semble moins fréquente que l’administration par voie nasale (qui n’et pas elle-même exempte de risque de contamination), les études montrent que 20 à 43% des UDVI interrogés déclarent s’être injecté un ou plusieurs produits au cours de leur incarcération. Dans ce cadre, les pratiques de partage de matériel subsistent- matériel le plus souvent réutilisé.

D’autre part, et malgré le tabou qui les entoure et les rend difficilement chiffrables, les relations sexuelles - hétérosexuelles ou homosexuelles, consenties ou non- sont elles aussi un mode de transmission identifié, le préservatif n’étant visiblement que rarement utilisé, alors qu’il était dénombré, à la fin des années 1990, 8% de personnes reconnaissant avoir des pratiques hétérosexuelles en prison, et 1% des pratiques homosexuelles [3].

Enfin les travaux de la récente mission Santé/Justice soulignent que, si le piercing semble encore peu répandu, la pratique du tatouage reste elle encore fréquente, de même que le partage du matériel d’hygiène (rasoir ou brosse à dents), autre mode possible de transmission des virus (hépatiques notamment).

Aussi, et alors qu’il est ainsi établi que les textes applicables obligent à une politique de santé publique (somatique comme préventive) efficace en milieu carcéral, il ressort des expertises les plus récentes, et malgré la modification législative mise en œuvre en 1994, que « les risques de transmission des maladies infectieuses sont (...) réels, et les cas de contamination probables » [4]. L’entrée en détention aggrave dans un premier temps un état sanitaire déjà précaire et de nombreuses limites, tant matérielles que psycho sociales, rendent ensuite le système actuel de soins en détention pour le moins imparfait en ce qu’il ne remplit pas ses objectifs d’hygiène et de santé publique [5].

Il convient donc de s’arrêter à l’analyse de ces limites : pourquoi, en effet, malgré les textes et recommandations multiples qui l’ont précédée, encouragée et entourée, la réforme de 1994 n’a-t-elle pas permis d’atteindre les objectifs qui lui étaient fixés ? Quelles sont donc les causes des écueils ainsi relevés ?

Il semble, alors qu’elles touchent tous les aspects du soin, et singulièrement l’attention préventive (section 2), que ces failles s’inscrivent d’abord dans la réalité carcérale en elle-même (section 1).

Section 1 Les conditions intrinsèques du milieu pénitentiaire

Ainsi que le souligne l’ensemble des observateurs, la réalité carcérale (française) constitue en elle-même un obstacle à l’application effective des droits fondamentaux, d’abord par les conditions même de la détention (A). Ce hiatus est en outre accentué par les spécificités des priorités de santé publique induites par les pathologies particulières que sont le SIDA et les hépatites, qui, en renvoyant aux pratiques sexuelles et toxicomaniaques, engendrent des représentations sclérosées comme autant de nouveaux obstacles au respect des normes supérieures (B). Ce travers, loin d’avoir trouvé toutes les réponses dans la réforme du système de soin en milieu carcéral engagée en 1994n est au contraire compliqué par l’apparente confrontation des logiques sécuritaires et sanitaires, cristallisée par l’entrée en détention d’un personnel hospitalier.

A les conditions de détention

Il est hélas communément admis depuis plus d’un siècle que les conditions de détention sont en France le plus souvent « une honte pour la république » et que la situation actuelle est « indigne de la patrie des droits de l’Homme » selon l’expression retenue par la commission d’enquête sénatoriale dans le courant de l’année 2000 [6], en tant qu’elle est révélatrice du « mépris ou de l’indifférence de notre société à l’égard de la population détenue » [7].

Leur influence est bien évidemment considérable sur la santé et l’efficience des prises en charge médicales- et ce n’est peut-être pas un hasard si c’est précisément un médecin chef de l’UCSA qui jettera récemment un pavé dans la mare [8], engendrant prise de conscience politique et travaux ministériels.

La clé de voûte de ces difficultés matérielles est sans nul doute la surpopulation carcérale, chronique notamment en maison d’arrêt- établissements qui sont par ailleurs le plus souvent les plus anciens et donc les plus vétustes.
Le taux d’occupation global moyen des établissements pénitentiaires était de fait évalué au 1er décembre 1999 à 119% et on peut l’estimer à l’été 2002 à 116%. La situation des maisons d’arrêt est particulièrement problématique (au 1er avril 2000, le taux de surpopulation y était de 132% en moyenne, 7 d’entre elles dépassant le seuil des 200%) [9], alors qu’il convient dans le même temps de rappeler que le comité européen de prévention de la torture considère qu’en tant que telle, la surpopulation carcérale peut constituer un traitement cruel inhumain ou dégradant.
Cet engorgement de la majeure partie des établissements pénitentiaires- principalement des maisons d’arrêt qui regroupent 70% des détenus- a évidemment des incidences directes en matière d’hygiène générale, et notamment d’hygiène des installations sanitaires : vétusté, insalubrité, voire caractère pathogène sont des constats fréquents relevés par les personnels sanitaires, qui, tout en préconisant des « douches médicales » [10], insistent pour que leurs patients ne se déchaussent pas en les prenant.

La surpopulation et l’inadaptation des locaux touchent ainsi évidemment à l’hygiène intime, puisque, empêchant l’encellulement individuel dans nombre d’établissements, elle est source de promiscuité, donc d’obstacles non seulement à l’hygiène, à l’attention sanitaire et à l’éducation et la santé ; mais aussi au secret, donc éventuellement au soin en lui-même- quand elle n’est pas source de violences [11]. Ainsi le professeur SICARD écrit-il : « les conditions de détention obligent trois, quatre personnes à vive ensemble, à effectuer leurs gestes les plus intimes au su et au vu de tout le monde. Comment donc ne pas être doublement incarcéré, dans une cellule où l’on est vécu comme une menace pour les autres ? Le gobelet unique, la serviette, les instruments personnels inéchangeables sont autant de signes visibles de ségrégation » [12].

Ce ne sont là que quelques exemples des difficultés posées par une situation carcérale française encore largement en porte à faux vis-à-vis des normes censées s’imposer, qui préconisent en particulier l’encellulement individuel et installations sanitaires séparées. Si certains travaux de réaménagement ont pu être engagés dans quelques établissements, la situation générale est encore loin d’être satisfaisante, qui rend notamment ineffective la mission préventive et d’éducation à la santé, et donc la mise en œuvre d’un programme cohérent de santé publique.

Ainsi que le rappelle l’Observatoire International des Prisons, « même si les conditions de détention ont tendance à s’améliorer, elles sont loin de respecter la réglementation, qui prévoit que « l’incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d’hygiène et de salubrité » (art. D 349 code de procédure pénale). (....)Les problèmes d’hygiène(....)ont deux origines. La première est liée à la vétusté de certaines maisons d’arrêt : douches en panne, absence d’eau chaude, humidité des murs, cellules dépourvues de chauffage ou chauffées à une température inférieure à 15 degré.... La seconde est due à la pauvreté de nombreux détenus qui ne peuvent acheter le nécessaire de toilette (dentifrice, savon, papier hygiénique) et les produits d’entretien des cellules » [13]. Il y a donc en détention non seulement un traitement spécifique, discriminatoire en terme d’accès à la santé, vis-à-vis des personnes incarcérées en tant sue telles ; mais il y a en outre une inégalité entre les personnes détenues elles-mêmes, selon leur niveau social. La prison donne donc à voir la « discrimination » sous toutes ses formes, telles qu’a pu par exemple les décrire Didier Fassin [14].

Cette situation matérielle contingente en conséquence largement les prises en charge, qu’elles soient sociales, éducatives ou sanitaires, et porte ainsi atteinte à l’ensemble des droits supérieurs. Les normes « techniques » posées par les instruments internes et internationaux ne sont en effet pas respectées, et l’on peut sans nul doute considérer que cette situation de promiscuité et d’insalubrité quasi générale des établissements pénitentiaires contrevient en outre aux principes essentiels du respect de la dignité humaine et d’interdiction des traitements inhumains et dégradants, et, en portant atteinte au droit à la santé, met en péril le droit à la vie.

Il faut en effet souligner que les difficultés issues des conditions de détention concernent également d’autres aspects matériels de l’enfermement (tels la cantine : l’impossibilité de s’offrir la location d’un réfrigérateur peut par exemple poser des difficultés pour la conservation de certains aliments ou médicaments) ou la prise en charge des détenus en elle-même. Ainsi par exemple l’alimentation offerte ne satisfait la plupart du temps pas aux nécessités minimales en terme de valeur nutritive (bien souvent servies froides, les portions restent fréquemment insuffisantes et/ou déséquilibrées). Cet état de fait, insatisfaisant pour toute personne, peut s’avérer particulièrement problématique pour le détenu atteint d’une pathologie lourde, nécessitant une alimentation spécifique qu’il ne peut au mieux que trouver en cantine.

Les conditions de détention peuvent enfin créer des difficultés pour la personne malade en ce qu’elle oblige au respect d’horaires fixes, le plus souvent non conformes à ceux auxquels le malade est susceptible de devoir prendre son traitement. S’ensuivent d’éventuels refus d’activités, d’exercice professionnel ou de formation, un isolement ou au contraire une rupture de traitement.

La détention dans ces conditions premières semble donc exclusive de tout sens sanitaire au sens large, que soit visé le soin en tant que tel ou l’attention sanitaire plus largement entendue.

Un récent programme de rénovation/destruction /construction, dit programme 4000 (en ce qu’il vise à fermer 2000 places et à en créer ou rénover 4000) a certes été décidé. Il permettra de rénover ou détruire les sites les plus honteux, maisons d’arrêt plus que centenaires totalement décrépies, sur les principes de l’encellulement individuel, du cloisonnement des installations sanitaires, et la construction d’une douche par cellule.

Si pour ces établissements (souvent localisés dans les grandes périphéries urbaines) l’avancée matérielle qui en résultera devrait être remarquable, ce programme semble toutefois bien limité. De fait, en premier lieu, la situation inhumaine récemment dénoncée va perdurer dans le délai de réalisation de ces aménagements ; alors qu’en second lieu plusieurs difficultés matérielles subsisteront en tout état de cause pour la personne vulnérable qu’est le détenu malade. L’humidité et le froid, les horaires de la détention sont autant d’obstacles que rencontre la personne malade dans le suivi de son traitement. De même, l’inadaptation et l’insuffisance des portions alimentaires, donc l’obligation da cantiner des produits chers, resteront les mêmes. Or, et s’agissant de ceux des détenus les plus pauvres, l’impossibilité de cantiner peut avoir de lourdes conséquences, qu’elles soient alimentaires, psychologiques ou matérielles.

Enfin, et au vu du caractère limité de ce programme, il convient de rappeler que la majorité des établissements, pour beaucoup surpeuplés et dégradés, reste pour l’heure hors de toute perspective de réaménagement, alors que des projets de nouvelles constructions sont lancés par le nouveau secrétaire d’Etat à l’immobilier de la justice à hauteur de 7000 places supplémentaires, sans que ne soient pour autant annoncées d’autres fermetures d’établissements non conformes, et malgré le constat récurrent selon lequel la construction d’établissements nouveaux ne limite en rien le nombre de détenus ni n’améliore les conditions de détention, puisqu’au contraire, elle accroît les incarcérations.

B Les aspects psychiques de la sexualité et de la toxicomanie

La difficulté se pose aussi, s’agissant du sujet qui nous retient ici, des spécificités des pathologies visées, qui touchent avant tout, dans l’imaginaire collectif, à la sexualité (d’abord homosexuelle- le SIDA a été durant des années présenté comme le cancer gay) et à l’addiction, comportements particulièrement problématiques en détention puisque non seulement tabous, mais aussi le plus souvent réprimés.

Plusieurs difficultés, variables selon les établissements puisque les populations ne sont pas les mêmes, ressortent ainsi des représentations psychiques stigmatisantes, qui touchent non seulement l’appréhension des problématiques sanitaires, mais aussi en conséquence leur prise ne charge concrète.

C’est ainsi principalement de ce fait que l’on déplore, malgré leur nombre et leur fréquence lentement croissants, une insuffisance de donnée épidémiologiques relatives au VIH, VHC et VHB en milieu carcéral, et donc une insuffisance et imprécision des bases médicales et statistiques qui rendent les besoins sanitaires mal connus, malgré leur évolution et leur diversification constatées. Les raisons en sont multiples, mais reposent surtout sur la réticence des détenus à se soumettre aux questionnaires ou aux dépistages dont ils craignent les effets. La persistance des enquêtes à un jour donné- dont les prochains résultats sont attendus à l’automne 2002- et de celles relatives à la santé des entrants, alliée aux relatifs changements de mentalité dans la société en général, permet peu à peu de dresser un canevas épidémiologique des personnes incarcérées, mais la persistance des réactions discriminatoires d’une part et la multiplication des incarcérations de courte durée et le flux constant que connaissent les maisons d’arrêt d’autre part, en limitent l’utilité et donc les effets.

Ces difficultés générées par le SIDA et les hépatites, du fait de leur mode de transmission, de leur caractère hautement infectieux et surtout symbolique (et donc des fantasmes qui y sont liés), ainsi que d’une certaine tendance morale à sanctionner ceux qui en sont victimes (qui l’auraient finalement bien mérité), se retrouvent concrètement en matière de prise en charge préventive et somatique.

De fait, non seulement les dépistages, proposés dans l’urgence et le choc de l’incarcération à une population qui n’en saisit pas les enjeux, s’avèrent trop peu fréquents, mais ces obstacles se retrouvent aussi dans le cadre des actions de prévention en elles-mêmes, qu’il s’agisse des actions d’éducation à la santé, de l’utilisation des outils de prévention ou des mesures de prophylaxie.

On s’aperçoit en effet que les « groupes de parole » parfois mis en place aux fins d’actions éducatives et préventives dépendent beaucoup non seulement de la volonté de détenus peut-être trop peu incités à participer et à être de véritables acteurs de ce type de démarche mais aussi, surtout, de la bonne volonté et de l’intérêt des soignants, seuls véritables acteurs capables d’impulser ce genre d’action. Si les questions pourtant urgentes et essentielles des pathologies infectieuses ; et à travers elle de l’hygiène, de la prévention et du sens sanitaire, y sont forcément abordées, ce n’est souvent su de façon limitée et « institutionnelle », et l’impact e l’action reste en toute hypothèse, de façon globale, insuffisamment important.

Dans le même sens, la mise en place et l’utilisation des outils de prévention souffre de l’aspect de facto stigmatisant qu’elles induisent compte tenu des réalités en jeu. Si le préservatif a su se faire accepter après les vastes protestations qu’a suscité son introduction dans la détention, son utilisation et son impact sanitaire réels, tout en restant largement méconnus, ne peuvent qu’être limités au vu de ce qu’est la sexualité en détention : interdite, cachée, furtive, voire violente et forcée... C’est à la fois la sexualité en tant que telle, mais qui plu est l’homosexualité dont il s’agit, et rien n’est véritablement engagé pour faire tomber la chape de plomb dont ces réalités sont recouvertes.

Ces difficultés sont tout aussi saillantes et critiquables en matière de mesures de prophylaxie, de traitement post exposition peu connus et encore moins utilisés par les détenus puisqu’ils sous entendent de mettre à jour une conduite à risque qui renvoie nécessairement à ce qui reste encore une déviance, une faute disciplinaire, voire pénale.

Alors qu’il faut en détention le plus souvent faire face non seulement à une population précarisée mais aussi à une promiscuité et à l’omniprésence du personnel de surveillance, il apparaît en effet que les représentations pauvres et stéréotypées du SIDA, du VIH et des hépatites- qui renvoient forcément à un comportement inavouable- restent encore prégnantes, ainsi que le soulignent les travaux de psychologie clinique diligentés par l’Association Nationale de Recherche sur le Sida (ANRS) [15].

Ces représentations, qui peuvent aussi concerner les personnels, qu’ils soient pénitentiaires ou médicaux, ont évidemment des conséquences en matière somatique. S’ils sont aujourd’hui rares, des refus ( du malade ou du soignant) de traitement de substitution aux opiacés sont encore relevés, de même que certains malades peuvent repousser les traitements par multithérapies du fait de leur caractère visible et stigmatisant.

Il est ainsi flagrant que les représentations que se font les gens des pathologies infectieuses et de leur mode de transmission portent, de fait, atteinte à l’exercice effectif du droit à la santé. Les psychologues soulignent qu’elles se caractérisent chez les détenus soit par le déni (de pratiques sexuelles perçues comme dévalorisantes) soit par la dissimulation (d’une pratique toxicomaniaque prohibée) ; et chez les personnels de surveillance par une ambivalence « faite pour une part de distance et de prévention, et pour une autre part d’humanité et de compassion », dans le cadre de laquelle « le secret médical est ressenti comme un facteur d’aggravation des dangers.

Les auteurs considèrent ainsi que « l’irruption en prison d’un virus transmissible a ouvert la voie à une prise de conscience de la fragilité des barrières séparant et différenciant les gardants et les gardés, de la perméabilité des murs qui séparent la prison de la Cité. Le VIH a révélé l’existence de situations de conflits de devoirs et de double contrainte pesant sur les surveillants » alors que la santé comme l’hygiène « relève(nt) à la fois de la vie privée la plus intime et de la vie collective la plus publique ».

De ces représentations, et au-delà des difficultés préventives et somatiques qui en découlent, il ressort un exercice du soin en milieu carcéral qui relève d’une « pratique extrême ». L’irruption d’un personnel hospitalier dans ce contexte a engendré une problématique nouvelle, « le paradoxe des missions ».

C Le paradoxe des missions

L’étude psycho clinique précitée révèle, à l’instar des travaux sociologiques postérieurs ou des rapports d’enquête susvisés, le « choc de cultures » qu’a représentée l’entrée de la santé dans le monde la Pénitentiaire : « (.) les personnels hospitaliers importent leurs outils, postures soignantes et dispositions professionnelles. (Ce faisant, ils) imposent une délimitation physique des espaces sanitaires et pénitentiaires pour construire l’autonomie de leur intervention et substituer aux carences et à l’arbitraire de l’accès aux soins des détenus une forme d’égalisation médicale et de « responsabilisation » des patients » [16].

Si l’on peut ainsi saluer depuis 1994 l’introduction en milieu fermé d’une certaine éthique du soin médical, les conflits qui en découlent restent nombreux entre praticiens hospitaliers et intervenants pénitentiaires, qui se sentent souvent renvoyés à « l’indignité de leur métier », alors qu’ils considèrent dans le même temps le rôle fondamental pour des soignants qui ne connaissent selon aux ni les détenus, ni leurs comportements.

Cette situation est visiblement apaisée aujourd’hui selon le sentiment de nombre de personnels soignants, qui peuvent cependant souligner la pluralité de situations que recouvrent les réalités pénitentiaires. La situation d’une « usine » comme l’établissement de Fleury Mérogis n’est probablement pas identique, sur cette question comme sur les autres, de celle d’une petite maison d’arrêt de « province » [17].

Cela étant , cette tension entre deux objectifs( qui ne sont certes pas, en théorie, exclusifs l’un de l’autre mais dont l’achèvement semble en l’état difficilement compatible) se symbolise dans la distribution du médicament, « emblématique de l’engrènement des deux systèmes », puisque mettant en jeu une infirmière accompagnée d’un surveillant.

Elle touche ainsi de fait au secret médical, « révélateur des représentations réciproques et des jeux d pouvoir entretenus autour de l’exclusivité du savoir. Les rapports de pouvoir qui s’expriment à travers l’affirmation d’un monopole du savoir médical, et la multiplication des voies de transgression de l’interdit de l’accès à l’information, apparaissent en fin de compte peu favorables à l’atteint de l’objectif affiché de respect de la dignité de la personne » notent les chercheurs_ à l’image du concept de ‘secret partagé’ et de la redéfinition de fait des pratiques soignantes qu’engage la spécificité carcérale.

La notion de secret médical est en effet ici pour le moins malmenée, les intervenants somatiques et psychiatriques d’une part, et les personnels pénitentiaires d’autre part, possédant chacun des informations propres à leur exercice qui s’interprètent éventuellement. Cet exercice à la fois parallèle et forcément conjoint du secret médical et du secret pénal va ainsi amener chacun à chercher à connaître les informations que l’autre détient, tendance accrue par la duplicité du rôle du praticien médical, amené à intervenir non seulement en qualité de soignant, mais aussi éventuellement en tant qu’expert dans le cadre notamment d’une mesure disciplinaire.

Chacune des obligations professionnelles de confidentialité se trouve donc affaiblie, au nom de l’instauration d’une base commune d’information, d’un ‘secret partagé’ qui n’apparaît plus respectueux des limites déontologiques propres à chaque exercice, et qui affecte donc au final le droit à l’intimité de chacune des personnes détenues.

Ainsi la spécificité carcérale modifie t’elle la pratique soignante, l’enserrant dans des impératifs non seulement sécuritaires, mais aussi, éventuellement, humanitaires (ainsi Véronique Vasseur souligne-t-elle que « les patients venaient au service médical non seulement pour se soigner, mais aussi pour recevoir un peu d’oxygène dans cet univers opprimant, et des marques de respect » [18]).

Elle porte ainsi le plus souvent atteinte au secret, dons à l’intimité, et finalement à la dignité du détenu : c’est l’exemple ici encore du médecin obligé de prescrire des douches médicales ou de l’eau minérale à la personne malade à laquelle le personnel pénitentiaire les refusait. La justification médicale renvoie nécessairement à un état pathologique que ne devrait en théorie pas connaître surveillants ou co-détenus...

L’omniprésence du personnel de surveillance limite donc la réalité du secret médical, et ces écueils théoriques - semble-t-il inhérents à l’actuelle réalité carcérale française - résonnent de manière très concrète sur le fait médical en milieu pénitentiaire.

Section 2 Les limites médicales

La pratique du soin en milieu pénitentiaire rencontre en prison diverses limites, du fait même de ses spécificités (A), et ce tant en matière préventive (B) que du point de vue soin somatique, et donc de l’hospitalisation(C).

A Une pratique extrême

Pris dans le champ spécifique du milieu carcéral, le soignant se trouve de fait confronté non seulement à ses obligations professionnelles, déontologiques, mais aussi à des impératifs sécuritaires qui, pour en être éloignés, y sont parfois même opposés.

Or, et à l’instar de la définition précitée donnée de la santé par l’OMS (qui touche tant au physique qu’au mental et au social), les obligations déontologiques qui pèsent sur le soignant en prison, compte tenu de la spécificité des patients dont il a la charge, dépassent le seul champ somatique, et le placent continuellement, dans ce milieu spécifique, « entre compromis et compromissions » [19].

Alors que le Conseil National de l’ordre des médecins relève que « le principe d’équité conduit à soigner les personnes privées de liberté aussi bien que d’autres, avec une attention et une protection renforcées, en tenant compte en particulier(de leurs)fréquents désordres psychiatriques, infectieux, toxicomanes ou sexuels », il souligne dans le même temps ma particularité de l’exercice, rappelant d’une part la nécessité d’assurer des formations, initiales et continues, spécifiques aux personnels soignants concernés ; et posant d’autre part, comma autant de garde-fous, le caractère essentiel dans ce contexte de l’indépendance professionnelle, du secret et du consentement du patient [20].

Il ressort de cet exercice périlleux que « l’exercice professionnel des soignants s’effectue sous de fortes contraintes carcérales, qui pèsent sur les soins apporté aux patients incarcérés, et peuvent même altérer profondément l’état d’esprit. » [21] de la réforme de 1994, bien qu’il faille évidemment préciser que ce cadre contraignant est plus ou moins fort selon les établissements, et que les comportements individuels des soignants qui y sont soumis sont tout aussi variables.

Il reste que la situation spécifique du personnel soignant en prison limite son exercice professionnel, tant du fait du lien particulier qui les unit aux patients qu’en raison du cadre particulier qui est le leur, de leur relation imposée avec le personnel pénitentiaire et des problématiques propres à l’enfermement.

Le médecin se trouve en effet dans une position ambivalente pour la personne détenue, étant à la fois suspect et seul recours : suspect pour un patient qui n’a pas le choix de son médecin et dont la démarche au soin s’exerce évidemment sous la médiation des personnels de surveillance ; dernier recours pour un malade à la merci d’un médecin décideur des traitements et soins et qui peut intervenir dans un cadre disciplinaire.

L’omniprésence des personnels pénitentiaires relativise en outre forcément la notion de secret médical, alors que le manque chronique de moyens, financiers comme humains, offerts tant aux soins qu’à la surveillance, conditionne la qualité, la diversité et la rapidité d’accès aux soins ou aux hospitalisations.

La pratique médicale en prison apparaît donc bien comme une pratique extrême, soumise évidemment aux principes déontologiques pertinents, mais également à certaines adaptations de ceux-ci, à même de permettre le respect connexe des contraintes inhérentes à ce milieu spécifique. Les difficultés sont d’autant plus exacerbées en cas d’hospitalisation des détenus en milieu ouvert, les fantasmes liés à la détention amenant les soignants hospitaliers, non rompus aux spécificités carcérales, à méconnaître ouvertement leurs obligations déontologiques. De nombreux exemples malheureux ont en effet encore récemment engendré des prises de positions discutables : plusieurs incidents ont été relevés au cours du printemps 2002, d’évasions ou de tentatives violentes lors de consultation hospitalières, et ont motivé la réaction de certaines structures syndicales représentant les personnels soignants.

C’est ainsi notamment que l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (AMUHF) s’est prononcée pour un accroissement des moyens et une adaptation des locaux hospitaliers destinés à la prise en charge des personnes sous main de justice, mais aussi pour une systématisation du port des menottes et entraves, contrairement aux prescriptions déontologiques. Bien que ne soit dans ce cadre officiellement visées que les personnes « agressives ou connues pour l’être, cette revendication laisse craindre la généralisation d’une pratique à tout le moins discutable, en ce qu’elle n’apparaît le plus souvent pas indispensable, et viole fréquemment la dignité des personnes. L’intérêt de ces propositions ressort certes en ce qu’elles visent une amélioration des conditions matérielles de prise en charge, ainsi que le désarmement des escortes au profit d’une amélioration des dispositifs d’alarme - mais elles laissent malgré tout apparaître le souci principalement sécuritaire des soignants, bien éloigné de leur mission première [22].

Ainsi, l’exercice du soin au bénéfice des personnes détenues, qu’il soit préventif ou somatique, et donc le respect à leur égard des préceptes fondamentaux, se trouve bien limité.

B Les limites en termes de prévention et d’éducation à la santé

Cette pratique médicale spécifique rencontre ses difficultés et ses limites, en premier lieu, en termes de prévention et d’actions pour l’éducation à la santé. Elles résultent, ainsi qu’il a été souligné, tant de représentations et des intérêts professionnels contradictoires qui sont ici en jeu que d’une absence de volonté politique, et donc de moyens.

Le dépistage reste ainsi encore limité, malgré d’incontestables progrès. Outre le poids des mentalités et du manque de culture sanitaire qu’il convient de combattre au gré d’actions d’éducation fortes, la difficulté principale est ici liée au fait que le nombre d’UCSA ne sont pas encore à l’heure actuelle en mesure de procéder elles-mêmes aux dépistages, qui relèvent de la compétence d’un CDAG [23]. De nombreux établissements bénéficient de la présence d’un tel centre, mais plusieurs autres attendent encore l’accréditation qui leur est nécessaire pour pouvoir, malgré l’absence physique d’un centre, intervenir en tant que tel - ce qui provoque report du dépistage, qui ne peut être opéré dès la visite d’admission lorsque la personne incarcérée l’accepte ; et donc du résultat et de l’éventuelle prise en charge psychosomatique.

Il paraît en ce sens nécessaire d’améliorer et de généraliser les pratiques d’information et d’accompagnement pré- et post-test, qui ne sont pas encore partout intégrées par les praticiens. L’échange entourant la proposition de test, et le test éventuel, apparaît en effet un moment important d’éducation pour la santé - à plus forte raison après un résultat positif. S’il n’est pas question de discuter l’opportunité de la proposition de test lors de la visite d’entrée, il est toutefois relevé que celle-ci n’est pas suffisante : inscrite de fait au moment de l’écrou, du « choc de l’incarcération », il est à craindre que cette proposition ne soit pas comprise dans toute son acuité.

La mission Santé/Justice souligne d’autre part que les mesures prophylactiques prévues par la réglementation actuelle ne touchent pas qu’à des mesures d’hygiènes : l’accès au traitement post-exposition doit en particulier être facilité, tant matériellement qu’au niveau des représentations - il est en effet ici remarqué, on l’a vu, que les personnels n’ont pas identifié les structures qui leur sont destinées, et que les détenus n’utilisent pas le dispositif, faute d’y avoir été sensibilisés, et en raison du caractère répréhensible des actes qui peuvent être à l’origine de la prise de risque.

Le même rapport considère la prévention du risque sexuel acquise par la mise à disposition de préservatifs et de lubrifiant, et celle du risque toxicomaniaque par l’accès aux traitements de substitution et la mise à disposition d’eau de Javel. Enfin, ces conclusions soulignent que des actions de sensibilisation sur les virus sont de plus en plus souvent organisées le 1er décembre de chaque année, et que les actions d’éducation à la santé apparaissent en voie de développement.

Il semble toutefois que ces actions d’information et d’éducation à la santé restent bien limitées, du fait certes des spécificités du milieu carcéral, mais aussi des tensions et conflits de compétence entre les différents intervenants concernés (Comité français d’éducation pour la santé, comités départementaux et ministère de la santé) quant à la définition des axes prioritaires, ainsi qu’en raison d’un manque structurel de moyens, du blocage des mentalités et du bon vouloir des intervenants médicaux locaux. Si des actions ponctuelles peuvent être relevées (journées d’informations sur le tabac, l’alcool, voire les maladies sexuellement transmissibles pour les détenus ; sur les risques professionnels de contamination ou sur les représentation pour les personnels), rien n’est envisagé de façon global et à long terme - en particulier auprès des détenus les plus jeunes...

En tout état de cause, ces actions, qui dépendent pour beaucoup de l’investissement local des acteurs du soin, restent trop restreintes et, même si l’administration cherche à diversifier les actions, en se reposant bien souvent sur des structures associatives (à l’instar de la Ligne 6 de Sida Info Services [24] qui attend toujours sa généralisation ; des visites assurées auprès des détenus ou des formations qu’a un temps proposé l’association AIDES aux élèves de l’ENAP ; ou encore des interventions ponctuelles de la Croix Rouge Française), la situation actuelle semble loin d’être satisfaisante ans la plupart des établissements.

En matière de prévention concrète des risques de transmission, le rapport de décembre 2000 confirme que la distribution des préservatifs ne résoudra as à elle seule le problème de la transmission par voie sexuelle - une prise en considération objective de la sexualité, par la création de parloirs intimes et d’unité de vie familiale doit être engagée - ni celui de la contamination par voie sanguine. La question touche alors non seulement aux traitements de substitution aux stupéfiants, mais aux stupéfiants eux-mêmes et aux matériels d’injection.

C’est sans doute relativement à cette question de la pratique toxicomaniaque que les lacunes sont les plus flagrantes, issues de l’impasse dans laquelle est aculée cette question par la législation répressive relative aux stupéfiants. Si l’on note une amélioration dans le recours aux traitements de substitution, il est encore possible d’en dénoncer les limites.

Les soignants ont certes de moins en moins de réticences à poursuivre de tels traitements, au gré d’une réglementation incitatrice [25], mais on note que des refus persistent et que des progrès restent à faire aux fins d’harmonisation des pratiques professionnelles. D’autres part, il apparaît une prééminence des traitements par Subutex (85,6% contre 14,4% de traitements à la méthadone), et ce malgré les limites reconnues de ce produit, tant du point de vue médical qu’au niveau sécuritaire. Enfin, il est relevé un faible taux de traitements en détention (moins de 500 en tout) [26], même si l’on peut espérer leur multiplication depuis l’autorisation faite en janvier dernier aux praticiens hospitaliers - donc aux UCSA - d’engager de telles primo-prescriptions à la méthadone.

Aussi le débat reste-t-il ouvert de la prise en charge des conduites addictives et de l’effectivité d’une politique de réduction des risques encore bien limitée par la législation répressive de la loi de 1970 - qui s’oppose en particulier à la mise en œuvre d’une politique de prévention active, par la mise à disposition de matériels stériles, non seulement d’injection, mais aussi par extension de tatouage et de piercing (l’eau de Javel, souvent utilisée comme produit d’entretien, est en tout état de cause le plus souvent inutile en matière de désinfection des matériels, le protocole d’utilisation étant mal connu, malaisé et stigmatisant, et le degré de dilution du produit ici mis à disposition hypothéquant largement, pour les personnels médicaux eux-mêmes, ses capacités de décontamination [27]).

C Les limites somatiques

Il est évident qu’en la matière, la solution actuelle est sans commune mesure avec celle qui prévalait il y a dix ans. Pour autant, la réforme de 1994, pour bénéfice qu’elle ait été, n’a pas résolu toutes les difficultés, et en a même créé de nouvelles.

Les limites somatiques se caractérisent d’abord par les contingences carcérales précitées, qui s’affichent comme autant de limites à l’exercice médical et au respect des principes fondamentaux. Ainsi la présence systématique du personnel de surveillance - et notamment son rôle d’intermédiaire entre le détenu et le soignant lors d’une demande de rendez-vous ou de prescription - porte non seulement atteinte au secret médical, mais limite en outre directement l’effectivité de la prise en charge somatique : les traitements prophylactiques ne sont de ce fait pas utilisés ; certains détenus tairont leur maux ou leur pathologie afin de garder secret leur état de santé ou un comportement à risque vis-à-vis des gardants - et donc de la détention en général. Si, en matière de traitements somatiques, l’abandon de la « fiole » a certes amélioré la situation, la promiscuité et la visibilité de certaines prescriptions, telles les multithérapies, engendrent encore nombre de difficulté, pouvant aller jusqu’à un refus de soin.

Ces difficultés sont également accrues par la spécificité carcérale qui induit d’emblée que soit violé le principe essentiel du libre choix du praticien. Si cette entorse aux droits fondamentaux peut être comprise, il n’en reste pas moins qu’elle peut s’avérer problématique, puisqu’elle place le praticien en position de force, voire de domination. Ainsi le détenu qui se voit refuser telle ou telle prescription (traitement spécialisé - de substitution notamment - ou intervention chirurgicale - IVG, ou ponction biopsie hépatique (PBH) par exemple) n’a-t-il pas disparu et la question reste ouverte de la multiplication des praticiens en détention, notamment des soignants spécialisés (ce qui permettrait également un meilleur respect du secret médical : à Fleury-Mérogis par exemple, solliciter un rendez-vous auprès du Docteur Valentin renvoie de fait à une sérologie VIH, ce praticien étant seul intervenant quant à la prise en charge du Sida).

Le rapport IGAS/IGSJ, qui relève un dépistage du VIH plutôt satisfaisante et un accès aux traitements anti-rétroviraux a priori conforme aux besoins (pourtant mal connus), dénonce en revanche un dépistage trop restreint du VHC (à l’image d’une prise en charge insuffisante et inadaptée des toxicomanies), ainsi que le faible taux de consultations d’hépatologie en UCSA et les difficultés d’accès aux traitements par biopsies hépatiques.

Ce dernier type d’intervention, longtemps considérée comme indispensable, est certes aujourd’hui remis en cause notamment au récent Protocole de traitement du VHC sans PBH, avalisé par la Conférence de consensus et qui permettrait une gestion satisfaisante de la charge virale de la personne infectée sans biopsie [28]. Toutefois, et nonobstant ce nouveau système, qui reste à mettre en œuvre et qui ne répondra pas à toutes les situations pathologiques, les troubles psychologiques et psychiatriques susceptibles d’être engendrés par le traitement médicaux du VHC ar l’Interféron rendent encore bien souvent préférable l’exploration par PBH dans de nombreux cas, et laissent donc entières les difficultés qu’elle rencontre.

Ainsi, et comme clé de voûte des limites et des lacunes du soin en milieu carcéral, se pose le problème des moyens, matériels et humains, mis à disposition du système de soins offert aux détenus. Outre celle du nombre de professionnels intervenants, sont ainsi lancées les questions des consultations spécialisées en UCSA, mais aussi des extractions, donc de l’accessibilité aux plateaux techniques hospitaliers pour les soins spécialisés non disponibles en détention et aux hospitalisations en elles-mêmes.

Les difficultés sont si saillantes, l’augmentation de la demande de soins d’une part ; la multiplicité des compétences pénitentiaire, policière et de gendarmerie d’autre part ; le manque de structures extérieures adaptées, enfin, posant d’énormes blocages qui entraînent le plus souvent report des consultations externes et des hospitalisations, voire, dans ce cadre, violation des droits élémentaires de la personne détenue (c’est ainsi que l’OIP peut régulièrement dénoncer les entraves et menottes imposées aux femmes enceintes ou à un vieillard malade cardiaque). Le schéma actuellement en cours de préparation, avec la création des UHSIR [29] (qui ne sera cependant pas achevée avant la fin de l’année 2003 au plus tôt) en parallèle d’un éclaircissement des compétences policières et de gendarmerie, devrait permettre une amélioration de la situation qui aille au-delà de l’arbitrage tenté en 1999 par le Conseil de sécurité intérieure, jugé insuffisant [30].

Reste cependant posée la question des moyens financiers et humains mis à disposition tant de l’administration pénitentiaire que de l’administration hospitalière pour l’amélioration non seulement des possibilités d’extractions mais aussi de la prise en charge somatique en détention (permettant une augmentation des consultations de spécialistes dans le cadre des UCSA). Si la dotation budgétaire du soin en détention a certes augmentée depuis la réforme de 1994, force est toutefois de constater qu’elle reste insuffisante. Ainsi, ce constat, qui pose la question de la mise en œuvre, on y reviendra, des grâces médicales et libérations conditionnelles pour soins, tend également à faire rappeler que la pratique des permissions de sortie pour raison médicale doit être sensiblement élargie.

Il est donc patent que la situation en détention est limitée du fait des contingences de ce milieu spécifique. Si les causes peuvent en être identifiées, il n’en reste pas moins que l’écart qui sépare la situation actuelle du soin en prison des normes supérieures qu’il est censé respecter est flagrant, ce qui oblige à réfléchir aux voies possibles d’évolution de cette situation.

[1] Vasseur V., médecin-chef à la prison de La Santé, Paris, Le Cherche midi éditeur, 2000

[2] Cité dans le même ouvrage et selon lequel « on peut juger du degré de civilisation d’une nation en visitant ses prisons

[3] ORS PACA, réduction des risques de l’infection à VIH et des hépatites en milieu carcéral : prévalence des pratiques à risque et analyse des contraintes et de la fiscalité des programmes de réduction des risques en milieu carcéral, Rapport final, 1998

[4] Mission santé justice précitée

[5] Rapport IGAS/IGSJ précité

[6] Hyest J.J., Cabanel G.P., Prisons : une humiliation pour la République, Commission d’enquête sénatoriale, Paris, 29 juin 2000

[7] Observatoire International des Prisons, section française, Prisons : un état des lieux, Paris, L’esprit Frappeur, 2000

[8] Vasseur V., médecin-chef à la prison de la Santé, op.cit.

[9] Mermaz L., Floch J., La France face à ses prisons, Paris, Les documents d’information de l’Assemblée Nationale, 2000

[10] Si les textes prévoient en effet 3 douches par semaine, la pratique prouve que ce minima n’est le plus souvent pas respectés, les détenus ne jouissant que de la possibilité de se laver deux fois par semaine - la prescription de telles douches médicales permet donc au droit, déjà bien limitatif, d’être respecté

[11] La superficie des cellules varie de 5 à 14 m². La majorité mesure de 9 à 10 m² pour 1 à 5 détenus - sachant que la majorité des établissements a été construite au 19ème siècle, une demi douzaine datant même de l’Ancien Régime

[12] Sicard D., Sida et prison, Chrétiens et Sida n°23

[13] OIP, op.cit.

[14] La lutte contre les discriminations. Entre théorie et pratique, entre droit et politique. Actes du séminaire du 21 juin 2001, Centre de recherche et d’études sur les droits fondamentaux, Université Paris X - Nanterre, 1er semestre 2001

[15] Lhuilier D., Ridel L., Simonpietri A., Veil C., VIH et Sida : Santé et soins en milieu carcéral, ANRS 96009, Paris, mars 1998

[16] Ibid.

[17] [C’est en tout cas le sentiment du Dr Dahel, exerçant au bâtiment D5 de Fleury-Mérogis, et rencontrée le 17 juillet 2002, ou encore du Dr Eric Durand, anciennement en poste dans ce même établissement et rencontré le 7 août 2002

[18] Vasseur V., les murs de la honte, op.cit.

[19] Rostaing C., Ethique des pratiques de santé en milieu pénitentiaire, in La Lettre, Espace éthique AP/HP, n°15/18, hiver/été 2002. Voir aussi le dossier, sous le même titre, et l’article du Dr Faucher D., Médecin en détention : soignant et témoin, in La lettre, Espace éthique AP/HP, n°12/14, été/automne 2000

[20] Hoerni B., Aspects déontologiques de la médecine en milieu pénitentiaire, Rapport adopté lors de la session du Conseil national de l’Ordre des médecins de juillet 2001 - www.conseil-national.medecin.fr

[21] Rostaing C., op.cit.

[22] « L’hôpital, lieu d’évasion : personnels et urgentistes demandent des mesures », in Le Quotidien du médecin, 18 juillet 2002 ; « Violences répétées aux urgences », in Libération, 22 août 2002

[23] Centre de Dépistage Anonyme et Gratuit

[24] Il s’agit d’un dispositif téléphonique proposé par l’association Sida Info Service, mise en place en l’état au sein du seul hôpital pénitentiaire de Fresnes : 8 postes d’appel ont été installés, permettant à toute personne détenue dans cet établissement d’entrer en relation de façon anonyme et gratuite avec un écoutant extérieur indépendant aux fins d’information et de soutien, non pas seulement sur de seules questions médicales, mais afin de rendre effectives les trois composantes de la santé telles qu’entendue par l’OMS depuis 1946 - « mental, physique et social ». Voir www.sida-info-service.org/ligne

[25] Circulaire n°739 DGS/DH/DAP du 5 décembre 1996 ; Note MILDT/DGS/DHOS/DAP n°474 du 9 août 2001 ; Circulaire DGS/DHOS n°57 u 30 janvier 2002. Voir infra Partie 2, section1

[26] Morfini H., Feuillerat Yves, Enquête sur les traitements de substitution en milieu pénitentiaire. Décembre 2001, DGS/DHOS, juillet 2002 - et rencontre avec Yves Feuillerat, DHOS du 19 juin 2002

[27] Entretien avec le Dr Dahel, 17 juillet 2002

[28] Entretien avec le Dr Durand, 7 août 2002

[29] Unités Hospitalières Sécurisées Inter Régionales - voir supra note 17

[30] Voir le Rapport d’évaluation IGAS/IGSJ précité de juin 2001, p.44-51